Durant sa scolarité, Kim Jong-un était en Suisse sous un faux nom. Selon des documents inédits des archives fédérales, c’est sa tante qui lui servait officiellement de mère. La même qui fera justement défection le 17 mai 1998. Récit.
Si les Nord-Coréens demandent quoi que ce soit, on fera comme si on n’était «pas au courant de cette défection», indique ce cadre du Département des affaires étrangères suisse dans une note confidentielle du 18 mai 1998, à 9 h 15. Il venait de recevoir un appel urgent du chef du Service de renseignement helvétique: durant la nuit, un diplomate nord-coréen, sa femme et leurs trois enfants, avaient demandé l’asile à l’ambassade des États-Unis à Berne. Ce genre de fuite était rarissime. Et en plus, il ne s’agissait pas de n'importe quels transfuges: dans le plus grand secret, le couple avait été chargé de veiller sur le jeune Kim Jong-un durant sa scolarité en Suisse – celui-là même qui deviendrait plus tard le leader inflexible de l’État le plus fermé au monde. Le même qui ferait monter jusqu’à aujourd’hui la menace nucléaire sur toute la région.
Après des mois de discussions, «Le Matin Dimanche» a reçu l’autorisation d’accéder à des documents jamais exploités des Archives fédérales. Ils permettent de reconstruire l’histoire de cette incroyable fuite, qui, si elle s’était déroulée de façon légèrement différente, aurait peut-être même changé le cours du monde. Ces documents inédits permettent aussi de comprendre à quel point, jusqu’à la fin des années 1990, la Suisse a été la plaque tournante du régime communiste des Kim en Europe. Ils viennent corroborer une série d’entretiens que nous avons menés entre 2012 et 2017 avec quatre anciens agents de renseignements impliqués dans la surveillance des Nord-Coréens, des diplomates, ainsi que d’autres officiels.
Dimanche 17 mai 1998, tard le soir, sans avertir qui que ce soit, le couple de Nord-Coréens réunit donc ses deux fils et sa fille, ils montent tous dans un taxi près de leur domicile en banlieue bernoise, en direction de l’ambassade des États-Unis, où ils comptent demander l’asile politique. Le trajet dure cinq longues minutes. Seul le fils aîné est au courant de ce qui se passe. Sur place, le mari explique que sa femme est la belle-sœur de Kim Jong-il. Elle, elle ne parle que coréen et il faut dépêcher un traducteur.
La CIA informait les Suisses
Le fuyard s’appelle Nam-Chol pak, un membre du personnel technique, chauffeur à l’ambassade. Son épouse, qui se cache sous l’identité de Yong-Hye chong, est en réalité Ko Yong-suk, la petite sœur de la maîtresse favorite de Kim Jong-il, alors leader de la République populaire et démocratique de Corée.
Le Service de renseignement suisse est immédiatement informé. «Nous avions de bonnes relations avec les types du FBI et la CIA à Berne et Genève», raconte le chef du contre-espionnage d’alors, Mathias Derungs. Durant toute la journée de lundi, les Américains effectuent des clarifications. Mardi matin, la famille de fuyards passe finalement la frontière helvétique, direction Munich, puis la base militaire de l’US Air Force de Ramstein, où ils sont interrogés durant plusieurs jours, avant d’être envoyés aux États-Unis. La Corée du Nord traversait alors sa pire famine, faisant plusieurs centaines de milliers de morts.
Les enfants de Kim Jong-il
Officiellement, comme l’atteste leur avis d’arrivée en Suisse que nous avons retrouvé, Ko Yong-suk et son mari étaient les parents de Chol, Un et Mi-Hyang, identités sous lesquelles les deux jeunes fils et la fille de Kim Jong-il se cachaient en Suisse. Les vrais enfants du couple, eux, ont été attribués à d’autres «parents» (voir l’infographie). Que se serait-il passé si Ko et son mari avaient, sur un coup de tête, décidé d’embarquer également les cousins? Kim Jong-un ne serait peut-être jamais devenu le leader de la Corée du Nord.
Il faut dire que Ko s’est toujours occupée des enfants de son illustre beau-frère. D’abord de l’aîné, Kim Jong-chol, né en 1980, puis de Kim Jong-un, né le 8 janvier 1984. Ce dernier a presque le même âge que son propre fils. Ko leur a changé les couches ensemble. Et les deux cousins étaient les meilleurs camarades de jeu.
