un sujet discutable, controversé et trop compliqué" pour le gouvernement, qui préfère en rester à la version du Coran.
Atlantico : Le gouvernement turc vient de supprimer des programmes scolaires la théorie de l’évolution, jugée contraire aux préceptes du Coran. Comment cette décision vient illustrer ce qu'il se passe actuellement en Turquie? Dans quel cadre général cette réforme vient elle s'inscrire, notamment par rapport au kémalisme ?
Alexandre Del Valle : Ce qui se passe en Turquie est un véritable changement de civilisation, pour reprendre les termes mêmes utilisés par Recept Erdogan et son premier ministre lors du dernier référendum. C’était une déclaration intéressante car, pour une une fois, celle-ci était franche. Les dirigeants turcs ont montré leur véritable visage : ultranationalistes, anti-occidentales et néo-islamistes. Ils veulent totalement rompre avec la civilisation occidentale, le rationaliste occidentale et la laïcité occidentale, imposée par Atatürk qui est vu de facto comme un traître.
C’est le retour d'une Turquie à sa tradition islamique. D’ailleurs, on parle en Turquie de "néo-ottomanisme". C’est quelque chose de tout à fait assumé. L'objectif de la Turquie est de retrouver ses racines, et renouer avec la loi musulmane. C’est un premier pas vers une islamisation progressive du système de l’enseignement. Ce n’est pas la conséquence d’un système ; ce n’est que le début. Ça ne fait que commencer. Ce que je dis depuis 2002, après l’accès d’Erdogan au pouvoir, c’est qu’il se profile une mutation d’une Turquie laïque à une Turquie néo-Ottomane, et post-kémaliste. L’arrivée d’Erdogan, c’est la revanche de tous ceux qui n’avaient pas digéré la laïcité imposée par “l’athé Atatürk”. C’est la revanche des masses musulmanes qui se sentent humiliées, et écrasées.
Quels sont les autres exemples de réformes permettant de construire cette "nouvelle Turquie" ? L'arrivée de l'AKP au pouvoir en 2002 était elle annonciatrice, dès le départ, d'un tel renversement ?
De très nombreux juges, enseignants, intellectuels et opposants kémalistes ont été persécutés depuis des années. Les grands journaux kémalistes ont subi des chasses aux sorcières. On a plein d’exemples de personnes qui ont été évincées, pourchassées et remplacées ensuite par leurs homologues islamistes. C’est phénomène loin d'être nouveau, et qui date depuis les années 2005-2007. Dès 2002, j’annonçais qu’Erdogan était un faux modéré. Que c’était un vrai islamiste, et un proche des frères musulmans. Il fait croire qu’il est modéré pour amadouer les Européens et Américains. Il se fait passer pour un pro-occidental pour en fait renverser les kémalistes. La première phase de la stratégie d’Erdogan est de se dire l’ami de l’Occident pour en utiliser ses règles démocratiques contre ses opposants. Une fois la phase de l’anti-kémaliste passée (ces derniers perdent la présidence en 2008), Erdogan a commencé à révéler sa vraie face, beaucoup moins démocratique et beaucoup plus islamique. La démocratie n’était qu’un moyen, et jamais une fin. Dans un de ses célèbres discours, il annonce que la “démocratie est comme un tramway ; on s’arrête à l’étape que l’on veut”. Aujourd’hui, tout le monde se rend compte de cette réislamisation. Sauf qu’à l’époque, on était taxé de turcophobe si on osait dénoncer cela.
Quelles sont les réactions de la société turque ? Quels pourraient être, à terme, les conséquences de ces réformes sur la population ?
La société turque est très divisée, et les réactions seront très mitigées. Il y a trois grandes parties. Il y a des occidentalistes, des démocrates et des classes plutôt aisées à l’Ouest qui votent massivement pour les kémalistes. Le groupe le plus important - à peu près 50 à 60% de la population électorale - est composé des pro-Erdogan. Le troisième groupe est celui des Kurdes, qui ne sont ni kémalistes, ni islamistes.
