Le chanteur Idir à El Watan : «Rétablir l’état de droit et se débarrasser de cette idéologie qui nous mène vers la régression»
Rencontré en marge du Salon de la Créativité - organisé par l’Office national des droits d’auteurs (ONDA) -, Idir se confie à El Watan. Sans concession ni langue de bois, il parle de son nouvel album Ici et Ailleurs, de son amitié avec Charles Aznavour qui chante en kabyle, de berbérité et de son long combat, de son aversion pour l’idéologie tentaculaire, de l’Etat de droit, de la tolérance, de ses projets…
- L’album Ici et Ailleurs est-il votre œuvre majeure ?
Je ne sais pas. C’est un coup de chance. Cela a commencé avec Charles Aznavour. C’est comme un «effet» de pelote de laine (rire). C’est lui qui a ramené les autres chanteurs dont je connaissais certains parmi eux. Donc, le projet s’est dessiné comme ça. Je ne m’y attendais pas.
- C’est Charles Aznavour qui a émis le souhait de faire un duo avec vous…
C’est le hasard qui a fait les choses. Evidemment que je connaissais de nombreux chanteurs qui sont sur cet album (Ici et Ailleurs, ndlr). J’aurais pu faire des duos avec Bruel, Francis Cabrel,… Mais lui, ça a été un hasard.
- Comment ?
La fille de Charles Aznavour a épousé un Algérien. Il se prénomme Rachid. Il est dans le milieu artistique. Il est manager. Une fois il était avec son beau-père (Charles Aznavour, ndlr). Il lui a fait écouter une de mes chansons, Lettre à ma fille. Cela l’a bouleversé. Un père qui parle à sa fille de valeurs universelles, de religion, d’islam, de tolérance… Il était à la recherche de lui-même. Il me parlait souvent d’islam.
- Charles Aznavour s’intéresse à l’islam ? Ah, oui, oui. A mon avis, si Charles Aznavour se convertissait à l’islam, cela ne m’étonnerait pas.
Au début, il était partagé entre le judaïsme et le christianisme. J’ai mis cela sur le compte de quelqu’un qui est mondialement connu et qui se cherche une voie. Peut-être que c’est un besoin. On ne peut savoir comment ça se passe. Des fois, on cherche des «trucs» issus de l’intersidéral (rire). Il m’a dit : «Je ne sais pas. Je crois que l’islam est une voie possible.» Moi, je ne lui ai dit ni oui ni non. Parce que ce n’est pas à moi de juger ou faire du prosélytisme. Ce n’est pas mon «truc» (rire).
- Comment a germé l’idée du duo ?
Rachid, son beau-fils, nous a arrangé un rendez-vous. On a pris un café, et c’est là que Charles Aznavour m’a dit : «Ce serait bien qu’on fasse une chanson ensemble.» Un projet inespéré, une aubaine. Vous vous imaginez, une chanson avec Charles Aznavour ! Alors, j’ai tenté le coup. Je lui ai avoué qu’une chanson de son répertoire avait bouleversé ma vie, La Bohème. Une chanson exprimant cette espèce d’errance, de vague à l’âme, la recherche de soi, de l’autre, le doute…
Apparemment, il a dû apprécier ce que je lui ai dit. Banco ! Mais Charles Aznavour me surprendra en me disant : «On fait ce duo à condition que je chante en kabyle.» C’est extraordinaire. Je croyais rêver. Un aveugle de quoi a-t-il besoin. De la lumière. J’hésitais à le fixer, tellement j’étais abasourdi. Quand vous voulez. Et je faisais la fine bouche (rire). Il allait me sauter dessus. Tant était-il ravi. Et ça a commencé comme cela. On a enregistré deux séances ensemble, dont une a été filmée et où je lui montrais le texte en kabyle.
- Charles Aznavour chante en kabyle, c’est inespéré...
Il a voulu aller au fond des choses. Malgré la difficulté de la prononciation. Il y a une phrase où il doit prononcer «ahkuyid» (raconte-moi). Je lui ai proposé de la remplacer par «iniyid» qui a le même sens (dis-moi) pour lui faciliter la tâche. Il a refusé. C’est comme cela qu’a été faite la chanson La Bohème en kabyle. Un beau mélange.