À Pyongyang, c’était la belle vie: ils habitaient tous dans un complexe de maisons. Le futur leader Kim Jong-il en avait une rien que pour lui. À partir de 1991, Ko obtient le droit de faire des allers-retours à Genève, où elle est accréditée auprès de l’ONU. En 1994, alors que le grand-père Kim Il-sung est sur le point de mourir et que Kim Jong-il s’apprête à lui succéder, la famille s’installe de façon permanente à Berne.
Sous le faux nom de Chol Pak, Kim Jong-chol est inscrit à l’International School of Berne, une école privée, prisée par les enfants de diplomates. Le fils de l’ambassadeur nord-coréen y va aussi. En 1996, le jeune Kim Jong-un, alors âgé de 12 ans, les rejoint de façon sporadique dans la même école sous le nom de Un Pak. Il est, semble-t-il, aussi scolarisé à la maison. Les autres enfants fréquentent l’école publique de Liebefeld, où Kim Jong-un ira aussi, après la défection de son oncle et sa tante, entre août 1998 et janvier 2001.
Les Nord-Coréens vivent à Liebefeld près de Berne dans six appartements à la Kirchestrasse 10. Ils les ont achetés pour un peu plus de 4 millions de francs, peu après leur construction en 1989. L’immeuble dispose de tous les équipements qu’il faut, mais n’a rien de luxueux. Ko et son mari gèrent le quotidien avec la gouvernante, Mme Mun, 45 ans, et la cuisinière Mme Cho, 50 ans. D’autres adultes gravitent autour de ce petit monde, parfois avec de faux passeports brésiliens ou portuguais. Trois voitures diplomatiques sont dans le garage souterrain.
Après leur fuite, Ko et son mari se sont tus durant presque vingt ans. Ils n’ont brisé leur silence qu’une seule fois, lors d’un entretien avec la journaliste Anna Fifield, du Washington Post, en avril 2016. Elle a partagé avec nous ses notes, dont de nombreux détails n’ont jamais été publiés.
«On vivait dans une maison normale et on se comportait comme une famille normale, dit la tante. Je jouais le rôle de mère. Des amis venaient à la maison et on faisait le goûter. Une enfance normale, avec des fêtes d’anniversaire, des cadeaux et des enfants suisses qui venaient jouer.»
Euro Disney et ski à Berne
À Berne, une vingtaine de Nord-Coréens font partie de la représentation diplomatique. Ils mangent de la nourriture coréenne et parlent coréen à la maison. Mais ils profitaient aussi du mode de vie européen. Ko explique par exemple qu’elle a emmené Kim Jong-un et ses propres fils à Euro Disney à Paris et qu’ils partaient souvent skier dans l’Oberland bernois ou profiter de la mer au sud de la France. Les services de renseignements suisses, eux, faisaient état d’au moins une réunion de famille dans un hôtel de luxe à Interlaken, dont un étage a été loué toute une semaine.
Malgré cette vie confortable, les enfants étaient toujours impatients de rentrer en Corée du Nord pour les vacances d’été. Kim Jong-un n’avait pas vraiment l’envie de retourner à l’école en Suisse. À Pyongyang, les enfants avaient une grande chambre, une salle de cinéma et une salle de jeux. Kim Jong-un y avait aussi monté une équipe de basket-ball avec des amis. Quand il a commencé à jouer au basket, dit sa tante, c’était presque devenu une obsession. «Il était plus petit que ses copains et sa mère lui a dit que s’il jouait au basket, il deviendrait plus grand.» Au début, Kim Jong-un dormait avec le ballon.
À 8 ans déjà, on lui avait dit qu’il serait en charge du pouvoir un jour. La tante se souvient qu’une cérémonie avec de hauts dignitaires avait même eu lieu. Kim Jong-un disait souvent qu’il ne devait obéir qu’à son père ou sa mère. «C’était impossible de grandir comme un enfant normal, poursuit Ko, les gens le traitaient avec déférence.» A 9 ans, la tante se rappelle l’avoir vu appeler un officier au milieu de la nuit à Pyongyang pour se faire expliquer le fonctionnement d’une flotte militaire.
Le mari de Ko se souvient lui aussi de cette phase où Kim Jong-un était passionné par les modèles réduits de bateaux et d’avions. Il l’emmenait dans un magasin à Berne pour en acheter. «Le jeune Kim Jong-un avait un sacré caractère», raconte l’oncle. Si sa vraie mère, qui préférait le voir étudier, lui ordonnait d’arrêter avec ces sottises, «il ne répondait pas directement, mais était capable de protester en entamant une grève de la faim». Généralement, cet acte de rébellion ne durait pas bien longtemps.
