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Rachid Benyelles « L’héritage révolutionnaire et la hauteur historique sont des valeurs qui ne résistent pas au tem

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  • Rachid Benyelles « L’héritage révolutionnaire et la hauteur historique sont des valeurs qui ne résistent pas au tem

    Reporters : Vous venez de publier vos Mémoires aux Editions Barzakh. Certains des faits que vous relatez dans votre livre sont connus, d’autres moins ou pas du tout et peuvent être au moins considérés comme des révélations de haute valeur mémorielle. Tout votre récit, cependant, tend à nous imposer une bien inquiétante impression : l’Algérie, depuis 1962, a toujours vécu au rythme de soubresauts internes et sur le fil d’un rasoir aiguisé par d’incessantes luttes d’influence et de pouvoir. Validez-vous cette lecture de votre ouvrage ? Et si oui, d’où nous vient, nous, Algériens, cette faculté de résilience ?


    Rachid Benyelles : Si la « résilience » est la capacité d’un individu ou d’une communauté à absorber une perturbation, à se réorganiser et à continuer de fonctionner de la même manière qu’avant, alors cette définition ne s’applique pas aux Algériens qui, en dépit des dysfonctionnements des appareils de leur jeune Etat, d’une certaine gabegie et de la corruption qui, ces vingt dernières années, a pris des proportions scandaleuses, ne se sentent nullement opprimés. Les régimes qui se sont succédé depuis l’Indépendance n’étaient certes pas démocratiques au sens occidental de cette qualification, mais ils n’étaient certainement pas dictatoriaux. Autoritaires, comme le sont ceux de nos deux voisins maghrébins, mais à un degré supérieur, sans que les Occidentaux n’y trouvent à redire, tous les régimes qui se sont succédé en Algérie, y compris ceux qui ont accédé au pouvoir après la soi-disant ouverture démocratique et l’instauration de l’économie de marché, ont eu néanmoins pour souci la justice sociale et le bien-être de la population.
    Dans leur grande majorité, les Algériens sont propriétaires de leurs logements - ceux accaparés dans le cadre des biens déclarés « vacants » après le départ précipité des Français en 1962, et ceux, bien plus nombreux, réalisés depuis l’Indépendance du pays.
    Ils bénéficient d’une protection sociale dont peu de pays dans le monde peuvent se prévaloir : gratuité des soins de santé et des médicaments, gratuité des études scolaires et universitaires, subvention des produits de large consommation, scolarisation obligatoire des enfants, une électrification qui couvre l’ensemble du territoire national, un réseau routier moderne qui a permis de sortir les agglomérations les plus reculées de leur isolement, etc. Avec l’extraordinaire embellie des revenus pétroliers au cours des quinze dernières années, de larges couches de la population ont eu accès aux produits de consommation durables, notamment les appareils électroménagers et les véhicules particuliers, sans parler des vacances à l’étranger.
    Les Algériens, qui ont eu tant à souffrir durant l’occupation coloniale, puis durant la décennie noire, consécutive à l’arrêt du processus électoral en janvier 1992, n’éprouvent pas le besoin de se soulever contre des régimes dont ils connaissent parfaitement les tares, mais, leurs comptes faits, ils préfèrent s’accommoder d’une situation qui, somme toute, préserve leurs intérêts essentiels ; du moins, jusqu’à présent. Cela pourrait changer avec la réduction drastique de la manne pétrolière qui a permis d’acheter la paix sociale.

    «Dans les arcanes du pouvoir », titre de vos Mémoires, vous passez en revue plus de cinquante ans d’histoire algérienne. Vous y évoquez tous les présidents de notre jeune République et, seul Boumediène semble avoir réellement grâce à vos yeux. Comme vous le savez sans doute, certains de vos lecteurs ont ricané à l’idée que vous présentiez comme un doux l’homme du 19 juin 1965. D’où vous vient cette admiration pour un leader qui avait aussi sa grande part d’ombre ?

