Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Chronique des 2 rives : Amin Maalouf : Fauteuil 29 de l’Académie française Spécial

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Chronique des 2 rives : Amin Maalouf : Fauteuil 29 de l’Académie française Spécial

    Les Croisades vues par les Arabes (Lattès, 1983) ont fait connaître Amin Maalouf. L’ouvrage - entre l’essai et le roman historique - donnait à découvrir un autre regard, une vision inédite en Occident de cette confrontation historique avec l’Orient qui a duré près de deux siècles : de la prise de Jérusalem lors de la Première Croisade à la chute de Saint-Jean d’Acre en 1291. Les «Francs» resteront deux siècles en Terre sainte, pillant et massacrant pour la gloire supposée de leur dieu. Cette incursion meurtrière de l’Occident au cœur du monde musulman marqua pour ce dernier le début d’une longue période de décadence et d’obscurantisme.

    Sans titre 3Les Croisades étaient généralement connues grâce aux chroniques des Francs qui ont réalisé des voyages en Terre Sainte ou qui ont accompagné seigneurs et souverains. Amin Maalouf s’est attaché à collecter des chroniques s’étalant tout au long des croisades réalisées par des plumes arabes. C’est un renversement de perspectives, une lecture iconoclaste d’une époque mouvementé et plus complexe que ce qui était affirmé jusque-là de façon univoque. Maalouf, qui est avant tout un romancier, a su rendre son récit vivant et rythmé. Avec son roman

    le Rocher de Tanios (1993), il obtient le Prix Goncourt. En 2011, il a rejoint les « Immortels » de l’Académie française. « Quand on me dit qu’une personne est arrivée, je suis tentée de demander où, et par quels moyens, et dans quel but ? Seuls se félicitent ceux qui se savent incapables d’aller plus loin », écrivit-il dans le Premier siècle après Béatrice (Grasset, 1992).

    Un talent de conteur fascinant

    Instruit par l’histoire et riche de ses origines multiples (Origines, 2004), il ne manquera pas de mettre en garde contre les appartenances exclusives dans un autre essai, les Identités meurtrières. Son parcours s’enracine à la fois au Liban, en Egypte et à Constantinople, qui demeure pour lui « la première maison abandonnée » : sa grand-mère a dû fuir la Turquie lors des massacres de 1915 et son grand-père chrétien mahorite. Il est né à Beyrouth, le 25 février 1949, dans une famille de la montagne libanaise, famille d’enseignant par tradition. Le père d’Amin Maalouf est, lui, le fils d’un pasteur presbytérien, mais n’est pas pratiquant. C’est donc dans une mixité de religions que l’enfant à grandi. C’est avec son roman, Léon l’Africain (Lattès, 1986) qu’il obtient son premier succès de librairie qui le décidera à se consacrer à la littérature après l’exercice du journalisme.
    En 1988, il donne aux lecteurs Samarcande, qui les fascinera durablement par ses talents de conteur et de chroniqueur poétiques. Le credo de la tolérance qui irrigue son œuvre et guide ses prises de position est le fruit d’une expérience historique, à la fois personnelle et collective, dont la Méditerranée fut le théâtre millénaire. J’ai eu le privilège, il y a bien des années, de le rencontrer à tête reposée par deux fois pour un entretien. J’en garde un chaleureux souvenir. Calme, plongé dans une sorte de méditation continue, il n’a rien d’un narcissique (comme souvent le sont les écrivains du Monde arabe…). C’est lui qui m’invitera après l’entretien à prendre un café et ne manquera pas de s’enquérir de la situation en Algérie. Réflexe professionnel ? Il ne faut pas oublier qu’Amin Maalouf fut longtemps journaliste, d’abord au quotidien de Beyrouth, An-Nahar, après son exil en France, et rédacteur en chef à Jeune Afrique.

