Le 5 août 1962, Marilyn Monroe, née le 1 er juin 1926, mettait fin à ses jours. Ce suicide brutal faisait de sa légende vivante un mythe tragique dont la beauté sensuelle fascine toujours les foules. Un an avant, le Dr Kris, craignant que l'actrice ne passe à l'acte, l'internait dans un hôpital psychiatrique.
C'est le pire des cauchemars pour l'actrice, enfermée chez "les grands dérangés" comme elle le raconte dans cette lettre à son psychiatre californien, Ralph Greenson. Dernières lettres de l'enfer.
Le 2 Mars 1961
Cher Docteur Greenson,
J'ai demandé à May Reis [l'assistante personnelle de Marilyn Monroe] de taper ceci car mon écriture n'est pas clairement lisible, mais j'ai aussi inclus ces notes et vous verrez ce que je veux dire.
M.M.
1er Mars 1961,
J'ai regardé à l'instant par la fenêtre de l'hôpital, et désormais, là où la neige avait tout recouvert, tout est un peu vert: l'herbe et les minables buissons, ceux qui ne perdent pas leurs feuilles (même si les arbres ne sont pas très encourageants), les branches nues et lugubres annoncent peut-être le printemps et sont peut-être un signe d'espoir.
Avez-vous vu Les désaxés? Dans l'une des scènes, vous pouvez voir à quel point un arbre peut m'apparaître étrange et nu. Je ne sais pas si ça apparaît vraiment à l'écran... Je n'aime pas la façon dont certaines scènes ont été montées. Depuis que j'ai commencé à écrire cette lettre, quatre larmes silencieuses ont coulé. Je ne sais pas vraiment pourquoi.
La nuit dernière, je suis encore restée éveillée toute la nuit. Parfois je me demande à quoi sert le temps de la nuit. Pour moi, il n'existe presque pas, et tout me semble n'être qu'un long et affreux jour sans fin. Enfin, j'ai essayé de profiter de mon insomnie pour être constructive et j'ai commencé à lire la correspondance de Sigmund Freud. En ouvrant le livre pour la première fois, j'ai vu la photographie de Freud et j'ai éclaté en sanglots: il avait l'air très déprimé (cette photo a dû être prise peu de temps avant sa mort), comme s'il était mort en homme désabusé... Mais le Dr Kris m'a dit qu'il souffrait énormément physiquement, ce que j'avais appris dans le livre de Jones. Mais je pense avoir raison aussi, je fais confiance à mon intuition car je sens une triste lassitude sur son doux visage. Le livre prouve (même si je ne suis pas sûre que l'on doive publier les lettres d'amour de quelqu'un) qu'il était loin d'être coincé! J'aime son humour doux et un peu triste, son esprit combatif qui ne l'a jamais quitté. Je suis pas encore allée très loin dans la lecture car je lis l'autobiographie de Sean O'Casey en même temps (vous ai-je déjà raconté qu'il m'a un jour envoyé un poème?). Ce livre me dérange beaucoup, enfin, dans la mesure où l'on peut être dérangé par ce genre de choses.
Il n'y avait aucune empathie à la clinique Paine Whitney, et cela m'a fait beaucoup de mal. On m'a interrogée après m'avoir mise dans une cellule (une vraie cellule en béton et tout) pour personnes vraiment dérangées, les grands dépressifs, (sauf que j'avais l'impression d'être dans une sorte de prison pour un crime que je n'avais pas commis). J'ai trouvé ce manque d'humanité plus que barbare. On m'a demandé pourquoi je n'étais pas bien ici (tout était fermé à clefs: des choses comme les lampes électriques, les tiroirs, les toilettes, les placards, il y avait des barreaux aux fenêtres... les portes des cellules étaient percées de fenêtres pour que les patients soient toujours visibles, on pouvait voir sur les murs des traces de la violence des patients précédents).
