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Littérature et poésie syriennes : D’Adonis aux nouvelles Schéhérazades

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  • Littérature et poésie syriennes : D’Adonis aux nouvelles Schéhérazades

    La Nahda arabe est grandement redevable aux écrivains et intellectuels syriens, aux origines culturelles et religieuses diverses. C’est à Alep que fut fondée, en 1712, la première imprimerie arabe. Mais jusqu’à une date récente, quand on évoquait la littérature syrienne, on avait en tête immanquablement les poètes Adonis et Nizar Qabani, deux noms claquant comme un emblème.

    Adonis. En grec, signifie tout à la fois trépas et résurrection. En fait, à l’état civil, il s’agit d’Ali Ahmed Saïd Esber. Il est né un premier janvier 1930 près de Lattaquié, dans les montagnes du nord de la Syrie, au village de Qassabine.
    Notre poète a commencé petit homme, mais doué d’une intelligence si précoce qu’elle ne manqua pas de lui gagner l’attention – et la bourse – du maître de l’heure, à l’âge de 12 ans, en s’imposant à une liesse poétique en l’honneur de Choukri Kouwatli.
    Peu de gens se souviennent de ce président, mais le poète est toujours là, aujourd’hui, et incontestablement dans les temps à venir. Il doit son initiation au dit coranique et à la poésie à son père, un paysan lettré. Ce qui explique ses propos enthousiastes à l’endroit de la poésie populaire, tout en restant un partisan ferme de l’arabe. De mémoire, il en cite de longs extraits de Syrie en Egypte. Et le même invité à dire ses propres, se dérobe pudiquement. On sait son extrême irritation à l’égard du conformisme et de la doxa tribale.
    A la fin des années soixante, dans « Fatiha linihayat karn », Manifeste pour une fin de siècle, il fustigeait les mollesses, les abandons et l’impéritie d’un monde arabe engoncé dans ses stériles nostalgies. Trente ans plus tard, il sera davantage amer : «Tout s’aggrave. L’espace de la liberté régresse et la répression s’amplifie. Diminuent aussi nos chances dans la démocratie et une société civile plurielle et diversifiée. Et s’accentuent violence et tyrannie. Aujourd’hui, nous sommes moins croyants, moins cléments. Plus confessionnels et plus fanatiques. Moins seuls et plus démembrés. Moins ouverts aux autres et tolérants, plus cruels et renfermés. Ainsi, aujourd’hui nous sommes plus pauvres. Et ce que nous appelons patrie est en train de se transformer en une caserne militaire ou un camp tribal».
    Adonis, comme tant d’intellectuels arabes crut dans le rêve arabe. Il le déclinait comme son «arabitude», à l’instar des défricheurs de la négritude. Colère, sédition et imprécations. Du naufrage, ne survivent que les «travaux du vent». La poésie, à la fois don et labeur, travail acharné sur les terres de l‘écriture et de la prédiction. Une avancée par la porte étroite vers l’abîme d’une damnation possible. Le Livre ne met-il pas en garde contre les épigones ?

    Déconstruction des évidences du temps arabe
    Depuis « Chants de Mihyar le damscène » (1961), Adonis déconstruit avec une audace tranquille les évidences du temps arabe. Dans un langage complexe, parfois hanté par l’hermétisme, à l’instar des paroles irréductibles à l’univocité. Nourri de mythes, ouvert aux influences modernes, brassant les legs d’El Moutannabi, d’El Hallaj, il est à l’affût des réalités profondes, pointe immergée d’un iceberg dont il sait seul les dérivations, dans un implacable affrontement avec son for intérieur. A donner le vertige à ses compagnons de route du monde. Le poète des monolithes, Guillevic s’écriait :
    « Adonis, où m’emmènes-tu ?
    Maître des ombres, je les frappe
    Je les mène avec mon sang, avec ma voix
    Le sang est une alouette
    A qui j’ai tendu mes collets
    Le vent et mon chapeau. »