    Sur les routes

    A ma question de savoir si le journalisme conduisait à tout, à condition d’en sortir, selon la formule d’Hemingway, Amine Maalouf me répondit : « J’ai beaucoup voyagé comme journaliste. Je crois que j’ai dû passer une bonne quinzaine d’années de ma vie à voyager sans arrêt pour couvrir des évènements. Je suis allé au Vietnam, à la fin de la guerre, au moment de la bataille de Saigon en 1975. Je suis allé en Ethiopie, au moment de la chute de l’Empereur Hailé Sélassié. Je me souviens encore de ce matin, où je dormais encore et où des amis m’ont appelé pour m’annoncer que le coup d’Etat avait eu lieu et que l’Empereur avait été destitué.
    J’ai couvert beaucoup d’autres évènements : l’Iran, le Yémen, l’Argentine, les USA, l’ex-URSS. Enfin, un peu partout. C’est vrai que pendant toute cette période, j’étais constamment sur les routes. J’ai accumulé tout un ensemble d’images, d’idées, de visages qui réapparaissent aujourd’hui à travers mes romans. Je crois que j’ai fait une sorte de réserve pour la vie ou presque… ».

    Amine Maalouf eut donc deux vies successives. Dans sa métamorphose littéraire, dans son petit bureau, il s’est mis à voyager dans les livres, dans la mémoire et l’imaginaire. Privilégiant la forme du roman, il se met à l’essai si besoin : « J’écris un essai quand je sens qu’il y a un certain nombre de choses que j’ai besoin de dire, donc je le dis avec ma formulation… ». Celui qui a toujours été depuis son enfance « une sorte de rêveur » reste à l’écoute et observe le monde ; ce qui nourrit chez lui des inquiétudes qu’il tente d’élucider dans ses essais. C’était le cas des Identités meurtrières. Il y a peu, l’attachement à l’identité était perçu comme le signe d’une
    affirmation libératrice de certaines formes d’aliénation imposées par les enjeux de pouvoir à l’échelle de la planète. L’affirmation d’une identité serait-elle devenue une source de tension et de confrontation sectaire ?
    Identités meurtrières

    Amin Maalouf prend le temps d’expliquer son approche de cette problématique : « Je pense que même aujourd’hui, affirmer son identité peut se faire d’une manière parfaitement saine. Je pense que chacun de nous a besoin de vivre pleinement son identité… Les mots ont leur importance. Justement, le mot identité est l’un de ces mots sur lesquels on peut parfois déraper. Parfois, on confond son identité qui est une chose très complexe, avec une seule appartenance qui est souvent ethnique, religieuse ou autre… A mon sens, l’identité de chacun d’entre nous est faite d’appartenances nombreuses. On a besoin d’assumer toutes ces appartenances pour vivre sereinement. Et généralement, on n’a pas la possibilité de les affirmer parce qu’il y a des gens en face qui vous empêchent de vivre pleinement toutes vos appartenances. Et je pense que l’atmosphère générale dans le monde d’aujourd’hui n’encourage pas les gens à vivre pleinement toutes leurs appartenances. Elle encourage plutôt à rejoindre la tribu ». Chacun porte en soi une multitude d’appartenances et d’identités qui cohabitent généralement sans heurts ; les identités ne deviennent « meurtrières » qu’en cas de focalisation sur l’une d’elles.