J'ai répondu: "Eh bien, il faudrait que je sois cinglée pour me plaire ici." Puis des femmes se sont mises à crier dans leur cellule, enfin j'imagine qu'elles hurlaient parce que la vie leur était insupportable... Dans ces moments-là, je me disais qu'un psychiatre digne de ce nom aurait dû leur parler. Pour alléger leur misère et leur peine, ne serait-ce que temporairement. Je pense qu'ils (les médecins) pourraient même apprendre quelque chose... Mais ils ne sont intéressés que par ce qu'ils ont étudié dans les livres. J'étais surprise parce qu'ils savaient déjà tout ça. Peut-être qu'ils pourraient en apprendre davantage en écoutant des êtres humains vivants et en souffrance. J'ai le sentiment qu'ils se soucient plus de leur discipline et qu'ils laissent tomber leurs patients après les avoir fait "plier". Ils m'ont demandé de me mêler aux autres patients, d'aller en thérapie de groupe. "Et pour quoi faire?" ai-je demandé. "Vous pourriez coudre, jouer aux dames, ou même aux cartes, ou encore tricoter." J'ai essayé de leur expliquer que le jour où moi je ferais cela, ils auraient vraiment une cinglée sur les bras. Ce sont vraiment les dernières choses que j'avais à l'esprit. Ils m'ont demandé si je me sentais "différente" (des autres patients je suppose) et je me suis dit que s'ils étaient assez stupides pour me poser de telles questions, je devais leur donner une réponse toute simple, aussi ai-je dit: "Oui, je le suis".
Le premier jour, j'ai effectivement rencontré une autre patiente. Elle m'a demandé pourquoi j'étais si triste et m'a suggéré d'appeler un ami pour peut-être me sentir moins seule. Je lui ai répondu qu'on m'avait dit qu'il n'y avait pas de téléphone à cet étage. A propos des étages, ils sont tous verrouillés: personne ne peut ni entrer ni sortir; elle a paru choquée et surprise et elle m'a dit: "Je vais vous conduire au téléphone". En attendant mon tour pour le téléphone, j'ai remarqué un garde (je l'ai reconnu à son uniforme gris) et quand j'ai voulu décrocher le combiné, il me l'a arraché des mains et m'a dit très fermement: "Vous, vous ne pouvez pas utiliser le téléphone." D'ailleurs, ils se vantent de leur ambiance "comme à la maison". Je leur ai demandé (aux médecins) ce qu'ils entendaient par là. Ils m'ont répondu: "Eh bien, au sixième étage, nous avons de la moquette au sol et du mobilier moderne", ce à quoi j'ai répondu: "Eh bien, c'est le genre de choses que n'importe quel architecte d'intérieur peut fournir, à condition d'avoir les fonds nécessaires", mais puisqu'ils s'occupent d'êtres humains, pourquoi ne réalisent-ils pas ce qui rend un intérieur plus humain?
La fille qui m'a parlé du téléphone avait l'air tellement vague et pathétique. Après l'incident avec le garde, elle m'a dit: "J'ignorais qu'ils feraient cela". Puis elle a ajouté: "Je suis ici en raison de mes troubles mentaux... Je me suis ouvert la gorge plusieurs fois et les veines aussi", elle a dit l'avoir fait trois ou quatre fois.
La seule chose que j'avais à l'esprit en l'écoutant c'est un refrain:
"Mêlez-vous les uns aux autres mes frères
Sauf si vous êtes nés solitaires"
Enfin, les hommes cherchent à atteindre la lune mais ils n'ont pas l'air très intéressés pas le cœur qui bat de l'être humain. Quand bien même on pourrait changer, on peut ne pas le vouloir. A propos, c'était le thème des désaxés, mais personne ne s'en est rendu compte. J'imagine que c'est sans doute à cause des modifications du script et des changements imposés par la mise en scène...
Ecrit plus tard:
Je sais que je ne serai jamais heureuse, mais je peux être gaie! Vous vous rappelez que Kazan prétendait que j'étais la fille la plus gaie qu'il ait jamais connu, et croyez-moi il en a connu beaucoup! Mais il m'a aimée pendant un an et, une nuit où j'étais très angoissée, il m'a bercée jusqu'à ce que je m'endorme. Il m'avait aussi conseillé de faire une analyse et plus tard il a voulu que je travaille avec son professeur, Lee Strasberg.
Est-ce Milton qui a écrit: "Les gens heureux ne sont jamais nés."? Je connais au moins deux psychiatres qui cherchent une approche plus positive des choses.
CE MATIN, 2 MARS
Cette fois encore, je n'ai pas dormi de la nuit. J'ai oublié de vous dire quelque chose hier. Quand on m'a mise dans la première chambre, au sixième étage, on ne m'a pas dit qu'il s'agissait d'une section psychiatrique. Le Dr Kris m'a affirmé qu'elle passerait me voir le lendemain. L'infirmière est entrée, après que le docteur (un psychiatre) m'a fait un examen médical y compris un examen des seins pour s'assurer que je n'avais pas de grosseur mammaire. J'ai protesté, mais sans violence, en expliquant que le médecin qui m'avait fait entrer, un imbécile du nom de Lipkin, m'avait fait subir un check-up complet il y a moins d'un mois.
