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CHU Henri Mondor bien loin des Présidentielles

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  • CHU Henri Mondor bien loin des Présidentielles

    Pour changer un peu , petite visite d'un CHU en région parisienne , à Henri Mondor à Créteil plus précisèment où le quotidien doit faire face non pas à de belles et vagues promesses électorales mais à prendre soin et à gérer la vie de cette immense ruche que peut être un CHU et pourtant ils en auraient des revendications à émettre auprès des candidats.

    ==

    De guerre lasse, il s'est redressé de son brancard, a ôté la blouse de papier trop courte pour ses jambes dénudées et a commencé à se rhabiller, avec des gestes épuisés. "Je craque, ça fait six heures que j'attends. J'ai un début d'hémiplégie, mais on m'a dit que c'était pas grave..." "Vous avez fait un petit accident vasculaire, cela peut être beaucoup plus grave, parlemente un interne. Ma collègue neurologue va arriver, ne vous inquiétez pas." L'homme fixe intensément son interlocuteur, comme pour sonder sa sincérité. "Bon ben, alors je vais rester, mais pas plus d'une heure ou deux..."

    Soir ordinaire aux urgences du Centre hospitalier universitaire (CHU) Henri-Mondor de Créteil, dans le Val-de-Marne. Quand vient le crépuscule et qu'affluent les admissions, l'attente d'incompréhensible devient douloureuse. Dans ce recoin du service, ils sont six malades, exposés aux regards, leurs brancards alignés à se toucher, les uns prostrés ou assoupis, les autres assis ou même à faire les cent pas. Dans un long couloir, quatre personnes âgées sous perfusion . "Faute de lits, beaucoup de patients passent la nuit sur des brancards, dans des conditions parfois indignes, soupire le docteur Bertrand Renaud, chef de service. Alors, on essaie d'organiser au mieux la désorganisation actuelle..."

    Les urgences sont le thermomètre du CHU. La petite porte d'entrée, qui peut gripper un système d'hospitalisation d'ordinaire bien huilé. En vingt ans, le nombre de lits a baissé dans les hôpitaux, alors que la demande de soins n'a cessé de progresser. Malgré leurs 18 lits d'hospitalisation temporaire, les urgences frisent en permanence l'embolie. Dans ce contexte difficile, aborder l'élection présidentielle apparaît presque incongru aux agents hospitaliers. Praticiens et personnel paramédical ont le sentiment d'être les oubliés de la campagne, comme le reste du monde de la santé, que les candidats se gardent bien d'aborder en profondeur.

    L'équipe du docteur Renaud préfère se concentrer sur sa mission : gérer la pénurie de lits, faire vite et bien avec une capacité d'accueil trop réduite. Sans répit, infirmières et médecins empoignent les brancards, posent des perfusions, palpent les organes douloureux, administrent antibiotiques ou sédatifs. Mélodie Calouin et Nicolas Rueff, infirmière et aide-soignant, font souvent équipe. Elle aime les urgences, parce que "ce n'est pas routinier, on voit régulièrement des pathologies qu'on ne connaît pas". Lui apprécie le côté relationnel avec les malades, en prise directe avec l'état de la société : "Parfois, on fait de l'accueil de SDF. Ces types crèvent la dalle... Tu leur apportes un plateau rempli de bouffe, une demi-heure après, y a plus rien !"

    Aux urgences, une bonne partie du métier consiste à expliquer, sans relâche, pourquoi l'attente se fait si longue, pourquoi les résultats d'examen tardent à arriver, pourquoi on ne peut pas voir un médecin immédiatement. Souvent, ce sont les familles qui posent le plus de problèmes quand elles tentent de passer outre les consignes. Pour un rien, un mot ou un regard, la pression peut très vite monter.

    Nicolas a été victime d'une agression il y a quelques mois : "C'était une meuf qui accompagnait sa copine et faisait sa life depuis plusieurs heures. J'ai essayé de la cadrer et elle m'a mis un pain avant de partir en courant..." Pour le personnel, le plus difficile n'est pourtant pas la violence, qu'il a appris à canaliser, mais bien le sentiment, usant, de n'être pas toujours en mesure de soigner correctement. C'est particulièrement vrai pour les médecins, "qui cumulent les horaires de dingues et se battent comme des chiens pour trouver des places à l'hôpital en passant leur temps à s'engueuler au téléphone", observe Mélodie. Le docteur Mirna Salloum, de garde cette nuit-là, confirme : "Placer des patients dans des lits, c'est le stress quotidien des urgentistes, parfois jusqu'à la souffrance, explique-t-elle entre deux examens de malades. On essaie de forcer les portes auprès des collègues, mais c'est toujours la même réponse : "On ne peut rien faire pour vous." On se sent paralysé et impuissant. On a l'impression de faire de la médecine de brousse dans un milieu très évolué..."

