L’année 2016 sonnera probablement le retour à la case départ d’avant l’an 2000. Finie l’ère du pétrole cher, l’Exécutif va en campagne, prêchant un nouvel évangile en faisant de la recette marginale un fonds de départ.
En termes plus clairs, le gouvernement entend bien racler les fonds de tiroir pour tenter d’inverser l’ordre des facteurs de mauvaise croissance qui ont marqué la précédente décennie. Une chose est sûre : après avoir passé plusieurs années à dépenser sans compter, le gouvernement fait face désormais à des difficultés de trésorerie qui risquent de compromettre fortement son exercice.
Depuis 2000, les recettes liées à la vente d’hydrocarbures ont approvisionné abondamment les caisses de l’Etat : environ 800 milliards de dollars de flux de devises en 15 ans, selon les estimations d’anciens politiques reconvertis en consultants et en lanceurs d’alerte.
Nordine Aït Laoussine, ex-ministre de l’Energie dans le gouvernement Ghozali (1991-1992), avait été le premier à avoir sonné le tocsin en 2012, lors d’une rencontre consacrée au bilan économique de 41 ans de nationalisation des hydrocarbures. Selon lui, cette action de reconquête de la souveraineté nationale sur les richesses du pays s’est soldée, 41 ans après, par des revenus pétroliers qui culminaient, en 2012 déjà, à 880 milliards de dollars.
«Nous sommes encore très loin du but recherché par la nationalisation, celui de diversifier l’économie, entre autres», regrettait M. Aït Laoussine qui se voyait, peu après, conforté dans ses opinions par Sid-Ahmed Ghozali, ancien chef de gouvernement. Ce dernier, lors d’une récente interview accordée à El Watan, posait lui aussi, à juste titre, la récurrente question liée à l’usage de l’argent du pétrole.
D’autres experts et économistes, à l’instar de Ferhat Aït Ali, évaluent les différentes rentrées en devises à environ 840 milliards de dollars de 2000 à 2014 en se référant à des bilans comptables de la Banque d’Algérie, du ministère des Finances et autres institutions et organismes statistiques.
La polémique sur la destination de ces ressources est relancée de plus belle, à l’heure où les réserves financières fondent comme neige au soleil. La frénésie de dépense a mis à mal les caisses de l’Etat en l’absence d’une gouvernance économique efficiente, capable de transformer les flux en devises en capital productif.
Durant la même période (2000-2014), les flux sortants se chiffraient à plus de 650 milliards de dollars. Les gouvernements successifs finançaient à fonds perdus des importations de biens et services, rechignant à reconstruire les ponts fragilisés de l’économie.
Outre 456 milliards de dollars en flux sortants injectés dans les importations, le pays a arrosé ses créanciers à hauteur de 39 milliards de dollars. Les entreprises pétrolières investies en Algérie ont transféré pour environ 55 milliards de dollars de dividendes de 2000 à 2014, selon les chiffres du ministère de l’Energie. A cela s’ajoute une autre cagnotte de plus de 100 milliards de dollars dont disposaient les gouvernements pour le règlement de frais et services en tous genres.
Les montants traduisent le désespoir, voire l’incompétence d’un régime politique incapable de canaliser à bon escient les revenus du pays. Cet accaparement de la rente par fiscalité interposée et son orientation hors du soutien à l’économie réelle est à la genèse de tous les excès. La gouvernance économique a fait défaut.
Résultat des courses : les performances économiques du pays se situent en dessous de la moyenne africaine dans pratiquement tous les domaines, surtout en termes de croissance et de compétitivité.
Au bout de ces 15 années d’errements, de dépenses improductives et de gabegie, il aura fallu que les cours du brut chutent sur le marché mondial pour que les vieux démons d’avant l’an 2000 resurgissent, brandissant le spectre de l’endettement, du chômage, de la précarité et des pénuries.
Ali Titouche
Ferhat Aït Ali. Expert financier
«En quinze ans, les flux de devises ont atteint 840,5 milliards de dollars»
Propos recueillis par Ali Titouche
D’anciens responsables et économistes estiment à environ 800 milliards de dollars les recettes encaissées par l’Algérie depuis 2000. Ils posent ainsi la question de l’usage de l’argent du pétrole, tant l’économie algérienne se révèle plus que jamais dépendante de la rente des hydrocarbures, quand bien même des centaines de milliards de dollars y ont été injectés depuis le début de la précédente décennie. Quelles sont vos estimations ?
