Depuis les études pionnières de William James sur la variété des expériences religieuses, un siècle d'études sur la psychologie des mystiques, les effets psychologiques de la prière ou encore les liens entre religion et bien-être tentent d'expliquer les motifs et effets psychologiques des croyances religieuses.
« Par un beau dimanche matin, ma femme et mes garçons partaient pour l'église à Macclesfield. Je me sentais incapable de les accompagner, comme si quitter notre colline ensoleillée pour descendre en ville eût été un acte de suicide spirituel. Je ressentais en moi un besoin d'inspiration et d'ouverture.
Je laissai donc ma femme et mes enfants et partis me promener sur la colline avec mon chien. (...) Je marchais depuis plus d'une heure, quand je ressentis tout à coup la merveilleuse sensation d'être au paradis. J'éprouvais un profond sentiment de paix, de joie et une intense sérénité, accompagné d'une sensation d'être enveloppé dans un halo de lumière, qui me traversait le corps. »
Pour John Trevor, l'auteur de ces lignes, ce moment de grâce s'apparente à une véritable extase religieuse. Il en fait un des passages clés de son autobiographie, My Quest for God, publiée en 1897.
Ce passage a été reproduit par William James dans The Variety of Religious Experience. Dans ce livre pionnier, le psychologue américain cherche à appréhender la psychologie du croyant. Trois idées phare guident son analyse.
Première idée : la religion est avant tout une expérience et non un dogme. Les Eglises tendent à « routiniser » les croyances religieuses à travers des formes d'expression très codifiées : catéchisme, dogme, rites. Or, selon W. James, l'essence de la religion réside d'abord dans l'expression d'une ferveur personnelle. C'est pourquoi il va s'intéresser particulièrement aux convertis, aux mystiques, aux ascètes, extatiques, et autres « born again » qui expriment une foi ardente et spontanée. Ces croyants n'adhèrent pas à la religion par simple conformisme, ils ont connu une véritable illumination intérieure. Une partie du livre relate des témoignages de convertis. Deuxième idée-force : ces expériences religieuses sont multiples. Pour certains, la ferveur religieuse apporte un réconfort moral, pour d'autres, elle correspond à une expérience mystique, d'autres encore y trouvent des modèles de conduite à travers la vie des saints, pour certains enfin, la religion constitue une véritable thérapie. Les défis personnels étant différents d'un individu à l'autre, les solutions le sont aussi. D'où la variété des expériences religieuses et la diversité des cultes (n'oublions que nous sommes aux Etats-Unis, qui sont marqués par la diversité des religions et des sectes).
Enfin, troisième thèse défendue par W. James, les croyances religieuses ne doivent pas être opposées à la science. Les réduire à des illusions ou à des superstitions ne permet pas de comprendre quel rôle leur est dévolu par les croyants. Les croyances religieuses ne se situent pas dans le registre du vrai ou du faux : elles sont d'abord utiles, accompagnant les croyants et les aidant à surmonter les épreuves de la vie.
Les religions rendent-elles heureux ?
Une des questions que se posait W. James concerne le lien entre religion et bien-être. Pour lui, il ne faisait pas de doute qu'une de ses fonctions majeures est d'apporter paix et sérénité face aux épreuves de la vie. Dans son sillage se sont développées nombre de recherches sur la question de ce lien. Dans l'ensemble, les enquêtes statistiques semblent confirmer que la religion favorise le bien-être. Par exemple, une grande étude portant sur plus de 160 000 Européens montre que parmi les pratiquants qui vont à la messe toutes les semaines, 85 % se déclarent « très satisfaits » de la vie, alors que ce pourcentage tombe à 77 % parmi ceux qui ne vont jamais à l'église. Comment expliquer ce lien entre bien-être et religion ? Les psychologues avancent trois types de facteurs
.
- Le support social : l'adhésion religieuse n'est pas qu'un phénomène de croyance individuelle, mais implique aussi l'intégration à des groupes de croyants et pratiquants qui apportent un soutien psychologique et social.
