Par Patricia Neves
Le concept, popularisé par la dessinatrice Emma dans une bande dessinée partagée plus de 200.000 fois sur les réseaux sociaux, divise leurs compagnons.
Ne pas oublier d’emmener le petit chez le dentiste, penser à racheter des coquillettes au supermarché, se souvenir de faire réciter à l'aîné sa leçon d’histoire sur les Mérovingiens, sortir le linge de la machine… Au quotidien, ces taches anodines, ajoutées les unes aux autres, peuvent très vite se révéler envahissantes. Mais pas pour tous… Une espèce - chanceuse - se verrait épargnée : les hommes. C’est ce que la dessinatrice Emma a mis en lumière dans une pastille à succès, publiée début mai, sur le thème de la "charge mentale" qui pèse aujourd’hui encore sur les femmes dans la gestion des foyers hétéros.
Partagées plus de 200.000 fois sur les réseaux sociaux, les scénettes imaginées par l’auteur, retranscrites en bande-dessinée sur son blog sous le titre "Fallait demander", ont trouvé écho chez de nombreuses femmes. Mais qu’en pensent ceux qui partagent leur vie ? Au hasard des rues de Paris, nous avons soumis le concept aux hommes.
"Une caricature"
Pour Jean*, un pharmacien de 52 ans rencontré au carrefour des 9e et 18e arrondissements de la capitale, le concept de "charge mentale" - dont il n’avait jamais entendu parler auparavant - relève de pratiques d’un autre temps. "On n’est plus au siècle de Flaubert", balaie-t-il, réfutant l'idée qu'on réduise l'analyse de la répartition des tâches dans un couple à la seule question du genre : "Ce n’est pas un travail d’homme ou un travail de femme". Il est bientôt 9h30 ce mercredi lorsqu'il quitte la pharmacie où il travaille de nuit depuis près de vingt ans.
Alors avec ses horaires décalés, raconte-t-il, les tâches sont plutôt réparties dans son couple en fonction de qui est disponible. "Quand elle peut, elle le fait, quand je peux, je le fais, quand personne ne peut, on s’arrange autrement, détaille Jean. Ce n’est pas : ‘tu fais la vaisselle, je regarde le match‘!".
La première scène de la bande dessinée - dans laquelle une femme doit à la fois s’occuper de faire dîner ses enfants tout en préparant le repas pendant que son mari est tranquillement installé dans le canapé sans penser à lui apporter de l’aide - tient par conséquent pour Jean de la "caricature". Quant aux chercheurs qui ont conceptualisé la notion de "charge mentale", à l’instar de Nicole Brais de l'Université Laval de Québec, le pharmacien qui a fait une partie de ses études au Canada y voit l’influence du modèle catholique encore très prégnant dans la pensée québécoise.
"Des hommes qui se tournent les pouces sur le canapé, j'en connais quelques-uns !"
Outre l’organisation du travail qui peut influer dans le fonctionnement d’un ménage, Marcel*, un ancien militaire à la retraite, rejette l’idée que toutes les unions soient nécessairement fondées sur un modèle inspiré de l’archétype bourgeois vie commune-mariage-enfants. Avec sa compagne, une kiosquière installée non loin de la pharmacie de Jean, Marcel revendique d’ailleurs une relation "atypique" pour un vieux couple lui et sa campagne ne partagent en effet pas le même toit ni le même porte-monnaie. Et pour eux, estime-t-il, la "charge mentale" n’existe donc tout simplement pas. "On a tous une charge mentale", relève l’ex recrue de l’armée. De toute façon, ces histoires d’équilibre dans le couple, il ne s’y reconnaît décidément pas. Sa femme non plus, d'ailleurs, qui lâche : "S’il y avait un équilibre, on s’ennuierait".