Je n’ai encore jamais énoncé un chiffre à ce jour pour la simple raison qu’une analyse ne doit pas être un support pour lancer des chiffres approximatifs sans vérification. Ayant pris le temps de collationner les comptes officiels de la nation tels que fournis dans les rapports annuels des différents organismes officiels chargés de cette tâche, dont la Banque d’Algérie, la DGT, le CNIS et le ministère de l’Energie, je peux de ce fait donner les chiffres suivants sans peur d’être contredit ou de me contredire.
Les données économiques du pays entre 2000 et 2014 sont : recettes des exportations : 727,9 milliards de dollars, dont 14 hors hydrocarbures et 713,9 en hydrocarbures, avec un solde positif de la balance commerciale du pays de l’ordre de 271,5 milliards de dollars.
Cette balance ne prenant en compte que les achats commerciaux de biens d’equipement, il y a lieu d’y annexer les soldes des comptes de règlement en tous genres de services et autres paiements non sujets à passage en douane — qui regroupent aussi bien les récupérations de capitaux, les changes de devises en banque, les intérêts sur emprunts, les remboursements d’emprunts eux-mêmes et les dividendes et autres parts d’entreprises étrangères exerçant en Algérie, seules ou en association avec des entreprises locales, ainsi que celles réalisant des marchés en Algérie — au débit du compte courant pour 194 milliards de dollars, et les transferts nets, les entrées de capitaux et les intérêts sur placements au crédit de ce même compte pour 112 milliards de dollars, le tout dégageant un solde négatif, donc réglé en devises, de l’ordre de : 82 milliards de dollars.
On se retrouve de ce fait, sur les 15 années analysées, avec des flux entrants de devises de 840,5 milliards de dollars et des flux sortants de 650 milliards de dollars durant cette période. Les flux entrants n’étant pas tous des recettes nettes nationales, il fallait s’attendre à les rembourser un jour ou l’autre en partie.
Pour une bonne partie des flux sortants, 55 milliards de dollars sont la part des entreprises pétrolières exerçant en association avec Sonatrach, 39 milliards représentent l’amortissement de la dette extérieure avec ses intérêts ; il y a donc eu en tout pour environ 104 milliards de dollars de règlements de frais et services en tous genres.
Depuis quelques années, les recettes pétrolières sont presque équivalentes à celles des importations, dont le seuil flirtait depuis quelques années déjà avec les 60 milliards de dollars. Peut-on faire le calcul des dépenses injectées dans les importations ? Cette économie de bazar n’est-elle pas l’une des causes à l’origine de la situation actuelle dans laquelle barbote l’économie algérienne ?
Pour les importations de biens et services, le décompte fait ressortir quelque 456 milliards de dollars sur 15 ans, avec une moyenne de 30 milliards par exercice sur toute la période, mais une hausse manifeste à partir de 2009. Curieusement, c’est après la mise en place de la fameuse loi dite du «Patriotisme économique» sous couvert bureaucratique que les importations ont subi une hausse incontrôlable à ce jour.
En effet, la moyenne annuelle entre 2000 et 2008 était de 18,5 milliards de dollars, alors que pour la période 2009-2014 elle est passée à 48,2 milliards de dollars. Le solde de la balance commerciale suivant le même cheminement vers le bas, qui ne s’arrête pas à ce jour. Il y a donc lieu de prendre ces chiffres officiels comme référence pour avoir une idée précise de ce qui a été dépensé et des recettes exactes du pays, avant de poser la question de savoir où est passé l’argent.
Pour les importations, on peut constater que les biens de consommation courante ou à l’usage des particuliers, même en biens d’équipement pour les véhicules, ont pris la part du lion dans la répartition de l’enveloppe avec, à titre d’exemple, 160 milliards de dollars pour les biens de consommation, dont 80 pour les denrées alimentaires, auxquels il faut ajouter dans les 45 milliards de dollars de véhicules en tous genres à l’usage des particuliers, inscrits dans la rubrique «biens d’équipement industriels».
