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Boualem Khalfa au miroir d'Henri Alleg

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  • Boualem Khalfa au miroir d'Henri Alleg

    En guise d'hommage à Boualem Khalfa, figure de proue de "La grande aventure d'Alger Républicain", cette interview que j'avais réalisée en 2004 pour Le Quotidien d'Oran pour les besoins d'un "spécial 50 anniversaire du 1er novembre 1954".
    Le regretté Henri Alleg à qui j'ai rendu visite chez lui à Palaiseau revisite les temps forts du vécu du journal pendant le temps colonial. Et fait valoir, en deux exemples, le professionnalisme de Boualem Khalfa : "un reportage poignant sur la "villa des oiseaux", sinistre lieu de torture durant les terribles journées de mai 1945" et une "enquête sur un raid des gendarmes contre le village de Sid Ali Bounab" qui a valu à Boualem une lourde condamnation.
    Alger Républicain : Seul face à la presse ultra

    Il a payé le prix fort : saisies, interdiction, mort au champ d'honneur de nombre de siens. Mourad Ait-Saada, Henri Maillot, Abderrahmane Benzine, frère de Hamid, Kader Choukhal, Georges Rafini, Abdelkader Benamara, etc. Seul face à l'Echo d'Alger, la Dépêche algérienne (puis La Dépêche quotidienne), l'Echo d'Oran et La Dépêche de Constantine, Alger Républicain a résisté. Avant d'être réduit au silence en septembre 1955. Il reparaît à l'indépendance pour une nouvelle aventure stoppée par le coup de force du 19 juin 1965. Son directeur, Henri Alleg, victime de "la question", relit pour Le Quotidien d'Oran quelques pages de cette histoire.

    Le Quotidien d'Oran: "La grande aventure d'Alger Républicain », pour reprendre le titre de votre livre (1), commence en octobre 1938 à Bab El-Oued. Comment fait-il son entrée dans un paysage médiatique dominé par la presse coloniale (2)

    Henri Alleg : A sa naissance, Alger Républicain est un journal de gauche au sens français. Sa ligne est illustrée par les articles d'Albert Camus : une critique en règle des inégalités, de l'exploitation et de la misère sociale. Un de ses papiers les plus célèbres dénonce la situation de famine en Kabylie. Une démenti éditorial cinglant à la presse coloniale qui, à longueur de colonnes, fait la réclame de l' »Algérie sans problèmes ». Du point de vue de l'effectif, le journal rassemble à la fois des français version Camus et des algériens issus de couches sociales aisées.

    Politiquement, quel ton imprime-t-il à ses colonnes ?

    Il reflète le contexte général. Nous sommes au temps du Front populaire, une période où l'idée d'assimilation est forte. On ne parle pas encore d'indépendance. Interdit de parution au lendemain de la capitulation de Vichy, le journal reparaît en février 1943 dans la continuité d'Alger Républicain de 1938. Mobilisé alors dans la lutte contre le nazisme, il évoque très peu les revendications des algériens. Ce n'est qu'à partir de 1945 qu'il commence à faire sienne les préoccupations des algériens.

    Pour autant, il est peu prolixe sur la répression du 8 mai 1945. Silencieux le 9, il en fait état le 10 en se contenant du communiqué du gouvernement général. Il revient sur le sujet le 14 sous forme de dépêche d'agence..

    Dire que le journal s'est détourné des événements ne correspond pas à la réalité. Au sortir de la guerre, la censure, encore très forte, le prive d'un exercice normal. Dès le 8 mai, il est placé sous haute surveillance. Militaires et administration coloniale mettent tout en œuvre pour que rien ne se sache. Ni sur l'ampleur de la manifestation ni sur la gravité de la répression. Le journal a fait de son mieux pour informer ses lecteurs.
    Le rédacteur en chef, Michel Rouzet, est parti en vain sur les lieux, son reportage n'ayant pas échappé à la censure (3). Les événements provoquent un changement éditorial. Car, à partir de cette date, "Alger Rep" devient, parmi la presse généraliste (4), le seul titre à défendre les travailleurs, à se faire l'écho des revendications des populations. Ses colonnes se font l'écho d'une autre Algérie.