C’est comme ça que j’avais envie de le faire. Il s’est acharné à apprendre son texte en kabyle. Puis, finalement, je crois que Charles Aznavour, c’est celui qui s’est rapproché le plus de l’âme de cet album. D’ailleurs, il a chanté le plus sur cet opus… Pour moi, c’est un immense chanteur. Pour moi, c’était Frank Sinatra, Liza Minnelli, Elvis Presley… Un grand acteur aussi. Je croyais rêver. Un grand de ce monde qui vient de faire un duo avec moi (rire). Il s’intéresse à un gars comme moi.
- Alors une amitié venait de naître…
Le monsieur Charles Aznavour m’appelait au téléphone. Je n’en revenais pas. Tout cela, parce que je lui tenais un discours sur la religion, la métaphysique, le soufisme… Mais sur le prosélytisme, pour prôner l’islam. J’ai essayé de lui montrer le côté philosophique, l’esprit d’ouverture de l’islam. Il a aimé mon discours. Et là, nous avons sympathisé. Et nous avons décidé de faire beaucoup de choses ensemble.
- Dans cet album, Ici et Ailleurs, il y a eu d’autres échanges et partages...
C’est humain. Mais c’est toujours fastidieux. Parce qu’il y a des gens qui présentent les titres comme celui avec Bruel (Patrick, ndlr), où l’idéologie n’est pas loin. Certains parlent de sionisme, les autres de l’armée. Moi, j’ai passé mon service national en Algérie. J’ai fait du rabiot en 1973 quand la guerre a éclaté entre l’Egypte et Israël.
J’ai fait l’instruction à Blida, puis Tleghma pour trois mois où c’était dur. Et puis, finalement, je suis devenu officier de la «Révolution agraire». Le reste, c’est l’histoire qui jugera. On est verrouillés. Mais dans l’ensemble, les gens éclairés ont accepté l’idée. J’ai algérianisé leur musique. Celle de Francis Cabrel avec un rythme plus ou moins chaâbi, andalou,… Tout ce que j’aime est là. Le duo avec Patrick Bruel est beau aussi. Le titre Les larmes de leurs pères.
En plus, il l’a dédié au printemps tunisien. Je lui ai dit que nous aussi, on a eu cela, le 5 Octobre 1988, en Algérie. D’ailleurs, je lui ai proposé d’en parler le 21 juin. C’est mentionné dans le documentaire. On va parler de cette injustice que subissent les peuples et qui sont capitalisés par des gens malintentionnés. Le reste, c’est l’histoire qui va les juger. Ce n’est pas moi. Je ne suis pas un général de brigade…
Quand tu vois tes frères se faire tirer dessus comme des lapins… Soit tu n’as pas de cœur, soit… C’est terrible. C’est pour ça que les gens se sont élevés. Quel qu’il soit, il y a toujours un moyen de négocier, de changer, d’organiser autrement. Tirer avec la kalachnikov… C’est quoi ce délire ? Surtout en avril 2001, 127 personnes de moins de 19 ans. A peine des gosses éveillés à la lumière. Et toi, tu vas les tuer. Que se passe-t-il dans vos têtes ? C’est terrible. Mais bon, on sait combien la tâche est difficile. Combien la lutte est âpre.
- Il y eut le Printemps berbère, précurseur, dont on vient célébrer le 37e anniversaire...
Il y avait une appréhension. Qu’est-ce qui vous arrive ? Le problème pour ceux qui n’avaient pas compris, c’est que le 20 Avril 1980 et tout ce qui avait suivi par la suite, c’était beau. C’était une lutte pour la démocratie. Parce qu’on aurait pu dire : berbère point. Et ça s’arrête là. Une lutte contre l’intégrisme, pour le droit des femmes… Tout cela ce sont des slogans qu’on retrouve dans les documentaires de l’époque. Donc, on se battait pour une démocratie. Pour une Algérie aussi libre que possible. C’est maintenant que ça se durcit. Je sens un fascisme qui monte de tous les côtés. On vit des moments sombres.
Un spectre. C’est terrible. A bas qui ? Et pourquoi ? Qu’est-ce que vous racontez ? Il y a un destin qui nous unit qui s’appelle l’Algérie. Où il y a des Arabes ou des arabophones…On cherche à chasser les uns pour installer les autres. C’est le colonialisme le plus sommaire. On ne peut pas rester insensible à une chanson de Cheikh Hamada ou Dahmane El Harrachi qui ne s’expriment pas dans ma langue. C’est qu’il y a quelque chose qu’on partage.
