7 février 2012 T. Firmus. Chronique 1
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Manipulation idéologique
L’important pour un mythe n’est pas qu’il soit historiquement inscrit dans la réalité, mais qu’il désigne une origine et fonde ainsi une société. Un mythe fonctionne avec une histoire, une langue et des pratiques qui assurent la transmission de la mémoire collective.
La généalogie du « bon kabyle » est-elle antérieure à la colonisation de Tamazɣa centrale [1] de 1830 et à l’étude de la société kabyle par les militaires-intellectuels français ? La paternité revient-elle à l’abbé Guillaume-Thomas Raynal ? Dans son ouvrage posthume [2], L’abbé explique l’indépendance dont aurait toujours joui le peuple kabyle par la topographie caractéristique de son territoire :
Il trace un tableau historique empli d’affabulations fantaisistes : origine nordique, descendant des Vandales, etc. Son écrit fournira l’essentiel des thèmes du « bon kabyle », instigué et exploité par les colons pour des intérêts mercantiles. Réactivé et remanié à partir de 1962 par le régime d’Alger et les islamistes : cinquième colonne, agent des néocolonialistes, séparatistes, pratique tiède de l’islam, ethnocentrisme, etc.
En revanche, le terme du « mythe kabyle » fut utilisé pour la première fois par Charles-Robert Ageron [3]. Après avoir examiné la chronologie des travaux des savants français sur les peuples de l’ancienne colonie française d’Afrique du Nord. Il ressort, affirme l’historien, un a priori bienveillant à l’endroit des Kabyles et sévère pour les Arabes. Il explicite l’introduction par le concept politique déterminé par le « diviser pour régner » de Machiavel.
La conclusion de l’historien qu’il relativisera ultérieurement [4] est fondée néanmoins elle est incomplète. Elle laisse en suspend de nombreuses questions, principalement le pendant du « mythe kabyle » que l’application du concept machiavélique aurait nécessairement exigé. De plus, elle prend le contre-pied de l’impératif sécuritaire des militaires, administrateurs pointilleux d’une colonie française régentée par un système uniforme. Par ailleurs ils étaient au fait des « valeurs morales », particularismes locaux et susceptibilités de chaque groupe « linguistique », étroitement contrôlés pour les besoins de la politique coloniale.
Naturellement pour que le concept parvienne à ses fins, les Français l’auraient développé en direction de deux parties afin qu’elles se neutralisent et, lorsque les circonstances l’exigent, utiliser un groupe contre l’autre. Les Français ont-ils appliqué le concept à la lettre ? Le régime colonial d’Alger les a-t-il copiés ? (Gendarme kabyle en pays arabophone et vice-versa ?). À notre connaissance, l’historien ne mentionne nullement l’existence de « mythe arabe ». Nous aborderons ce sujet dans : Mythe arabe dissimulé. Nous constaterons que les Français l’amenèrent dans leurs bagages et leur politique a accéléré l’arabisation des Maziɣes. [5]
Les effets d’une politique prokabyle et antiarabe affichée et mise en pratique auraient été potentiellement explosifs et préjudiciables à l’autorité française sur les Arabes particulièrement attentifs à leur « autorité » et « supériorité » civilisationnelle sur les Maziɣes. Ils n’auraient pas manqué de se sentir floués, déconsidérés et se révolter contre les privilèges accordés aux Zwawas [6]. Or nous ne trouvons nulle trace d’une législation favorable aux Kabyles ou un développement économique conséquent :
Nous observons que la politique française fut ponctuée de tergiversations considérables et d’ambiguïtés évidentes dans ses attitudes envers les peuples de Tamazɣa centrale et fut bien plus hostile aux Kabyles qu’aux Arabes. À l’évidence, elle n’a jamais eu une ligne directrice cohérente et une politique clairement définie et appliquée, voir sa réaction aux propositions fédéralistes de monsieur Ferhat Abbas et ses amis. Évidemment, l’ambiguïté n’aurait pas contrarié le concept de Machiavel, elle peut même être envisagée comme un élément de preuve.
