Abdelkader Guerroudj : 89 ans, ancien dirigeant communiste, ancien moudjahid condamné à mort
Hamid Tahri Publié dans El Watan le 27 - 04 - 2017
«Le premier trait de la corruption, c'est le bannissement de la vérité.» (Montaigne)
Abdelkader Guerroudj est un moudjahid respectable et respecté, ancien condamné à mort qui avait, il y a quelques semaines, avec d'autres pétitionnaires, lancé un appel à la Présidence pour briser le silence qui entoure la gestion du pays. Doutant du passé révolutionnaire de Djamel Ould Abbès, contesté par d'autres figures de la Guerre de Libération, Si Abdelkader avait interpellé le ministre de la Justice dans une lettre datée du 5 avril, pour avoir des précisions sur le passé de Ould Abbès dès lors que Abdelkader n'avait, en sa qualité de condamné à mort, jamais eu connaissance de la condamnation de Ould Abbès, ni de ses faits d'armes durant la Guerre de Libération. Les deux initiatives sont restées lettre morte, butant sur une fin de non-recevoir. Ni la Présidence ni le ministre de la Justice n'ont jugé utile de répondre.
Plutôt discret, voire très réservé, Si Abdelkader n'intervenait que rarement dans le champ politique. Ces postures, Guerroudj les tient de son éducation et de sa militance, qui se distingue par sa volonté de toujours se ranger du côté des faibles et des opprimés, qu'il a d'ailleurs vaillamment défendus. Son parcours valeureux n'est toujours pas bien mis en évidence. C'est pourquoi, tout en abordant les sujets sus-cités, nous l'avons invité à nous retracer les grandes étapes de sa vie qui, un jour peut-être, le consignera dans un livre.
Enfance à Tlemcen
«Souvent, mes enfants, sauf Madjid, me pressent d'écrire, parce qu'ils estiment que j'ai beaucoup de choses à dire, et comme j'ai, semble-t-il, une très bonne mémoire, je devrais écrire ce que j'ai vécu. De très nombreux amis ou proches me disent à peu près la même chose.
Bien que je sois très paresseux, je sais que je suis capable d'écrire. Il m'est arrivé de le faire quand cela me paraissait nécessaire ou indispensable, comme je l'ai fait à l'occasion des démêlés interminables de M. Hadj Kharoubi, ce qui a fait reculer à cinq ou six reprises notre administration judiciaire pourrie, qui voulait l'emprisonner.
Ce fils de harki est victime à la fois de l'administration française et encore plus de l'administration algérienne, qui a prêté main-forte à la France pour faire incarcérer le fils de harki qui était opposé à son père. Je m'honore de n'avoir jamais cherché à m'enrichir, mais j'estime avoir eu une vie très riche et c'est cela qui compte et qui peut laisser des traces.
Aussaresses et Bigeard et d'autres ennemis ont fini par avouer qu'ils avaient assassiné des responsables algériens. Comment admettre aujourd'hui que des gens qui ont participé ou ont été témoins de certains assassinats de leurs frères puissent encore se taire ? Même s'ils parlent aujourd'hui, longtemps après les événements, ils ne font pas de la délation, mais au contraire, s'ils parlent, ils font preuve de courage. Et c'est de cela que la plupart de nos hommes politiques ont manqué.
Et j'en profite pour dire aujourd'hui qu'une des raisons m'ayant empêché d'écrire tout ce que j'ai vécu, c'est le souci ou la peur, en disant toute la vérité, d'éclabousser des personnes qui auraient pu être considérées comme des héros, mais qui, ne serait-ce que par leur silence, ne méritent pas de l'être.»
Abdelkader Guerroudj, né le 26 juillet 1928 à Tlemcen, a fait ses classes à l'école Decieux, la première école de la ville, et au collège colonial de Slane, du nom du baron de Slane, qui était un écrivain arabisant. «A Tlemcen, notre famille n'est pas connue sous le nom de Guerroudj, mais de Baba Ahmed. Mon père, Boumediène Baba Ahmed, s'est retrouvé ouvrier agricole sur les terres de ses ancêtres. Parce qu'il semblerait que le domaine de l'Ismara, qui a donné un cru célèbre du même nom et qui appartenait à M. Dollfuss, qui était l'équivalent de Borgeaud dans la région, puisqu'il exploitait une quantité d'hommes et de femmes d'origines diverses.