Rencontré en marge du Salon de la Créativité - organisé par l’Office national des droits d’auteurs (ONDA) -, Idir se confie à El Watan. Sans concession ni langue de bois, il parle de son nouvel album Ici et Ailleurs, de son amitié avec Charles Aznavour qui chante en kabyle, de berbérité et de son long combat, de son aversion pour l’idéologie tentaculaire, de l’Etat de droit, de la tolérance, de ses projets…
- L’album Ici et Ailleurs est-il votre œuvre majeure ?
Je ne sais pas. C’est un coup de chance. Cela a commencé avec Charles Aznavour. C’est comme un «effet» de pelote de laine (rire). C’est lui qui a ramené les autres chanteurs dont je connaissais certains parmi eux. Donc, le projet s’est dessiné comme ça. Je ne m’y attendais pas.
- C’est Charles Aznavour qui a émis le souhait de faire un duo avec vous…
C’est le hasard qui a fait les choses. Evidemment que je connaissais de nombreux chanteurs qui sont sur cet album (Ici et Ailleurs, ndlr). J’aurais pu faire des duos avec Bruel, Francis Cabrel,… Mais lui, ça a été un hasard.
- Comment ?
La fille de Charles Aznavour a épousé un Algérien. Il se prénomme Rachid. Il est dans le milieu artistique. Il est manager. Une fois il était avec son beau-père (Charles Aznavour, ndlr). Il lui a fait écouter une de mes chansons, Lettre à ma fille. Cela l’a bouleversé. Un père qui parle à sa fille de valeurs universelles, de religion, d’islam, de tolérance… Il était à la recherche de lui-même. Il me parlait souvent d’islam.
- Charles Aznavour s’intéresse à l’islam ? Ah, oui, oui. A mon avis, si Charles Aznavour se convertissait à l’islam, cela ne m’étonnerait pas.
Au début, il était partagé entre le judaïsme et le christianisme. J’ai mis cela sur le compte de quelqu’un qui est mondialement connu et qui se cherche une voie. Peut-être que c’est un besoin. On ne peut savoir comment ça se passe. Des fois, on cherche des «trucs» issus de l’intersidéral (rire). Il m’a dit : «Je ne sais pas. Je crois que l’islam est une voie possible.» Moi, je ne lui ai dit ni oui ni non. Parce que ce n’est pas à moi de juger ou faire du prosélytisme. Ce n’est pas mon «truc» (rire).
- Comment a germé l’idée du duo ?
Rachid, son beau-fils, nous a arrangé un rendez-vous. On a pris un café, et c’est là que Charles Aznavour m’a dit : «Ce serait bien qu’on fasse une chanson ensemble.» Un projet inespéré, une aubaine. Vous vous imaginez, une chanson avec Charles Aznavour ! Alors, j’ai tenté le coup. Je lui ai avoué qu’une chanson de son répertoire avait bouleversé ma vie, La Bohème. Une chanson exprimant cette espèce d’errance, de vague à l’âme, la recherche de soi, de l’autre, le doute…
Apparemment, il a dû apprécier ce que je lui ai dit. Banco ! Mais Charles Aznavour me surprendra en me disant : «On fait ce duo à condition que je chante en kabyle.» C’est extraordinaire. Je croyais rêver. Un aveugle de quoi a-t-il besoin. De la lumière. J’hésitais à le fixer, tellement j’étais abasourdi. Quand vous voulez. Et je faisais la fine bouche (rire). Il allait me sauter dessus. Tant était-il ravi. Et ça a commencé comme cela. On a enregistré deux séances ensemble, dont une a été filmée et où je lui montrais le texte en kabyle.
- Charles Aznavour chante en kabyle, c’est inespéré...
Il a voulu aller au fond des choses. Malgré la difficulté de la prononciation. Il y a une phrase où il doit prononcer «ahkuyid» (raconte-moi). Je lui ai proposé de la remplacer par «iniyid» qui a le même sens (dis-moi) pour lui faciliter la tâche. Il a refusé. C’est comme cela qu’a été faite la chanson La Bohème en kabyle. Un beau mélange.