La suite.....................................
Si les Nord-Coréens demandent quoi que ce soit, on fera comme si on n’était «pas au courant de cette défection», indique ce cadre du Département des affaires étrangères suisse dans une note confidentielle du 18 mai 1998, à 9 h 15. Il venait de recevoir un appel urgent du chef du Service de renseignement helvétique: durant la nuit, un diplomate nord-coréen, sa femme et leurs trois enfants, avaient demandé l’asile à l’ambassade des États-Unis à Berne. Ce genre de fuite était rarissime. Et en plus, il ne s’agissait pas de n'importe quels transfuges: dans le plus grand secret, le couple avait été chargé de veiller sur le jeune Kim Jong-un durant sa scolarité en Suisse – celui-là même qui deviendrait plus tard le leader inflexible de l’État le plus fermé au monde. Le même qui ferait monter jusqu’à aujourd’hui la menace nucléaire sur toute la région.
Après des mois de discussions, «Le Matin Dimanche» a reçu l’autorisation d’accéder à des documents jamais exploités des Archives fédérales. Ils permettent de reconstruire l’histoire de cette incroyable fuite, qui, si elle s’était déroulée de façon légèrement différente, aurait peut-être même changé le cours du monde. Ces documents inédits permettent aussi de comprendre à quel point, jusqu’à la fin des années 1990, la Suisse a été la plaque tournante du régime communiste des Kim en Europe. Ils viennent corroborer une série d’entretiens que nous avons menés entre 2012 et 2017 avec quatre anciens agents de renseignements impliqués dans la surveillance des Nord-Coréens, des diplomates, ainsi que d’autres officiels.
Dimanche 17 mai 1998, tard le soir, sans avertir qui que ce soit, le couple de Nord-Coréens réunit donc ses deux fils et sa fille, ils montent tous dans un taxi près de leur domicile en banlieue bernoise, en direction de l’ambassade des États-Unis, où ils comptent demander l’asile politique. Le trajet dure cinq longues minutes. Seul le fils aîné est au courant de ce qui se passe. Sur place, le mari explique que sa femme est la belle-sœur de Kim Jong-il. Elle, elle ne parle que coréen et il faut dépêcher un traducteur.
La CIA informait les Suisses
Le fuyard s’appelle Nam-Chol pak, un membre du personnel technique, chauffeur à l’ambassade. Son épouse, qui se cache sous l’identité de Yong-Hye chong, est en réalité Ko Yong-suk, la petite sœur de la maîtresse favorite de Kim Jong-il, alors leader de la République populaire et démocratique de Corée.
Le Service de renseignement suisse est immédiatement informé. «Nous avions de bonnes relations avec les types du FBI et la CIA à Berne et Genève», raconte le chef du contre-espionnage d’alors, Mathias Derungs. Durant toute la journée de lundi, les Américains effectuent des clarifications. Mardi matin, la famille de fuyards passe finalement la frontière helvétique, direction Munich, puis la base militaire de l’US Air Force de Ramstein, où ils sont interrogés durant plusieurs jours, avant d’être envoyés aux États-Unis. La Corée du Nord traversait alors sa pire famine, faisant plusieurs centaines de milliers de morts.
Les enfants de Kim Jong-il
Officiellement, comme l’atteste leur avis d’arrivée en Suisse que nous avons retrouvé, Ko Yong-suk et son mari étaient les parents de Chol, Un et Mi-Hyang, identités sous lesquelles les deux jeunes fils et la fille de Kim Jong-il se cachaient en Suisse. Les vrais enfants du couple, eux, ont été attribués à d’autres «parents» (voir l’infographie). Que se serait-il passé si Ko et son mari avaient, sur un coup de tête, décidé d’embarquer également les cousins? Kim Jong-un ne serait peut-être jamais devenu le leader de la Corée du Nord.
Il faut dire que Ko s’est toujours occupée des enfants de son illustre beau-frère. D’abord de l’aîné, Kim Jong-chol, né en 1980, puis de Kim Jong-un, né le 8 janvier 1984. Ce dernier a presque le même âge que son propre fils. Ko leur a changé les couches ensemble. Et les deux cousins étaient les meilleurs camarades de jeu.