- Un sens à sa vie : le bonheur et le bien-être augmentent quand notre vie possède un sens, une finalité, une raison d'être. Beaucoup de gens trouvent cela dans la religion.
- Les expériences religieuses : la religion offre aussi des expériences émotionnelles (par exemple, le sentiment d'être en communication avec Dieu) qui apportent à l'individu un vif sentiment de plaisir et de valeur personnelle.
Psychologie du mystique
Est-ce à dire que les mystiques qui, comme J. Trevor, ont vécu une « illumination » sont plus heureux que les autres ? C'est loin d'être le cas. Michael Argyle, un des grands noms de la psychologie de la religion, a mené une enquête auprès de personnes définies comme mystiques. Celle-ci montre que, sur le nombre, la corrélation entre mysticisme et bonheur est plutôt négative (M. Argyle et P. Hills, « Religious experiences and their relations with happiness and personality », The International Journal for the Psychology of Religion, vol. X, 2000). Une des raisons avancée : les grands mystiques seraient, en règle générale, des solitaires coupés des relations sociales, donc privés du support social dont bénéficient les autres croyants intégrés dans des groupes religieux.
Car la vie de mystique n'est pas de tout repos. Ils sont de presque toutes les religions, sociétés et périodes de l'histoire. Moine chrétien, yogi ou soufi, le mystique est souvent un « renonçant » qui s'est mis à l'écart du monde pour vivre sa foi de façon exclusive, s'imposant des privations et entretenant une relation particulière avec Dieu ou les esprits. Il vise un état particulier de conscience - l'extase mystique - au terme d'un chemin initiatique semé d'exercices spirituels (voir les exercices spirituels de saint François d'Assise).
Deux grands profils typiques sont à distinguer. D'abord une mystique que l'on peut qualifier de « spirituelle et métaphysique », celle des soufis en islam, des moines bouddhistes, des pratiquants des mystiques chrétiennes*, ou encore des yogis. Ces mystiques sont en quête d'une forme d'extase marquée par le sentiment d'abolition du moi, de participation au cosmos. Ce moment d'intense bonheur est souvent identifié à un type de connaissance nouveau, une « intelligence supérieure », non exprimable en mots.
Cet état correspond à ce que Romain Rolland nommait le « sentiment océanique » (voir l'encadré ci-dessus). L'écrivain pensait que le sentiment océanique caractéristique de l'extase spiritualiste correspond à un éveil de la conscience. Pour Sigmund Freud, sceptique et athée, il s'agit d'une régression archaïque narcissique (stade où l'enfant est en fusion avec sa mère). Des psychologues ont tenté de cerner précisément le phénomène psychique. Ralph W. Hood, en 1975, a ainsi établi une échelle du mysticisme (en huit niveaux) à partir de témoignages recueillis, et des recherches neurologiques se sont efforcées de saisir les modifications cérébrales induites par l'état d'extase. On retrouve cette expérience assez courante dans les pratiques de méditation et relaxation. Selon Herbert Benson, psychologue à Harvard, 25 % des sujets participant aux séances de relaxation (fondées sur des exercices de respiration profonde et de vide de la pensée obtenu par la concentration sur un mot - « paix » - ou une image - un cercle - qu'il organise déclarent éprouver des expériences « spirituelles » (Timeless Healing. The power and biology of belief, Scribner, 1996).
Les mystiques visionnaires
L'autre grand profil du mystique est le « visionnaire ». Son contact avec l'esprit est nettement moins abstrait et désincarné que dans le modèle précédent. Le visionnaire entretient avec Dieu ou les esprits un rapport très personnel : Dieu, Jésus, Marie, les anges ou n'importe quelle autre divinité lui parlent (il entend leur voix) ou lui apparaissent sous forme humaine. C'est le cas de sainte Thérèse d'Avila (1515-1582) et de ses visions, particulièrement celle de 1560 où elle rencontre un ange qui lui transperce le cœur avec un dard en or (immortalisée par la statue de Bernin). Hildegarde de Bingen (1098-1179), autre grande mystique visionnaire, est depuis l'enfance sujette à des visions cosmologiques : elle voyage dans les sphères célestes et assiste au concert des anges.