La suite...............................
En termes plus clairs, le gouvernement entend bien racler les fonds de tiroir pour tenter d’inverser l’ordre des facteurs de mauvaise croissance qui ont marqué la précédente décennie. Une chose est sûre : après avoir passé plusieurs années à dépenser sans compter, le gouvernement fait face désormais à des difficultés de trésorerie qui risquent de compromettre fortement son exercice.
Depuis 2000, les recettes liées à la vente d’hydrocarbures ont approvisionné abondamment les caisses de l’Etat : environ 800 milliards de dollars de flux de devises en 15 ans, selon les estimations d’anciens politiques reconvertis en consultants et en lanceurs d’alerte.
Nordine Aït Laoussine, ex-ministre de l’Energie dans le gouvernement Ghozali (1991-1992), avait été le premier à avoir sonné le tocsin en 2012, lors d’une rencontre consacrée au bilan économique de 41 ans de nationalisation des hydrocarbures. Selon lui, cette action de reconquête de la souveraineté nationale sur les richesses du pays s’est soldée, 41 ans après, par des revenus pétroliers qui culminaient, en 2012 déjà, à 880 milliards de dollars.
«Nous sommes encore très loin du but recherché par la nationalisation, celui de diversifier l’économie, entre autres», regrettait M. Aït Laoussine qui se voyait, peu après, conforté dans ses opinions par Sid-Ahmed Ghozali, ancien chef de gouvernement. Ce dernier, lors d’une récente interview accordée à El Watan, posait lui aussi, à juste titre, la récurrente question liée à l’usage de l’argent du pétrole.
D’autres experts et économistes, à l’instar de Ferhat Aït Ali, évaluent les différentes rentrées en devises à environ 840 milliards de dollars de 2000 à 2014 en se référant à des bilans comptables de la Banque d’Algérie, du ministère des Finances et autres institutions et organismes statistiques.
La polémique sur la destination de ces ressources est relancée de plus belle, à l’heure où les réserves financières fondent comme neige au soleil. La frénésie de dépense a mis à mal les caisses de l’Etat en l’absence d’une gouvernance économique efficiente, capable de transformer les flux en devises en capital productif.
Durant la même période (2000-2014), les flux sortants se chiffraient à plus de 650 milliards de dollars. Les gouvernements successifs finançaient à fonds perdus des importations de biens et services, rechignant à reconstruire les ponts fragilisés de l’économie.
Outre 456 milliards de dollars en flux sortants injectés dans les importations, le pays a arrosé ses créanciers à hauteur de 39 milliards de dollars. Les entreprises pétrolières investies en Algérie ont transféré pour environ 55 milliards de dollars de dividendes de 2000 à 2014, selon les chiffres du ministère de l’Energie. A cela s’ajoute une autre cagnotte de plus de 100 milliards de dollars dont disposaient les gouvernements pour le règlement de frais et services en tous genres.
Les montants traduisent le désespoir, voire l’incompétence d’un régime politique incapable de canaliser à bon escient les revenus du pays. Cet accaparement de la rente par fiscalité interposée et son orientation hors du soutien à l’économie réelle est à la genèse de tous les excès. La gouvernance économique a fait défaut.
Résultat des courses : les performances économiques du pays se situent en dessous de la moyenne africaine dans pratiquement tous les domaines, surtout en termes de croissance et de compétitivité.
Au bout de ces 15 années d’errements, de dépenses improductives et de gabegie, il aura fallu que les cours du brut chutent sur le marché mondial pour que les vieux démons d’avant l’an 2000 resurgissent, brandissant le spectre de l’endettement, du chômage, de la précarité et des pénuries.
Ali Titouche
Ferhat Aït Ali. Expert financier
«En quinze ans, les flux de devises ont atteint 840,5 milliards de dollars»
Propos recueillis par Ali Titouche
D’anciens responsables et économistes estiment à environ 800 milliards de dollars les recettes encaissées par l’Algérie depuis 2000. Ils posent ainsi la question de l’usage de l’argent du pétrole, tant l’économie algérienne se révèle plus que jamais dépendante de la rente des hydrocarbures, quand bien même des centaines de milliards de dollars y ont été injectés depuis le début de la précédente décennie. Quelles sont vos estimations ?