Les Français n’ont pas attendu la fabrication « du mythe kabyle » à des fins expansionnistes pour élaborer des théories négatives au sujet des Arabes et de l’islam, comme ils possédaient suffisamment de connaissances sur les Maziɣes bien avant la colonisation de l’Afrique du Nord.
Les catégories aux connotations « positives » et « négatives », Kabyles et Arabes sur lesquels s’est articulée la thèse de l’historien reposent sur un postulat partiellement justifié : le sédentaire et le nomade ou le montagnard et l’homme des plaines. Partiellement justifié, car tous les Kabyles ne sont pas montagnards et les Arabes ne sont pas tous nomades. S’adjoint ce que nous nommerons le « paradoxe kabyle » lequel a suscité perplexité et questionnement des savants français et les a amenés à produire un travail scientifique considérable pour un double objectif : intellectuel, dé-islamiser et assimiler le peuple kabyle pour des raisons démographiques, les métropolitaines ne souhaitaient pas s’installer en Afrique du Nord et les colons angoissés par la révolte des indigènes voyaient d’un mauvais œil leur progression démographique.
Le sédentaire est une notion à laquelle les Français se sont identifiés. Les militaires-intellectuels français, ensuite les savants se sont penchés sur le « paradoxe du peuple kabyle » : pourquoi n’a-t-il pas fondé une civilisation/royaume alors que tout était réuni pour cet objectif ? Leur curiosité ne s’est pas pour autant transformée en un amour immodéré pour le peuple kabyle et ne les a pas empêchés de mettre fin à son indépendance en lui livrant des guerres particulièrement sanglantes.
Le Kabyle sédentaire est un agricole et un industrieux (Exploitation de mine de fer, d’or, artisanat, fabrication d’armes, de poudre…) Il présente deux avantages : pour les militaires « l’ancrage au sol » du sédentaire, pose infiniment moins de problèmes sécuritaires ; pour les assimilationnistes, son mode de vie séculaire a déjà assimilé la phase essentielle pour la stabilisation et l’éducation. Ces deux points contribuèrent à faire entrevoir le peuple kabyle plus civilisé et moralement au-dessus des nomades estimés musulmans inflexibles et irréformables, car, précisément leur mode de vie impulse le fanatisme religieux.
L’Arabe est nomade par essence insaisissable et son style de vie errant le rendait imprévisible et incontrôlable. Il est l’opposé de l’ordre et de la stabilité nécessaire au développement d’une civilisation industrielle. Conclusion n’appartenant pas spécialement aux Français, en effet le nomade est relégué à un échelon inférieur dans l’échelle de la civilisation depuis des siècles. « L’état des peuples agriculteurs est supérieur à celui des nomades ; les premiers habitent des villages et des hameaux, et se tiennent dans les pays de montagnes. » [8]
La sédentarisation du peuple kabyle remonte aux temps reculés, probablement au règne de Massinissa. Nous savons que depuis les temps immémoriaux les descendants des Massyles adoptèrent une tactique singulière : en temps de paix, ils cultivaient et habitaient les plaines fertiles de leur territoire et subissaient de temps en temps des razzias menées par les tribus nomades. En temps de guerre ou de colonisation, ils les abandonnaient pour se retrancher derrière les remparts naturels des collines et montagnes de l’arrière-pays.
Réduire leur pays aux seuls rivages et collines de Jerjer, comme l’ont prétendu les Français et aujourd’hui les propagandistes du régime d’Alger est une falsification de l’histoire. Dans son ouvrage [9], Carette a expliqué le mouvement des tribus de Tamazɣa centrale, le pays kabyle fut relativement concerné et les tribus qui s’installèrent sont d’origines maziɣes. C’est sous la pression de l’occupant turc que le peuple kabyle perdit des pans importants de son territoire. L’archéologie finira par mettre à jour les vestiges kabyles, et ce, de Constantine à l’Ouarsenis, de Jerjer à Vossaḍa.
En revanche les tribus du Tell à l’exemple des tribus de Djelfa, actuellement nomades, abandonnèrent progressivement la vie sédentaire de leurs ancêtres Maziɣes et adoptèrent le nomadisme des Hilaliens qui les arabisèrent.