    Adonis trace, de longue date, les calligraphies rebelles du «poème futur» qui n’a pas manqué de soulever maintes controverses et, son œuvre, d’une vertigineuse hauteur poétique au point qu’elle peut sembler parfois impénétrable, avait autorisé qu’il serait le second Nobel du monde arabe après…
    La parole d’Adonis était fortement attendue sur le drame qui bouleverse son pays. Il ne pouvait rester silencieux. A la veille où le poète recevait le Prix Goethe, il avait surtout élargi son propos à l’ensemble des dirigeants du monde arabe en les accusant de «ne laisser derrière eux que ruines, arriération, amertume et torture. Ils ont accumulé du pouvoir. Ils n’ont pas bâti une société. Ils ont fait de leurs pays des espaces de slogans dépourvus de tout contenu culturel ou humain ». A sa manière, il s’est adressé à Bachar Al Assad, dénonçant la faillite du parti Baath qui « n’a pas réussi à rester prédominant par la force de l’idéologie, mais grâce à une main de fer sécuritaire ». Depuis, la donne syrienne sanglante n’a pas cessé de faire des victimes, le peuple syrien pris en otage dans ce qui semble être une confrontation géopolitique qui le dépasse…

    Le cri solitaire du poète
    Seconde figure tutélaire : Nizar Qâbani. Né à Damas, mort en exil en 1998, il est l’auteur d’une œuvre poétique dédiée à la femme et, en même temps, ancrée dans les drames du monde arabe. Il a également soulevé grimaces et controverses, en particulier par sa qasida : « Quand annoncera-t-on la mort des Arabes ». Les révoltes populaires arabes peuvent résonner comme un écho, une réplique au cri solitaire du poète à l’époque. Rappelons-nous ce que proclamait Nizar Qabani :
    « J’essaie de dessiner des pays intimes avec ma poésie
    Et qui ne se placent pas entre moi et mes rêveries
    Et où les soldats ne se pavanent pas sur mon front.
    (…) Mais je ne vois que des poèmes léchant les bottes du Khalife pour une poignée de riz... et cinquante dirhams...
    Oh mon pays, ils ont fait de toi un feuilleton d’horreur
    Dont nous suivons les épisodes chaque soir
    Comment te verrions-nous s’ils nous coupent le courant ? »
    On croirait ces derniers vers écrits aujourd’hui au cœur de la tourmente tragique de la Syrie et autres pays arabes.
    En Syrie, d’ailleurs, comme dans tous les autres pays arabes, l’expression littéraire se déroulait sous le signe du fameux triptyque des tabous : le sexe, la politique et la religion. Avec, en Syrie, l’existence d’une censure officielle qui relevait d’un triple niveau.
    Selon Hassan Abbas, critique et chercheur : « L’Union des écrivains arabes pour les productions littéraires, le ministère de l’Information pour les écrits politiques et sociologiques, et le commandement national ou régional du Parti Baath pour les livres qui causent problème ou susceptibles de poser problème. Cette dernière instance, la plus haute. Quant au niveau policier, c’est une censure post-production. Elle frappe des livres qui sont édités à l’étranger et qui arrivent d’une manière ou d’une autre dans les librairies. » Autre phénomène insidieux et non moins mutilant, fruit de la culture de la peur, c’est l’autocensure car, souvent les auteurs sont convoqués et interrogés.
    Avec Chakîb al-Jâbiri (Fringale, 1937), le roman s’est ouvert aux questions de la vie sociale. Il puisera également ses sujets dans la politique avec « Muta’ al-Safadî » (la Génération du destin, 1960) et « Fâris Zarzûr » (Les A-sociaux, 1971). Avec Hanna Mina Hannâ Mîna, chef de file des écrivains réalistes (la Voile et la Tempête, 1966), s’imposera la représentation des petites gens dans le roman et la nouvelle. Mohamad al-Maghout s’illustrera par le vers libre dans la poésie. Dans un pays officiellement engagé durant des décennies dans une voie de développement national, la littérature avait pour tâche d’accompagner sur le mode du réalisme-socialiste cette marche vers des lendemains qui chantent. Dans cette littérature dite « engagée », le culte du héros positif était de rigueur. Les œillères dogmatiques s’avéreront insupportables par la suite.
    Aussi, quelques auteurs syriens, instruits par le désenchantement arabe après la défaite de 1967, ont pu trouver une alternative au dogme en s’orientant vers le réalisme merveilleux mis à l’honneur par les romanciers latino-américains. C’est le cas de Walîd Ikhlâsî (le Rapport, 1974), Haydar Haydar (Festin pour algues marines, 1983), et Salîm Barakât (Les Seigneurs de la nuit, 1985).