    C’est pour l’avoir longuement observé, et au vu de ses nombreuses réalisations, que j’éprouve de l’admiration pour cet homme qui avait l’Algérie chevillée au corps. Boumediène menait une vie d’ascète et consacrait toute son intelligence et toute son énergie au service du pays. Il y a effectivement une part d’ombre chez ce personnage qui, par tempérament, était pudique et répugnait à faire état de ses sentiments personnels et de sa vie privée.

    Sur l’époque de Boumediène et sur d’autres qui ont suivi, vous prenez la responsabilité d’affirmer que certains opposants durant les années 1960 et 1970 n’ont pas été assassinés par le pouvoir et que le lieutenant Boumaarafi a agi seul et en illuminé pour tuer Boudiaf. N’est-il pas surprenant que vous défendiez une thèse pareille sur des dossiers classés, voire étouffés dans un traitement judiciaire approximatif et sans travail journalistique adéquat ?

    Ce que j’affirme et ce que je dénonce, c’est que ces assassinats odieux soient attribués systématiquement au pouvoir sans que la moindre preuve n’ait été apportée pour étayer l’accusation. S’agissant de Boumediène, ce que je reproche aux accusateurs de tous bords, c’est d’écarter a priori la possibilité que ces assassinats puissent être l’œuvre de certains services secrets étrangers agissant sur ordre de leurs gouvernements, et cela dans le but de ternir l’image d’un régime qui s’oppose à la réalisation de leurs objectifs dans la région. Plusieurs anciens responsables de ces services ont fait des révélations édifiantes. A défaut d’être blanchi, Boumediène ne pourrait-il pas avoir le bénéfice du doute ? Quant à l’assassinat de Boudiaf, les services de sécurité auraient pu très facilement éliminer Boumaarafi pour faire disparaître à jamais toute trace de leur implication s’ils avaient été les commanditaires de l’opération.

    Dans l’abord que vous faites de ces affaires, on vous lit bien et on vous comprend, vous privilégiez la raison et le bon sens, mais les tenants de ces deux vertus ne sont pas forcément de bons enquêteurs, à plus forte raison quand il s’agit des contextes sombres et tumultueux que vous narrez dans votre ouvrage, n’est-ce pas ?

    Effectivement, j’essaie toujours de privilégier la raison et le bon sens dans mon approche des sujets abordés. Cela étant, je ne suis pas un enquêteur. Je n’en ai ni la vocation ni les moyens. Je relate des faits auxquels j’avais été directement ou indirectement associé, et je rapporte des témoignages que d’autres acteurs m’avaient confiés.

    A propos de contextes, vos Mémoires retracent, en gros, deux époques : la jeunesse et vos débuts d’officier de la marine à Mers-El-Kébir notamment, un temps d’enchantement et de grands défis relevés avec peu de moyens, puis la maturité et l’accomplissement de votre carrière comme patron de la marine de guerre nationale, secrétaire général de la Défense nationale, puis ministre sous Chadli : un chapitre de désillusion et de désenchantement. Les intrigues de pouvoir et de corruption, que vous relatez et dont vous dites que vous en avez souffert, sont effrayants et relèveraient presque de la cour du roi Pétaud. Que s’est-il passé pour qu’on en soit arrivé là ? Avions-nous perdu cet héritage révolutionnaire et cette hauteur historique qu’avait l’Algérie qui a combattu pour sa libération ?

