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"La Pologne se transforme en pays autoritaire et anti-démocratique"

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  • "La Pologne se transforme en pays autoritaire et anti-démocratique"

    En dépit des avertissements de l'UE, les députés ont voté une réforme de la Cour suprême qui réduira l'indépendance de la justice. Explications du politologue Georges Mink.

    Des dizaines de milliers de Polonais sont descendus dans la rue jeudi pour protester contre la réforme judiciaire votée jeudi 20 juillet par les députés. Par cette réforme, le parti au pouvoir Droit et Justice (Pis) fragilise un peu plus encore l’indépendance du système judiciaire, au risque de mettre en péril l’Etat de droit

    L'exécutif disposera désormais d’une forte influence sur la Cour suprême : une nouvelle étape vers l’autoritarisme. Le parlement polonais a ignoré la mise en garde de la Commission européenne, qui avait sommé Varsovie, mercredi 19 juillet, de "mettre en suspens" ses réformes du système judiciaire.

    Georges Mink, sociologue et politologue spécialiste des systèmes sociaux et politiques des pays d’Europe centrale et orientale, analyse ce choix politique très inquiétant en Europe.

    Qu’est-ce que le vote de cette réforme judiciaire montre de la stratégie du parti Pis ?

    Le parti Droit et justice (Pis) a été élu démocratiquement, mais ne possède pas la majorité constitutionnelle de deux tiers. Les députés ne peuvent donc pas s’attaquer directement à la Constitution et la changer en fonction de leurs objectifs politiques. Ils sont en quelques sortes obligés de bricoler, comme avec cette réforme judiciaire.

    Leur objectif consiste à déshabiller les institutions politiques de tout contrôle démocratique. Ils ont dans un premier temps enlevé toute possibilité de jugement autonome au tribunal constitutionnel, l’instance centrale qui décide de la conformité entre les lois et la Constitution. La grande majorité de ses membres est en effet dévouée à leur cause et même désignée par eux.

    Dans un second temps, Pis tente d’ôter toute autonomie et indépendance au système judiciaire dans son ensemble. Il cherche à bafouer l’un des principes fondamentaux des démocraties modernes, la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. La réforme qui vient d’être votée va démettre de leurs fonctions tous les juges du conseil national et de la Cour suprême, et les remplacer par ceux désignés par le Parlement.

    Or cette impression d’indépendance est très artificielle car, même si Pis n’a pas la majorité des 3/5e, il peut s’allier avec le parti satellite Kukiz’15, qui vote à 80% dans le sens de Droit et Justice. Donc cette nomination par le Parlement est un leurre. Toute la fonction judiciaire sera entre les mains de Pis.

    Le parti a clairement défié la Commission européenne, qui l’avait pourtant mis en garde. Que peut désormais faire cette dernière pour préserver l’Etat de droit ?

    Menacer l’Etat de droit revient à bafouer les normes et les règles consignées dans les traités de l’Union européenne. La Commission peut donc déclencher une procédure de surveillance de l’Etat de droit - procédure dont fait déjà l’objet la Pologne depuis 2016, lorsque Pis a pris le contrôle du tribunal constitutionnel. Mais ce vote sonne comme un nouveau défi, car le parti a montré qu’il n’avait que faire de l’injonction de l’Union européenne.

    La Commission doit agir. Elle peut donc prononcer des sanctions financières, à la majorité qualifiée. Mais la menace la plus importante, c’est celle de "l’arme nucléaire" : l’article 7 du traité de l’Union européenne, qui peut aller jusqu'à priver un Etat de ses droits au sein de l’Union européenne, comme le droit de vote au Conseil. Sauf que le vote doit être cette fois-ci unanime et la Hongrie a déjà annoncé qu’elle ne voterait pas contre la Pologne. Cette sanction reste donc peu probable.

    Ce qui est très dommageable également, c’est que la Pologne avait l’image d’un pays extrêmement pro-européen. La population polonaise est d’ailleurs pro-européenne à 70%. Elle ne veut absolument pas sortir de l’UE. Mais ce pays démocratiquement exemplaire se transforme peu à peu en un pays autoritaire et anti-démocratique.

    Il y a pourtant des manifestations dans le pays contre le parti au pouvoir…

    Les réformes de Pis ne se passent effectivement pas sans résistance. Des milliers de personnes se mobilisent et descendent dans la rue. Ce qui est nouveau d’ailleurs, c’est la présence des jeunes. C’est un véritable tournant car ils se rendent compte qu’ils sont directement concernés par l’arbitraire qui va régner dans le domaine judiciaire. La présence de la jeunesse vient renforcer le mouvement social polonais.

    Quel sera le prochain mouvement du parti Pis ?

    Le parti avance petit à petit mais progresse vite. Le prochain obstacle auquel il va se confronter, ce sera sûrement les médias privés et indépendants. C’est grâce à ces médias que la population polonaise est informée de toutes les entorses anti-démocratiques faites au système politique. Les débats autour de cette réforme judiciaire ont par exemple été retransmis par une télé privé, TVN 24, la radio TOK FM, et relayés par les journaux indépendants. Et ça, le parti Pis ne peut pas l’accepter, car c’est précisément ces médias qui font descendre la population polonaise dans la rue. Alors, leur prochain mouvement va probablement consister à trouver le moyen de museler les médias indépendants.

    Propos recueillis par Justine Benoit

    l'OBS
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