[img]https://i2.wp.com/www.************/wp-content/uploads/2016/07/Jean-Baptiste-Ange-Tissier-Napol%C3%A9on-III-Abdel-Kader.jpg?resize=678%2C381&ssl=1[/img]
Manipulation idéologique
L’important pour un mythe n’est pas qu’il soit historiquement inscrit dans la réalité, mais qu’il désigne une origine et fonde ainsi une société. Un mythe fonctionne avec une histoire, une langue et des pratiques qui assurent la transmission de la mémoire collective.
La généalogie du « bon kabyle » est-elle antérieure à la colonisation de Tamazɣa centrale [1] de 1830 et à l’étude de la société kabyle par les militaires-intellectuels français ? La paternité revient-elle à l’abbé Guillaume-Thomas Raynal ? Dans son ouvrage posthume [2], L’abbé explique l’indépendance dont aurait toujours joui le peuple kabyle par la topographie caractéristique de son territoire :
« Ils doivent à la disposition de leur terrain de n’avoir pas été subjugués. Leur liberté est toujours restée entière et elle l’est encore. »
En revanche, le terme du « mythe kabyle » fut utilisé pour la première fois par Charles-Robert Ageron [3]. Après avoir examiné la chronologie des travaux des savants français sur les peuples de l’ancienne colonie française d’Afrique du Nord. Il ressort, affirme l’historien, un a priori bienveillant à l’endroit des Kabyles et sévère pour les Arabes. Il explicite l’introduction par le concept politique déterminé par le « diviser pour régner » de Machiavel.
La conclusion de l’historien qu’il relativisera ultérieurement [4] est fondée néanmoins elle est incomplète. Elle laisse en suspend de nombreuses questions, principalement le pendant du « mythe kabyle » que l’application du concept machiavélique aurait nécessairement exigé. De plus, elle prend le contre-pied de l’impératif sécuritaire des militaires, administrateurs pointilleux d’une colonie française régentée par un système uniforme. Par ailleurs ils étaient au fait des « valeurs morales », particularismes locaux et susceptibilités de chaque groupe « linguistique », étroitement contrôlés pour les besoins de la politique coloniale.
Naturellement pour que le concept parvienne à ses fins, les Français l’auraient développé en direction de deux parties afin qu’elles se neutralisent et, lorsque les circonstances l’exigent, utiliser un groupe contre l’autre. Les Français ont-ils appliqué le concept à la lettre ? Le régime colonial d’Alger les a-t-il copiés ? (Gendarme kabyle en pays arabophone et vice-versa ?). À notre connaissance, l’historien ne mentionne nullement l’existence de « mythe arabe ». Nous aborderons ce sujet dans : Mythe arabe dissimulé. Nous constaterons que les Français l’amenèrent dans leurs bagages et leur politique a accéléré l’arabisation des Maziɣes. [5]
Les effets d’une politique prokabyle et antiarabe affichée et mise en pratique auraient été potentiellement explosifs et préjudiciables à l’autorité française sur les Arabes particulièrement attentifs à leur « autorité » et « supériorité » civilisationnelle sur les Maziɣes. Ils n’auraient pas manqué de se sentir floués, déconsidérés et se révolter contre les privilèges accordés aux Zwawas [6]. Or nous ne trouvons nulle trace d’une législation favorable aux Kabyles ou un développement économique conséquent :
« un peuple qui vit d’herbes et de racines (…) par petit matin, j’ai vu à Tizi-Ouzou, des enfants en loques disputer à des chiens kabyles le contenu d’une poubelle. » [7]
Les Français n’ont pas attendu la fabrication « du mythe kabyle » à des fins expansionnistes pour élaborer des théories négatives au sujet des Arabes et de l’islam, comme ils possédaient suffisamment de connaissances sur les Maziɣes bien avant la colonisation de l’Afrique du Nord.
