S’il y a quelqu’un à plaindre, vraiment le plus à plaindre sans conteste dans cette vallée des larmes, eh bien c’est le législateur (n’ayant jamais entendu parler de législatrice ni modernement de législateure, j’en conclus que c’est une fonction qui n’a pas encore attiré la gent féminine, mais ce n’est pas le fond du présent propos d’où mon empressement à refermer la parenthèse).
Ayant eu à m’occuper ces derniers temps de quelques affaires judiciaires et réglementaires, j’ai été littéralement abasourdi par la masse de travail que doit abattre continuellement ce monsieur. J’ai eu affaire à lui en de multiples détours et lignes droites des dossiers qui me sont passés sous la main. Tous les jours, je lisais ou entendais dire : «Le législateur a prévu…», «Dans l’esprit du législateur», «Le législateur a bien précisé que…», «Le juge est bien allé dans le sens voulu par le législateur…»… Et tout cela dans des domaines d’une infinie variété : droit du travail, fiscalité, banques, assurances, transports, droit personnel, administration, affaires civiles et pénales, droit commerciale, etc. Partout, partout, vous assure-je.
Il ne doit absolument pas avoir le temps de se reposer. En permanence sur la brèche, à l’écoute de tout, à chercher où cela ne va pas, à lire et à relire ce qu’il a édicté pour le corriger, le compléter, le nettoyer, le reformuler, le préciser, l’élaguer… sans jamais avoir le temps de se gratter le haut du crane!
Je l’imagine, le pauvre, au réveil après un sommeil de quelques minutes nécessaire pour se refaire des forces, il allume tous ses appareils de communication pour s’informer et tracer le programme de sa journée de travail ; une journée de travail invariablement de plus de vingt-trois heures. Son attention est captée par une station radio qui diffuse une interview d’un puissant ministre :
Le journaliste : « Monsieur le ministre. Le public se plaint de traitements différenciés de certaines affaires de la part vos services. Ce qui est autorisé par telle administration de votre département ministériel, est jugé prohibé par telle autre, alors qu’elles sont toutes les deux sous la même tutelle et doivent en principe se référer aux mêmes règles. »
Le ministre : « Merci pour votre question et pour l’occasion qui nous est offerte pour apporter tous les éclaircissements nécessaires et rassurer une fois pour toutes nos concitoyens à ce sujet. Nous sommes tout à fait conscients des problèmes rencontrés par nos concitoyens, confrontés qu’ils sont à de telles difficultés, à propos desquelles Son Excellence le président de la République ne cesse de répéter qu’elles sont préjudiciables à une mobilisation optimale des énergies au service de la collectivité nationale et à la mise en œuvre de son programme, programme inconnu même... hum... de lui-même. Nous ne pouvons pas laisser le citoyen se faire ballotter de droite et de gauche, comme il été donné aux plus hautes autorités de notre nation dont moi-même de le constater. Nous menons et nous continuerons à mener une lutte implacable et sans merci contre la bureaucratie. Dans ce cadre, nous avons déjà confectionné un solide dossier que nous allons soumettre à qui de droit. Il reste toutefois que nous espérons que le législateur va se pencher sur cette question pour combler le vide juridique qui est à la source des ennuis de nos concitoyens. Nous vous assurons que sous peu, tout cela ne sera plus qu’un mauvais souvenir et inchallah tout va rentrer dans l’ordre dans les meilleurs délais. »
Entendant cela, le législateur regarde la montagne de dossiers qu’il doit traiter et il se dit que le projet de quelques heures de vacances pour voir rapidement si la mer est toujours bleue est encore une fois reporté de quelques mois supplémentaires. Vide juridique a dit pudiquement le ministre. En fait, cela signifie pour le législateur une immense fosse juridique qu’il va lui falloir remblayer. Mais avant cela, il faudra qu’il la localise, qu’il la nettoie, qu’il commande les articles de quoi la combler en espérant qu’il les trouvera en stock quelque part, qu’il sélectionne ces articles avec soin puis les dispose de manière adéquate pour éviter la création d’un autre trou juridique en un autre lieu, et avant de les promulguer, il doit faire semblant de respecter la loi fondamentale en les faisant passer par des instances comme le conseil du gouvernement, le parlement et la présidence de la République.