À Pyongyang, c’était la belle vie: ils habitaient tous dans un complexe de maisons. Le futur leader Kim Jong-il en avait une rien que pour lui. À partir de 1991, Ko obtient le droit de faire des allers-retours à Genève, où elle est accréditée auprès de l’ONU. En 1994, alors que le grand-père Kim Il-sung est sur le point de mourir et que Kim Jong-il s’apprête à lui succéder, la famille s’installe de façon permanente à Berne.
Sous le faux nom de Chol Pak, Kim Jong-chol est inscrit à l’International School of Berne, une école privée, prisée par les enfants de diplomates. Le fils de l’ambassadeur nord-coréen y va aussi. En 1996, le jeune Kim Jong-un, alors âgé de 12 ans, les rejoint de façon sporadique dans la même école sous le nom de Un Pak. Il est, semble-t-il, aussi scolarisé à la maison. Les autres enfants fréquentent l’école publique de Liebefeld, où Kim Jong-un ira aussi, après la défection de son oncle et sa tante, entre août 1998 et janvier 2001.
Les Nord-Coréens vivent à Liebefeld près de Berne dans six appartements à la Kirchestrasse 10. Ils les ont achetés pour un peu plus de 4 millions de francs, peu après leur construction en 1989. L’immeuble dispose de tous les équipements qu’il faut, mais n’a rien de luxueux. Ko et son mari gèrent le quotidien avec la gouvernante, Mme Mun, 45 ans, et la cuisinière Mme Cho, 50 ans. D’autres adultes gravitent autour de ce petit monde, parfois avec de faux passeports brésiliens ou portuguais. Trois voitures diplomatiques sont dans le garage souterrain.
Après leur fuite, Ko et son mari se sont tus durant presque vingt ans. Ils n’ont brisé leur silence qu’une seule fois, lors d’un entretien avec la journaliste Anna Fifield, du Washington Post, en avril 2016. Elle a partagé avec nous ses notes, dont de nombreux détails n’ont jamais été publiés.
«On vivait dans une maison normale et on se comportait comme une famille normale, dit la tante. Je jouais le rôle de mère. Des amis venaient à la maison et on faisait le goûter. Une enfance normale, avec des fêtes d’anniversaire, des cadeaux et des enfants suisses qui venaient jouer.»
Euro Disney et ski à Berne
À Berne, une vingtaine de Nord-Coréens font partie de la représentation diplomatique. Ils mangent de la nourriture coréenne et parlent coréen à la maison. Mais ils profitaient aussi du mode de vie européen. Ko explique par exemple qu’elle a emmené Kim Jong-un et ses propres fils à Euro Disney à Paris et qu’ils partaient souvent skier dans l’Oberland bernois ou profiter de la mer au sud de la France. Les services de renseignements suisses, eux, faisaient état d’au moins une réunion de famille dans un hôtel de luxe à Interlaken, dont un étage a été loué toute une semaine.
Malgré cette vie confortable, les enfants étaient toujours impatients de rentrer en Corée du Nord pour les vacances d’été. Kim Jong-un n’avait pas vraiment l’envie de retourner à l’école en Suisse. À Pyongyang, les enfants avaient une grande chambre, une salle de cinéma et une salle de jeux. Kim Jong-un y avait aussi monté une équipe de basket-ball avec des amis. Quand il a commencé à jouer au basket, dit sa tante, c’était presque devenu une obsession. «Il était plus petit que ses copains et sa mère lui a dit que s’il jouait au basket, il deviendrait plus grand.» Au début, Kim Jong-un dormait avec le ballon.
À 8 ans déjà, on lui avait dit qu’il serait en charge du pouvoir un jour. La tante se souvient qu’une cérémonie avec de hauts dignitaires avait même eu lieu. Kim Jong-un disait souvent qu’il ne devait obéir qu’à son père ou sa mère. «C’était impossible de grandir comme un enfant normal, poursuit Ko, les gens le traitaient avec déférence.» A 9 ans, la tante se rappelle l’avoir vu appeler un officier au milieu de la nuit à Pyongyang pour se faire expliquer le fonctionnement d’une flotte militaire.
Le mari de Ko se souvient lui aussi de cette phase où Kim Jong-un était passionné par les modèles réduits de bateaux et d’avions. Il l’emmenait dans un magasin à Berne pour en acheter. «Le jeune Kim Jong-un avait un sacré caractère», raconte l’oncle. Si sa vraie mère, qui préférait le voir étudier, lui ordonnait d’arrêter avec ces sottises, «il ne répondait pas directement, mais était capable de protester en entamant une grève de la faim». Généralement, cet acte de rébellion ne durait pas bien longtemps.
La suite.....................................
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