    Il défend Messali et Abbas, dénonce la répression et réclame la libération des détenus, l'abandon des poursuite et l'acquittement des personnes arrêtées. Boualem Khalfa publie un reportage poignant sur la "villa des oiseaux", sinistre lieu de torture durant les terribles journées de mai 1945. Quand la presse colonialiste n'en souffle mot, Alger Républicain choisit de publier les témoignages des suppliciés. Le journal fait une grande publicité au rapport du général Paul Tubert sur les évènements. Ancien maire d'Alger, homme complètement à l'opposé des Borgeaud , il est revenu de Sétif avec des enseignements qui contredisent les conclusions officielles.

    Le changement dont vous parlez se précise à partir de quel moment ?

    Il commence à se dessiner dans les années 1947-48. A partir de cette date, Alger Républicain acquiert une place à part aux yeux des algériens. Il s'ouvre à tous les courants du mouvement national. Messali Hadj et Bachir Ibrahimi y publient des tribunes libres, d'autres y apparaissent au travers de la couverture de leurs activités. Les exemples de cet engagement éditorial sont nombreux : le journal dénonce la fraude électorale de 1948, rend compte, quasi quotidiennement, du moindre acte de répression et des luttes sociales. En septembre 1949, une enquête de Boualem Khalfa sur un raid des gendarmes contre le village de Sid Ali Bounab vaut une lourde condamnation à son auteur. Avec les années cinquante, cette ligne s'affirme de plus en plus, faisant d'Alger Rep le journal de l'union nationale contre le colonialisme. L'imprimerie de la SNEP, située au siège du journal Boulevard Laferrière (Khemisti), servira à l'impression des journaux du MTLD, de l'UDMA.

    Comment se décline le 1er novembre dans les colonnes du journal ?

    Contrairement à ce qui a été dit par certains, le journal n'a jamais condamné le mouvement. C'est un mensonge absolu. Il n y a qu'à reprendre la collection. L'éditorial du 2 novembre se passe de commentaire. Pas la moindre trace d'une condamnation des actions du 1er novembre. Pas le moindre signe d'étonnement comme on l'a laissé entendre ici et là. Bien au contraire. "Pendant de longues années, écrivions-nous, les hommes au pouvoir ont cru qu'il suffisait de nier le problème -- le fait colonial -- pour qu'il ne se pose pas. Puis, comme il se posait, ils ont cru que la violence règlerait les choses. Mais rien n'y fit : ni la politique de l'autruche ni celle de la mitrailleuse (...) aujourd'hui, rien de semblable ne règlera le problème. Ni des renforts de parachutistes et de police annoncés dans les communiqués officiels ni les arrestations de militants progressistes". La solution est "dans la reconnaissance de l'existence du problème algérien (...) dans la fin des méthodes de coercition et de répression".

    En fait de condamnation des actions de novembre, Alger Républicain s'en est pris aux premières mesures de Paris : déclaration de guerre, dissolution du MTLD et nombreuses arrestations dans ses rangs. Le 8 novembre, j'ai signé un édito dans ce sens, ce qui nous a valu une saisie immédiate. Une copie de remplacement pour assurer une présence du journal dans les kiosques subit le même sort. Moins d'une semaine après le début de l'insurrection le journal est dans le collimateur. Le 24 novembre, je suis condamné pour trois mois à cause de l'éditorial du 8 novembre.
    Incarcéré à Barberousse (Serkadji), où je retrouve nombre de militants, je suis élargi avant terme.

    Reste qu'à la lecture des numéros de novembre 54, tout se passe comme si Alger Rep est confronté à un souci de lisibilité. S'il ne met pas de gants pour dénoncer la répression, il donne bien l'impression d'un journal surpris par l'actualité.

