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Le dromadaire, l'homme et le désert

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  • Le dromadaire, l'homme et le désert

    I


    L’homme avance dans le désert de sable suivi par un dromadaire. Ce sont de si vieux compagnons qu’ils n’ont plus besoin de se concerter longtemps pour décider où guider ensemble leurs pas.

    Sur leur chemin, un petit éclat attire leur attention. Là, d’entre les grains de sable, un objet, vaguement rectangulaire de quelques centimètres de long et bien moins de large, réfléchit des rayons du soleil. L’homme s’agenouille et le prend dans ses mains. Il l’essuie avec soin comme s’il avait peur de l’abimer. Il le lève et l’observe attentivement sous divers angles. Il s’agit d’un objet métallique travaillé.

    L’homme s’assied sur une petite protubérance de quelques dizaines de centimètres de large et qui ressort de la dune. Son regard saute de l’objet aux lointains horizons dans toutes les directions.
    Là-bas, vers l’ouest, des reliefs inhabituels montent vers le ciel. Le vent n’a pas eu le temps de les réduire en une poussière qui finira par se mélanger indistinctement au paysage. Ces reliefs au loin sont reliés à là où il se trouve par un oued au lit presque rectiligne. L’homme perçoit comme une invitation insistante de la part de cet oued à l’emprunter. Il échange un coup d’œil avec le dromadaire. Ils décident ensemble de répondre complaisamment à l’invitation et se mettent en marche.

    Ils avancent d’un pas lent mais régulier. Ils se ménagent pour un long trajet.
    A la tombée de la nuit, ils atteignent leur objectif. Ils trouvent vite une petite caverne pour s’abriter du vent qui s’est levé et du froid de la nuit.
    Au matin, les deux compagnons se réveillent presque simultanément. Après de rapides ablutions, l’homme retire de sa besace l’objet ramassé la veille, sort de la caverne et se met à scruter de près, à la lumière du jour, les reliefs qui l’ont intrigué. Il s’agit de formations de différentes hauteurs, érodées par les vents et par les rares mais violentes averses. Leurs bases sont presque toutes recouvertes d’épaisses couches de sable. Elles sont éparpillées à perte de vue et séparées par une multitude d’oueds qui constituent un immense labyrinthe.

    Il s’approche de l’un de ces reliefs qui lui semble s’être le mieux préservé des attaques des éléments. Il le scrute longuement et un léger blatèrement du dromadaire le décide à déblayer un peu le sable qui le recouvre en partie. Après quelques minutes d’efforts, il s’assied en tailleur en face. Son visage même tanné par le soleil révèle une soudaine et profonde tristesse. Sur la surface verticale plate qu’il a mise à nu, il est arrivé à déchiffrer : « عمارة رقم 7 » (immeuble n° 7). Il met l’objet métallique trouvé la veille sous les yeux du dromadaire pour lui montrer qu’il s’agit d’une vieille canette de Pepsi Cola.

    Ce sont des vestiges archéologiques d’un passé tout à fait révolu, celui d’il y a quelques dizaines d’années, quand le pétrole coulait à flot et rapportait gros.
    En « souvenir » de la visite de Donald Trump
    en Arabie Saoudite
    en mai 2017

    à suivre un jour prochain
    "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

  • #2
    Le dromadaire, l'homme et le désert - II

    II


    L’homme et le dromadaire se lèvent doucement en un mouvement plein de solennité et se tiennent droits face à l’inscription sur ce qui a été la façade d’un immeuble. Ils voient bien que les murs de l’ancienne métropole résistent mal contre les assauts de la nature, laquelle veut reprendre ses droits sur un espace qui lui a été enlevé.

    Les hommes ont abandonné les habitations en dur et la sédentarité pour revenir à une vie de nomades qu’ils ont mené des siècles durant, celle d’avant la parenthèse d’une prospérité factice.

    Du fin fond du temps, surgissant aussi de cette période injustement taxée d'ère de l’ignorance connotée d’anarchie, des bribes de poèmes remontent en désordre vers la mémoire de l’homme. Il se tourne vers le dromadaire et lance avec emphase :
    Ami, pleurons le souvenir d’un amour et d’une demeure
    Perdu dans une terre sans eau ni oiseaux ni fleurs
    Elle n’est hospitalière que pour ceux qui vivent sans peur.