Une tâche titanesque. J’en sue à sa place.
Si on l’alimente de quelques propositions de lois et règlements, on lui offrira ainsi les quelques précieux instants de loisir auxquels il aspire depuis si longtemps.
Je me dis que si l’on veut que les choses se règlent comme l’a si bien et si clairement dit Monsieur le Ministre (un peu de brosse peut rapporter gros), nous devons soutenir de manière palpable ce pauvre bougre de législateur.
Pour ma part, n’écoutant que mon légendaire civisme, je me suis suggéré l’idée que je pouvais apporter ma contribution à la lutte contre ce qu’on appelle la délinquance routière en proposant des réaménagements en profondeur du code de la route. En effet, et tout le monde le constate de ses propres yeux et même par les yeux des autres, que si gros vide juridique il y a, c’est au niveau de la réglementation routière qu’il se trouve. Je vais donc vous soumettre à vous tous et à notre bien-aimé et néanmoins malheureux législateur des règles de base à respecter par les usagers des infrastructures routières et on doit surtout empêcher ces usagers et les agents de l’ordre public de s’asseoir dessus.
Haut les cœurs, retroussons les manches et montrons-nous à la hauteur de l’œuvre à accomplir.
Principes du code de la route.
1. Le chauffeur / la chauffeure (attention, on ne dit pas la chauffeuse laquelle a sa place toute désignée sous la marmite) c’est la personne qui est assise dans une voiture en face du volant. Elle a le droit :
— de mettre en marche la voiture
— de garer la voiture
— de faire avancer la voiture
— de bloquer ou au moins de gêner la circulation des autres véhicules
— d’insulter les autres conducteurs.
D’autres droits sont énumérés ci-dessous.
Dans la suite de ce projet de code, le terme «cond» sera employé pour désigne un(e) chauffeur(e).
2. L’objet du code de la route est de définir les droits et exclusivement les droits du cond. Officiellement, le cond n’a aucune obligation sinon envers son ego.
3. Un passager est une personne assise dans une voiture mais pas directement en face du volant. Un passager a le devoir de toujours prendre fait et cause pour le cond et l’aider à jouir pleinement de ses droits, sans chercher à savoir si le cond est dans son droit ou son tort car en toute circonstance le cond est dans son droit.
4. Un cond qui quitte son siège et descend de voiture devient piéton. S’il quitte son siège tout en restant dans la voiture, il devient passager.
5. Un cond peut, s'il le désire, avoir en sa possession un permis de conduire et pour le véhicule : la carte grise, l’assurance, la vignette et l’attestation de contrôle technique. Toutefois, un bon piston peut avantageusement remplacer un ou plusieurs de ces documents. Une chkara grassement dotée peut suppléer au bon piston. La combinaison piston et chkara est tolérée et dans certaines situations, recommandée.
Attention, les faux pistonnés ou les faux moul-chkara seront sévèrement punis, ils paieront lourdement (et doublement) pour leur (double) délit.
6. Avis à chaque cond : quand vous prenez la route, ce n’est pas là un vain mot, vous la prenez entièrement. Elle devient votre propriété exclusive. C’est le principe cardinal (habillé de rouge) du présent code. Toutes les autres dispositions découlent de ce «in via possessionem chauffardus brutus» («la route est propriété de la sale brute de chauffard»; lire d’abord intégralement les 18 tomes en version latine originale parce qu’avant de pouvoir continuer, vous aurez à réussir à l’épreuve du quiz ci-dessous). On l’appelle en abrégé «codus chauffardus ».
7. En application du codus chauffardus, les autres cond qui empruntent la route (c’est vous qui la leur avez prêtée) ne peuvent pas bénéficier des dispositions du présent code mais restent soumis à l’autre code, celui où il y a à se conformer aux plaques, aux feux, aux lignes, en fait à toutes ces fadaises qui limitent votre liberté.
Ces cond sont là pour :
— vous enquiquiner, vous empêcher de rouler comme vous le désirez
— vous permettre de révéler tout votre talent de chauffardus brutus
Car vous devez continuellement garder à l’esprit qu’un excellent cond c’est celui qui conduit de manière dangereuse pour lui-même et pour les autres.
Le présent article s’applique individuellement à chaque cond.