C'est le pire des cauchemars pour l'actrice, enfermée chez "les grands dérangés" comme elle le raconte dans cette lettre à son psychiatre californien, Ralph Greenson. Dernières lettres de l'enfer.
Le 2 Mars 1961
Cher Docteur Greenson,
J'ai demandé à May Reis [l'assistante personnelle de Marilyn Monroe] de taper ceci car mon écriture n'est pas clairement lisible, mais j'ai aussi inclus ces notes et vous verrez ce que je veux dire.
M.M.
1er Mars 1961,
J'ai regardé à l'instant par la fenêtre de l'hôpital, et désormais, là où la neige avait tout recouvert, tout est un peu vert: l'herbe et les minables buissons, ceux qui ne perdent pas leurs feuilles (même si les arbres ne sont pas très encourageants), les branches nues et lugubres annoncent peut-être le printemps et sont peut-être un signe d'espoir.
Avez-vous vu Les désaxés? Dans l'une des scènes, vous pouvez voir à quel point un arbre peut m'apparaître étrange et nu. Je ne sais pas si ça apparaît vraiment à l'écran... Je n'aime pas la façon dont certaines scènes ont été montées. Depuis que j'ai commencé à écrire cette lettre, quatre larmes silencieuses ont coulé. Je ne sais pas vraiment pourquoi.
La nuit dernière, je suis encore restée éveillée toute la nuit. Parfois je me demande à quoi sert le temps de la nuit. Pour moi, il n'existe presque pas, et tout me semble n'être qu'un long et affreux jour sans fin. Enfin, j'ai essayé de profiter de mon insomnie pour être constructive et j'ai commencé à lire la correspondance de Sigmund Freud. En ouvrant le livre pour la première fois, j'ai vu la photographie de Freud et j'ai éclaté en sanglots: il avait l'air très déprimé (cette photo a dû être prise peu de temps avant sa mort), comme s'il était mort en homme désabusé... Mais le Dr Kris m'a dit qu'il souffrait énormément physiquement, ce que j'avais appris dans le livre de Jones. Mais je pense avoir raison aussi, je fais confiance à mon intuition car je sens une triste lassitude sur son doux visage. Le livre prouve (même si je ne suis pas sûre que l'on doive publier les lettres d'amour de quelqu'un) qu'il était loin d'être coincé! J'aime son humour doux et un peu triste, son esprit combatif qui ne l'a jamais quitté. Je suis pas encore allée très loin dans la lecture car je lis l'autobiographie de Sean O'Casey en même temps (vous ai-je déjà raconté qu'il m'a un jour envoyé un poème?). Ce livre me dérange beaucoup, enfin, dans la mesure où l'on peut être dérangé par ce genre de choses.
Il n'y avait aucune empathie à la clinique Paine Whitney, et cela m'a fait beaucoup de mal. On m'a interrogée après m'avoir mise dans une cellule (une vraie cellule en béton et tout) pour personnes vraiment dérangées, les grands dépressifs, (sauf que j'avais l'impression d'être dans une sorte de prison pour un crime que je n'avais pas commis). J'ai trouvé ce manque d'humanité plus que barbare. On m'a demandé pourquoi je n'étais pas bien ici (tout était fermé à clefs: des choses comme les lampes électriques, les tiroirs, les toilettes, les placards, il y avait des barreaux aux fenêtres... les portes des cellules étaient percées de fenêtres pour que les patients soient toujours visibles, on pouvait voir sur les murs des traces de la violence des patients précédents).
J'ai répondu: "Eh bien, il faudrait que je sois cinglée pour me plaire ici." Puis des femmes se sont mises à crier dans leur cellule, enfin j'imagine qu'elles hurlaient parce que la vie leur était insupportable... Dans ces moments-là, je me disais qu'un psychiatre digne de ce nom aurait dû leur parler. Pour alléger leur misère et leur peine, ne serait-ce que temporairement. Je pense qu'ils (les médecins) pourraient même apprendre quelque chose... Mais ils ne sont intéressés que par ce qu'ils ont étudié dans les livres. J'étais surprise parce qu'ils savaient déjà tout ça. Peut-être qu'ils pourraient en apprendre davantage en écoutant des êtres humains vivants et en souffrance. J'ai le sentiment qu'ils se soucient plus de leur discipline et qu'ils laissent tomber leurs patients après les avoir fait "plier". Ils m'ont demandé de me mêler aux autres patients, d'aller en thérapie de groupe. "Et pour quoi faire?" ai-je demandé. "Vous pourriez coudre, jouer aux dames, ou même aux cartes, ou encore tricoter." J'ai essayé de leur expliquer que le jour où moi je ferais cela, ils auraient vraiment une cinglée sur les bras. Ce sont vraiment les dernières choses que j'avais à l'esprit. Ils m'ont demandé si je me sentais "différente" (des autres patients je suppose) et je me suis dit que s'ils étaient assez stupides pour me poser de telles questions, je devais leur donner une réponse toute simple, aussi ai-je dit: "Oui, je le suis".
