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Le libre arbitre, une illusion nécessaire

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  • Le libre arbitre, une illusion nécessaire

    De bien belles expériences prétendent montrer que notre libre arbitre n’est qu’une illusion. Mais notre sens commun ne l’entend pas de cette oreille, et a de bonnes raisons pour cela.

    Nous tendons naturellement à nous considérer comme des agents, c’est-à-dire des individus libres et donc moralement responsables de nos actes. Cette croyance est si profondément ancrée que l’ébranler pourrait bien avoir des résultats catastrophiques : un nombre croissant d’études en psychologie sociale montrent que diminuer la croyance des gens en leur propre liberté entraîne des conséquences aussi délétères qu’une perte du contrôle de soi, une augmentation de l’agressivité, ou une diminution de la fréquence des comportements altruistes. Dans l’une de ces expériences, des participants recevaient de l’argent en fonction de leur score à une épreuve de raisonnement mathématique. Mais une faille intentionnelle dans le système leur permettait de tricher et de gonfler artificiellement leur score. Les participants dont la croyance en leur libre arbitre avait été diminuée au préalable se sont montrés plus portés à tricher en exploitant cette faille. D’autres études suggèrent que ne plus croire au libre arbitre, que ce soit le nôtre ou celui des autres, s’accompagne d’une sensibilité plus faible à des émotions aussi essentielles que la culpabilité, la gratitude, voire peut-être… l’amour.

    Au vu de l’importance que revêt cette question, il n’est pas étonnant qu’elle refasse surface régulièrement dans le débat public. C’est ainsi que, en 2012, l’ouvrage de l’écrivain américain Sam Harris intitulé Free Will (ou libre arbitre) s’est vendu à de très nombreux exemplaires et a suscité de nombreuses discussions dans la presse. Pourtant, S. Harris ne caresse pas son lectorat dans le sens du poil.

    Quand le cerveau décide avant moi

    Bien au contraire, tout son ouvrage s’emploie à montrer combien, à la lumière des données scientifiques actuelles, il serait absurde de continuer à croire en l’existence du libre arbitre. Le propos de S. Harris n’a en fait rien de très original. Il s’inscrit dans une tradition philosophique que l’on peut faire remonter à Baruch Spinoza et à Julien Offray de La Mettrie, pour lesquels l’approche scientifique du comportement humain s’opposait déjà à l’illusion de la liberté. Mais de nouvelles données scientifiques sont à la disposition des philosophes d’aujourd’hui, en particulier les fameuses « expériences de Libet ».

    Benjamin Libet (1916-2007) était un chercheur spécialisé dans la neurophysiologie du mouvement corporel volontaire. Au cours de ses recherches, il a observé que les mouvements corporels volontaires (comme bouger un doigt) étaient toujours précédés dans le temps par des fluctuations électriques dans le cerveau, mesurables au niveau du scalp, qu’il appelait les « potentiels de préparation » (PP). En moyenne, les potentiels de préparation peuvent être enregistrés au moyen d’électrodes 550 millisecondes avant que le mouvement se produise. Autrement dit, quand vous bougez volontairement votre doigt, cette action musculaire est précédée d’environ une demi-seconde par une activité électrique parfaitement inconsciente dans votre cerveau.

    Fort de ces résultats, B. Libet s’est demandé quelle était la place de l’intention consciente dans cette séquence. Il a donc invité ses participants à ajouter une tâche simple : appuyer sur un bouton avec leur doigt au moment où leur en venait l’envie. Tout en faisant cela, les participants devaient fixer du regard une horloge et noter quand, selon eux, ils prenaient conscience pour la première fois de leur intention d’appuyer sur le bouton. Prises ensemble, ces mesures permettent d’établir l’ordre dans lequel surviennent les trois événements suivants : l’action motrice (appuyer sur le bouton), le « potentiel de préparation » précédant l’action, et l’intention consciente d’accomplir cette action. Les résultats obtenus ont permis d’établir que la chronologie est celle-ci : le PP peut être mesuré environ 300 ms avant l’apparition (rapportée) de l’intention consciente. Autrement dit, l’intention consciente ne peut pas causer le PP, puisqu’elle arrive après (encadré ci-dessous).



