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Maroc : « Les agriculteurs sont devenus rentables pour les banques »

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  • Maroc : « Les agriculteurs sont devenus rentables pour les banques »

    Fort de ses bons résultats financiers, l’établissement public du royaume chérifien prépare à la fois son entrée en Bourse et son expansion africaine.

    Il s’installe tout à son aise, prévient qu’il ne parlera pas de politique, avant de se prêter au jeu des questions-réponses avec une aisance certaine. Tarik Sijilmassi, « Sijel » pour ses amis, travaille au centre de la capitale, Rabat, où il est né en 1964. Mais son regard, lui, se porte sur les campagnes du royaume. Président du directoire du Crédit agricole du Maroc (CAM), il est « le banquier du fellah », figure majeure de la vie économique et de l’inconscient populaire marocain. Diplômé de HEC, Sijilmassi est dans la banque depuis trente ans. Il entre au CAM en 2001 et en prend les rênes dès 2003. Ses missions : soigner l’image de la banque, gagner de nouveaux clients et rationaliser l’offre.

    Une mission à laquelle, selon beaucoup, il s’est employé avec un succès certain. Aujourd’hui, le groupe bancaire – détenu à 75 % par l’État, à 15 % par les assureurs Mamda-MCMA et à 10 % par la Caisse de dépôt et de gestion – que ce fils de diplomate préside se porte plutôt bien.

    « Nous sommes la quatrième banque par le total des bilans sur le plan national, notre produit net bancaire (PNB) est de 3,5 milliards de dirhams (308 millions d’euros) et nous avons deux millions de clients, dont 70 % de ruraux au sens large du terme. Nous ouvrons 400 000 à 450 000 nouveaux comptes chaque année et nous espérons toucher 4 à 5 millions de ruraux d’ici à 2021 », énumère le dirigeant, avant de préciser que son établissement pourrait « réaliser des bénéfices trois fois plus importants [s’il n’avait] pas de mission de service public ».

    Fort de ses résultats, le CAM, présenté comme l’un des principaux financeurs du Plan Maroc vert, lancé en 2008, nourrit de nouvelles ambitions : étendre son champ d’action au sud du Sahara en partageant son expertise avec les banques de cette zone. Rencontre.

    Jeune Afrique : Autrefois déficitaire, votre groupe a retrouvé progressivement le chemin de la rentabilité, en témoignent vos résultats de 2016 et du premier trimestre de 2017. Qu’est-ce qui vous a permis de redresser la barre ?

    Tarik Sijilmassi : Lorsque j’ai pris mes fonctions, nos agences situées en zone rurale se concentraient essentiellement sur leur mission de service public, et cela avait un impact négatif sur la rentabilité de la banque. Aujourd’hui, grâce à un modèle de banque multi*canale, le ratio de rentabilité de ces zones est supérieur à celui des grandes villes, où nous sommes en concurrence avec d’autres banques. Concrètement, nous avons découpé notre activité en fonction du profil de nos clients : nous proposons aux petits agriculteurs des microcrédits à travers la fondation Ardi, tandis que les services de Tamwil Al Fellah, notre filiale de « méso-crédit », que nous gérons en partenariat avec l’État, s’adressent aux moyennes exploitations non éligibles au financement bancaire classique.

    Nous avons des accords avec une quinzaine de banques subsahariennes
    Enfin, il y a le financement de l’agrobusiness, et avec lui on peut dire qu’une révolution s’est opérée. Depuis quelques années, nous n’avons plus seulement une clientèle qui présente un profil de risque assez élevé. Les agriculteurs sont devenus une population intéressante pour l’activité bancaire classique. Nous essayons de maintenir un équilibre entre ces différentes cibles, ce qui nous permet d’être dans une bonne situation financière.

    Le gouvernement a lancé en avril la deuxième phase du Plan Maroc vert, dont vous êtes l’un des principaux financeurs. Objectif : générer 42 milliards de dirhams de chiffre d’affaires supplémentaire à l’horizon 2021. Quel rôle allez-vous jouer dans ce dispositif ?

    Ces dernières années, des quantités de plus en plus grandes de produits agricoles arrivent sur le marché, ce qui a entraîné des baisses de prix. C’est un témoignage de la bonne réussite du Plan, mais cela indique aussi qu’il faut passer à l’étape suivante, celle des débouchés. Le marché local ne peut pas tout absorber, les produits non transformés se heurtent au protectionnisme de l’Europe.

    La voie qui reste est celle de la création de valeur ajoutée, qui améliore la rentabilité globale de la filière et permet de contourner les quotas européens. Le ministère de l’Agriculture a donc décidé d’attribuer des subventions à sept filières, et le CAM lui emboîte le pas en accompagnant chacune d’elles, de la fourche à la fourchette.

    On vous reproche d’être faibles dans l’offre de produits de prévoyance. Êtes-vous satisfait de votre partenariat avec l’assureur Mamda ?

    La Mamda et le CAM se nourrissent l’un de l’autre. Nous leur envoyons par exemple des clients pour l’assurance sécheresse. Mais je pense qu’aucun de nous deux n’est encore satisfait de notre niveau de coopération. Nous voulons plus parce que nous estimons qu’il y a un potentiel énorme.

