Pourquoi la prospérité est-elle apparue en Occident ? Comment se caractérise-t-elle ? Quelles sont les causes du déclin actuel et les moyens d’y remédier ? Un ouvrage majeur du prix Nobel d’économie 2006, à la fois passionnant et très instructif.
Edmund Phelps, le prix Nobel d’économie 2006 s’interroge, dans ce passionnant ouvrage, sur ce qui peut expliquer le développement inédit d’une forte croissance au XIXème siècle, ayant mené à de fortes hausses de salaires et de l’emploi et une amélioration très nette des conditions de vie.
Et surtout, dans la parfaite lignée des questionnements actuels des économistes, il se demande ce qui peut expliquer que l’élan puissant vers cette prospérité se soit progressivement tari au cours du XXème siècle. Ce qui lui permet d’explorer les voies permettant d’y remédier.
QU’ENTEND-ON PAR PROSPÉRITÉ ?
Il commence par proposer une nouvelle définition de la prospérité des nations, jugeant que :
La prospérité repose sur l’épanouissement de l’individu, c’est-à-dire sur l’investissement et le développement personnels, le goût du défi et l’affirmation de soi.
Si le revenu peut, certes, y contribuer, il n’est pas en soi un épanouissement, ajoute l’auteur. Ce sont surtout les nouvelles situations, les nouveaux problèmes, les nouvelles intuitions, les nouvelles idées à développer et à partager, qui sont les plus susceptibles d’y mener.
Et il en va de même pour la prospérité de masse, qui procède de l’innovation endogène au niveau local. Mais il met en garde contre les excès d’interventionnisme en la matière :
Ce dynamisme peut être réduit ou affaibli par des institutions mal conçues, elle-même produites par une compréhension imparfaite de la situation ou par des objectifs concurrents (…) Un dynamisme à grande échelle doit se nourrir de certaines valeurs sans se laisser trop diluer par d’autres.
L’INNOVATION AU CŒUR DU DÉVELOPPEMENT
Dès lors, tout l’objet de son étude va consister à démontrer que c’est l’innovation endogène qui est au cœur du développement et qui, seule, peut conduire à la prospérité.
Ne pas le comprendre risque de conduire à prendre des mesures qui ne feront qu’épuiser le dynamisme du pays considéré. Ce qui est par exemple le cas, selon lui, des États-Unis depuis les années 1970 (car nous allons nous intéresser ici aux tendances longues).
Les initiatives en matière de législation et de contrôle, autrement dit, n’ont rien à voir avec une stimulation de « l’offre » ou de la « demande ». Elles s’apparentent selon lui davantage à ce qui a été mis en œuvre il y a de cela deux cents ans. Ce qu’il se propose ici de mettre en valeur. Et qui oblige à reconsidérer certains états d’esprit :
Les valeurs qui entretenaient notre prospérité ont dû affronter d’autres valeurs qui entravaient et limitaient notre épanouissement. La prospérité leur paye encore un lourd tribut. Certains conçoivent un modèle de vie idéale, et déduisent de ce modèle quelle société et quelle économie il convient de mettre en place. Certains prônent aux États-Unis des objectifs que l’on poursuit en Europe depuis longtemps déjà, comme une protection sociale accrue, la paix sociale ou diverses initiatives citoyennes servant l’intérêt général. Telles sont les valeurs qui ont conduit une bonne partie de l’Europe à envisager l’État selon une approche traditionnelle, médiévale et corporatiste.
Or, ce sont des valeurs qui ne sont plus autant acceptées qu’auparavant, comme le changement, la difficulté, la passion de l’originalité, la découverte, le besoin de sortir du lot, qui se trouvent à l’origine de l’épanouissement et de la prospérité à grande échelle des sociétés modernes.
LES SOURCES DE LA PROSPÉRITÉ
La force de cet ouvrage est de nous replonger dans l’histoire de la prospérité en Occident, pour mieux nous en faire percevoir et comprendre les fondements. C’est aussi ce qui en fait un ouvrage très riche et absolument passionnant.
Mais c’est aussi par la compréhension de ce passé et des mécanismes en œuvre dans notre présent que nous pouvons être à même de mieux percevoir les causes de la régression et être à même de pouvoir les contrer. Il s’agit donc, à mon sens, d’un ouvrage majeur.