Alors que dans le sentiment océanique, le moi se dissout dans un grand tout cosmique, le moi du mystique visionnaire est au contraire surdimensionné. Il se sent un élu, un messie, Dieu l'a choisi et vient lui parler.
Le mysticisme visionnaire a lui aussi donné lieu à de nombreuses
interprétations, surtout de nature psychiatrique. Lorsque l'on prétend avoir des visions, entendre des voix, que Dieu vous ordonne d'exécuter prières, sacrifices et rites de mortification, comment ne pas songer aux délires des psychotiques ? Les psychiatres savent bien que la schizophrénie se manifeste parfois par des « délires mystiques ». Ainsi le cas de ce jeune homme de 20 ans retrouvé nu sur l'autoroute au mois de janvier, qui déclare aux pompiers venus le récupérer : « Dieu m'a confié la vie de tous les automobilistes qui circulent sur cette autoroute ; si vous ne me laissez pas finir ma mission, il y aura des morts (2). » Dans la littérature psychiatrique, le cas le plus célèbre de délire religieux, qui depuis S. Freud a fait l'objet d'une avalanche d'études, est celui de Daniel Paul Schreber. Ce magistrat, président de la cour d'appel de Dresde, souffrait d'une forme de paranoïa délirante, Dans Mémoires d'un névropathe, il raconte l'évolution de son trouble. Dans une première phase, il pense qu'on veut l'émasculer pour le transformer en femme. Puis son délire deviendra religieux : Dieu Lui-même intervient dans sa vie par l'intermédiaire de ses « nerfs ». Il l'a élu, désire le posséder et veut s'accoupler avec lui.
Certaines expériences mystiques pourraient aussi s'expliquer chez des sujets bien portants par des « états de conscience altérée ». Les exercices spirituels que s'imposent les mystiques sont fondés sur des privations, mortifications, jeûnes, isolements susceptibles de provoquer des hallucinations et des visions comparables à celles obtenues sous hallucinogènes. Depuis les années 1960, une abondante littérature existe sur les liens entre transe, hallucinogènes et état de conscience modifiée.
Les religions de guérison
Dans la plupart des religions, les cultes comportent des composantes thérapeutiques. Dans les sociétés traditionnelles, on va voir le chaman, ou « medecine man », pour soigner toute sorte de troubles (3). Dans les religions antiques, on faisait des sacrifices aux dieux dans l'espoir d'une guérison. Dans la plupart des grandes religions actuelles, on attend des prières, pèlerinages ou sacrifices qu'ils aident à la guérison.
Certains cultes, comme l'antoinisme, implanté en Belgique et en France depuis le début du XXe siècle, sont spécialisés dans la guérison (6). Aujourd'hui, on assiste à un renouveau de ces cultes, notamment avec le pentecôtisme qui se répand aux Etats-Unis, en Amérique latine ou en Afrique (5). Aux Etats-Unis, les thérapies alternatives et les médecines douces comporte une forte composante religieuse et mystique (6).
La religion soigne-t-elle vraiment ? Les études sur son efficacité donnent des résultats controversés (voir l'encadré p. 56). Lorsque cela marche, les croyants pensent que le miracle a opéré, les sceptiques invoquent des coïncidences, l'effet placebo ou l'efficacité symbolique. Les études sur les cultes de guérison montrent que les médecines spirituelles ne visent pas forcément à obtenir un bénéfice réel sur la santé. Leur succès tient surtout au soutien moral et social non négligeable qu'elles apportent au malade. Dans les pays où les structures de soin sont défaillantes, on comprend que les pauvres se tournent vers les prêtres-médecins qu'offrent les religions traditionnelles.