    Ô mon cœur, ne demande pas où l’amour est passé
    C’était un édifice d’illusions qui s’est écroulé
    Et si demain il nous arrive de nous rencontrer
    Ne dit pas que cela est le fruit de notre volonté
    Mais sache que c’est le sort qui en a ainsi décidé

    Ma ‘Abla, tu m’es apparue sous un déluge de lances
    J’aurais aimé avoir l’immense et indicible chance
    D’embrasser les épées ennemies qui avaient la brillance
    De tes yeux et l’éclat de tes joues aveuglantes de rutilance

    Dans la bataille où le sang coule en abondance
    Mon cheval d’un même mouvement recule puis avance
    Du repli il passe à l’attaque hardiment avec aisance.

    Ayant sacrifié à la vieille tradition poétique du bouka ‘ala al atlal (complainte sur les ruines) en déclamant ces bribes de vers cassés, empruntés à divers poètes et triturés au gré de ce que lui restituait sa mémoire, l’homme se tourne vers le dromadaire :

    — Compagnon de peine. Tu peux te réjouir de ne pas être né humain... C’est bientôt la saison de l’exode vers le sud. Mettons-nous immédiatement en route si nous voulons rejoindre les nôtres avant qu’ils n’entament leur périple hivernal. Chez eux, nous trouverons notre part de l’aide que nous envoient ceux à qui nous avons acheté de quoi nous détruire et que nous avons payé pour pouvoir bien le faire complètement. Notre plus grande réussite depuis... des temps immémoriaux. Un homme qui a faim peut rester digne mais celui qui a appris à se gaver sans mériter sa pitance accepte toutes les vilenies et n'agit consciencieusement que pour provoquer sa propre perte...

    L’homme interrompt son discours en entendant le dromadaire émettre un bref blatèrement. Puis il continue :

    — Tu as raison. Mes jérémiades ne servent à rien. Comme auparavant nos lamentations sur un passé mythifié et des terres perdues n’ont fait que nous enfoncer... Allons-y l’ami. Mais fais attention où tu mets les pattes, il y a des obus non explosés, des terres polluées par des matières chimiques de combat et des bourbiers de déchets pétroliers.

    Sous le soleil de cette fin d’automne, tel un ogre affamé, le désert avale rapidement deux minuscules silhouettes qui s’éloignent de ce qui reste d’une ville qui, il y a peu de temps, croyait que son opulence providentielle était éternelle.
    Dernière modification par benam, 24 mai 2017, 22h22. Motif: formulation
    "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

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    • #3
      Bonsoir Benam, ceux sont vos propres écrits?

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      • #4
        Oui...
        "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

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        • #5
          waouhhhh, j aime beaucoup.

          Qu est ce qui vous a inspiré cette histoire?
          Dernière modification par illumination, 24 mai 2017, 22h57.

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          • #6
            illumination,

            Content que ça t'ait plu
            Envoyé par illumination
            Qu est ce qui vous a inspiré cette histoire?
            La frénésie de certains régimes à s'acheter d'inutiles armes et de faux amis.
            Plus concrètement, c'est la visite de Donald Trump en Arabie Saoudite.
            "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

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            • #7
              Merci pour le partage de tes écrits
              C'est fort agréable de les lire...
              Bonne continuation avec ta plume Benam !
              Dernière modification par Esprit, 25 mai 2017, 12h01.
              N'est jamais déçu celui qui s'attend au pire !

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              • #8
                Bonjour Esprit,
                Merci d'être passée par là et pour tes encouragements.

                Pour la rimaillerie insérée dans le texte, il s'agit de traductions très très libres de quelques vers extraits des mouallaqate de Imrou al Qays et de Antar Ibn Chaddad ainsi que du poème al atlal chanté par Oum Kalthoum (auteur Ibrahim Nagui).
                "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

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                • #9
                  Salut Benam,
                  C'était un plaisir
                  Merci pour ces informations supplémentaires.
                  Bonne continuation à ton art !
                  N'est jamais déçu celui qui s'attend au pire !

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                  • #10
                    Salut benam

                    Lu et apprécié... que la muse qui t'a piqué récidive.
                    ¬((P(A)1)¬A)

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                    • #11
                      Salut Sidi Noun,
                      mrahba.
                      J'ai affaire à une muse capricieuse, paresseuse et fugueuse.
                      Pour le ramadan, essaie de nous sortir de sous les fagots un vieux poème de melhoune.
                      "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

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                      • #12
                        ..... Bravo Benam ....

                        ..... Merci pour le partage Benam ..... beau poème .... terminé par .... ce

                        désert qui a avalé les deux minuscules créatures .... Bravo. Benam .......

                        ..................... Joumouaa moubaraka à tous .........................

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                        • #13
                          Merci mesmar.
                          ramadan moubarak
                          "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

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