    La haine et son éloge
    Les premiers frémissements du renouveau littéraire syrien - après la mort de Hafad Al Assad et « le Printemps de damas » raté au début du nouveau millénaire - viendront des « Nouvelles Shéhérazades », selon le chercheur Hassan Abbas. Notamment avec « Kama yanbaghi li nahr » (Comme il faudrait pour une rivière) de Manhal al-Sarraj. C’est un récit allégorique tissé des souvenirs de la romancière.
    Enfant, elle fut témoin de la répression qui s’était abattue sur Hama après le soulèvement violent des islamistes. Interdit, le roman interdit en Syrie, a été publié aux Emirats, à Chardja en 2003. Rosa Yacine (de Lattaquié, le fief des Assad) fille d’un chercheur communiste connu, dans son premier roman « Abanous », évoque le destin de cinq générations de femmes de la même famille sur la durée d’un siècle. Le roman a obtenu le deuxième prix du Concours-Hanna Mina du meilleur roman, organisé par le ministère. Or, il fut partiellement censuré avant sa publication… Samar Yazbek, quant à elle, a dû publier ses deux romans « Tiflat as-Samaa » (La Fille du ciel) et « Salsal » (Argile) à Beyrouth. Son dernier roman, « Odeur de cannelle », était attendu en traduction en français et en italien. Dans son « Journal de Damas », Samar Yazbek écrit : « Je me glisserai dans le sommeil des assassins et je leur demanderai : Avez-vous bien regardé leurs yeux, quand vos balles se sont approchées de leurs poitrines ? Avez-vous aperçu le trou de la vie ? Avant que le ciel de Damas ne vire au bleu sombre, ils regardent les doux cercles rouges autour de leurs fronts et de leurs ventres, là où les fenêtres de nos regards s’arrêtent. Ici, à Damas, là où s’endormiront bientôt les yeux des assassins, là où nous resterons à veiller l’angoisse, la mort n’est pas une question, c’est une fenêtre qui s’ouvre sur de nombreuses questions. »
    Il faudra attendre 2007 pour découvrir une relation du monde carcéral syrien avec la parution de « la Coquille » (Sindbad, Actes Sud) de Mostafa Khalifé. C’est le Journal d’un écrivain syrien qui a passé treize ans dans les prisons du régime. Arrêté déjà en 1979, appartenant à une famille chrétienne grecque-catholique, proche lui-même d’un parti d’extrême gauche, il fut arrêté à l’aéroport de Damas (à son retour de France où il effectuait des études de cinéma) et accusé d’être, contre toute vraisemblance, membre du mouvement des Frères musulmans ! Ce récit, qui se présente comme un journal, restitue sous une forme légèrement romancé, les choses vues et entendues par le narrateur. Sans pathos, avec sobriété, les scènes qui se succèdent donnent à voir à la fois la barbarie des geôliers et le processus de déshumanisation des détenus, et par-delà, de la société elle-même. A son tour, Yassine Hajj Saleh, incarcéré durant quinze années, publie « Sourya min al-Zhil, Nazharat dakhil as-Sandouk al-Aswad » (La Syrie de l’ombre, regards à l’intérieur de la boîte noire) (2010). Il est, depuis le début, l’une des voix de la révolte syrienne. Khaled Kalifa (Alep, 1964), scénariste réputé de plusieurs films et séries télévisées, fondateur de la revue culturelle, « Aleph », auteur de plusieurs romans qui l’ont placé parmi les écrivains syriens les plus reconnus, vient de donner avec « Madîh al-karâhiya » (Eloge de la haine) son maître-livre (Dar al-Adab, Beyrouth 2008 et Sindbad Actes-Sud, 2001).
    C’est une jeune Syrienne d’Alep, élevée dans la plus pure tradition musulmane, qui croit trouver sa liberté en rejoignant un mouvement fondamentaliste qui l’initie aux luttes djihadistes. De l’embrigadement volontaire à la prise de conscience, en passant par l’épreuve prison, Khaled Kalifa restitue, à travers ce parcours et sa confrontation contradictoire à l’altérité, l’affrontement entre les deux forces, l’islamisme et le régime hégémonique, qui ont ravagé la Syrie durant les années 1980, aujourd’hui, ayant atteint le point d’orgue d’une dérive mortifère sans nom. Un roman décapant qui bouscule l’amnésie ambiante et la culture de l’oubli dans lesquelles se sont longtemps repliés les Syriens. « Eloge de la haine » peut et doit se lire, également, loin des volontés de puissance, comme un chant pour la tolérance et la différence dans la liberté et la dignité humaines.
    1 - Adonis / 2- Samar Yazbek / 3- Rosa Yacine /
    4- Mohammed Al-Maghout / 5- Hanna Mineh /
    6- Manhal Alsarra / 7- Nizar_Qabbani

    Abdelmadjid Kaoua-reporters.dz
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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