    Selon B. Libet, ces résultats signifiaient que l’intention consciente ne jouait aucun rôle dans la production du mouvement du doigt. Celui-ci serait entièrement produit par les potentiels préparatoires, c’est-à-dire par des événements neuraux inconscients qui se produisent avant qu’émerge la conscience de l’intention.

    Pour autant, B. Libet ne concluait pas que l’intention, et donc ce que nous appelons couramment la volonté, ne joue aucun rôle dans nos actions. Fort de ses convictions dualistes, selon lesquelles le cerveau et l’esprit doivent être traités comme des entités distinctes, B. Libet se contentait de proposer une nouvelle conception du rôle de la volonté : l’esprit humain, et donc la volonté consciente, ne jouerait qu’un rôle négatif. Alors que le cerveau programmerait seul et de lui-même nos actions, la volonté consciente se glisserait temporellement entre cette programmation et l’action motrice pour exercer un veto, et ainsi s’opposer, quand c’est nécessaire, aux pulsions du cerveau.

    L’illusion de la volonté consciente

    La plupart des successeurs de B. Libet ont repris ses résultats sans reprendre sa théorie de la volonté : ils y voient carrément la preuve que la liberté humaine n’est qu’une illusion. Le raisonnement, assez simple, est le suivant : si l’action motrice est entièrement programmée par les événements cérébraux préparatoires, et si la conscience survient après ces événements cérébraux, alors l’intention consciente ne joue aucun rôle dans la production de nos mouvements. Si l’on identifie ce sentiment d’agir consciemment à la volonté, alors on est naturellement conduit à la conclusion que la volonté humaine est par nature inefficace, ou n’est qu’un épiphénomène qui nous donne l’impression trompeuse d’être les auteurs de nos actions. C’est en tout cas la conclusion à laquelle parvient le psychologue Daniel Wegner dans un ouvrage qui a marqué le débat, The Illu

    sion of Conscious Will (en français : l’illusion de la volonté consciente).
    Comme rappelé plus haut, la conviction d’être des agents libres et responsables de nos actes constitue une part importante de l’image que nous avons de nous-mêmes. Il n’est donc pas étonnant que les expériences de B. Libet aient suscité autant de réactions sceptiques ou critiques, en particulier de la part de certains philosophes, mais aussi de scientifiques. Ainsi, on a pu attaquer les expériences de Libet sur leurs méthodes d’observation. Mais il n’a pas fallu attendre très longtemps pour que ces mêmes expériences, réalisées par B. Libet en électroencéphalographie (EEG), soient reproduites avec d’autres moyens, comme l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Dans l’une de ces réplications, réalisée par Chun Siong Soon et ses collègues, les participants devaient choisir entre deux boutons. Comme dans les expériences de Libet, les participants ont déclaré prendre conscience de leur intention en moyenne 200 ms avant l’action. Leur action, en revanche, pouvait être prédite avec une chance supérieure au hasard (50 %) plus de 10 secondes avant son exécution, suggérant que l’activité cérébrale qui précède l’intention consciente joue bel et bien un rôle dans la production de l’action.

    Les conceptions « compatibilistes »

    Il semble donc difficile de contester les résultats de ces expériences, mais il est évidemment possible de critiquer leurs interprétations, et de dénoncer les confusions conceptuelles qu’elles peuvent renfermer. C’est ce que fait régulièrement le philosophe Alfred Mele. Les adversaires du libre arbitre soutiennent que l’intention consciente ne joue aucun rôle dans la production de l’action et que seuls les événements cérébraux produisent cette même action. A. Mele suggère, quant à lui, que l’on pourrait aussi bien dire que les événements produisent l’action parce qu’ils causent l’intention consciente qui à son tour cause l’action. On réconcilierait ainsi les résultats de B. Libet avec le sentiment que nous sommes quelque part libres et conscients de nos actes.