Enfin, les liens entre la psychologie et les religions montrent, eux aussi, que la religion sert à vivre et non à mourir.
SH
« Par un beau dimanche matin, ma femme et mes garçons partaient pour l'église à Macclesfield. Je me sentais incapable de les accompagner, comme si quitter notre colline ensoleillée pour descendre en ville eût été un acte de suicide spirituel. Je ressentais en moi un besoin d'inspiration et d'ouverture.
Je laissai donc ma femme et mes enfants et partis me promener sur la colline avec mon chien. (...) Je marchais depuis plus d'une heure, quand je ressentis tout à coup la merveilleuse sensation d'être au paradis. J'éprouvais un profond sentiment de paix, de joie et une intense sérénité, accompagné d'une sensation d'être enveloppé dans un halo de lumière, qui me traversait le corps. »
Pour John Trevor, l'auteur de ces lignes, ce moment de grâce s'apparente à une véritable extase religieuse. Il en fait un des passages clés de son autobiographie, My Quest for God, publiée en 1897.
Ce passage a été reproduit par William James dans The Variety of Religious Experience. Dans ce livre pionnier, le psychologue américain cherche à appréhender la psychologie du croyant. Trois idées phare guident son analyse.
Première idée : la religion est avant tout une expérience et non un dogme. Les Eglises tendent à « routiniser » les croyances religieuses à travers des formes d'expression très codifiées : catéchisme, dogme, rites. Or, selon W. James, l'essence de la religion réside d'abord dans l'expression d'une ferveur personnelle. C'est pourquoi il va s'intéresser particulièrement aux convertis, aux mystiques, aux ascètes, extatiques, et autres « born again » qui expriment une foi ardente et spontanée. Ces croyants n'adhèrent pas à la religion par simple conformisme, ils ont connu une véritable illumination intérieure. Une partie du livre relate des témoignages de convertis. Deuxième idée-force : ces expériences religieuses sont multiples. Pour certains, la ferveur religieuse apporte un réconfort moral, pour d'autres, elle correspond à une expérience mystique, d'autres encore y trouvent des modèles de conduite à travers la vie des saints, pour certains enfin, la religion constitue une véritable thérapie. Les défis personnels étant différents d'un individu à l'autre, les solutions le sont aussi. D'où la variété des expériences religieuses et la diversité des cultes (n'oublions que nous sommes aux Etats-Unis, qui sont marqués par la diversité des religions et des sectes).
Enfin, troisième thèse défendue par W. James, les croyances religieuses ne doivent pas être opposées à la science. Les réduire à des illusions ou à des superstitions ne permet pas de comprendre quel rôle leur est dévolu par les croyants. Les croyances religieuses ne se situent pas dans le registre du vrai ou du faux : elles sont d'abord utiles, accompagnant les croyants et les aidant à surmonter les épreuves de la vie.
Les religions rendent-elles heureux ?
Une des questions que se posait W. James concerne le lien entre religion et bien-être. Pour lui, il ne faisait pas de doute qu'une de ses fonctions majeures est d'apporter paix et sérénité face aux épreuves de la vie. Dans son sillage se sont développées nombre de recherches sur la question de ce lien. Dans l'ensemble, les enquêtes statistiques semblent confirmer que la religion favorise le bien-être. Par exemple, une grande étude portant sur plus de 160 000 Européens montre que parmi les pratiquants qui vont à la messe toutes les semaines, 85 % se déclarent « très satisfaits » de la vie, alors que ce pourcentage tombe à 77 % parmi ceux qui ne vont jamais à l'église. Comment expliquer ce lien entre bien-être et religion ? Les psychologues avancent trois types de facteurs
.
- Le support social : l'adhésion religieuse n'est pas qu'un phénomène de croyance individuelle, mais implique aussi l'intégration à des groupes de croyants et pratiquants qui apportent un soutien psychologique et social.