    Pour ceux de vos lecteurs qui ne savent ce que c’est que « la cour du roi Pétaud », il faut rappeler que cette expression désigne un groupe, une communauté ou une assemblée, où chacun veut commander et où, par conséquent, l’entente est impossible. Cela n’a nullement été le cas en Algérie où, de tout temps, il n’y a eu qu’un décideur, et un seul. Le problème c’est que souvent, les décisions étaient prises avec beaucoup de légèreté et en dépit du bon sens.
    Quant aux intrigues de pouvoir et à la corruption, ces pratiques détestables existent, malheureusement, dans la plupart des pays dans le monde. Elles ne diffèrent que par l’existence de contrepouvoirs effectifs qui les révèlent au grand jour et les soumettent aux instances judiciaires qui prennent des mesures pour que les corrompus et les corrupteurs ne restent pas impunis.
    En Algérie, nous n’en sommes pas encore là, hélas. C’est une question d’organisation politique et d’institutions étatiques. L’héritage révolutionnaire et la hauteur historique sont des valeurs qui ne résistent pas au temps et à l’argent.

    Les évènements que vous relatez dans votre livre commencent à la fin des années cinquante - et non pas en 1962, comme c’est écrit sur la couverture - et prennent fin en 1999, date à laquelle vous rangez votre plume. Vous répondriez certainement qu’après vous n’étiez plus « dans les arcanes du pouvoir », mais est-ce la bonne raison ?

    Oui, c’est la bonne raison, car je n’ai commencé à évoluer « dans les arcanes du pouvoir » qu’à partir de 1962. Je me suis arrêté à l’année 1999 et, plus précisément, au simulacre d’élection qui avait porté Abdelaziz Bouteflika au pouvoir ; un pouvoir qu’il exerce de manière régalienne et continue, depuis maintenant dix-huit ans. Il me semble qu’il serait plus judicieux d’attendre son remplacement avant de faire le bilan de cette longue période de gâchis.

    Par définition, les Mémoires sont une écriture d’un genre testamentaire. Ils prennent une valeur définitive, surtout lorsqu’ils ne sont pas accompagnés comme les vôtres de l’annonce d’une suite à venir. Peut-on alors considérer que les dix-huit années de bouleversements que l’Algérie a connus sous le président Bouteflika ne vous inspirent rien d’autre que ce que vous avez déjà abondamment et sévèrement exprimé durant et sur cette période ?

    Effectivement, ces dix-huit dernières années ne m’inspirent rien d’autre que ce que j’ai déjà abondamment et sévèrement exprimé dans les journaux depuis 1999. C’est ce qui m’a valu d’être frappé d’ostracisme par les tenants du pouvoir et leurs nombreux affidés. Une mesure que j’ai prise avec beaucoup de philosophie.

    Dans la postface de votre livre, vous évoquez le chef de l’Etat actuel, mais pour écrire que «le coup de force qui a porté Abdelaziz Bouteflika au pouvoir constitue la septième intervention de l’Armée dans la sphère politique depuis l’Indépendance. La première étant celle qui avait opposé l’état-major général de l’ALN au GPRA en 1962 ». Vous ajoutez qu’«il est à espérer que les nouvelles générations d’officiers sauront tirer les enseignements du passé et, à l’instar de leurs homologues en Amérique latine, prendre conscience que les interventions militaires dans la vie politique d’un pays ne sont plus tolérables». Est-ce un vœu ou un avertissement? Quelle signification politique doit-on y voir ?

    C’est un vœu et un avertissement en même temps. Je continue à considérer que l’Armée est ma famille d’appartenance et comme telle, je souhaite qu’elle puisse rester une institution de référence ; la seule en mesure de préserver l’unité nationale, aujourd’hui menacée par certaines forces centrifuges. Le danger est réel et ne doit pas être minimisé. L’Algérie n’est pas à l’abri de catastrophes comme celles qui ont emporté certains pays frères ayant pourtant, une histoire millénaire.

    Une dernière question, peut-être brutale : y a-t-il à l’avenir, selon vous, une probabilité d’« intervention militaire » dans la vie politique de notre pays ?

    Aussi paradoxal que cela puisse paraître, je souhaite une dernière « intervention militaire », mais cette fois, pour garantir la tenue d’une élection présidentielle véritablement libre et honnête. Un scrutin dont personne ne contestera les résultats. Ce faisant, l’Armée rendrait un immense service à la Nation.

    Nordine Azzouz-reporters.dz
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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