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Métissage, hommage ou pillage, l'appropriation culturelle?

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  • Métissage, hommage ou pillage, l'appropriation culturelle?

    Des Blancs coiffés de dreadlocks. Des lycéens pur camembert qui tchipent. Des coiffes autochtones portées à Osheaga. Les exemples d’appropriation culturelle ne manquent pas depuis quelques années. Le dernier en date nous parvient du magazine Write, qui consacre son édition printanière aux écrivains autochtones, où Hal Niedzviecki affirme ne pas croire à ce concept apparu sur les campus américains.

    Dans ce texte, Niedzviecki propose de créer un prix littéraire afin d’encourager les auteurs à écrire sur d’autres cultures que la leur. Sur Twitter, plusieurs ont soutenu les propos controversés de l’éditorialiste, qui a depuis démissionné, parmi lesquels Steve Ladurantaye, rédacteur en chef de l’émission The National. Bien qu’il ait livré ses excuses après avoir offert 100 $ pour ce prix, le diffuseur public anglais CBC a annoncé avoir temporairement écarté Ladurantaye, qui devra rencontrer des communautés autochtones et ethniques.

    Cette polémique ayant éclaté dans le milieu littérature anglophone rappelle celle du blackface au Rideau vert en 2015, où un acteur blanc maquillé en noir incarnait P.K. Subban. « Après qu’on a critiqué le blackface au Rideau vert, Denise Filiatrault a dit qu’on l’attaquait et qu’elle ne mettrait plus de personnages noirs dans ses spectacles », poursuit madame Craft. « Le fait d’avoir utilisé le blackface démontre une certaine insouciance qu’elle a, mais soulève d’autres questions, comme le fait qu’elle considère que c’est injuste d’engager un acteur noir pour 15 secondes et impossible d’engager un acteur pour jouer autre chose qu’une personne noire. Le blackface est la facette la plus visible d’un problème qui se manifeste de différentes façons, et c’est pour cela qu’on le critique », croit la dramaturge Marilou Craft.

    Prendre position

    Les réactions autour du blackface ont prouvé que peu savaient que cette pratique théâtrale visait autrefois à se moquer des Noirs. « Il y a des gens qui ne se rendent pas compte que derrière ce type de pratique il y a des connotations qui viennent avec le contexte historique et qui peuvent blesser des gens. On ne peut pas faire d’appropriation culturelle sans travailler en collaboration avec le groupe avec lequel on veut en faire, sans parler avec ce groupe, sans écouter ce groupe pour s’assurer qu’il n’y a jamais de blessures et, surtout, de rendre au groupe ce crédit », explique Jérôme Pruneau, directeur général de Diversité artistique Montréal (DAM).

    Tandis que les uns criaient au scandale, les autres banalisaient la situation, certains allant jusqu’à dire que les réactions étaient hors de proportion : « Si on porte la coiffe autochtone sans être autochtone, c’est qu’on ne considère pas beaucoup les personnes autochtones. À travers cela, c’est le traitement fait aux autochtones que l’on découvre. Critiquer une telle manifestation devient alors une porte d’entrée pour parler d’un problème plus large. Toutefois, c’est très difficile pour les personnes concernées d’élever la voix. Elles se font accuser de ghettoïser les autochtones, les personnes racisées, de faire du racisme envers les personnes blanches, d’attaquer la liberté d’expression. Tous les regards sont tournés vers elles et c’est parfois très négatif… et très lourd à porter », dit Marilou Craft, auteure d’une lettre dénonçant le manque de diversité culturelle au théâtre.

    Tendre la main

    La question de l’appropriation culturelle est certes délicate et complexe, à tel point que La ligue des droits et libertés n’a pas voulu apporter son grain de sel. Si Jérôme Pruneau remarque que depuis deux ans les discours changent, il reconnaît qu’il y a encore beaucoup à faire pour contrer la méconnaissance et l’ignorance des autres cultures. « La question est là depuis 400 ans, depuis qu’on a inventé le racisme et le colonialisme, et on reproduit encore ces modèles sans même s’en rendre compte, par manque d’éducation. Le cercle est difficile à briser. L’appropriation culturelle est une richesse quand elle est faite en dialogue. Plein de peuples l’ont compris et ont bâti ainsi des métissages. Et c’est là qu’on va avancer », conclut Jérome Pruneau.
    S’approprier le Ô Canada
    Comment pourrait-on juger de l’État fédéral canadien en matière d’appropriation culturelle ? Prenons le Ô Canada, l’hymne national adopté officiellement le 1er juillet 1980 pour souligner l’existence de l’entité confédérale créée par une loi adoptée à Londres en 1867. Ce chant était d’abord l’hymne des Canadiens français. Il fut créé d’ailleurs pour souligner leur fête nationale : le Ô Canada fut chanté pour la première fois sur les plaines d’Abraham à Québec, le 24 juin 1880. La feuille d’érable à sucre était, tout comme le castor, des symboles forts de la culture canadienne-française. Au XIXe siècle, les conservateurs canadiens-français se font même appeler les castors. Ce symbole a été investi par une nouvelle entité politique dessinée en 1867 par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Que pourrait-on dire du côté de Québec ? Le « pêcheur à la nigogue » et les autres statues d’Amérindiens au torse nu qui ornent le parlement, des oeuvres de Louis-Philippe Hébert, pourraient aussi correspondre à de l’accaparement culturel. Dans l’édifice politique canadien, tant du côté d’Ottawa que des provinces, les « appropriations » apparaissent fort nombreuses.
    Jean-François Nadeau


    le Devoir
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