    Mais certains critiques rejettent cette solution : selon eux, admettre que nos intentions conscientes sont le produit d’influences inconscientes que nous ne contrôlons pas contredit l’idée même de libre arbitre. C’est une conception pour le moins exigeante de la liberté humaine : être libre consisterait selon eux à être la source consciente et surtout ultime de chacune de nos actions : « ultime » signifie que nos décisions et intentions n’auraient ni déterminants ni sources antérieures. Mais il y en a de plus modestes qui admettent que la liberté n’est rien de plus que le pouvoir d’agir en fonction de raisons, et selon ce que nous jugeons le plus important. Ces conceptions sont souvent appelées « compatibilistes », parce qu’elles considèrent que le déterminisme en général et le fait que nos décisions soient le produit d’influences extérieures sont compatibles avec l’idée de liberté. Certains philosophes, dont Daniel Dennett, ont donc reproché aux adversaires scientifiques du libre arbitre de s’attaquer à des moulins à vent en prenant pour cible une conception trop restrictive de la liberté, alors qu’il en existe des versions plus raisonnables. Cela n’a pas fait taire leurs adversaires, pour lesquels le « compatibilisme » ne vaut rien : ils n’y voient qu’une invention philosophique ad hoc et un tour de passe-passe destiné à sauver la notion de libre arbitre.
    Mais qu’en pensent donc les gens ordinaires, comme vous et moi ? C’est exactement la question que se sont posée certains philosophes « expérimentaux », dont Eddy Nahmias. Cherchant à comprendre ce que nous entendons par « liberté » et « libre arbitre », ces philosophes ont enquêté auprès d’un large public. Ils ont ainsi découvert que la plupart des gens ont, en fait, une conception parfaitement compatibiliste de la liberté. Ils sont prêts à considérer comme libres des agents dont les décisions et les actions sont complètement déterminées par leur environnement, et de ce fait totalement prévisibles… Dans une étude récente, ils ont montré que la plupart des gens jugeaient qu’il était possible à un agent d’agir « librement » quand bien même ses actions pourraient être prédites à partir de son activité cérébrale. Autrement dit, pour vous et moi, il n’y a pas de contradiction entre les résultats des expériences de Libet et notre conception ordinaire du libre arbitre. Voilà qui pourrait bien donner du fil à retordre aux adversaires déclarés du libre arbitre, dont les démonstrations se révèlent philosophiquement impuissantes à réfuter le sens commun.

    À lire
    • Qu’en pensez-vous ? Une introduction à la philosophie expérimentale
    Florian Cova, Germina, 2011.
    • Free : Why Science Hasn’t Disproved Free Will
    Alfred R. Mele, Oxford University Press, 2014.
    • « It’s OK if “my brain made me do it”. People’s intuitions about free will and neuroscientific prediction cognition »
    Eddy Nahmias, Jason Shepard et Shane Reuter, Cognition, vol. CXXXIII, n° 2, novembre 2014.
    • « Unconscious determinants of free decisions in the human brain »
    Chun Siong Soon et al., Nature Neuroscience, vol. XI, n° 5, 2008.
    • The Illusion of Conscious Will
    Daniel M. Wegner, MIT Press, 2002.

    SH

  • #2
    très joli texte à charge.
    le libre arbitre existe mais c ceux qui en parlent le plus qui en ont le moins.

    le libre arbitre est pour moi un déterminisme comme un autre. ce n'est pas parce qu'il est influencé par la condition humaine, mon cogito est la conséquence de l'ensemble de mon vécu, il évolue en fonction de ce dernier, qu'il est un leurre.

    je défends plutôt l'idée que l'humain est complexe et sa pensée reste intimement liée à son univers en harmonie avec ses pulsions méthodiques, affectives et déterministes

    punaise haddou ton philosophe taille des croupions à Emmanuel Kant rien que ça

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