OLIVIER LABAN-MATTEI / MYOP POUR LE MONDE
Cette présidentielle restera vertigineuse à de multiples égards. A 39 ans, Emmanuel Macron devient le huitième président élu de la Ve République. Jamais visage aussi jeune ne s’était affiché à 20 heures sur les écrans de télévision français un soir de second tour. Il devance largement Marine Le Pen avec 65,5 % des voix contre 34,5 %, selon les premières estimations d’Ipsos-Sopra Steria pour Le Monde et France Télévisions. Il succédera à François Hollande aux plus hautes fonctions de l’Etat à l’issue de la passation de pouvoir, dimanche 14 mai.
S’il n’y a pas eu d’ultime rebondissement dans cette campagne qui aura pourtant usé jusqu’à la corde le champ lexical de la surprise, ce second tour comportait tout de même une part d’incertitude. A commencer par le score réalisé par Emmanuel Macron. Avec 65,5 % des voix, il réalise un résultat supérieur à ce que lui promettaient les instituts de sondage, il y a quinze jours. Il sort donc gagnant d’un entre-deux-tours pourtant bien mal embarqué.
Nombreuses sont les raisons de relativiser ce succès. Le scénario alambiqué de cette campagne en est une évidemment. Il faut aussi souligner le niveau d’abstention (autour de 25 %) au plus haut depuis 1969. A cela s’ajoute le message de ces quelque 8 % des inscrits, soit 12 % des Français qui sont venus voter dimanche, qui ont glissé un bulletin blanc ou nul dans l’urne – un record. Ou plutôt « les » messages, tant cette cohorte de mécontents porte des revendications diverses.
Enfin, comment ne pas mentionner la particularité de l’affiche du second tour. Pour la deuxième fois en quinze ans, une grande partie des Français n’a pas voté « pour » un candidat mais « contre » l’extrême droite. Cela laisse des traces dans une démocratie. Les électeurs pourraient finir par se lasser de faire des choix par défaut.
Obligation de succès
Ces chiffres mis bout à bout font d’Emmanuel Macron le président dont la légitimité sortie des urnes sera, probablement, la plus rapidement remise en cause. Ses adversaires ne s’y trompent guère, eux qui n’ont pas attendu pour lancer les premières piques dès 20 heures sur tous les plateaux télés.
Légitimité précaire mais lourde responsabilité. Tel est le mandat du nouveau président de la République. Car son élection a des allures de dernière station avant le désert pour le camp des républicains. Le nouveau chef de l’Etat arrive à l’Elysée avec une obligation de succès, l’échec – notamment économique et social – de ses prédécesseurs étant le principal ferment du populisme en France.
L’équation est complexe tant cette notion de « réussite » est difficile à cerner. L’électeur de Jean-Luc Mélenchon et celui de François Fillon, qui tous deux ont glissé un bulletin Macron dans l’urne n’y mettent pas le même sens. L’un demandera que la voix des millions d’« insoumis » soit respectée. L’autre arguera que la droite est moralement majoritaire dans ce pays et qu’il faut donc gouverner en conséquence. Le défi paraît immense. Elu par une majorité disparate, Emmanuel Macron doit prouver que le compromis n’exclut pas l’action, que la conciliation n’est pas une trahison.
Le FN plus fort que jamais
Face à lui, il trouvera un Front national plus fort que jamais. Certes, le score de Marine Le Pen a presque des allures de contre-performance. En recul par rapport à ce que lui accordaient les sondages (autour de 40 %), elle boucle une présidentielle en demi-teinte. Elle ne peut plus se targuer comme au sortir des dernières élections de représenter le premier parti de France. Mais cela ne saurait masquer la percée inédite que réalise l’extrême droite en France.
L’analyse des pourcentages est toujours en trompe l’œil, celle du nombre de voix récoltées livre une autre vérité. Avec près de 11 millions d’électeurs qui ont choisi un bulletin Marine Le Pen, la candidate emmène son parti dans des sphères nouvelles. Il faut aussi observer l’évolution sur le long terme. Si l’on met de côté la présidentielle de 2007, le FN est en progrès constant depuis 1988.