Pendant la plus grande partie de l’humanité, si l’on remonte jusqu’à au moins l’Antiquité grecque et romaine, les innovations se sont révélées insuffisantes à pouvoir améliorer significativement la productivité ou les conditions de vie du commun des mortels, la routine et les pratiques familières restant la norme, comme le montrait Fernand Braudel.
Sans que l’on puisse prétendre pour autant que les humains n’exerçaient pas leur imagination et leur créativité, bien au contraire (y compris durant la préhistoire).
LE RÔLE DU COMMERCE
Le commerce, certes, a prospéré très tôt entre des cités-États (XIVe et XVe siècles notamment), puis des États-nations, mais s’est cantonné à la conquête de nouveaux marchés et à la question de la production marchande, sans que l’on relève là encore d’amélioration notoire ni de la productivité, ni du salaire réel par travailleur (qui était même plus bas en 1800 qu’en 1200 en Angleterre, selon une étude de Clark).
Edmund Phelps s’intéresse donc aux tendances longues, remontant en particulier à 1500, mais surtout aux sources du véritable décollage fondamental des années 1820 en Grande-Bretagne (dont il montre qu’elles ne trouvent pas d’explication par les analyses traditionnelles en termes d’accumulation du capital, d’économies d’échelle, d’échanges marchands ou de commerce international, encore moins par l’ historicisme, que dénonçait Karl Popper dès 1957), puis des années 1960 aux États-Unis, pays qu’il qualifie de pionniers, sans oublier les périodes de gloire qu’ont pu connaître à leur tour d’autres pays comme la France et l’Allemagne notamment, avec un certain effet d’entraînement entre eux.
LE TAUX DE CROISSANCE NE SUFFIT PAS
Les Pays-Bas, ou même la Suède ou l’Italie, entre autres, ont eu eux aussi leur moment-phare, mais dans des conditions pas tout à fait similaires, si l’on distingue ce qui relève des tendances véritablement de fond et les mouvements de croissance sporadiques, même sur une ou plusieurs décennies, qui ne peuvent être assimilées à la véritable prospérité.
Selon Edmund Phelps, les taux de croissance ne permettent pas de mesurer véritablement le dynamisme d’un pays. La « vibrance », au sens de Schumpeter, c’est-à-dire un esprit disposer à agir, à faire le travail, qui peut résulter d’une bonne capacité d’imitation, peut ainsi conduire momentanément à ce que l’on croisse aussi vite, voire plus, qu’un pays dynamique, sans que cela soit nécessairement durable.
Ainsi, plus récemment, la période de forte croissance du Japon après guerre (1950-1990) ou de la Chine aujourd’hui ne sont-elles par exemple pas assimilables, selon lui, à cette tendance de fond qu’il cherche à analyser. Basées sur l’imitation ou la croissance exogène, elles ne portent pas en elles les ressorts de ce que l’on appelle une économie dynamique.
UNE APPROCHE NOVATRICE ET PROFONDÉMENT ORIGINALE
Pour conduire son analyse, Edmund Phelps annonce d’emblée que celle-ci s’écartera des interprétations habituelles, comme celles d’Arthur Spiethoff ou de Joseph Schumpeter par exemple, dont il critique l’aspect scientiste, sans toutefois contester que la science ait malgré tout pu jouer un rôle prépondérant.
Il écarte donc à la fois l’idée selon laquelle l’innovation se nourrirait seulement de découvertes exogènes, mais aussi (corollaire néoschumpétérien) qu’on ne pourrait accroître l’innovation qu’en stimulant la recherche scientifique (ce qui peut expliquer, selon lui, que Schumpeter prédisait à l’époque le triomphe du socialisme, partant du postulat que les directions d’entreprise peuvent, sans erreur ni délai, saisir les occasions d’avancées technologiques auprès des scientifiques, ce que donc les administrations d’État ou entreprises socialistes pourraient faire tout aussi bien. Ce qui est faux dans les deux cas).
FAVORISER LA CRÉATIVITÉ ET LE DYNAMISME
Au contraire, l’innovation, de nature « endogène », exclut de considérer que même les grandes inventions en leur temps aient pu avoir un impact déterminant et durable sur la productivité et les salaires. C’est plutôt du côté de la structuration de l’économie (et au-delà de la société) et des voies qui permettent de favoriser la créativité et le dynamisme qu’il faut selon lui chercher les causes.