    Aux urgences, un praticien hospitalier travaille entre 60 et 80 heures par semaine, contre 48 heures au maximum en théorie. Le métier est donc loin d'être attractif, d'autant que les mentalités ont changé : la réduction du temps de travail, en 2002, le droit au repos de sécurité après une nuit de garde sont passés par là et les nouvelles générations ne sont plus prêtes à se vouer corps et âme au métier. "Les jeunes médecins ont des exigences de préservation de leur vie privée qui n'étaient pas les nôtres, commente le docteur Renaud. Il y a une ère avant et une ère après les 35 heures."

    Stéthoscope au cou, Memtolom Djassibel achève de rassurer une famille avant de demander conseil à son chef de service à propos d'un nouveau malade. Voilà trois mois que cette interne de 25 ans est en stage aux urgences et elle commence déjà à ressentir un début d'épuisement. "Le rythme est vraiment difficile, je l'accepte car c'est temporaire, mais je ne pourrais pas tenir à temps plein, même si c'est passionnant." "C'est vrai qu'on a un rapport au travail différent, nous, les jeunes générations, admet-elle. J'ai envie de faire de la bonne médecine mais aussi d'avoir une vie de famille. Il faudrait qu'on soit plus nombreux, on serait plus efficace."

    L'hôpital est en convalescence des 35 heures. Négociée à la va-vite, appliquée sans anticipation, la réduction du temps de travail a durablement désorganisé certains services, sans être toujours compensée par les embauches nécessaires. Malgré un véritable effort de recrutement, certains postes restent désespérément vacants, en particulier dans les disciplines contraignantes. Dans le service de chirurgie viscérale du professeur Daniel Cherqui, la pénurie est inscrite dans les murs : avant d'accéder à l'unité de réanimation, dont deux lits sur dix sont fermés faute de soignants, le visiteur traverse l'unité de soins intensifs, où toutes les chambres closes laissent une impression fantomatique.

    Même s'il continue d'aimer "ce métier extraordinaire" qu'est la chirurgie, le professeur Cherqui ressent lui aussi "une insatisfaction due à la dégradation des conditions de travail". Comme ceux des 18 étages d'Henri-Mondor, son service offre de remarquables conditions d'hospitalisation. Mais il pâtit d'une forte concurrence : à l'hôpital, le personnel se détourne des disciplines à haute pénibilité ; à l'extérieur, il se tourne vers les cliniques privées et ses salaires plus attractifs. Pour lui, les pouvoirs publics doivent réagir : "L'hôpital a toujours fonctionné sur la bonne volonté, la passion des personnels soignants, mais nous sommes aujourd'hui à la limite de ce système, plaide-t-il. Il faut mieux valoriser ses métiers et cela passe par une meilleure rémunération."

  • #2
    Frédérique Hamon profite de sa pause pour sortir sa fiche de paie : à 46 ans, "infirmière de classe supérieure, 5e échelon", elle gagne 2 300 euros net, primes comprises. Bien sûr, les 35 heures ont ajouté trois semaines de congé aux cinq semaines réglementaires. Mais Frédérique n'a plus qu'un seul échelon à gravir dans l'ancienneté et ne peut espérer qu'une augmentation de 150 euros d'ici la retraite à 55 ans. Si, encore, elle peut partir à cet âge car elle craint que ce droit ne soit remis en question : "Je ne me vois pas partir à 60 ans : à 55 ans on est déjà éreinté, on ne peut pas aller au-delà. Et puis, je n'ai pas cotisé pour une retraite complémentaire..."

    L'infirmière parle de "découragement", de sentiment de grande fatigue quand le réveil sonne à 5 heures et qu'il faut prendre la voiture pour rejoindre l'hôpital à l'aube. Alors, quand on lui parle du prochain scrutin, elle hausse les épaules : "Royal, elle veut faire du social, c'est bien joli, mais il faut voir aussi les classes moyennes. On est très mal lotis, on n'a pas le droit aux bourses pour les enfants, à rien. Et Sarko qui veut faire payer moins d'impôts aux riches... C'est toujours pareil, c'est nous qui restons les oubliés..."