Le premier jour, j'ai effectivement rencontré une autre patiente. Elle m'a demandé pourquoi j'étais si triste et m'a suggéré d'appeler un ami pour peut-être me sentir moins seule. Je lui ai répondu qu'on m'avait dit qu'il n'y avait pas de téléphone à cet étage. A propos des étages, ils sont tous verrouillés: personne ne peut ni entrer ni sortir; elle a paru choquée et surprise et elle m'a dit: "Je vais vous conduire au téléphone". En attendant mon tour pour le téléphone, j'ai remarqué un garde (je l'ai reconnu à son uniforme gris) et quand j'ai voulu décrocher le combiné, il me l'a arraché des mains et m'a dit très fermement: "Vous, vous ne pouvez pas utiliser le téléphone." D'ailleurs, ils se vantent de leur ambiance "comme à la maison". Je leur ai demandé (aux médecins) ce qu'ils entendaient par là. Ils m'ont répondu: "Eh bien, au sixième étage, nous avons de la moquette au sol et du mobilier moderne", ce à quoi j'ai répondu: "Eh bien, c'est le genre de choses que n'importe quel architecte d'intérieur peut fournir, à condition d'avoir les fonds nécessaires", mais puisqu'ils s'occupent d'êtres humains, pourquoi ne réalisent-ils pas ce qui rend un intérieur plus humain?
La fille qui m'a parlé du téléphone avait l'air tellement vague et pathétique. Après l'incident avec le garde, elle m'a dit: "J'ignorais qu'ils feraient cela". Puis elle a ajouté: "Je suis ici en raison de mes troubles mentaux... Je me suis ouvert la gorge plusieurs fois et les veines aussi", elle a dit l'avoir fait trois ou quatre fois.
La seule chose que j'avais à l'esprit en l'écoutant c'est un refrain:
"Mêlez-vous les uns aux autres mes frères
Sauf si vous êtes nés solitaires"
Enfin, les hommes cherchent à atteindre la lune mais ils n'ont pas l'air très intéressés pas le cœur qui bat de l'être humain. Quand bien même on pourrait changer, on peut ne pas le vouloir. A propos, c'était le thème des désaxés, mais personne ne s'en est rendu compte. J'imagine que c'est sans doute à cause des modifications du script et des changements imposés par la mise en scène...
Ecrit plus tard:
Je sais que je ne serai jamais heureuse, mais je peux être gaie! Vous vous rappelez que Kazan prétendait que j'étais la fille la plus gaie qu'il ait jamais connu, et croyez-moi il en a connu beaucoup! Mais il m'a aimée pendant un an et, une nuit où j'étais très angoissée, il m'a bercée jusqu'à ce que je m'endorme. Il m'avait aussi conseillé de faire une analyse et plus tard il a voulu que je travaille avec son professeur, Lee Strasberg.
Est-ce Milton qui a écrit: "Les gens heureux ne sont jamais nés."? Je connais au moins deux psychiatres qui cherchent une approche plus positive des choses.
CE MATIN, 2 MARS
Cette fois encore, je n'ai pas dormi de la nuit. J'ai oublié de vous dire quelque chose hier. Quand on m'a mise dans la première chambre, au sixième étage, on ne m'a pas dit qu'il s'agissait d'une section psychiatrique. Le Dr Kris m'a affirmé qu'elle passerait me voir le lendemain. L'infirmière est entrée, après que le docteur (un psychiatre) m'a fait un examen médical y compris un examen des seins pour s'assurer que je n'avais pas de grosseur mammaire. J'ai protesté, mais sans violence, en expliquant que le médecin qui m'avait fait entrer, un imbécile du nom de Lipkin, m'avait fait subir un check-up complet il y a moins d'un mois.
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