Je n’ai encore jamais énoncé un chiffre à ce jour pour la simple raison qu’une analyse ne doit pas être un support pour lancer des chiffres approximatifs sans vérification. Ayant pris le temps de collationner les comptes officiels de la nation tels que fournis dans les rapports annuels des différents organismes officiels chargés de cette tâche, dont la Banque d’Algérie, la DGT, le CNIS et le ministère de l’Energie, je peux de ce fait donner les chiffres suivants sans peur d’être contredit ou de me contredire.
Les données économiques du pays entre 2000 et 2014 sont : recettes des exportations : 727,9 milliards de dollars, dont 14 hors hydrocarbures et 713,9 en hydrocarbures, avec un solde positif de la balance commerciale du pays de l’ordre de 271,5 milliards de dollars.
Cette balance ne prenant en compte que les achats commerciaux de biens d’equipement, il y a lieu d’y annexer les soldes des comptes de règlement en tous genres de services et autres paiements non sujets à passage en douane — qui regroupent aussi bien les récupérations de capitaux, les changes de devises en banque, les intérêts sur emprunts, les remboursements d’emprunts eux-mêmes et les dividendes et autres parts d’entreprises étrangères exerçant en Algérie, seules ou en association avec des entreprises locales, ainsi que celles réalisant des marchés en Algérie — au débit du compte courant pour 194 milliards de dollars, et les transferts nets, les entrées de capitaux et les intérêts sur placements au crédit de ce même compte pour 112 milliards de dollars, le tout dégageant un solde négatif, donc réglé en devises, de l’ordre de : 82 milliards de dollars.
On se retrouve de ce fait, sur les 15 années analysées, avec des flux entrants de devises de 840,5 milliards de dollars et des flux sortants de 650 milliards de dollars durant cette période. Les flux entrants n’étant pas tous des recettes nettes nationales, il fallait s’attendre à les rembourser un jour ou l’autre en partie.
Pour une bonne partie des flux sortants, 55 milliards de dollars sont la part des entreprises pétrolières exerçant en association avec Sonatrach, 39 milliards représentent l’amortissement de la dette extérieure avec ses intérêts ; il y a donc eu en tout pour environ 104 milliards de dollars de règlements de frais et services en tous genres.
Depuis quelques années, les recettes pétrolières sont presque équivalentes à celles des importations, dont le seuil flirtait depuis quelques années déjà avec les 60 milliards de dollars. Peut-on faire le calcul des dépenses injectées dans les importations ? Cette économie de bazar n’est-elle pas l’une des causes à l’origine de la situation actuelle dans laquelle barbote l’économie algérienne ?
Pour les importations de biens et services, le décompte fait ressortir quelque 456 milliards de dollars sur 15 ans, avec une moyenne de 30 milliards par exercice sur toute la période, mais une hausse manifeste à partir de 2009. Curieusement, c’est après la mise en place de la fameuse loi dite du «Patriotisme économique» sous couvert bureaucratique que les importations ont subi une hausse incontrôlable à ce jour.
En effet, la moyenne annuelle entre 2000 et 2008 était de 18,5 milliards de dollars, alors que pour la période 2009-2014 elle est passée à 48,2 milliards de dollars. Le solde de la balance commerciale suivant le même cheminement vers le bas, qui ne s’arrête pas à ce jour. Il y a donc lieu de prendre ces chiffres officiels comme référence pour avoir une idée précise de ce qui a été dépensé et des recettes exactes du pays, avant de poser la question de savoir où est passé l’argent.
Pour les importations, on peut constater que les biens de consommation courante ou à l’usage des particuliers, même en biens d’équipement pour les véhicules, ont pris la part du lion dans la répartition de l’enveloppe avec, à titre d’exemple, 160 milliards de dollars pour les biens de consommation, dont 80 pour les denrées alimentaires, auxquels il faut ajouter dans les 45 milliards de dollars de véhicules en tous genres à l’usage des particuliers, inscrits dans la rubrique «biens d’équipement industriels».
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