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Dubaï, centre offshore du commerce iranien

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  • Dubaï, centre offshore du commerce iranien

    La mégapole émiratie reste le poumon économique de son grand voisin persan. En attendant la levée effective des sanctions, l’Iran continue à s’appuyer sur ses réseaux et sur son quartier d’affaires.

    Sous l’œil assoupi des douaniers omanais, dans le port de Khasab (Nord), quelque deux cents contrebandiers iraniens s’apprêtent à rentrer au pays. Comme chaque matin et chaque soir, ils chargent leurs vedettes de biens de consommation courante, achetés à Dubaï et convoyés jusqu’à ce port voisin, isolé et arrangeant, par une route qui sillonne des falaises de calcaire aveuglantes : de larges téléviseurs à écran plat, des climatiseurs, des cartons de cigarettes, de jus de fruits, de boissons énergisantes, de poupées et de vêtements, un jet-ski et deux puissantes motos japonaises…

    Dans une heure, les passeurs laisseront derrière eux l’éperon rocheux de Khasab pour traverser le détroit d’Ormuz. Ils rejoindront, à la nuit tombée, des criques discrètes sur l’île iranienne de Qeshm et près des ports de Bandar Abbas et de Sirik.

    Ce trafic a prospéré durant la crise du nucléaire iranien : il était alors un symbole de l’isolement du pays. Mais, depuis janvier 2016, avec la levée de l’essentiel des sanctions internationales qui pesaient sur Téhéran, les affaires sont moins bonnes à Khasab, car le commerce légal reprend de la vigueur.

    « Rien n’a changé ! »

    Le gouvernement du président Hassan Rohani lutte contre l’économie de contrebande, qui avait permis à l’Iran de survivre, à très haut coût, durant les années noires. Les livraisons de cigarettes de trois exportateurs de Khasab, tous installés à Dubaï, ont diminué de moitié en un an. « Les douaniers iraniens harcèlent les bateaux : cela n’en vaut plus la peine », raconte Suresh Putholi, qui a abandonné ce commerce. M. Putholi gère désormais l’Hôtel Diwan Al Amir, sur le front de mer, où le touriste se fait désirer en ce début de printemps.

    Pourtant, les passeurs travaillent encore opiniâtrement. « Rien n’a changé ! », dit amusé l’un d’eux, Haïdar, sous le couvert de l’anonymat. Pour lui, originaire de Qeshm, pour sa famille et pour ses proches, les affaires demeurent satisfaisantes. Les douaniers ? « On les connaît, on les appelle, on les paie et on passe. » La fin des sanctions ? Haïdar préfère en rire.

    Sous les sanctions internationales, toutes sortes de cargaisons ont été déchargées et réétiquetées à Dubaï pour briser l’embargo

    « Rien n’a changé », regrette également Morteza Masoumzadeh, du haut de l’une des tours jumelles de Deira, à Dubaï. Cet armateur iranien, installé aux Emirats arabes unis depuis trente-cinq ans, observe la crique qui s’enroule sous ses pieds : les bateaux iraniens qui s’y amarrent avant de traverser le Golfe légalement, contrairement aux vedettes de Khasab ; le vieux marché de la ville où des migrants venus du sud de l’Iran se font une place dans la classe moyenne… Vue de cette tour, Dubaï semble être un petit Iran détaché de la République islamique.

    La mégapole arabe est un poumon économique pour son grand voisin persan, qui profite de cette plate-forme logistique, des réseaux commerciaux et du quartier d’affaires de Dubaï, où de nombreuses multinationales ont leurs bureaux régionaux. Sous les sanctions, on a déchargé et réétiqueté ici toutes sortes de cargaisons pour briser l’embargo – on le fait encore à moindre échelle, pour contourner les tarifs douaniers iraniens. Les sociétés de change et les banques iraniennes, coupées du système d’échange international Swift, y ont discrètement assuré les transferts monétaires.

    « Tout est encore en chantier, là-bas »

    La levée des sanctions aurait dû bouleverser cette économie offshore. Certes, nul n’attendait un basculement radical de l’activité de Dubaï vers Téhéran : « Tout est encore en chantier, là-bas : ils manquent de routes de qualité, de ports et d’aéroports, et l’environnement n’est pas encore favorable aux affaires », souligne l’entrepreneur iranien Hossein Asrar, établi de longue date aux Emirats arabes unis. Cependant, Dubaï comptait sur une hausse de l’activité et des échanges, qui se fait atttendre.

    M. Masoumzadeh est le patron du Conseil des affaires iranien, une association de commerçants. Entre 2012 et 2016, ses navires-citernes convoyaient discrètement quelques gouttes du pétrole que l’Iran vendait au marché noir : les affaires étaient bonnes. Aujourd’hui, c’est la crise : des entreprises étrangères, plus concurrentielles que la sienne, ont investi ce marché redevenu légal, et les nouveaux débouchés manquent pour compenser ses pertes. « L’ouverture, cela devait être une bonne nouvelle, en fait, la situation a empiré », explique-t-il.