Et une des raisons de l'entrée au combat contre le colonialisme de Jacqueline, institutrice à Négrier (Chettouane), c'était précisément contre le hobereau du coin qu'était M. Dollfuss qui, déjà en 1950, avait son avion personnel et son terrain d'atterrissage dans son domaine. Jacqueline et Dollfuss se sont mené une guerre impitoyable, parce que Jacqueline prenait la défense de son école, où étudiait un jeune dont le père était un des commis dans la grande exploitation de l'Ismara. Jacqueline voulait le booster pour qu'il continue ses études... Or, Dollfuss avait besoin de bras et pas de gens instruits, fussent-ils des Espagnols.
Cette attitude valut à Jacqueline une mutation à Aïn Fezza.
Issu d'une famille nationaliste, celle de Hadj Messali, cousin de mon grand-père, Kada Messali, j'étais scout musulman algérien, puis j'aiétudié au collège de Slane. Je suis devenu communiste grâce à l'école laïque et à mes maîtres arabes ou européens. Mon évolution politique s'est faite à Tlemcen à travers les grèves des boulangers, le MTO et les luttes sociales des artisans et des paysans de la région de Tlemcen. Très vite, j'ai eu des responsabilités politiques, donc j'ai toujours été mêlé aux luttes.
Quand arriva le 1er Novembre, dans la nuit du 4 novembre 1954, il y a eu une réunion des principaux responsables paysans de la région de Tlemcen (Ouchba, Oum El Oulou, Terny, Chouly notamment). Nous étions 24 responsables, dont moi seul non paysan, et tous, comme un seul homme, sans hésitation, après avoir entendu ce qui venait de se passer à travers le territoire algérien, nous avons décidé de partir à l'action.
Mieux que cela, nous avions pris des dispositions pour nous procurer du matériel de sabotage pour commencer les actions. Il y avait parmi nous deux membres du comité central du PCA, Tahar Ghomri, mort en 1956 au maquis, et Medjdoub Berrahou, qui est décédé après l'indépendance. Nous avons été immédiatement rappelés à l'ordre par la direction du parti à Alger, notamment Larbi Bouhali, Bachir Hadj Ali, Paul Caballero, Ahmed Akkache et André Moine. Nous étions en prise directe avec le colonialisme, qui était une chose visible et vivante qu'on côtoyait tous les jours avec les paysans et les sans-travail.
Hamid Tahri Publié dans El Watan le 27 - 04 - 2017
«Le premier trait de la corruption, c'est le bannissement de la vérité.» (Montaigne)
Abdelkader Guerroudj est un moudjahid respectable et respecté, ancien condamné à mort qui avait, il y a quelques semaines, avec d'autres pétitionnaires, lancé un appel à la Présidence pour briser le silence qui entoure la gestion du pays. Doutant du passé révolutionnaire de Djamel Ould Abbès, contesté par d'autres figures de la Guerre de Libération, Si Abdelkader avait interpellé le ministre de la Justice dans une lettre datée du 5 avril, pour avoir des précisions sur le passé de Ould Abbès dès lors que Abdelkader n'avait, en sa qualité de condamné à mort, jamais eu connaissance de la condamnation de Ould Abbès, ni de ses faits d'armes durant la Guerre de Libération. Les deux initiatives sont restées lettre morte, butant sur une fin de non-recevoir. Ni la Présidence ni le ministre de la Justice n'ont jugé utile de répondre.
Plutôt discret, voire très réservé, Si Abdelkader n'intervenait que rarement dans le champ politique. Ces postures, Guerroudj les tient de son éducation et de sa militance, qui se distingue par sa volonté de toujours se ranger du côté des faibles et des opprimés, qu'il a d'ailleurs vaillamment défendus. Son parcours valeureux n'est toujours pas bien mis en évidence. C'est pourquoi, tout en abordant les sujets sus-cités, nous l'avons invité à nous retracer les grandes étapes de sa vie qui, un jour peut-être, le consignera dans un livre.
Enfance à Tlemcen
«Souvent, mes enfants, sauf Madjid, me pressent d'écrire, parce qu'ils estiment que j'ai beaucoup de choses à dire, et comme j'ai, semble-t-il, une très bonne mémoire, je devrais écrire ce que j'ai vécu. De très nombreux amis ou proches me disent à peu près la même chose.
Bien que je sois très paresseux, je sais que je suis capable d'écrire. Il m'est arrivé de le faire quand cela me paraissait nécessaire ou indispensable, comme je l'ai fait à l'occasion des démêlés interminables de M. Hadj Kharoubi, ce qui a fait reculer à cinq ou six reprises notre administration judiciaire pourrie, qui voulait l'emprisonner.