Dans la boutique d’en face, Konan*, chef d’entreprise dans le secteur de la sécurité et père de deux enfants, reconnaît lui volontiers l’existence de ces inégalités : "Des hommes qui se tournent les pouces sur le canapé, j'en connais quelques-uns !" Seulement, dans sa culture africaine d’origine, la notion "d’entraide" entre les membres de la famille - et notamment envers les membres féminins - lui apparaît bien plus forte que le concept de "charge mentale". "J’ai été élevé par des parents assez exigeants dans le fait de mettre la main à la pâte. Tout le monde devait aider à la maison", se souvient Konan, né en Côte d’Ivoire. Un schéma qu’il a reproduit plus tard avec son épouse, "une teinturière au travail physique et aux horaires impossibles" : "Je n’allais pas attendre le coup de fil de ma femme : 'allô, chéri, tu peux t’occuper de ça ?'"
Une injonction contradictoire ?
A quelques mètres de là, deux enfants en bas âge jouent dans un petit square entouré d’immeubles haussmanniens. Sous les yeux de leur père, Inès et Adam s’amusent à monter sur un cheval en bois. "La BD ? Oui je l’ai lue, j’ai trouvé ça intéressant, il y a du vrai là-dedans", estime leur jeune père, Clément, 36 ans, travailleur "free lance". "On en parlait avec ma femme, elle me racontait cette anecdote avec un couple de collègues. L’homme disait à sa femme : ‘Non, je ne peux pas partir à 18 heures, j’ai trop de travail’, alors qu’ils occupaient tous les deux le même poste !"
S’il y a bien selon Clément un "conditionnement" qui pousserait inconsciemment, culturellement les femmes à prendre en charge la logistique du foyer, il y a toutefois également à ses yeux "une difficulté pour les hommes à se positionner" face à une injonction contradictoire : le fait qu’il revient, dans ce même schéma de répartition genrée des tâches, à l’homme de "supporter" sa famille financièrement et qu’il faudrait en même temps sortir de ce rôle attribué pour "s’occuper" des siens au quotidien…
*Les prénoms ont été modifiés
Le concept, popularisé par la dessinatrice Emma dans une bande dessinée partagée plus de 200.000 fois sur les réseaux sociaux, divise leurs compagnons.
Ne pas oublier d’emmener le petit chez le dentiste, penser à racheter des coquillettes au supermarché, se souvenir de faire réciter à l'aîné sa leçon d’histoire sur les Mérovingiens, sortir le linge de la machine… Au quotidien, ces taches anodines, ajoutées les unes aux autres, peuvent très vite se révéler envahissantes. Mais pas pour tous… Une espèce - chanceuse - se verrait épargnée : les hommes. C’est ce que la dessinatrice Emma a mis en lumière dans une pastille à succès, publiée début mai, sur le thème de la "charge mentale" qui pèse aujourd’hui encore sur les femmes dans la gestion des foyers hétéros.
Partagées plus de 200.000 fois sur les réseaux sociaux, les scénettes imaginées par l’auteur, retranscrites en bande-dessinée sur son blog sous le titre "Fallait demander", ont trouvé écho chez de nombreuses femmes. Mais qu’en pensent ceux qui partagent leur vie ? Au hasard des rues de Paris, nous avons soumis le concept aux hommes.
"Une caricature"
Pour Jean*, un pharmacien de 52 ans rencontré au carrefour des 9e et 18e arrondissements de la capitale, le concept de "charge mentale" - dont il n’avait jamais entendu parler auparavant - relève de pratiques d’un autre temps. "On n’est plus au siècle de Flaubert", balaie-t-il, réfutant l'idée qu'on réduise l'analyse de la répartition des tâches dans un couple à la seule question du genre : "Ce n’est pas un travail d’homme ou un travail de femme". Il est bientôt 9h30 ce mercredi lorsqu'il quitte la pharmacie où il travaille de nuit depuis près de vingt ans.