Atlantico
Atlantico : Le gouvernement turc vient de supprimer des programmes scolaires la théorie de l’évolution, jugée contraire aux préceptes du Coran. Comment cette décision vient illustrer ce qu'il se passe actuellement en Turquie? Dans quel cadre général cette réforme vient elle s'inscrire, notamment par rapport au kémalisme ?
Alexandre Del Valle : Ce qui se passe en Turquie est un véritable changement de civilisation, pour reprendre les termes mêmes utilisés par Recept Erdogan et son premier ministre lors du dernier référendum. C’était une déclaration intéressante car, pour une une fois, celle-ci était franche. Les dirigeants turcs ont montré leur véritable visage : ultranationalistes, anti-occidentales et néo-islamistes. Ils veulent totalement rompre avec la civilisation occidentale, le rationaliste occidentale et la laïcité occidentale, imposée par Atatürk qui est vu de facto comme un traître.
C’est le retour d'une Turquie à sa tradition islamique. D’ailleurs, on parle en Turquie de "néo-ottomanisme". C’est quelque chose de tout à fait assumé. L'objectif de la Turquie est de retrouver ses racines, et renouer avec la loi musulmane. C’est un premier pas vers une islamisation progressive du système de l’enseignement. Ce n’est pas la conséquence d’un système ; ce n’est que le début. Ça ne fait que commencer. Ce que je dis depuis 2002, après l’accès d’Erdogan au pouvoir, c’est qu’il se profile une mutation d’une Turquie laïque à une Turquie néo-Ottomane, et post-kémaliste. L’arrivée d’Erdogan, c’est la revanche de tous ceux qui n’avaient pas digéré la laïcité imposée par “l’athé Atatürk”. C’est la revanche des masses musulmanes qui se sentent humiliées, et écrasées.
Quels sont les autres exemples de réformes permettant de construire cette "nouvelle Turquie" ? L'arrivée de l'AKP au pouvoir en 2002 était elle annonciatrice, dès le départ, d'un tel renversement ?
De très nombreux juges, enseignants, intellectuels et opposants kémalistes ont été persécutés depuis des années. Les grands journaux kémalistes ont subi des chasses aux sorcières. On a plein d’exemples de personnes qui ont été évincées, pourchassées et remplacées ensuite par leurs homologues islamistes. C’est phénomène loin d'être nouveau, et qui date depuis les années 2005-2007. Dès 2002, j’annonçais qu’Erdogan était un faux modéré. Que c’était un vrai islamiste, et un proche des frères musulmans. Il fait croire qu’il est modéré pour amadouer les Européens et Américains. Il se fait passer pour un pro-occidental pour en fait renverser les kémalistes. La première phase de la stratégie d’Erdogan est de se dire l’ami de l’Occident pour en utiliser ses règles démocratiques contre ses opposants. Une fois la phase de l’anti-kémaliste passée (ces derniers perdent la présidence en 2008), Erdogan a commencé à révéler sa vraie face, beaucoup moins démocratique et beaucoup plus islamique. La démocratie n’était qu’un moyen, et jamais une fin. Dans un de ses célèbres discours, il annonce que la “démocratie est comme un tramway ; on s’arrête à l’étape que l’on veut”. Aujourd’hui, tout le monde se rend compte de cette réislamisation. Sauf qu’à l’époque, on était taxé de turcophobe si on osait dénoncer cela.
Quelles sont les réactions de la société turque ? Quels pourraient être, à terme, les conséquences de ces réformes sur la population ?
La société turque est très divisée, et les réactions seront très mitigées. Il y a trois grandes parties. Il y a des occidentalistes, des démocrates et des classes plutôt aisées à l’Ouest qui votent massivement pour les kémalistes. Le groupe le plus important - à peu près 50 à 60% de la population électorale - est composé des pro-Erdogan. Le troisième groupe est celui des Kurdes, qui ne sont ni kémalistes, ni islamistes.
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