- Un sens à sa vie : le bonheur et le bien-être augmentent quand notre vie possède un sens, une finalité, une raison d'être. Beaucoup de gens trouvent cela dans la religion.
- Les expériences religieuses : la religion offre aussi des expériences émotionnelles (par exemple, le sentiment d'être en communication avec Dieu) qui apportent à l'individu un vif sentiment de plaisir et de valeur personnelle.
Psychologie du mystique
Est-ce à dire que les mystiques qui, comme J. Trevor, ont vécu une « illumination » sont plus heureux que les autres ? C'est loin d'être le cas. Michael Argyle, un des grands noms de la psychologie de la religion, a mené une enquête auprès de personnes définies comme mystiques. Celle-ci montre que, sur le nombre, la corrélation entre mysticisme et bonheur est plutôt négative (M. Argyle et P. Hills, « Religious experiences and their relations with happiness and personality », The International Journal for the Psychology of Religion, vol. X, 2000). Une des raisons avancée : les grands mystiques seraient, en règle générale, des solitaires coupés des relations sociales, donc privés du support social dont bénéficient les autres croyants intégrés dans des groupes religieux.
Car la vie de mystique n'est pas de tout repos. Ils sont de presque toutes les religions, sociétés et périodes de l'histoire. Moine chrétien, yogi ou soufi, le mystique est souvent un « renonçant » qui s'est mis à l'écart du monde pour vivre sa foi de façon exclusive, s'imposant des privations et entretenant une relation particulière avec Dieu ou les esprits. Il vise un état particulier de conscience - l'extase mystique - au terme d'un chemin initiatique semé d'exercices spirituels (voir les exercices spirituels de saint François d'Assise).
Deux grands profils typiques sont à distinguer. D'abord une mystique que l'on peut qualifier de « spirituelle et métaphysique », celle des soufis en islam, des moines bouddhistes, des pratiquants des mystiques chrétiennes*, ou encore des yogis. Ces mystiques sont en quête d'une forme d'extase marquée par le sentiment d'abolition du moi, de participation au cosmos. Ce moment d'intense bonheur est souvent identifié à un type de connaissance nouveau, une « intelligence supérieure », non exprimable en mots.
Cet état correspond à ce que Romain Rolland nommait le « sentiment océanique » (voir l'encadré ci-dessus). L'écrivain pensait que le sentiment océanique caractéristique de l'extase spiritualiste correspond à un éveil de la conscience. Pour Sigmund Freud, sceptique et athée, il s'agit d'une régression archaïque narcissique (stade où l'enfant est en fusion avec sa mère). Des psychologues ont tenté de cerner précisément le phénomène psychique. Ralph W. Hood, en 1975, a ainsi établi une échelle du mysticisme (en huit niveaux) à partir de témoignages recueillis, et des recherches neurologiques se sont efforcées de saisir les modifications cérébrales induites par l'état d'extase. On retrouve cette expérience assez courante dans les pratiques de méditation et relaxation. Selon Herbert Benson, psychologue à Harvard, 25 % des sujets participant aux séances de relaxation (fondées sur des exercices de respiration profonde et de vide de la pensée obtenu par la concentration sur un mot - « paix » - ou une image - un cercle - qu'il organise déclarent éprouver des expériences « spirituelles » (Timeless Healing. The power and biology of belief, Scribner, 1996).
Les mystiques visionnaires
L'autre grand profil du mystique est le « visionnaire ». Son contact avec l'esprit est nettement moins abstrait et désincarné que dans le modèle précédent. Le visionnaire entretient avec Dieu ou les esprits un rapport très personnel : Dieu, Jésus, Marie, les anges ou n'importe quelle autre divinité lui parlent (il entend leur voix) ou lui apparaissent sous forme humaine. C'est le cas de sainte Thérèse d'Avila (1515-1582) et de ses visions, particulièrement celle de 1560 où elle rencontre un ange qui lui transperce le cœur avec un dard en or (immortalisée par la statue de Bernin). Hildegarde de Bingen (1098-1179), autre grande mystique visionnaire, est depuis l'enfance sujette à des visions cosmologiques : elle voyage dans les sphères célestes et assiste au concert des anges.