Alors avec ses horaires décalés, raconte-t-il, les tâches sont plutôt réparties dans son couple en fonction de qui est disponible. "Quand elle peut, elle le fait, quand je peux, je le fais, quand personne ne peut, on s’arrange autrement, détaille Jean. Ce n’est pas : ‘tu fais la vaisselle, je regarde le match‘!".
La première scène de la bande dessinée - dans laquelle une femme doit à la fois s’occuper de faire dîner ses enfants tout en préparant le repas pendant que son mari est tranquillement installé dans le canapé sans penser à lui apporter de l’aide - tient par conséquent pour Jean de la "caricature". Quant aux chercheurs qui ont conceptualisé la notion de "charge mentale", à l’instar de Nicole Brais de l'Université Laval de Québec, le pharmacien qui a fait une partie de ses études au Canada y voit l’influence du modèle catholique encore très prégnant dans la pensée québécoise.
"Des hommes qui se tournent les pouces sur le canapé, j'en connais quelques-uns !"
Outre l’organisation du travail qui peut influer dans le fonctionnement d’un ménage, Marcel*, un ancien militaire à la retraite, rejette l’idée que toutes les unions soient nécessairement fondées sur un modèle inspiré de l’archétype bourgeois vie commune-mariage-enfants. Avec sa compagne, une kiosquière installée non loin de la pharmacie de Jean, Marcel revendique d’ailleurs une relation "atypique" pour un vieux couple lui et sa campagne ne partagent en effet pas le même toit ni le même porte-monnaie. Et pour eux, estime-t-il, la "charge mentale" n’existe donc tout simplement pas. "On a tous une charge mentale", relève l’ex recrue de l’armée. De toute façon, ces histoires d’équilibre dans le couple, il ne s’y reconnaît décidément pas. Sa femme non plus, d'ailleurs, qui lâche : "S’il y avait un équilibre, on s’ennuierait".
Dans la boutique d’en face, Konan*, chef d’entreprise dans le secteur de la sécurité et père de deux enfants, reconnaît lui volontiers l’existence de ces inégalités : "Des hommes qui se tournent les pouces sur le canapé, j'en connais quelques-uns !" Seulement, dans sa culture africaine d’origine, la notion "d’entraide" entre les membres de la famille - et notamment envers les membres féminins - lui apparaît bien plus forte que le concept de "charge mentale". "J’ai été élevé par des parents assez exigeants dans le fait de mettre la main à la pâte. Tout le monde devait aider à la maison", se souvient Konan, né en Côte d’Ivoire. Un schéma qu’il a reproduit plus tard avec son épouse, "une teinturière au travail physique et aux horaires impossibles" : "Je n’allais pas attendre le coup de fil de ma femme : 'allô, chéri, tu peux t’occuper de ça ?'"
Une injonction contradictoire ?
A quelques mètres de là, deux enfants en bas âge jouent dans un petit square entouré d’immeubles haussmanniens. Sous les yeux de leur père, Inès et Adam s’amusent à monter sur un cheval en bois. "La BD ? Oui je l’ai lue, j’ai trouvé ça intéressant, il y a du vrai là-dedans", estime leur jeune père, Clément, 36 ans, travailleur "free lance". "On en parlait avec ma femme, elle me racontait cette anecdote avec un couple de collègues. L’homme disait à sa femme : ‘Non, je ne peux pas partir à 18 heures, j’ai trop de travail’, alors qu’ils occupaient tous les deux le même poste !"
S’il y a bien selon Clément un "conditionnement" qui pousserait inconsciemment, culturellement les femmes à prendre en charge la logistique du foyer, il y a toutefois également à ses yeux "une difficulté pour les hommes à se positionner" face à une injonction contradictoire : le fait qu’il revient, dans ce même schéma de répartition genrée des tâches, à l’homme de "supporter" sa famille financièrement et qu’il faudrait en même temps sortir de ce rôle attribué pour "s’occuper" des siens au quotidien…
*Les prénoms ont été modifiés
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