    Au pied d’une autre tour située à une centaine de mètres, l’antenne locale de l’iranien Bank Saderat est quasi vide. Depuis plus d’un an, cette institution et sa voisine à Dubaï, la banque d’Etat iranienne Melli, ont échoué à se raccorder aux grands établissements internationaux comme aux émiratis. Elles fonctionnent en circuit fermé pour la communauté iranienne locale. D’innombrables sociétés de trading gèrent, à leur place, les échanges avec Téhéran. Logés à tous les étages des immeubles alentour, ces agents privés demeurent très surveillés par l’Etat émirati.

    « Les sanctions pèsent lourd »

    Qui veut opérer un transfert vers Téhéran peut déposer jusqu’à 2 millions de dirhams émiratis (500 000 euros) sur la table de M. Reza. Ce manageur, qui souhaite conserver l’anonymat, appellera un correspondant en Iran, situé dans un bureau de change, qui effectuera immédiatement un transfert bancaire régulier à l’intérieur du pays.

    M. Reza prendra sa part grâce aux fluctuations du taux de change. Son correspondant à Téhéran se remboursera par une prochaine transaction effectuée dans l’autre sens, de l’Iran vers Dubaï. « Les autorités émiraties nous ignorent tant que nous ne transférons pas de grosses sommes », raconte l’homme d’affaires. Ce système éprouvé vaut pour le petit commerce en temps de crise, mais les entreprises étrangères qui cherchent des relations normalisées avec l’Iran ne peuvent s’en accommoder.

    « Les sanctions, que maintient le Trésor américain, pèsent lourd sur les épaules des grandes banques européennes, et plus lourd encore sur les établissements émiratis », constate Hamid Mojtahedi. Avocat d’origine iranienne au sein du cabinet émirati Al-Tamimi, M. Mojtahedi nourrissait de grands espoirs il y a un an. Excellent vendeur, ce trentenaire fait encore l’article de l’ouverture iranienne avec talent, mais il laisse deviner sa fatigue.

    « Les Emirats ont besoin de l’Iran »

    Il a aidé ses clients étrangers à se mettre en conformité avec les sanctions américaines toujours en place, à préparer l’ouverture de bureaux de représentation dans la capitale iranienne, l’acquisition d’entreprises iraniennes ou l’établissement de partenariats locaux… « J’allais ouvrir notre bureau à Téhéran, mais la situation est trop incertaine désormais. Avec l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, qui ne cesse de critiquer l’accord sur le nucléaire, tout est gelé. »

    Comme c’est le cas pour ces projets d’investissements, les échanges commerciaux et les expatriés iraniens font les frais, depuis un an, de relations diplomatiques exécrables entre l’Iran et les pays du Golfe. L’accord sur le nucléaire a fait craindre que l’Iran chiite, enrichi et redevenu fréquentable, ne réaffirme sa puissance dans la région. Les Emirats ne cessent, depuis, de dénoncer l’influence exercée par l’Iran sur les minorités chiites de la péninsule Arabique. Notamment au Yémen, où ils mènent, depuis deux ans, la guerre aux rebelles houthistes, de confession chiite, au sein d’une coalition de pays arabes, dirigée par le grand voisin saoudien.

    En 2014, le cheikh Mohammed Ben Rachid Al-Maktoum, l’émir de Dubaï, avait créé la stupeur, en affirmant à la BBC que l’isolement de l’Iran nuisait à l’économie de son émirat. Sèchement rappelé à l’ordre par Abou Dhabi, il ne s’est plus exprimé depuis sur la question et maintient discrètement ses affaires. « Quelles que soient les divisions politiques, les Emirats ont besoin de l’Iran. C’est Dubaï et en bonne part son commerce avec l’Iran, qui ont assuré au pays ses 2,7 points de croissance en 2016 », souligne un observateur étranger.

    « L’espoir que cela aboutisse »

    Ainsi, la compagnie de leasing Dubai Aerospace Enterprise négocie, depuis 2016, avec Iran Air pour financer l’achat, en euros, d’une première livraison d’Airbus, sur une commande totale de 112 avions d’une valeur supérieure à 20 milliards d’euros. Ces livraisons et leur paiement pourraient prendre un temps considérable, mais le geste est fort.

    Dans le même temps, de plus petites compagnies étrangères installées à Dubaï reprennent lentement langue avec Téhéran. C’est le cas d’Arnaud van den Eynde, directeur pour le Moyen-Orient de la société belge Soconord, spécialisée dans la fabrication de tubes de forage pour l’industrie pétrolière.

    Son usine dubaïote tourne au ralenti depuis deux ans. Mais M. van den Eynde négocie avec trois clients iraniens. Il a assuré ses futurs paiements par une petite banque suisse, l’un des quelques établissements européens à s’être raccordés au système financier iranien, et qui a ouvert récemment une antenne à Dubaï. « Nous avons l’espoir que cela aboutisse dans l’année », explique-t-il prudemment. Son épouse, Isabelle van den Eynde, galeriste à Dubaï, attend, elle, toujours ses anciens clients de Téhéran, qui se font désirer.

    Par Louis Imbert (Dubaï, envoyé spécial)
    Le Monde | 11.05.2017
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin
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