Elle a également prouvé que désormais le FN progresse dans l’entre-deux-tours. Alors que son père n’avait agrégé que 700 000 voix en plus au second tour en 2002, elle enregistre, elle, une poussée de plus de 3,5 millions de voix. Elle s’est en outre trouvé un allié, en la personne de Nicolas Dupont-Aignan, propulsé premier ministrable. L’autoproclamé « gaulliste », venu du RPR, achève ainsi sa lente et inexorable transition vers l’extrême droite.
Recomposition du paysage politique
Ce ralliement, critiqué de toutes parts, mais qui porte en lui une forme de logique programmatique et personnelle, dit quelque chose de cet entre-deux-tours, qui à bien des égards, aura davantage modifié le paysage politique français que l’ensemble de la campagne. Marine Le Pen, au cours d’un débat raté, a montré que le populisme agressif et l’utilisation décomplexée du mensonge n’était pas l’apanage des autres pays. Ses proches, en relayant délibérément des fausses informations jusqu’à la dernière heure de la campagne, ont donné un aperçu de ce à quoi pourrait ressembler le débat politique avec un groupe FN puissant à l’Assemblée.
Car l’extrême droite a bien l’intention de se nourrir de la faiblesse des autres. Les Républicains, conscients qu’ils vivent des heures décisives, ont reporté à plus tard le grand règlement de comptes, mais tous les éléments de la crise à venir ont émergé depuis le premier tour. A gauche, les « pudeurs de gazelle » de Mélenchon face au FN, combinées à l’explosion en cours au Parti socialiste, rendent la situation particulièrement instable.
Et le rythme de la recomposition ne risque pas de se ralentir, tant les élections législatives qui arrivent les 11 et 18 juin sont les plus ouvertes qu’on ait vu depuis longtemps. Certains Français ressentent avec une forme de soulagement le fait que le tourbillon présidentiel prenne fin. Au risque de les contrarier, il faut leur dire la vérité : cela ne fait que commencer.
Cette présidentielle restera vertigineuse à de multiples égards. A 39 ans, Emmanuel Macron devient le huitième président élu de la Ve République. Jamais visage aussi jeune ne s’était affiché à 20 heures sur les écrans de télévision français un soir de second tour. Il devance largement Marine Le Pen avec 65,5 % des voix contre 34,5 %, selon les premières estimations d’Ipsos-Sopra Steria pour Le Monde et France Télévisions. Il succédera à François Hollande aux plus hautes fonctions de l’Etat à l’issue de la passation de pouvoir, dimanche 14 mai.
S’il n’y a pas eu d’ultime rebondissement dans cette campagne qui aura pourtant usé jusqu’à la corde le champ lexical de la surprise, ce second tour comportait tout de même une part d’incertitude. A commencer par le score réalisé par Emmanuel Macron. Avec 65,5 % des voix, il réalise un résultat supérieur à ce que lui promettaient les instituts de sondage, il y a quinze jours. Il sort donc gagnant d’un entre-deux-tours pourtant bien mal embarqué.
Nombreuses sont les raisons de relativiser ce succès. Le scénario alambiqué de cette campagne en est une évidemment. Il faut aussi souligner le niveau d’abstention (autour de 25 %) au plus haut depuis 1969. A cela s’ajoute le message de ces quelque 8 % des inscrits, soit 12 % des Français qui sont venus voter dimanche, qui ont glissé un bulletin blanc ou nul dans l’urne – un record. Ou plutôt « les » messages, tant cette cohorte de mécontents porte des revendications diverses.
Enfin, comment ne pas mentionner la particularité de l’affiche du second tour. Pour la deuxième fois en quinze ans, une grande partie des Français n’a pas voté « pour » un candidat mais « contre » l’extrême droite. Cela laisse des traces dans une démocratie. Les électeurs pourraient finir par se lasser de faire des choix par défaut.