Edmund Phelps, le prix Nobel d’économie 2006 s’interroge, dans ce passionnant ouvrage, sur ce qui peut expliquer le développement inédit d’une forte croissance au XIXème siècle, ayant mené à de fortes hausses de salaires et de l’emploi et une amélioration très nette des conditions de vie.
Et surtout, dans la parfaite lignée des questionnements actuels des économistes, il se demande ce qui peut expliquer que l’élan puissant vers cette prospérité se soit progressivement tari au cours du XXème siècle. Ce qui lui permet d’explorer les voies permettant d’y remédier.
QU’ENTEND-ON PAR PROSPÉRITÉ ?
Il commence par proposer une nouvelle définition de la prospérité des nations, jugeant que :
La prospérité repose sur l’épanouissement de l’individu, c’est-à-dire sur l’investissement et le développement personnels, le goût du défi et l’affirmation de soi.
Si le revenu peut, certes, y contribuer, il n’est pas en soi un épanouissement, ajoute l’auteur. Ce sont surtout les nouvelles situations, les nouveaux problèmes, les nouvelles intuitions, les nouvelles idées à développer et à partager, qui sont les plus susceptibles d’y mener.
Et il en va de même pour la prospérité de masse, qui procède de l’innovation endogène au niveau local. Mais il met en garde contre les excès d’interventionnisme en la matière :
Ce dynamisme peut être réduit ou affaibli par des institutions mal conçues, elle-même produites par une compréhension imparfaite de la situation ou par des objectifs concurrents (…) Un dynamisme à grande échelle doit se nourrir de certaines valeurs sans se laisser trop diluer par d’autres.
L’INNOVATION AU CŒUR DU DÉVELOPPEMENT
Dès lors, tout l’objet de son étude va consister à démontrer que c’est l’innovation endogène qui est au cœur du développement et qui, seule, peut conduire à la prospérité.
Ne pas le comprendre risque de conduire à prendre des mesures qui ne feront qu’épuiser le dynamisme du pays considéré. Ce qui est par exemple le cas, selon lui, des États-Unis depuis les années 1970 (car nous allons nous intéresser ici aux tendances longues).
Les initiatives en matière de législation et de contrôle, autrement dit, n’ont rien à voir avec une stimulation de « l’offre » ou de la « demande ». Elles s’apparentent selon lui davantage à ce qui a été mis en œuvre il y a de cela deux cents ans. Ce qu’il se propose ici de mettre en valeur. Et qui oblige à reconsidérer certains états d’esprit :
Les valeurs qui entretenaient notre prospérité ont dû affronter d’autres valeurs qui entravaient et limitaient notre épanouissement. La prospérité leur paye encore un lourd tribut. Certains conçoivent un modèle de vie idéale, et déduisent de ce modèle quelle société et quelle économie il convient de mettre en place. Certains prônent aux États-Unis des objectifs que l’on poursuit en Europe depuis longtemps déjà, comme une protection sociale accrue, la paix sociale ou diverses initiatives citoyennes servant l’intérêt général. Telles sont les valeurs qui ont conduit une bonne partie de l’Europe à envisager l’État selon une approche traditionnelle, médiévale et corporatiste.
Or, ce sont des valeurs qui ne sont plus autant acceptées qu’auparavant, comme le changement, la difficulté, la passion de l’originalité, la découverte, le besoin de sortir du lot, qui se trouvent à l’origine de l’épanouissement et de la prospérité à grande échelle des sociétés modernes.
LES SOURCES DE LA PROSPÉRITÉ
La force de cet ouvrage est de nous replonger dans l’histoire de la prospérité en Occident, pour mieux nous en faire percevoir et comprendre les fondements. C’est aussi ce qui en fait un ouvrage très riche et absolument passionnant.
Mais c’est aussi par la compréhension de ce passé et des mécanismes en œuvre dans notre présent que nous pouvons être à même de mieux percevoir les causes de la régression et être à même de pouvoir les contrer. Il s’agit donc, à mon sens, d’un ouvrage majeur.
