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Transe gnaoua à essaouira

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  • Transe gnaoua à essaouira

    En 1998, le festival d’Essaouira invitait à découvrir la bande-son des Gnaouas, confrérie de musiciens guérisseurs. Aujourd’hui, il est un moment essentiel dans l’agenda du royaume, suscitant des échanges avec des artistes du monde entier

    Al’heure du thé, une voix sombre suit le rythme qui la prolonge, comme elle plonge dans cet océan de sons envahissant la médina d’Essaouira depuis plusieurs jours. Cette voix, c’est celle de la mémoire d’un blues d’avant le blues, une histoire d’exil comme toujours. Ce rythme, c’est celui des qraqebs, des castagnettes de métal, comme un cœur qui bat la saccade. Celui aussi qu’emprunte doucement Carlinhos Brown.Au micro, le Bahianais rappelle quelques évidences qui attestent de la parenté entre les alchimies afro-brésiliennes et les synthèses magiques des Gnaouas marocains. Une affaire de rites syncrétiques qui ont traversé les siècles des deux côtés de l’océan. Il suffit de regarder une carte pour entendre l’intime connexion entre ces deux musiques nées au cœur de l’Atlantique noir. «Quand le maracatu (de Bahia) rencontre son ancêtre le karacatu (d’Essaouira)», résume Karim Ziad à propos du concert d’ouverture du festival, qui réunissait la veille Carlinhos Brown et Mohamed Kouyou. Invité en 2000 en tant que musicien, le batteur grandi en Algérie est devenu l’année d’après l’un des deux directeurs artistiques de ce raout fêtant la confrérie des musiciens guérisseurs. Lui l’entend tout autant comme «un laboratoire d’où pourrait un jour surgir un Bob Marley gnaoua !»

    Tout est né de la volonté de quelques-uns, à commencer par André Azoulay, natif de la ville qui devint conseiller du palais en 1991. «A l’époque, la ville était sinistrée, Essaouira pouvait pourtant s’appuyer sur une grande histoire : du temps où elle s’appelait encore Mogador, cette cité fut le grand port de Tombouctou, la première zone franche du Maroc. Elle fut même la capitale. C’est là que Mohamed III a créé la garde noire, celle-la même qui va féconder l’esthétique gnaoua. Avec ce festival, nous n’avons rien inventé : il suffisait d’écouter ce que les vieilles pierres savaient nous raconter.» Une histoire d’identités mêlées, à la croisée des croyances : Mogador fut le point de rencontres entre juifs, musulmans, chrétiens et animistes. Un nœud culturel qui va engendrer une créolisation dont la bande-son sera la musique portée par les Gnaouas. «Malgré tout, notre pari pour rendre leur dignité à ces musiciens, marginalisés, n’était pas gagné.»

    «Mixité sociale»
    Vingt ans après, la presqu’île venteuse brasse un public venu de tout le Maroc, auquel s’ajoutent des nuées d’étrangers attirés par cette sourde pulsation du guembri, le luth basse. «Ce festival, dédié à une culture populaire locale, est un marqueur au Maroc. Il a créé de la mixité sociale, notamment à travers les concerts gratuits dans l’espace public, ce qui était inédit dans le royaume. De nombreux festivals ont vu le jour dans la foulée. Ça a été comme un grand appel d’air frais ! Quelque chose de très spirituel qui a vite fédéré les progressistes du pays», analyse Neila Tazi Abdi, qui fut parmi les trois producteurs à l’origine de ce rendez-vous né dans les têtes d’un maâlem (un maître), Abdeslam Alikane, aujourd’hui encore codirecteur artistique, et d’un Français installé dans la région, Pascal Amel.

    «Autrefois difficile d’accès, Essaouira est aujourd’hui une ville qui accueille sept festivals. L’évolution de sa notoriété a été fulgurante», reprend Soundouss El Kasri, qui fut l’une des autres instigatrices. L’indéniable impact touristique et économique se mesure à l’aune de la qualité des infrastructures, de la quantité des hôtels et riads qui permettent d’accueillir le flot des curieux du monde entier. Désormais, toute la planète identifie le style gnaoua et ce minuscule point sur la cartographie du monde des musiques. Et cette tradition devrait être classée au patrimoine de l’Unesco en 2018. «Le festival, c’est le moussemdes temps modernes !» reprend Neila Tazi Abdi, en allusion au grand rassemblement confessionnel vers lequel convergent chaque année tous les adeptes de cette confrérie soufie.

    Et c’est vrai qu’en vingt éditions le festival a multiplié les pistes d’échange entre une musique qui remonte à la nuit des temps et des esthétiques de toutes provenances ou presque. La formule a toujours mis à l’honneur les maâlems, ceux qui guident de leur voix et du doigt (les trois cordes du guembri) les fidèles. A commencer par les musiciens, américains comme cubains, français ou indiens. C’est aussi ça la force de ce festival, une histoire de cousinages avec des artistes qui se sentent en famille et reviennent bien souvent sur leurs traces laissées sur place. Comme Loy Ehrlich, nomade en l’âme qui découvrit Essaouira dès 1972 : il a ainsi créé son Band of Gnawa en souvenir de ses années très teintées de psyché, quand cette terre était sujette à de fumeux délires. Comme le Congolais Ray Lema, que l’on retrouve toujours aussi conquis qu’en 2001, avec son projet Tyour Gnaoua.

    «Dans l’ADN de cette musique, il y a une part d’Afrique et de sacré. C’est bien plus qu’un simple divertissement, et c’est pourquoi il faut sauver ces racines spirituelles du désastre de la mondialisation.» A chacun son point de vue sur une musique dont l’essence est l’ouverture des esprits par la transe.

    Passage de témoin

    Au fil du temps, les grands maîtres qui furent les parrains de ce festival ont laissé leur place à la relève. En 2015, le vénérable Mahmoud Guinea, figure tutélaire de la ville, confiait à son fils son guembri sur la scène du festival, comme un passage de témoin avant de décéder. Pour cette édition, le jeune Hassan Boussou s’est illustré dans le droit fil de son père, Hmida, l’un des plus grands visionnaires de cet art séculaire. Quant au jeune Mehdi Nassouli, au style volontiers plus festif, il a parcouru bien du chemin depuis qu’il venait - pas encore majeur - voici quinze ans d’Agadir écouter les maâlems. «J’ai grandi avec ce festival. Mon rêve, c’était de jouer là. L’objectif de cette ville, c’est être ensemble, sans distinction de couleurs ou de religions. Tous autour d’une musique qui touche l’âme avant les oreilles.»

    libération fr
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