Obligation de succès
Ces chiffres mis bout à bout font d’Emmanuel Macron le président dont la légitimité sortie des urnes sera, probablement, la plus rapidement remise en cause. Ses adversaires ne s’y trompent guère, eux qui n’ont pas attendu pour lancer les premières piques dès 20 heures sur tous les plateaux télés.
Légitimité précaire mais lourde responsabilité. Tel est le mandat du nouveau président de la République. Car son élection a des allures de dernière station avant le désert pour le camp des républicains. Le nouveau chef de l’Etat arrive à l’Elysée avec une obligation de succès, l’échec – notamment économique et social – de ses prédécesseurs étant le principal ferment du populisme en France.
L’équation est complexe tant cette notion de « réussite » est difficile à cerner. L’électeur de Jean-Luc Mélenchon et celui de François Fillon, qui tous deux ont glissé un bulletin Macron dans l’urne n’y mettent pas le même sens. L’un demandera que la voix des millions d’« insoumis » soit respectée. L’autre arguera que la droite est moralement majoritaire dans ce pays et qu’il faut donc gouverner en conséquence. Le défi paraît immense. Elu par une majorité disparate, Emmanuel Macron doit prouver que le compromis n’exclut pas l’action, que la conciliation n’est pas une trahison.
Le FN plus fort que jamais
Face à lui, il trouvera un Front national plus fort que jamais. Certes, le score de Marine Le Pen a presque des allures de contre-performance. En recul par rapport à ce que lui accordaient les sondages (autour de 40 %), elle boucle une présidentielle en demi-teinte. Elle ne peut plus se targuer comme au sortir des dernières élections de représenter le premier parti de France. Mais cela ne saurait masquer la percée inédite que réalise l’extrême droite en France.
L’analyse des pourcentages est toujours en trompe l’œil, celle du nombre de voix récoltées livre une autre vérité. Avec près de 11 millions d’électeurs qui ont choisi un bulletin Marine Le Pen, la candidate emmène son parti dans des sphères nouvelles. Il faut aussi observer l’évolution sur le long terme. Si l’on met de côté la présidentielle de 2007, le FN est en progrès constant depuis 1988.
Elle a également prouvé que désormais le FN progresse dans l’entre-deux-tours. Alors que son père n’avait agrégé que 700 000 voix en plus au second tour en 2002, elle enregistre, elle, une poussée de plus de 3,5 millions de voix. Elle s’est en outre trouvé un allié, en la personne de Nicolas Dupont-Aignan, propulsé premier ministrable. L’autoproclamé « gaulliste », venu du RPR, achève ainsi sa lente et inexorable transition vers l’extrême droite.
Recomposition du paysage politique
Ce ralliement, critiqué de toutes parts, mais qui porte en lui une forme de logique programmatique et personnelle, dit quelque chose de cet entre-deux-tours, qui à bien des égards, aura davantage modifié le paysage politique français que l’ensemble de la campagne. Marine Le Pen, au cours d’un débat raté, a montré que le populisme agressif et l’utilisation décomplexée du mensonge n’était pas l’apanage des autres pays. Ses proches, en relayant délibérément des fausses informations jusqu’à la dernière heure de la campagne, ont donné un aperçu de ce à quoi pourrait ressembler le débat politique avec un groupe FN puissant à l’Assemblée.
Car l’extrême droite a bien l’intention de se nourrir de la faiblesse des autres. Les Républicains, conscients qu’ils vivent des heures décisives, ont reporté à plus tard le grand règlement de comptes, mais tous les éléments de la crise à venir ont émergé depuis le premier tour. A gauche, les « pudeurs de gazelle » de Mélenchon face au FN, combinées à l’explosion en cours au Parti socialiste, rendent la situation particulièrement instable.
Et le rythme de la recomposition ne risque pas de se ralentir, tant les élections législatives qui arrivent les 11 et 18 juin sont les plus ouvertes qu’on ait vu depuis longtemps. Certains Français ressentent avec une forme de soulagement le fait que le tourbillon présidentiel prenne fin. Au risque de les contrarier, il faut leur dire la vérité : cela ne fait que commencer.
Commentaire