    Le manque de lisibilité tient moins à l'événement qu'aux acteurs qui en ont été à l'origine. Ils étaient nombreux en Algérie à ce moment à s'interroger sur l'identité de ses précurseurs. Dans les premières semaines, il n'était pas aisé de dire quelles en étaient la portée et les perspectives. La difficulté à appréhender, dans les premiers jours, la nature du mouvement ne nous a pas empêchés de souligner que la non-satisfaction des revendications nationales était bien la cause du mouvement. Pendant les six premiers mois de 1955, nous avons ouvert nos colonnes aux forces du mouvement national. Nous l'avons fait en dépit des entraves.

    Les saisies ?

    Pas seulement. Les saisies ne sont que la forme la plus brutale de la répression qui frappait le journal. En point de mire depuis sa naissance, Alger Républicain le sera davantage avec la promulgation de la loi sur l'état d'urgence. Le 21 avril 1955, sous prétexte de "contrôle des informations", le ministre résident, Jacques Soustelle, instaure la censure. Pour les journalistes et les autres personnels du journal, la préparation des éditions quotidiennes devient une mission des plus pénibles.
    Tous les soirs avant le bouclage, des policiers prennent position sur l'Avenue Pasteur (entrée de l'imprimerie) dans l'attente d'instructions du préfet. On a connu des situations ubuesques : des policiers venus en début de soirée, arrêté en mains, saisir un journal non encore bouclé.
    Le ministre de l'intérieur, Maurice Bourgès-Maunoury, ne cachait pas, en aparté, que les mesures répressives à l'encontre de la presse visait notre journal. Nous avions beau nous livrer à une gymnastique lexicale, rien n'y fit. Récurrentes dès le printemps, elles vont se multiplier pendant l'été. Les trois préfets se, Alger, Oran et Constantine, se mettent de la partie. Alger Rep est indésirable dans toute l'Algérie. Après avoir été le "journal des arabes", il est, depuis 1954, "le journal des fellaghas".
    La machine est désormais enclenchée pour le faire taire. Cible toute indiquée, les correspondants sont particulièrement intimidés. Sous l'effet de la répression, nombre d'entre eux décrochent pour rejoindre les maquis.

    La pression de l'été est annonciatrice de l'interdiction.

    Elle intervient le 12 septembre 1955. Dix mois après l'interdiction du MTLD, l'administration du gouvernement général prend une mesure similaire à l'égard du Parti communiste algérien et de toutes ses « filiales ». Cet énoncé n'exclut pas Alger Républicain. On a beau soutenir, arguments judiciaires à l'appui, qu'Alger Rep et le PCA font deux, les autorités ne l'entendent pas de cette oreille. Le journal est réduit au silence. Victimes de l'arbitraire colonial, ses équipes se dispersent : les uns rallient les maquis, d'autres - ceux restés en ville - plongent dans la clandestinité.

    Après avoir longtemps « manié » la plume ou la morasse, certains tomberont les armes à la main au champ d'honneur...

    Parmi eux Abderrahmane Benzine, frère de Hamid, Henri Maillot dont on connaît l'histoire, Mourad Ait-Saada, Geroges Rafini, Abdelkader Choukhal, Kader Benamara, Amar Khalouf.

    (1) Boualem Khalfa, Henri Alleg, Abdelhamid Benzine : La grande aventure d'Alger-Républicain. Editions Messidor. 1987.
    (2) Les principaux titres sont La dépêche Algérienne interdit en 1945 pour collaboration avec le nazisme, L'Echo d'Alger, La Dépêche quotidienne, Le Journal d'Alger, L'Echo d'Oran, La Dépêche de Constantine
    (3) Le texte de Rouzet n'a pas été publié du fait de la censure. Il a servi à une intervention lors d'une réunion politique.
    (4) Hors presse généraliste dominée par les titres coloniaux, on compte la presse du mouvement national (journaux du PPA/MTLD, de l'UDMA, des Oulémas et du PCA)
    HuffPost Algérie
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    On peut constater que la vie professionnelle et militante de Boualem Khalfa se confondait avec le le parcours d'"Alger républicain", le journal anti-colonialiste.
    Dernière modification par Slimane53, 21 juillet 2017, 19h44.

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