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Arabie saoudite : la jeunesse de Riyad prépare l'après-pétrole

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  • Arabie saoudite : la jeunesse de Riyad prépare l'après-pétrole

    La fin de l’or noir oblige le royaume ultraconservateur à sortir d’une stratégie de rente, avec un plan tout aussi ambitieux que risqué sur les plans économique et sociétal Les 15-35 ans, placés au cœur du projet, veulent jouer leur carte malgré les carcans religieux.

    Des dizaines de paires d'yeux encadrées d'un hijab noir ou du traditionnel keffieh masculin blanc et rouge. Des regards focalisés sur des corps athlétiques moulés ondulant sur une musique moderne. Une concentration de tous les instants sur des écrans de smartphone retransmettant l'événement en direct sur *Snapchat ou Instagram. "Ce n'est pas tous les jours qu'on a un spectacle comme cela, se réjouit Jouan, lycéenne de 17 ans. Tout le monde s'est précipité sur les tickets!"

    L'événement qui met en émoi la ville de Khobar, 1 million d'habitants sur la côte est de l'Arabie saoudite, est selon elle "historique" : il s'agit du premier cirque à se produire dans le royaume, une compagnie espagnole, sans femmes sur scène. Ne l'appelez d'ailleurs pas cirque, trop "connoté", mais kibai, ou "lumière de l'espoir"… Dehors, un groupe mixte de jeunes adolescents se jauge, avec la maladresse typique de cet âge. Une scène *impensable il y a encore quelques années dans un des pays les plus conservateurs au monde.

    Longtemps claquemuré, le royaume d'Arabie saoudite s'entrouvre lentement mais résolument, poussé par la fin du tout-*pétrole. La redistribution des recettes de l'or noir – 90% de celles de l'Etat – garantissait jusqu'ici la paix sociale, étouffant notamment les effets des printemps arabes à coups de mesures clientélistes. Mais ce temps est révolu.

    Le vice-prince héritier, Mohammed Ben Salmane, ou MBS, l'a compris, qui a lancé son ambitieux plan de transformation, Saudi Vision 2030, en avril, et dont il évalue aujourd'hui les premiers impacts un an plus tard. L'objectif initial? Développer les énergies renouvelables pour se sevrer des hydrocarbures, construire une *industrie des loisirs et du tourisme, surtout locale, et faire disparaître une société de rente.

    Près de 70% des embauches sont aujourd'hui assurées par le secteur public, un taux qui devrait baisser à 38% d'ici à 2030. "Nous avons un Etat drogué [au pétrole] et c'est dangereux", a reconnu le prince réformateur, qui place la jeunesse au cœur de son projet, les moins de 35 ans *représentant 70% de la population. Changer ou mourir?

    "La jeunesse sent que son heure est vraiment arrivée"

    A la tête d'une entreprise de cinq salariés dont deux hommes, Lujain Al-Ubaid a choisi son camp. Cette jeune femme a fondé Tasamy, une agence qui soutient des entrepreneurs sociaux, comme l'inventeur d'une assiette destinée à lutter contre le gaspillage du riz. Ses locaux, situés dans une maison basse comme il en existe des milliers à Riyad, ont des allures de start-up à l'américaine. "Les Saoudiens doivent comprendre que les solutions viendront d'eux-mêmes, pas du gouvernement, martèle-t?elle.

    Ils ont été trop gâtés." Lujain se donne à corps perdu dans son activité. Faute de loisirs, elle s'octroie une pause le week-end en jonglant d'un film à un autre sur Netflix avec son fiancé ou en surfant sur les réseaux sociaux, seule fenêtre d'ouverture sur le monde. Elle ne fait pas partie de ceux qui traînent dans les centres commerciaux, se défoulent dans le désert en 4x4 ou s'échappent pour faire la fête à Dubai ou à Manama.

    Au King Abdullah Petroleum Studies and Research Center* (Kapsarc), Hisham Akhonbay, chercheur, rappelle les priorités de sa génération : "L'éducation, les technologies, la consommation." Dans ce centre avant-gardiste, la future élite, 30 ans à peine, éduquée aux Etats-Unis, prépare la transition énergétique du pays : comment développer l'énergie éolienne et les voitures hybrides, limiter la consommation d'eau et d'électricité. Sans doute un vivier de futurs ministres dans un royaume qui ne compte toujours pas de femme à ce poste. Ils sont aisés, veulent aller vite et loin.

    "Cette jeunesse est ambitieuse et prête à casser tous les plafonds de verre, confirme Shaima Hamidaddin, la patronne de la Fondation Misk, créée par le prince MBS pour recruter les talents de demain. Elle sent que son heure est vraiment arrivée." A l'image de la ville, avide d'expansion, où le métro sort de terre et où les grues repoussent toujours plus loin les portes du désert.

    "Ils pourraient demander plus de libertés individuelles"

    Mais il faudra aussi compter avec les obstacles d'une autre jeunesse, biberonnée à l'Etat, fonctionnarisée dans des centaines de milliers d'emplois de vigile, de secrétaire ou de chauffeur. Une jeunesse de la classe moyenne souvent née hors de la capitale, ciblée par le plan du prince mais ignorante des changements en cours. Chauffeur dans un ministère depuis huit mois, originaire d'un village à 500 km à l'est de Riyad, Mounif n'a jamais entendu parler de Saudi Vision 2030, malgré une large campagne de publicité à la télévision ou dans les écoles.

