La naissance du Hirak, son évolution, les réactions des partis politiques, de la justice, du Palais... le politologue et sociologue Mohamed Tozi analyse pour LaDépêche.ma le mouvement de contestation du Rif, dans une "démarche réflexive que les acteurs ne sont pas sensés aimer" précise-t-il ajoutant que "la temporalité du chercheur n'a rien à voir avec celle du militant ou de l'acteur". Au final, c’est l’image d’un Maroc en mouvement qui apparaît en filigrane.
La situation dans le Rif
Un mouvement social de cette ampleur connaît des cycles. Là on est dans un cycle où la convergence de plusieurs facteurs -la fatigue, l’arrivée des vacanciers, une attitude plus conciliante de l’Etat, quelques initiatives prises- font que les symptômes sont en train d’être circonscrits. Ies problèmes ne sont pas résolus, car ça prend du temps mais ça peut permettre de laisser présager une sortie de crise.
La normalisation de la revendication
Je pense que le plus intéressant c’est ce processus de normalisation de la revendication. Il y a 5 ou 6 mois les journalistes m’appelaient pour me parler de Bouazizi 2 (le vendeur ambulant tunisien qui s’est immolé par le feu en 2010, ce qui a marqué le début du printemps arabe, NDLR), des émeutes…
On est sorti de la logique de l’émeute pour entrer dans la logique de la manifestation et du mouvement social. Le Maroc n’est pas en péril à cause du Rif alors qu’il y a 10 ans ça aurait été le cas. C’est intéressant car ça veut dire que le Maroc a franchi un cap.
Une crise de la médiation
Il y a un phénomène général qui travaille les mouvements sociaux dans le monde qui est une crise généralisée des médiations classiques et une nouvelle forme de l’action qui n’est plus une action collective mais de l’action en groupe, le tout généré par les nouvelles technologies et l’émergence d’un nouveau type d’individu. La façon dont ça fonctionne au Maroc est lié à ses historicités. Le Rif exacerbe certains aspects de ce phénomène ou en atténue d’autres.
Le PJD
Il est dans la mouise! Comme beaucoup de partis politiques et de mouvements sociaux! On se rend compte qu’ils n’avaient pas de prise sur ce mouvement social, c'est le cas des acteurs installés dans le paysage, qu’ils soient dans le système ou en dehors du système, des altermondialistes d’ATTAC au PJD, même Al Adl, alors que pour le 20 Février ou la coordination contre la vie chère, les acteurs classiques avaient pris rapidement la main.
La naissance du Hirak
Il ne faut pas oublier que c’est 8 mois d’actions quotidiennes. En 8 mois d’études, on a un diplôme!
C’est 8 mois de fabrication de slogan, d’écriture d’étendards, d’utilisation des réseaux sociaux… ils sont déjà professionnels de l’action. Il n’y a pas de prise des instances structurées.
Ils n’ont pas eu à le faire dans des meetings ou autres. Dans ce contexte, un parti qui arrive en donnant des leçons, avec son état major qui décide, ses mots d’ordre, ça ne peut pas fonctionner. On est sur un mouvement différent car il est généré par ces 8 mois d’actions. C’est ça la nouveauté de ce Hirak qui porte bien son nom: c’est un mouvement au sens premier du terme, quelque chose qui est en train de se faire, qui est en mouvement. On le voit même dans la confusion des répertoires, des référentiels.
Les leaders du Hirak
Ce qui manque dans ce mouvement c’est qu’il n’y a pas eu assez d’espace de délibération, de discussions. Le mouvement, comme tout mouvement en action, a généré des stratifications qui excluent la délibération. Dès qu’on fait émerger des leaders, on n’est plus dans l’horizontalité. On aurait aimé qu’il y ait plus de dispositifs de débats, de discussions, plus de clarté dans le référentiel contradictoire. On n’a pas donné à voir de la délibération, de la discussion qui restitue le tissu très pluraliste qui est à la base du mouvement.
Les politiques publiques
On ne résout pas les problèmes uniquement par les équipements, la question de la dignité est centrale dans le processus, une restitution de la parole, le droit à la délibération, le droit à la décision. On ne peut pas faire le bonheur des gens sans eux!
Le rôle du roi
Je pense qu’il est resté sur son engagement institutionnel, ce qui est une bonne chose. Même s’il a été beaucoup sollicité pour faire jouer son "pouvoir magique", il a fait jouer les institutions qui fonctionnent.