    Et Amin Maalouf de préciser aussi dans son essai : « Lorsqu’on sent sa langue méprisée, sa religion bafouée, sa culture dévalorisée, on réagit en affichant avec ostentation les signes de sa différence. » C’est une sorte de corde raide qui départage l’identité et le sectarisme dont Amine Malouf a fait l’expérience dans son pays d’origine, le Liban, à feu et à sang durant des années et, encore aujourd’hui, cadenassé par le confessionnalisme. La passion politique y a aussi sa place comme Maalouf en a fait l’expérience. Comme dans son roman le Périple de Baldassare, c’est un long et périlleux cheminement. L’écrivain, admiré dans son pays et au-delà de ses frontières, a fait l’objet au Liban d’une acerbe polémique et de virulentes remontrances dans la presse après son passage, en juin 2016, sur une chaîne israélienne francophone pour présenter son livre Un Fauteuil sur la Seine (Grasset 2016) où il évoque les dix-huit Immortels qui l’ont précédé au fauteuil 29 de l’Académie française. Méconnaissance, manque de vigilance, égarement, complaisance ? Le Liban, il faut le rappeler, est toujours, d’un point de vue technique, en guerre avec Israël depuis 1948, et a connu une occupation de vingt-deux ans du sud du pays par l’armée israélienne. L’été 2006, l’Etat hébreu a livré au Hezbollah libanais une guerre meurtrière. Ainsi une «affaire Amin Malouf» a vu le jour au Liban. Pour ses partisans, Amin Maalouf a promu la culture, la justice et la paix. Pour l’auteur des Jardins de lumière, il y a effectivement une sorte de dérive des identités qui paraît inquiétante. « Il y a un peu partout dans le monde des gens qui tuent au nom de leur identité…
    J’ai pu observer des drames dans le monde, y compris en Europe. Et même dans les pays où il n’y a pas de véritables drames, de même ordre, on sent monter des tensions, monter l’intolérance ». Ainsi donc, Amin Maalouf ne craint pas de donner son point de vue sur le Dérèglement du monde (titre de son essai, Flammarion, 2009). A propos de la crise économique qui sévit dans le monde : s’il ne récuse plus totalement le capitalisme (en raison de l’échec d’un certain « socialisme réel »), il n’a pas assez de mots sévères pour fustiger « ce capitalisme qui considère l‘économie comme un grand casino, où une poignée de personnes jouent avec le destin de millions d’autres. Nous avons besoin aujourd’hui d’une économie avec un minimum d’humanité. Une économie qui défende des valeurs et qui respecte l’être humain ».

    Les textes religieux et leurs lectures

    Pense-t-il alors, lui, qui appartient à une confession minoritaire (melkite) dans la minorité chrétienne du Liban, que les religions, en général, et l’islam singulièrement, en s’éloignant des sources de la tolérance originelle, seraient devenus des facteurs de confrontation ? « Je ne pense pas du tout que le problème réside dans le contenu de telle ou telle religion. Le problème ne réside jamais dans les textes. Si on prend la religion chrétienne, aujourd’hui, l’Eglise est favorable à la démocratie. Elle est favorable aux libertés. Il est évident qu’il y a deux siècles, elle n’était pas favorable à la démocratie, elle soutenait la monarchie de droit divin et elle s’opposait aux libertés. Est-ce que les textes de l’Evangile ont changé ? Non. Il n’y a pas un mot qui a changé. Simplement la lecture des textes a changé. Pourquoi ? Parce que la société a évolué. Elle a fait évoluer sa vision de la religion avec elle-même. Et ce qui arrive dans le monde musulman, c’est un problème d’évolution des sociétés. Ce n’est pas un problème de contenu de la religion. Il y a eu toutes sortes de lectures de ces textes. Il y a des gens qui lisent ces textes et qui deviennent ouverts, tolérants, créatifs. Et il y a des gens qui lisent ces mêmes textes et qui deviennent intolérants et qui se referment surtout. Je pense que tout se passe dans la tête de l’homme qui lit ». Quant aux rapports entre les deux rives de la Méditerranée, Amin Maalouf nous précisait qu’ils relevaient « surtout des rapports entre pays développés et ceux du Tiers-monde, liés à des facteurs historiques, sociaux et autres qu’à la religion ». Quid de la Méditerranée, berceau des civilisations ? « Je crois que l’histoire de la Méditerranée n’a jamais été une histoire, où d’un côté, elle était le berceau de civilisations et, de l’autre, confrontations. Aujourd’hui, je pense qu’il y a beaucoup de haine, de violences, liées notamment aux problèmes d’identité entre les peuples méditerranéens. Mais, en même temps, je ne perds pas espoir », nous confiait Amin Maalouf lors d’une rencontre à la veille du troisième millénaire. L’est-il toujours dans un monde qui n’en a pas fini avec les injustices et les dérives mortifères ? La réponse est dans ses œuvres présentes et à venir.
    reporters.dz-Écrit par Abdelmadjid Kaouah
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
Chargement...
X