    Le jeune homme de 20 ans s'est décidé à passer une tête au forum pour l'emploi organisé par l'université Alfaisal. "Pour voir." Ce soir-là, des entreprises privées comme Huawei, Uber ou Thales recrutent. "Pourquoi changer de travail? Je suis bien payé et je fais ce que je veux", finit-il par lâcher. Pas faux : le salaire moyen dans le public équivaut à 2.260 euros par mois, contre 1.300 dans le privé.

    C'est justement ce qui empêche Omar Alluhaydan, directeur de GTek, première entreprise du royaume spécialisée dans l'énergie solaire, de recruter. Et ce malgré la politique de "saoudisation" en cours, qui oblige à embaucher des locaux plutôt que des expatriés sous peine de pénalités. "J'ai eu un employé saoudien l'année dernière ; s'il veut revenir, je lui donne ce qu'il veut!", promet-il. Comment *intégrer les 6 millions de moins de 15 ans qui débouleront sur le marché du travail en 2030 alors que le taux de chômage des moins de 25 ans atteint aujourd'hui les 30%?

    Le prince MBS joue quitte ou double. "Il y a un risque de tension avec les jeunes très éduqués si on leur propose des emplois payés au-dessous de leurs compétences, observe Fatiha Dazi-Héni, chercheuse à l'Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire (Irsem) et auteure de l'ouvrage L'Arabie saoudite en 100 questions (éd. Tallandier). Ces jeunes pourraient se politiser via des revendications économiques et sociales, demander plus de libertés individuelles. Il y a une peur que les plus oisifs versent dans le djihadisme…"

    Environ 2.000 Saoudiens auraient rejoint Daech en Syrie et Irak, emboîtant le pas aux générations précédentes parties combattre en Afghanistan avec Al-Qaida. "Ce chiffre serait, selon nos services, plus élevé", avance une source diplomatique française, alors que près de vingt attaques ont été menées contre le royaume depuis 2014, notamment à Djedda et à Médine.

    "La majorité des jeunes tiennent à leur confort et à la stabilité de leur pays, rappelle Fatiha Dazi-Héni. Ils regardent ce qui se passe autour d'eux et ne franchiront pas la ligne blanche." Beaucoup s'avouent d'ailleurs plombés par le contexte régional. Comme Maha Taibah, une jeune femme qui dirige *Eradah, structure consacrée au travail des jeunes. "Nous sommes *entourés de pays en guerre, rappelle-t-elle, alors que le royaume est engagé dans un conflit par procuration contre l'Iran au Yémen. Mais notre atout numéro un, ce n'est pas le pétrole, c'est l'humain!"

    Les religieux critiquent "un mélange des sexes"

    Un slogan que n'adoptera sans doute pas l'establishment wahhabite, remonté contre les ambitions libérales du prince, perçues comme autant d'agressions contre les tabous de la tradition sociale et religieuse. Le clergé a fulminé contre le concert du chanteur saoudien Mohammed Abdu organisé à Djedda en janvier, le premier en sept ans dans le royaume. "Il n'y a rien de bon dans les chansons et dans l'ouverture des cinémas, une invitation au mélange des sexes", a commenté le grand mufti Abdul Aziz Al-Sheikh dans son émission de télévision.

    Les rigoristes ont banni les salles obscures depuis les années 1980, époque où le royaume s'est renfermé, après la prise d'otages de La Mecque en 1979, la révolution islamique en Iran et l'invasion soviétique en Afghanistan. Le jeune prince, qui a instauré une "autorité de divertissement", y voit au contraire une industrie à bâtir, pour inciter les Saoudiens à dépenser de l'argent en loisirs… chez eux, comme au King Abdulaziz Center, qui ouvrira bientôt sur la côte est, avec un cinéma flambant neuf.

    Le public semble prêt. Les Saoudiens se classent parmi les premiers consommateurs de vidéos sur YouTube, chaque jeune possédant en moyenne deux smartphones. Abdulaziz Almuzaini cartonne avec son dessin animé satirique Massamir ("clous" en français), dont chaque épisode génère entre un et cinq millions de vues, dans un pays de 30 millions d'habitants. Le trentenaire y repousse à chaque fois les limites du politiquement correct, notamment sur les droits des femmes.

    A l'image de ces quelques foulards croisés dans les rues, tombant discrètement sur une épaule, ou de ces abayas – longues robes noires et couvrantes, obligatoires pour toutes les femmes – se faisant plus transparentes… "Il y a des tabous qu'on escalade pas à pas", admet le créateur.

    D'autres, comme Salman Al-Suhaibaney, créateur de l'application d'assistance routière Morni, se prennent à rêver. D'une "plus grande mixité" et de "femmes qui puissent enfin conduire". Comme sa mère, il y a trente ans.

    Europe1
    Dernière modification par zek, 05 juin 2017, 10h57.
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin
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