Alors que dans le sentiment océanique, le moi se dissout dans un grand tout cosmique, le moi du mystique visionnaire est au contraire surdimensionné. Il se sent un élu, un messie, Dieu l'a choisi et vient lui parler.
Le mysticisme visionnaire a lui aussi donné lieu à de nombreuses
interprétations, surtout de nature psychiatrique. Lorsque l'on prétend avoir des visions, entendre des voix, que Dieu vous ordonne d'exécuter prières, sacrifices et rites de mortification, comment ne pas songer aux délires des psychotiques ? Les psychiatres savent bien que la schizophrénie se manifeste parfois par des « délires mystiques ». Ainsi le cas de ce jeune homme de 20 ans retrouvé nu sur l'autoroute au mois de janvier, qui déclare aux pompiers venus le récupérer : « Dieu m'a confié la vie de tous les automobilistes qui circulent sur cette autoroute ; si vous ne me laissez pas finir ma mission, il y aura des morts (2). » Dans la littérature psychiatrique, le cas le plus célèbre de délire religieux, qui depuis S. Freud a fait l'objet d'une avalanche d'études, est celui de Daniel Paul Schreber. Ce magistrat, président de la cour d'appel de Dresde, souffrait d'une forme de paranoïa délirante, Dans Mémoires d'un névropathe, il raconte l'évolution de son trouble. Dans une première phase, il pense qu'on veut l'émasculer pour le transformer en femme. Puis son délire deviendra religieux : Dieu Lui-même intervient dans sa vie par l'intermédiaire de ses « nerfs ». Il l'a élu, désire le posséder et veut s'accoupler avec lui.
Certaines expériences mystiques pourraient aussi s'expliquer chez des sujets bien portants par des « états de conscience altérée ». Les exercices spirituels que s'imposent les mystiques sont fondés sur des privations, mortifications, jeûnes, isolements susceptibles de provoquer des hallucinations et des visions comparables à celles obtenues sous hallucinogènes. Depuis les années 1960, une abondante littérature existe sur les liens entre transe, hallucinogènes et état de conscience modifiée.
Les religions de guérison
Dans la plupart des religions, les cultes comportent des composantes thérapeutiques. Dans les sociétés traditionnelles, on va voir le chaman, ou « medecine man », pour soigner toute sorte de troubles (3). Dans les religions antiques, on faisait des sacrifices aux dieux dans l'espoir d'une guérison. Dans la plupart des grandes religions actuelles, on attend des prières, pèlerinages ou sacrifices qu'ils aident à la guérison.
Certains cultes, comme l'antoinisme, implanté en Belgique et en France depuis le début du XXe siècle, sont spécialisés dans la guérison (6). Aujourd'hui, on assiste à un renouveau de ces cultes, notamment avec le pentecôtisme qui se répand aux Etats-Unis, en Amérique latine ou en Afrique (5). Aux Etats-Unis, les thérapies alternatives et les médecines douces comporte une forte composante religieuse et mystique (6).
La religion soigne-t-elle vraiment ? Les études sur son efficacité donnent des résultats controversés (voir l'encadré p. 56). Lorsque cela marche, les croyants pensent que le miracle a opéré, les sceptiques invoquent des coïncidences, l'effet placebo ou l'efficacité symbolique. Les études sur les cultes de guérison montrent que les médecines spirituelles ne visent pas forcément à obtenir un bénéfice réel sur la santé. Leur succès tient surtout au soutien moral et social non négligeable qu'elles apportent au malade. Dans les pays où les structures de soin sont défaillantes, on comprend que les pauvres se tournent vers les prêtres-médecins qu'offrent les religions traditionnelles.
Enfin, les liens entre la psychologie et les religions montrent, eux aussi, que la religion sert à vivre et non à mourir.
SH
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