C’est comme ça que j’avais envie de le faire. Il s’est acharné à apprendre son texte en kabyle. Puis, finalement, je crois que Charles Aznavour, c’est celui qui s’est rapproché le plus de l’âme de cet album. D’ailleurs, il a chanté le plus sur cet opus… Pour moi, c’est un immense chanteur. Pour moi, c’était Frank Sinatra, Liza Minnelli, Elvis Presley… Un grand acteur aussi. Je croyais rêver. Un grand de ce monde qui vient de faire un duo avec moi (rire). Il s’intéresse à un gars comme moi.
- Alors une amitié venait de naître…
Le monsieur Charles Aznavour m’appelait au téléphone. Je n’en revenais pas. Tout cela, parce que je lui tenais un discours sur la religion, la métaphysique, le soufisme… Mais sur le prosélytisme, pour prôner l’islam. J’ai essayé de lui montrer le côté philosophique, l’esprit d’ouverture de l’islam. Il a aimé mon discours. Et là, nous avons sympathisé. Et nous avons décidé de faire beaucoup de choses ensemble.
- Dans cet album, Ici et Ailleurs, il y a eu d’autres échanges et partages...
C’est humain. Mais c’est toujours fastidieux. Parce qu’il y a des gens qui présentent les titres comme celui avec Bruel (Patrick, ndlr), où l’idéologie n’est pas loin. Certains parlent de sionisme, les autres de l’armée. Moi, j’ai passé mon service national en Algérie. J’ai fait du rabiot en 1973 quand la guerre a éclaté entre l’Egypte et Israël.
J’ai fait l’instruction à Blida, puis Tleghma pour trois mois où c’était dur. Et puis, finalement, je suis devenu officier de la «Révolution agraire». Le reste, c’est l’histoire qui jugera. On est verrouillés. Mais dans l’ensemble, les gens éclairés ont accepté l’idée. J’ai algérianisé leur musique. Celle de Francis Cabrel avec un rythme plus ou moins chaâbi, andalou,… Tout ce que j’aime est là. Le duo avec Patrick Bruel est beau aussi. Le titre Les larmes de leurs pères.
En plus, il l’a dédié au printemps tunisien. Je lui ai dit que nous aussi, on a eu cela, le 5 Octobre 1988, en Algérie. D’ailleurs, je lui ai proposé d’en parler le 21 juin. C’est mentionné dans le documentaire. On va parler de cette injustice que subissent les peuples et qui sont capitalisés par des gens malintentionnés. Le reste, c’est l’histoire qui va les juger. Ce n’est pas moi. Je ne suis pas un général de brigade…
Quand tu vois tes frères se faire tirer dessus comme des lapins… Soit tu n’as pas de cœur, soit… C’est terrible. C’est pour ça que les gens se sont élevés. Quel qu’il soit, il y a toujours un moyen de négocier, de changer, d’organiser autrement. Tirer avec la kalachnikov… C’est quoi ce délire ? Surtout en avril 2001, 127 personnes de moins de 19 ans. A peine des gosses éveillés à la lumière. Et toi, tu vas les tuer. Que se passe-t-il dans vos têtes ? C’est terrible. Mais bon, on sait combien la tâche est difficile. Combien la lutte est âpre.
- Il y eut le Printemps berbère, précurseur, dont on vient célébrer le 37e anniversaire...
Il y avait une appréhension. Qu’est-ce qui vous arrive ? Le problème pour ceux qui n’avaient pas compris, c’est que le 20 Avril 1980 et tout ce qui avait suivi par la suite, c’était beau. C’était une lutte pour la démocratie. Parce qu’on aurait pu dire : berbère point. Et ça s’arrête là. Une lutte contre l’intégrisme, pour le droit des femmes… Tout cela ce sont des slogans qu’on retrouve dans les documentaires de l’époque. Donc, on se battait pour une démocratie. Pour une Algérie aussi libre que possible. C’est maintenant que ça se durcit. Je sens un fascisme qui monte de tous les côtés. On vit des moments sombres.
Un spectre. C’est terrible. A bas qui ? Et pourquoi ? Qu’est-ce que vous racontez ? Il y a un destin qui nous unit qui s’appelle l’Algérie. Où il y a des Arabes ou des arabophones…On cherche à chasser les uns pour installer les autres. C’est le colonialisme le plus sommaire. On ne peut pas rester insensible à une chanson de Cheikh Hamada ou Dahmane El Harrachi qui ne s’expriment pas dans ma langue. C’est qu’il y a quelque chose qu’on partage.
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