    Le désenchantement. L'impression, récurrente, que "c'était mieux avant" alors même que le travail, moins rythmé par les repos hebdomadaires, était sans doute plus éprouvant. Comme le reste de la fonction publique, l'hôpital souffre d'un sentiment de maltraitance, qui se ressent particulièrement chez les agents en fin de carrière. Pourtant, à y regarder de plus près, la vocation hospitalière semble encore avoir de beaux jours devant elle. Riche de ces contradictions, l'hôpital est aussi ce lieu où s'exprime, intact, le plaisir de soigner, le bonheur d'être au service du malade, la sensation de remplir, plus que jamais, une mission essentielle de service public.

    Pour s'en convaincre, il suffit de suivre Linda Singh et Brigitte Leoty, aide-soignante et infirmière de gériatrie, apprécier la rapidité et la délicatesse de leurs gestes quand elles changent les personnes âgées incontinentes. De cette tâche ingrate, les deux femmes font presque un moment de grâce, prodiguant les gestes qui réconfortent, les mots qui brisent momentanément la solitude. Il faut entendre, aussi, Phone Phet Kanlagna, ancien brancardier, quand il explique que "le transport des malades est un moment important". "Quand on emmène les patients au bloc, on ressent leur angoisse, alors si on dégage quelque chose de négatif, c'est mauvais pour eux, analyse celui qui est aujourd'hui aide-soignant. Pour moi, c'est dans les petits gestes qu'on prend soin de la personne à tout moment."

    Il faut partager, enfin, l'enthousiasme d'Arnaud Thille, jeune chef de clinique du service de réanimation médicale, passionné par son métier qui associe la clinique et la recherche. Il a beau chercher, ce bosseur acharné ne trouve rien à redire au fonctionnement actuel de l'hôpital, qui assouvit totalement sa soif de connaissances : "Ici, il y a tout en matière d'infrastructure et de têtes pensantes ! Et puis, il y a les pathologies les plus difficiles. Pour nous qui faisons de la recherche, c'est super intéressant. Et pour les patients, c'est parfait, car la médecine, ici, c'est vraiment le top."

    Le service de réanimation impressionne avec ses chambres aux faux airs de vaisseaux de science-fiction. Dans la majorité d'entre elles, des patients, souvent très âgés, dont beaucoup ne reviendront pas de ce dernier voyage. Comme partout dans l'hôpital, le service de réanimation change peu à peu de visage : "Aujourd'hui, nous avons surtout des patients âgés, polypathologiques, très difficiles à prendre en charge, affirme le chef de service, le professeur Christian Brun-Buisson. C'est un changement considérable, qui concerne l'ensemble du CHU."

    Le vieillissement de la population n'est plus théorique à l'hôpital. Près de 20 % des patients ont plus de 75 ans. Un phénomène que le système de soins n'a pas su anticiper. Le CHU dispose bien d'un service de gériatrie aiguë de 34 lits, et de 50 places de réadaptation dites de "soins de suite" mais cette capacité d'accueil est très loin de répondre aux besoins. "Nous avons beaucoup de personnes qui ne peuvent plus se laver, manger ou même déféquer seules, assène le professeur Jean-Louis Lejonc, chef du service gériatrie. Si en plus elles sont isolées et bénéficiaires de l'aide sociale, c'est simple, personne n'en veut. A une époque où la rentabilité s'impose partout, ces patients ne constituent pas un bon créneau." Combien seront-ils, demain, ces patients très âgés qui échouent aujourd'hui à l'hôpital faute de prise en charge adaptée en ville ? Comment feront face les établissements de santé conçus pour répondre à des maladies en phase aiguë et non aux pathologies chroniques du grand âge ?

    Ces questions taraudent le système hospitalier. D'autant qu'elles se couplent avec l'entrée en vigueur de réformes bouleversant le financement et la gestion des établissements. Circonspect, l'hôpital attend aujourd'hui une clarification sur son avenir : "Pour l'instant, nous n'avons pas entendu grand-chose des candidats, alors que c'est un enjeu majeur, estime le docteur Laurent Brochard, président du comité consultatif médical du CHU. Les dernières réformes sont des outils intéressants pour parvenir à une meilleure organisation. Mais il nous faut l'assurance qu'elles n'aboutiront pas qu'à une course aux recettes..."

    Pour le personnel hospitalier, bien décidé à ne rien déroger à sa mission de service public, la balle est maintenant dans le camp des politiques.

    Par Le Monde

    Commentaire


    • #3
      très bel article , juste description
      les urgences médicales font de plus en plus de l'urgence sociale par la prise en charge de sdf ou de personnes âgées isolées ..

      ce qui ajoute à la charge de travail.

      Commentaire

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