Merci d’apporter votre écot pour étoffer ce code. Si nous arrivons à déployer un zèle législatif suffisant, notre législateur pourra enfin connaitre la sensation des vagues sur ses pieds.
Ayant eu à m’occuper ces derniers temps de quelques affaires judiciaires et réglementaires, j’ai été littéralement abasourdi par la masse de travail que doit abattre continuellement ce monsieur. J’ai eu affaire à lui en de multiples détours et lignes droites des dossiers qui me sont passés sous la main. Tous les jours, je lisais ou entendais dire : «Le législateur a prévu…», «Dans l’esprit du législateur», «Le législateur a bien précisé que…», «Le juge est bien allé dans le sens voulu par le législateur…»… Et tout cela dans des domaines d’une infinie variété : droit du travail, fiscalité, banques, assurances, transports, droit personnel, administration, affaires civiles et pénales, droit commerciale, etc. Partout, partout, vous assure-je.
Il ne doit absolument pas avoir le temps de se reposer. En permanence sur la brèche, à l’écoute de tout, à chercher où cela ne va pas, à lire et à relire ce qu’il a édicté pour le corriger, le compléter, le nettoyer, le reformuler, le préciser, l’élaguer… sans jamais avoir le temps de se gratter le haut du crane!
Je l’imagine, le pauvre, au réveil après un sommeil de quelques minutes nécessaire pour se refaire des forces, il allume tous ses appareils de communication pour s’informer et tracer le programme de sa journée de travail ; une journée de travail invariablement de plus de vingt-trois heures. Son attention est captée par une station radio qui diffuse une interview d’un puissant ministre :
Le journaliste : « Monsieur le ministre. Le public se plaint de traitements différenciés de certaines affaires de la part vos services. Ce qui est autorisé par telle administration de votre département ministériel, est jugé prohibé par telle autre, alors qu’elles sont toutes les deux sous la même tutelle et doivent en principe se référer aux mêmes règles. »
Le ministre : « Merci pour votre question et pour l’occasion qui nous est offerte pour apporter tous les éclaircissements nécessaires et rassurer une fois pour toutes nos concitoyens à ce sujet. Nous sommes tout à fait conscients des problèmes rencontrés par nos concitoyens, confrontés qu’ils sont à de telles difficultés, à propos desquelles Son Excellence le président de la République ne cesse de répéter qu’elles sont préjudiciables à une mobilisation optimale des énergies au service de la collectivité nationale et à la mise en œuvre de son programme, programme inconnu même... hum... de lui-même. Nous ne pouvons pas laisser le citoyen se faire ballotter de droite et de gauche, comme il été donné aux plus hautes autorités de notre nation dont moi-même de le constater. Nous menons et nous continuerons à mener une lutte implacable et sans merci contre la bureaucratie. Dans ce cadre, nous avons déjà confectionné un solide dossier que nous allons soumettre à qui de droit. Il reste toutefois que nous espérons que le législateur va se pencher sur cette question pour combler le vide juridique qui est à la source des ennuis de nos concitoyens. Nous vous assurons que sous peu, tout cela ne sera plus qu’un mauvais souvenir et inchallah tout va rentrer dans l’ordre dans les meilleurs délais. »
Entendant cela, le législateur regarde la montagne de dossiers qu’il doit traiter et il se dit que le projet de quelques heures de vacances pour voir rapidement si la mer est toujours bleue est encore une fois reporté de quelques mois supplémentaires. Vide juridique a dit pudiquement le ministre. En fait, cela signifie pour le législateur une immense fosse juridique qu’il va lui falloir remblayer. Mais avant cela, il faudra qu’il la localise, qu’il la nettoie, qu’il commande les articles de quoi la combler en espérant qu’il les trouvera en stock quelque part, qu’il sélectionne ces articles avec soin puis les dispose de manière adéquate pour éviter la création d’un autre trou juridique en un autre lieu, et avant de les promulguer, il doit faire semblant de respecter la loi fondamentale en les faisant passer par des instances comme le conseil du gouvernement, le parlement et la présidence de la République.
Une tâche titanesque. J’en sue à sa place.
Si on l’alimente de quelques propositions de lois et règlements, on lui offrira ainsi les quelques précieux instants de loisir auxquels il aspire depuis si longtemps.