Il a joué un rôle intéressant dans la normalisation. Je pense que c’est pédagogique: peut être que les gens se disent que ce n’est pas efficace, que ça donne des difficultés aux acteurs mais c’est pédagogique pour le Maroc qui se construit.
Le rôle de la justice
La justice marocaine est dans une phase de mutation structurelle puisque ce n’est plus le ministère de la justice qui gère la justice mais le Conseil de la magistrature où il y a des gens sérieux et respectables. Mais ce Conseil n’a pas encore eu le temps de définir la politique judiciaire du pays, c’est à dire en particulier de réguler la préventive, réguler la qualification des actes, donner des assurances aux juges d’être autonomes et indépendants. On va voir ce que les procès vont donner mais on voit que le ministère public est toujours dans son rôle assez classique, traditionnel, conservateur.
On est là aussi dans l’apprentissage. Il y a des mises à l’épreuve.
La grâce royale
Elle est souhaitable mais qu’elle intervienne au bout du processus! Parce que c’est une vraie mise à l’épreuve de la Justice. Cette parole publique à la fois des victimes, de l’Etat lui même, tout cela rentre dans un processus de normalisation.
S’il y a une arrestation arbitraire puis une grâce arbitraire ça casse un processus politique. Pour qu’on puisse améliorer les choses, il faut qu’elles fonctionnent. Si on convoque la dimension magique des choses, ça ne va pas changer!
La manifestation du 20 juillet
C’est une bonne chose, à condition qu’il n’y ait pas de casseurs. Ce n’est pas une mise au défi de l’Etat, c’est une activité normale. Si elle arrive dans un contexte de retour au calme, de conciliation, qui vient concrétiser une culture de la manifestation pacifique, d’une revendication légitime, ça me semble bien. Plus il y a des gens "non professionnels" qui manifestent, qui trouvent normal de manifester et de revendiquer de façon précise et pacifique, plus le Maroc va avancer.
Le travail des chercheurs
Le Hirak est un terrain passionnant pour la recherche. Ces événements posent des questions: comment Zefzafi a-t-il émergé? Quel apprentissage des forces de l’ordre pendant ces 9 mois avec finalement peu de dérapages? Il nous informe sur beaucoup d’autres choses: les erreurs de communication, la crédibilité des politiques, cette crise de la médiation qui est assez phénoménale… Il a mis en lumière aussi de bonne chose, comme l'entrée des femmes sur la scène de la revendication, dans une région pourtant fermée pour la femme.
le Dépêche
La situation dans le Rif
Un mouvement social de cette ampleur connaît des cycles. Là on est dans un cycle où la convergence de plusieurs facteurs -la fatigue, l’arrivée des vacanciers, une attitude plus conciliante de l’Etat, quelques initiatives prises- font que les symptômes sont en train d’être circonscrits. Ies problèmes ne sont pas résolus, car ça prend du temps mais ça peut permettre de laisser présager une sortie de crise.
La normalisation de la revendication
Je pense que le plus intéressant c’est ce processus de normalisation de la revendication. Il y a 5 ou 6 mois les journalistes m’appelaient pour me parler de Bouazizi 2 (le vendeur ambulant tunisien qui s’est immolé par le feu en 2010, ce qui a marqué le début du printemps arabe, NDLR), des émeutes…
On est sorti de la logique de l’émeute pour entrer dans la logique de la manifestation et du mouvement social. Le Maroc n’est pas en péril à cause du Rif alors qu’il y a 10 ans ça aurait été le cas. C’est intéressant car ça veut dire que le Maroc a franchi un cap.
Une crise de la médiation
Il y a un phénomène général qui travaille les mouvements sociaux dans le monde qui est une crise généralisée des médiations classiques et une nouvelle forme de l’action qui n’est plus une action collective mais de l’action en groupe, le tout généré par les nouvelles technologies et l’émergence d’un nouveau type d’individu. La façon dont ça fonctionne au Maroc est lié à ses historicités. Le Rif exacerbe certains aspects de ce phénomène ou en atténue d’autres.
Le PJD
Il est dans la mouise! Comme beaucoup de partis politiques et de mouvements sociaux! On se rend compte qu’ils n’avaient pas de prise sur ce mouvement social, c'est le cas des acteurs installés dans le paysage, qu’ils soient dans le système ou en dehors du système, des altermondialistes d’ATTAC au PJD, même Al Adl, alors que pour le 20 Février ou la coordination contre la vie chère, les acteurs classiques avaient pris rapidement la main.