    En attendant, lorsque le Maroc traverse une zone de turbulences, la combinaison de l’action de la Mamda et de celle du CAM, avec en toile de fond les dispositions du Plan Maroc vert, permet d’éviter les drames. Ainsi, lors de la dernière sécheresse, la Mamda a déboursé près de 1 milliard de dirhams, l’État a déployé un programme global de 5 milliards de dirhams et le CAM a mis en place des financements spéciaux pour les cultures tardives à hauteur d’environ 1,5 milliard de dirhams. Voilà qui prouve l’efficacité du travail en commun.

    À l’heure où les banques africaines sont engagées dans la course à la digitalisation, quelle est votre politique en la matière ?

    Notre dernier plan d’entreprise fait la part belle à la digitalisation. C’est d’autant plus intéressant pour un établissement comme le nôtre, qui est confronté au problème de l’éloignement géographique de ses clients. Nous sommes en train de monter le concept de « relais digital » : nous mettons en place de toutes petites agences, de 20 m2, avec un ou deux conseillers au maximum, et une interface de visioconférence qui permet d’inter*agir aussi bien avec des conseillers de banque traditionnelle qu’avec des spécialistes de l’agriculture. Les clients peuvent donc réaliser au guichet toutes leurs opérations, de l’ouverture de compte à la demande de crédit. En interne, nous sommes en pleine effervescence : nous passons petit à petit au zéro papier, à la digitalisation du travail…

    Où en est la recapitalisation de la banque annoncée depuis quelque temps ? L’entrée en Bourse est-elle toujours d’actualité ?

    Le CAM s’est battu pour arriver à un niveau de capitaux qui soit conforme à la réglementation. Nous sommes bons en ratios de solvabilité, mais, au Maroc, le secteur bancaire est particulièrement solide et résilient, avec des niveaux de capitalisation qui excèdent largement les prérequis réglementaires. De ce fait, nous souhaitons ne pas nous contenter de ce qu’exigent les textes et cherchons un matelas de sécurité supplémentaire, à l’instar de nos collègues de la place.

    Nos émissions de dette subordonnée passées et à venir nous amènent à une perspective de ratio de solvabilité allant de 13,5 % à 14 %. En ce qui concerne le ratio Tier 1, nous sommes sur un taux de 9 % pile. Et il ne peut se renforcer que par l’injection de fonds propres, ce qui peut passer par l’introduction en Bourse de la banque. Il appartient aux actionnaires d’en décider la date. Ce que je peux vous dire, c’est que nous déployons tous les prérequis nécessaires à cette introduction et pour assurer la protection future du petit épargnant.

    Peut-on dire que l’entrée en Bourse se fera en 2018 ?

    Je table plutôt sur 2019, mais ce n’est pas une annonce. Encore une fois, cela ne dépend pas de moi. Nous, nous travaillons : nous sommes sur un niveau de reporting trimestriel, nous mettons en place les outils internes nécessaires… Et je rappelle que, selon la loi qui institue le CAM, l’État doit rester majoritaire et conserver au minimum 51 % des parts. Nous en avons pour l’instant 75 %, ce qui nous laisse quand même une bonne marge de capitalisation sans qu’il soit besoin de nouvelle réglementation.

    Vous avez fait partie de la délégation du roi Mohammed VI lors de ses dernières tournées africaines. Avez-vous des ambitions au sud du Sahara ?

    Cela faisait quelques années que nous regardions vers le Sud et que nous nous posions des questions fondamentales : nous voulions y aller, bien sûr, mais il fallait savoir comment et pour quoi faire. Trois banques marocaines (Attijari, BMCE et BCP) sont déjà bien installées dans de nombreux pays et elles contrôlent parfois une part de marché significative. Introduire une quatrième banque ne semblait pas forcément pertinent. Il reste cependant un besoin auquel il faut répondre : le financement du monde rural. Les pays subsahariens veulent entamer de sérieux changements dans leur politique agricole, et le besoin d’un accompagnateur financier se fait sentir.

    Sur la digitalisation, nous pourrions nous inspirer de l’Afrique de l’Est.
    Or, le ministère marocain de l’Agriculture a déployé l’initiative « triple A », pour « adaptation de l’agriculture africaine », et nous avons décidé d’être partenaires de cette initiative. Pour nous, il ne s’agit pas de prendre des participations dans des banques locales : nous ne voulons pas endosser la responsabilité de la santé financière de ces établissements. Ce que nous pouvons et voulons faire, c’est conclure des partenariats pour aider à déployer des modèles qui ont fait leurs preuves au Maroc.

    Cette démarche, vous l’avez déjà entamée ?

    Nous avons conclu des accords avec une quinzaine d’établissements. L’idée est de constituer un réseau de banques agricoles africaines qui partageraient leurs bonnes pratiques, pour en exporter certaines et en apprendre d’autres. En matière de digitalisation par exemple, nous pourrions nous inspirer des banques de l’Afrique de l’Est anglophone. C’est comme cela que je vois notre déploiement en Afrique : dans l’expertise et l’accompagnement de projets.

    Nous avons ainsi signé un accord avec la filiale de Natixis Mirova, qui gère quelque 300 millions de dollars octroyés par les Nations unies pour financer des projets dans le cadre de la lutte contre la dégradation des sols. Le CAM sera un vecteur de distribution de ces fonds. Il s’agit là typiquement d’une mission où nous avons notre place. Les bailleurs de fonds intéressés par l’Afrique ne manquent pas. Mais, s’il y a de l’argent, il y a très peu de distribution effective, à cause d’un manque d’efficacité opérationnelle, d’auditabilité… Nous pensons pouvoir apporter notre savoir-faire dans ce domaine.


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