Je me dis que si l’on veut que les choses se règlent comme l’a si bien et si clairement dit Monsieur le Ministre (un peu de brosse peut rapporter gros), nous devons soutenir de manière palpable ce pauvre bougre de législateur.
Pour ma part, n’écoutant que mon légendaire civisme, je me suis suggéré l’idée que je pouvais apporter ma contribution à la lutte contre ce qu’on appelle la délinquance routière en proposant des réaménagements en profondeur du code de la route. En effet, et tout le monde le constate de ses propres yeux et même par les yeux des autres, que si gros vide juridique il y a, c’est au niveau de la réglementation routière qu’il se trouve. Je vais donc vous soumettre à vous tous et à notre bien-aimé et néanmoins malheureux législateur des règles de base à respecter par les usagers des infrastructures routières et on doit surtout empêcher ces usagers et les agents de l’ordre public de s’asseoir dessus.
Haut les cœurs, retroussons les manches et montrons-nous à la hauteur de l’œuvre à accomplir.
Principes du code de la route.
1. Le chauffeur / la chauffeure (attention, on ne dit pas la chauffeuse laquelle a sa place toute désignée sous la marmite) c’est la personne qui est assise dans une voiture en face du volant. Elle a le droit :
— de mettre en marche la voiture
— de garer la voiture
— de faire avancer la voiture
— de bloquer ou au moins de gêner la circulation des autres véhicules
— d’insulter les autres conducteurs.
D’autres droits sont énumérés ci-dessous.
Dans la suite de ce projet de code, le terme «cond» sera employé pour désigne un(e) chauffeur(e).
2. L’objet du code de la route est de définir les droits et exclusivement les droits du cond. Officiellement, le cond n’a aucune obligation sinon envers son ego.
3. Un passager est une personne assise dans une voiture mais pas directement en face du volant. Un passager a le devoir de toujours prendre fait et cause pour le cond et l’aider à jouir pleinement de ses droits, sans chercher à savoir si le cond est dans son droit ou son tort car en toute circonstance le cond est dans son droit.
4. Un cond qui quitte son siège et descend de voiture devient piéton. S’il quitte son siège tout en restant dans la voiture, il devient passager.
5. Un cond peut, s'il le désire, avoir en sa possession un permis de conduire et pour le véhicule : la carte grise, l’assurance, la vignette et l’attestation de contrôle technique. Toutefois, un bon piston peut avantageusement remplacer un ou plusieurs de ces documents. Une chkara grassement dotée peut suppléer au bon piston. La combinaison piston et chkara est tolérée et dans certaines situations, recommandée.
Attention, les faux pistonnés ou les faux moul-chkara seront sévèrement punis, ils paieront lourdement (et doublement) pour leur (double) délit.
6. Avis à chaque cond : quand vous prenez la route, ce n’est pas là un vain mot, vous la prenez entièrement. Elle devient votre propriété exclusive. C’est le principe cardinal (habillé de rouge) du présent code. Toutes les autres dispositions découlent de ce «in via possessionem chauffardus brutus» («la route est propriété de la sale brute de chauffard»; lire d’abord intégralement les 18 tomes en version latine originale parce qu’avant de pouvoir continuer, vous aurez à réussir à l’épreuve du quiz ci-dessous). On l’appelle en abrégé «codus chauffardus ».
7. En application du codus chauffardus, les autres cond qui empruntent la route (c’est vous qui la leur avez prêtée) ne peuvent pas bénéficier des dispositions du présent code mais restent soumis à l’autre code, celui où il y a à se conformer aux plaques, aux feux, aux lignes, en fait à toutes ces fadaises qui limitent votre liberté.
Ces cond sont là pour :
— vous enquiquiner, vous empêcher de rouler comme vous le désirez
— vous permettre de révéler tout votre talent de chauffardus brutus
Car vous devez continuellement garder à l’esprit qu’un excellent cond c’est celui qui conduit de manière dangereuse pour lui-même et pour les autres.
Le présent article s’applique individuellement à chaque cond.
Merci d’apporter votre écot pour étoffer ce code. Si nous arrivons à déployer un zèle législatif suffisant, notre législateur pourra enfin connaitre la sensation des vagues sur ses pieds.
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