Pendant la plus grande partie de l’humanité, si l’on remonte jusqu’à au moins l’Antiquité grecque et romaine, les innovations se sont révélées insuffisantes à pouvoir améliorer significativement la productivité ou les conditions de vie du commun des mortels, la routine et les pratiques familières restant la norme, comme le montrait Fernand Braudel.
Sans que l’on puisse prétendre pour autant que les humains n’exerçaient pas leur imagination et leur créativité, bien au contraire (y compris durant la préhistoire).
LE RÔLE DU COMMERCE
Le commerce, certes, a prospéré très tôt entre des cités-États (XIVe et XVe siècles notamment), puis des États-nations, mais s’est cantonné à la conquête de nouveaux marchés et à la question de la production marchande, sans que l’on relève là encore d’amélioration notoire ni de la productivité, ni du salaire réel par travailleur (qui était même plus bas en 1800 qu’en 1200 en Angleterre, selon une étude de Clark).
Edmund Phelps s’intéresse donc aux tendances longues, remontant en particulier à 1500, mais surtout aux sources du véritable décollage fondamental des années 1820 en Grande-Bretagne (dont il montre qu’elles ne trouvent pas d’explication par les analyses traditionnelles en termes d’accumulation du capital, d’économies d’échelle, d’échanges marchands ou de commerce international, encore moins par l’ historicisme, que dénonçait Karl Popper dès 1957), puis des années 1960 aux États-Unis, pays qu’il qualifie de pionniers, sans oublier les périodes de gloire qu’ont pu connaître à leur tour d’autres pays comme la France et l’Allemagne notamment, avec un certain effet d’entraînement entre eux.
LE TAUX DE CROISSANCE NE SUFFIT PAS
Les Pays-Bas, ou même la Suède ou l’Italie, entre autres, ont eu eux aussi leur moment-phare, mais dans des conditions pas tout à fait similaires, si l’on distingue ce qui relève des tendances véritablement de fond et les mouvements de croissance sporadiques, même sur une ou plusieurs décennies, qui ne peuvent être assimilées à la véritable prospérité.
Selon Edmund Phelps, les taux de croissance ne permettent pas de mesurer véritablement le dynamisme d’un pays. La « vibrance », au sens de Schumpeter, c’est-à-dire un esprit disposer à agir, à faire le travail, qui peut résulter d’une bonne capacité d’imitation, peut ainsi conduire momentanément à ce que l’on croisse aussi vite, voire plus, qu’un pays dynamique, sans que cela soit nécessairement durable.
Ainsi, plus récemment, la période de forte croissance du Japon après guerre (1950-1990) ou de la Chine aujourd’hui ne sont-elles par exemple pas assimilables, selon lui, à cette tendance de fond qu’il cherche à analyser. Basées sur l’imitation ou la croissance exogène, elles ne portent pas en elles les ressorts de ce que l’on appelle une économie dynamique.
UNE APPROCHE NOVATRICE ET PROFONDÉMENT ORIGINALE
Pour conduire son analyse, Edmund Phelps annonce d’emblée que celle-ci s’écartera des interprétations habituelles, comme celles d’Arthur Spiethoff ou de Joseph Schumpeter par exemple, dont il critique l’aspect scientiste, sans toutefois contester que la science ait malgré tout pu jouer un rôle prépondérant.
Il écarte donc à la fois l’idée selon laquelle l’innovation se nourrirait seulement de découvertes exogènes, mais aussi (corollaire néoschumpétérien) qu’on ne pourrait accroître l’innovation qu’en stimulant la recherche scientifique (ce qui peut expliquer, selon lui, que Schumpeter prédisait à l’époque le triomphe du socialisme, partant du postulat que les directions d’entreprise peuvent, sans erreur ni délai, saisir les occasions d’avancées technologiques auprès des scientifiques, ce que donc les administrations d’État ou entreprises socialistes pourraient faire tout aussi bien. Ce qui est faux dans les deux cas).
FAVORISER LA CRÉATIVITÉ ET LE DYNAMISME
Au contraire, l’innovation, de nature « endogène », exclut de considérer que même les grandes inventions en leur temps aient pu avoir un impact déterminant et durable sur la productivité et les salaires. C’est plutôt du côté de la structuration de l’économie (et au-delà de la société) et des voies qui permettent de favoriser la créativité et le dynamisme qu’il faut selon lui chercher les causes.
Commentaire