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Philippe Migaux (chercheur à Sciences Po): «Mokhtar Belmokhtar est mort»

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  • Philippe Migaux (chercheur à Sciences Po): «Mokhtar Belmokhtar est mort»

    Au Sahel, voilà plus d'un an que le chef jihadiste Mokhtar Belmokhtar ne s'est pas manifesté. En revanche, un autre jihadiste, Iyad Ag Ghali, multiplie les revendications d'attentats. Peut-on parler alors d'une succession, avec un éventuel changement de stratégie ? Philippe Migaux enseigne à Sciences Po Paris et a publié l'an dernier, chez Plon, «Le jihadisme - Le comprendre pour mieux le combattre». Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

    RFI : Parmi les dernières attaques jihadistes au Sahel, il y en a une qui a été particulièrement bien organisée, c’est celle contre la compagnie militaire de Midal près de Tahoua au nord du Niger. Elle a fait cinq morts chez les militaires nigériens. Quel était l’objectif des assaillants ?

    Philippe Migaux : Alors ce qui est intéressant de voir d’abord, c’est que cette attaque n’a été revendiquée que la semaine dernière. En fait, c’est bien l’ancien Aqmi, devenu le Groupe de défense de l’islam des croyants dirigé par Iyad Ag Ghali, qui a fait cette opération. Cette opération, elle a trois buts. Premier but, c’est de montrer que sa capacité de nuisance, elle est passée du simple Mali au Niger. La deuxième chose, c’est qu’il faut frapper les adversaires, dans le cadre présent c’est des militaires d’un régime ennemi, afin d’obtenir une attractivité auprès des populations qui permet de nouveaux recrutements. Et puis enfin, c’est surtout de montrer aux partisans de l’Etat islamique que le Sahel reste le domaine réservé des partisans d’al-Qaïda.

    Donc c’est une façon pour Iyad Ag Ghali de marquer son territoire face à l’Etat islamique ?

    C’est exactement ça, on est dans la dispute entre les deux mouvances jihadistes. Iyad Ag Ghali, il a deux grands succès et un échec qui est relatif. Le premier grand succès, c’est qu’il contrôle aujourd’hui toute la région du nord de Kidal jusqu’à Tinzawaten en Algérie. Il contrôle en fait la partie des Ifoghas touaregs. Les conséquences, c’est qu’avec son ancienne police religieuse du temps de l’émirat islamique la Hisba, il l’a transformé en un service logistique et de renseignement qui lui permet de récupérer de force de l’argent ou de la nourriture auprès des populations, de les empêcher de collaborer avec l’ennemi, les gens de la Minusma, les forces françaises et l’armée malienne. Il obtient par eux des renseignements qui permettent de monter des opérations de harcèlement contre les convois, donc obligeant les forces étrangères ne plus avoir le contact avec les populations et vivre en camp retranché et puis surtout il fait des exemples cruels, en tuant régulièrement des gens présentés comme des collaborateurs de l’adversaire. Il a tué une centaine de civils, principalement des Touaregs, souvent en les égorgeant, et ces exécutions ont été filmées et ces films sont régulièrement présentés dans les campements nomades du nord du Mali. L’autre grand succès, c’est qu’il a dégagé un nouveau jihadisme dans les populations peules et donc entre Mopti, Gao et la région des trois frontières entre le Niger, le Burkina Faso, et le Mali, on a aujourd’hui une implantation de quatre katibats qui crée un second front ce qui permet à Iyad Ag Ghali de se représenter comme le champion du jihado-nationalisme.

    Et comme le successeur en quelque sorte de Mokhtar Belmokhtar dont on a plus de nouvelles depuis plus d’un an. Est-ce qu’il poursuit comme son prédécesseur cette stratégie des frappes à longues distances sur des sites hôteliers, à Bamako, à Ouagadougou, à Grand-Bassam ?

    Alors, c’est là sa faiblesse, c’est que Mokhtar Belmokhtar est mort. S’il était vivant jamais Iyad Ag Ghali ne serait passé en numéro un du nouveau mouvement et la mort de Belmokhtar l’empêche de poursuivre ses opérations à grandes distances qui étaient un des succès d’Aqmi quand il ne réussissait pas ses actions territoriales. On le voit très bien dans l’attaque du complexe hôtelier à Bamako, le 19 juin 2017, la reconnaissance avait été mal faite, les gens ne savaient pas en arrivant qu’il y avait des policiers et des militaires de la Minusma armés qui faisaient partie des touristes venant se baigner. Et jamais une horreur pareille n’aurait été faite du temps de Mokhtar Belmokhtar, on serait arrivé comme d’habitude à 40 otages et à 25 morts et des explosions en pagaille lors de la phase finale de la prise d’otage.

    Là, on a déploré 5 morts, 3 civils et 2 militaires.

    Alors, c’est un affaiblissement pour la stratégie globale, mais est-ce qu’Iyad Ag Ghali a besoin de cette capacité à longue distance ? Son ennemi, ce n’est pas les expatriés français. Sa stratégie est d’obtenir un pouvoir national sur l’ensemble du Mali pour se présenter comme le successeur de l’émirat islamique du nord du Mali à l’époque et déjà il avait annoncé qu’il voulait capturer l’ensemble du Mali dans cet islamo-nationalisme.

    Autres atouts pour Iyad Ag Ghali, ce sont les otages. Il en détient six apparemment, ce sont les six otages présentés lors d’une vidéo mise en ligne le 1er juillet 2017, la veille du sommet du G5 Sahel de Bamako. Est-ce que de ce point de vue il a la même stratégie que Mokhtar Belmokhtar ?

    Bien sûr, les otages, ça sert à obtenir de l’argent. Si on suit la presse, il y aura eu un peu plus de 100 millions d’euros versés entre 2009 et 2012 à Aqmi par les pays occidentaux pour libérer leurs otages. Et cet argent a permis de développer la capacité de nuisance d’al-Qaïda au Maghreb islamique.

    Alors Iyad Ag Ghali, c’est donc al-Qaïda, Aqmi, dans la continuité de Mokhtar Belmokhtar, mais qu’en est-il de l’Etat islamique, l’organisation concurrente. Est-ce qu’elle a une affluence au Sahel ?

    L’Etat islamique est plus important en termes de menace pour les pays du Maghreb qu’al-Qaïda au Maghreb islamique pourtant implanté en Algérie. L’Etat islamique, c’est trois menaces sur le Niger direct, celle qui vient de la Libye, celle qui vient du Mali et Boko Haram et ce sont des menaces à long terme. Donc aujourd’hui, le Niger est le pays le plus visé c’est pour ça par exemple que les services antiterroristes nigériens qui sont efficaces ont décidé, alors que leur base est à Niamey, de créer de nouvelles antennes à Zinder pour lutter contre Boko Haram et à Agadez pour lutter contre les gens qui viennent de Libye. Et c’est aussi pourquoi au Burkina Faso aujourd’hui on se pose des questions sur un groupe qui s’appelle Ansarul Islam et qui pourrait former une petite Katiba en relation avec l’Etat islamique. L’Etat islamique veut créer un nouveau sanctuaire après la chute du protocalifat en Syrie et en Iraq et la zone sahélienne peut être un endroit où peuvent se réfugier des cadres de l’Etat islamique pour lancer demain de futurs attentats en Europe.

    RFI
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