Les catégories aux connotations « positives » et « négatives », Kabyles et Arabes sur lesquels s’est articulée la thèse de l’historien reposent sur un postulat partiellement justifié : le sédentaire et le nomade ou le montagnard et l’homme des plaines. Partiellement justifié, car tous les Kabyles ne sont pas montagnards et les Arabes ne sont pas tous nomades. S’adjoint ce que nous nommerons le « paradoxe kabyle » lequel a suscité perplexité et questionnement des savants français et les a amenés à produire un travail scientifique considérable pour un double objectif : intellectuel, dé-islamiser et assimiler le peuple kabyle pour des raisons démographiques, les métropolitaines ne souhaitaient pas s’installer en Afrique du Nord et les colons angoissés par la révolte des indigènes voyaient d’un mauvais œil leur progression démographique.
Le sédentaire est une notion à laquelle les Français se sont identifiés. Les militaires-intellectuels français, ensuite les savants se sont penchés sur le « paradoxe du peuple kabyle » : pourquoi n’a-t-il pas fondé une civilisation/royaume alors que tout était réuni pour cet objectif ? Leur curiosité ne s’est pas pour autant transformée en un amour immodéré pour le peuple kabyle et ne les a pas empêchés de mettre fin à son indépendance en lui livrant des guerres particulièrement sanglantes.
Le Kabyle sédentaire est un agricole et un industrieux (Exploitation de mine de fer, d’or, artisanat, fabrication d’armes, de poudre…) Il présente deux avantages : pour les militaires « l’ancrage au sol » du sédentaire, pose infiniment moins de problèmes sécuritaires ; pour les assimilationnistes, son mode de vie séculaire a déjà assimilé la phase essentielle pour la stabilisation et l’éducation. Ces deux points contribuèrent à faire entrevoir le peuple kabyle plus civilisé et moralement au-dessus des nomades estimés musulmans inflexibles et irréformables, car, précisément leur mode de vie impulse le fanatisme religieux.
L’Arabe est nomade par essence insaisissable et son style de vie errant le rendait imprévisible et incontrôlable. Il est l’opposé de l’ordre et de la stabilité nécessaire au développement d’une civilisation industrielle. Conclusion n’appartenant pas spécialement aux Français, en effet le nomade est relégué à un échelon inférieur dans l’échelle de la civilisation depuis des siècles. « L’état des peuples agriculteurs est supérieur à celui des nomades ; les premiers habitent des villages et des hameaux, et se tiennent dans les pays de montagnes. » [8]
La sédentarisation du peuple kabyle remonte aux temps reculés, probablement au règne de Massinissa. Nous savons que depuis les temps immémoriaux les descendants des Massyles adoptèrent une tactique singulière : en temps de paix, ils cultivaient et habitaient les plaines fertiles de leur territoire et subissaient de temps en temps des razzias menées par les tribus nomades. En temps de guerre ou de colonisation, ils les abandonnaient pour se retrancher derrière les remparts naturels des collines et montagnes de l’arrière-pays.
Réduire leur pays aux seuls rivages et collines de Jerjer, comme l’ont prétendu les Français et aujourd’hui les propagandistes du régime d’Alger est une falsification de l’histoire. Dans son ouvrage [9], Carette a expliqué le mouvement des tribus de Tamazɣa centrale, le pays kabyle fut relativement concerné et les tribus qui s’installèrent sont d’origines maziɣes. C’est sous la pression de l’occupant turc que le peuple kabyle perdit des pans importants de son territoire. L’archéologie finira par mettre à jour les vestiges kabyles, et ce, de Constantine à l’Ouarsenis, de Jerjer à Vossaḍa.
En revanche les tribus du Tell à l’exemple des tribus de Djelfa, actuellement nomades, abandonnèrent progressivement la vie sédentaire de leurs ancêtres Maziɣes et adoptèrent le nomadisme des Hilaliens qui les arabisèrent.
« La conquête arabe du VIIe siècle, qui ne fut qu’une conquête militaire, suivie d’une occupation de plus en plus restreinte et précaire, laissant, au Xe siècle, le champ libre à la race berbère, affranchie et retrempée dans son propre sang, et de l’immigration hilalienne du XIe siècle, qui ne fut pas une conquête, mais dont le résultat, obtenu par une action lente qui se continue encore de nos jours, a été l’arabisation de l’Afrique et la destruction de la nationalité berbère. » [10]
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