Ce fils de harki est victime à la fois de l'administration française et encore plus de l'administration algérienne, qui a prêté main-forte à la France pour faire incarcérer le fils de harki qui était opposé à son père. Je m'honore de n'avoir jamais cherché à m'enrichir, mais j'estime avoir eu une vie très riche et c'est cela qui compte et qui peut laisser des traces.
Aussaresses et Bigeard et d'autres ennemis ont fini par avouer qu'ils avaient assassiné des responsables algériens. Comment admettre aujourd'hui que des gens qui ont participé ou ont été témoins de certains assassinats de leurs frères puissent encore se taire ? Même s'ils parlent aujourd'hui, longtemps après les événements, ils ne font pas de la délation, mais au contraire, s'ils parlent, ils font preuve de courage. Et c'est de cela que la plupart de nos hommes politiques ont manqué.
Et j'en profite pour dire aujourd'hui qu'une des raisons m'ayant empêché d'écrire tout ce que j'ai vécu, c'est le souci ou la peur, en disant toute la vérité, d'éclabousser des personnes qui auraient pu être considérées comme des héros, mais qui, ne serait-ce que par leur silence, ne méritent pas de l'être.»
Abdelkader Guerroudj, né le 26 juillet 1928 à Tlemcen, a fait ses classes à l'école Decieux, la première école de la ville, et au collège colonial de Slane, du nom du baron de Slane, qui était un écrivain arabisant. «A Tlemcen, notre famille n'est pas connue sous le nom de Guerroudj, mais de Baba Ahmed. Mon père, Boumediène Baba Ahmed, s'est retrouvé ouvrier agricole sur les terres de ses ancêtres. Parce qu'il semblerait que le domaine de l'Ismara, qui a donné un cru célèbre du même nom et qui appartenait à M. Dollfuss, qui était l'équivalent de Borgeaud dans la région, puisqu'il exploitait une quantité d'hommes et de femmes d'origines diverses.
Et une des raisons de l'entrée au combat contre le colonialisme de Jacqueline, institutrice à Négrier (Chettouane), c'était précisément contre le hobereau du coin qu'était M. Dollfuss qui, déjà en 1950, avait son avion personnel et son terrain d'atterrissage dans son domaine. Jacqueline et Dollfuss se sont mené une guerre impitoyable, parce que Jacqueline prenait la défense de son école, où étudiait un jeune dont le père était un des commis dans la grande exploitation de l'Ismara. Jacqueline voulait le booster pour qu'il continue ses études... Or, Dollfuss avait besoin de bras et pas de gens instruits, fussent-ils des Espagnols.
Cette attitude valut à Jacqueline une mutation à Aïn Fezza.
Issu d'une famille nationaliste, celle de Hadj Messali, cousin de mon grand-père, Kada Messali, j'étais scout musulman algérien, puis j'aiétudié au collège de Slane. Je suis devenu communiste grâce à l'école laïque et à mes maîtres arabes ou européens. Mon évolution politique s'est faite à Tlemcen à travers les grèves des boulangers, le MTO et les luttes sociales des artisans et des paysans de la région de Tlemcen. Très vite, j'ai eu des responsabilités politiques, donc j'ai toujours été mêlé aux luttes.
Quand arriva le 1er Novembre, dans la nuit du 4 novembre 1954, il y a eu une réunion des principaux responsables paysans de la région de Tlemcen (Ouchba, Oum El Oulou, Terny, Chouly notamment). Nous étions 24 responsables, dont moi seul non paysan, et tous, comme un seul homme, sans hésitation, après avoir entendu ce qui venait de se passer à travers le territoire algérien, nous avons décidé de partir à l'action.
Mieux que cela, nous avions pris des dispositions pour nous procurer du matériel de sabotage pour commencer les actions. Il y avait parmi nous deux membres du comité central du PCA, Tahar Ghomri, mort en 1956 au maquis, et Medjdoub Berrahou, qui est décédé après l'indépendance. Nous avons été immédiatement rappelés à l'ordre par la direction du parti à Alger, notamment Larbi Bouhali, Bachir Hadj Ali, Paul Caballero, Ahmed Akkache et André Moine. Nous étions en prise directe avec le colonialisme, qui était une chose visible et vivante qu'on côtoyait tous les jours avec les paysans et les sans-travail.
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