La naissance du Hirak
Il ne faut pas oublier que c’est 8 mois d’actions quotidiennes. En 8 mois d’études, on a un diplôme!
C’est 8 mois de fabrication de slogan, d’écriture d’étendards, d’utilisation des réseaux sociaux… ils sont déjà professionnels de l’action. Il n’y a pas de prise des instances structurées.
Ils n’ont pas eu à le faire dans des meetings ou autres. Dans ce contexte, un parti qui arrive en donnant des leçons, avec son état major qui décide, ses mots d’ordre, ça ne peut pas fonctionner. On est sur un mouvement différent car il est généré par ces 8 mois d’actions. C’est ça la nouveauté de ce Hirak qui porte bien son nom: c’est un mouvement au sens premier du terme, quelque chose qui est en train de se faire, qui est en mouvement. On le voit même dans la confusion des répertoires, des référentiels.
Les leaders du Hirak
Ce qui manque dans ce mouvement c’est qu’il n’y a pas eu assez d’espace de délibération, de discussions. Le mouvement, comme tout mouvement en action, a généré des stratifications qui excluent la délibération. Dès qu’on fait émerger des leaders, on n’est plus dans l’horizontalité. On aurait aimé qu’il y ait plus de dispositifs de débats, de discussions, plus de clarté dans le référentiel contradictoire. On n’a pas donné à voir de la délibération, de la discussion qui restitue le tissu très pluraliste qui est à la base du mouvement.
Les politiques publiques
On ne résout pas les problèmes uniquement par les équipements, la question de la dignité est centrale dans le processus, une restitution de la parole, le droit à la délibération, le droit à la décision. On ne peut pas faire le bonheur des gens sans eux!
Le rôle du roi
Je pense qu’il est resté sur son engagement institutionnel, ce qui est une bonne chose. Même s’il a été beaucoup sollicité pour faire jouer son "pouvoir magique", il a fait jouer les institutions qui fonctionnent.
Il a joué un rôle intéressant dans la normalisation. Je pense que c’est pédagogique: peut être que les gens se disent que ce n’est pas efficace, que ça donne des difficultés aux acteurs mais c’est pédagogique pour le Maroc qui se construit.
Le rôle de la justice
La justice marocaine est dans une phase de mutation structurelle puisque ce n’est plus le ministère de la justice qui gère la justice mais le Conseil de la magistrature où il y a des gens sérieux et respectables. Mais ce Conseil n’a pas encore eu le temps de définir la politique judiciaire du pays, c’est à dire en particulier de réguler la préventive, réguler la qualification des actes, donner des assurances aux juges d’être autonomes et indépendants. On va voir ce que les procès vont donner mais on voit que le ministère public est toujours dans son rôle assez classique, traditionnel, conservateur.
On est là aussi dans l’apprentissage. Il y a des mises à l’épreuve.
La grâce royale
Elle est souhaitable mais qu’elle intervienne au bout du processus! Parce que c’est une vraie mise à l’épreuve de la Justice. Cette parole publique à la fois des victimes, de l’Etat lui même, tout cela rentre dans un processus de normalisation.
S’il y a une arrestation arbitraire puis une grâce arbitraire ça casse un processus politique. Pour qu’on puisse améliorer les choses, il faut qu’elles fonctionnent. Si on convoque la dimension magique des choses, ça ne va pas changer!
La manifestation du 20 juillet
C’est une bonne chose, à condition qu’il n’y ait pas de casseurs. Ce n’est pas une mise au défi de l’Etat, c’est une activité normale. Si elle arrive dans un contexte de retour au calme, de conciliation, qui vient concrétiser une culture de la manifestation pacifique, d’une revendication légitime, ça me semble bien. Plus il y a des gens "non professionnels" qui manifestent, qui trouvent normal de manifester et de revendiquer de façon précise et pacifique, plus le Maroc va avancer.
Le travail des chercheurs
Le Hirak est un terrain passionnant pour la recherche. Ces événements posent des questions: comment Zefzafi a-t-il émergé? Quel apprentissage des forces de l’ordre pendant ces 9 mois avec finalement peu de dérapages? Il nous informe sur beaucoup d’autres choses: les erreurs de communication, la crédibilité des politiques, cette crise de la médiation qui est assez phénoménale… Il a mis en lumière aussi de bonne chose, comme l'entrée des femmes sur la scène de la revendication, dans une région pourtant fermée pour la femme.
le Dépêche
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