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Comment le Nigeria a vaincu Ebola

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  • Comment le Nigeria a vaincu Ebola

    Alors qu'un cataclysme était annoncé si Ebola arrivait à Lagos, la capitale économique du Nigeria a su maîtriser la situation avec brio.

    Nigeria, pays de tous les chaos. C'est du moins la réputation du pays le plus peuplé d'Afrique. Mais à l'image de Lagos, sa capitale économique, le Nigeria est bien mieux organisé qu'il n'y paraît de prime abord. Le chaos est souvent juste une apparence au-delà de laquelle se cache un système d'organisation opaque mais sophistiqué. Derrière la façade du désordre se dissimule un système subtil qui ménage les intérêts des plus puissants.

    Régulièrement depuis sa création en octobre 1960, les spécialistes annoncent l'explosion ou l'implosion imminente du Nigeria, pourtant là encore il n'en a rien été. Même pendant la guerre du Biafra (1967 à 1970), les autorités fédérales ont rapidement repris le dessus.

    Au plus fort de la crise Ebola en Afrique de l'Ouest, la grande crainte de beaucoup de spécialistes était son arrivée à Lagos, la ville la plus peuplée du continent. Présentée comme un pandémonium, cette mégapole de 22 millions d'habitants allait, selon eux, se révéler incapable de contrôler la pandémie. Ebola risquait alors de se répandre rapidement dans le pays le plus peuplé du continent.

    Le virus est bel et bien arrivé à Lagos. Il y a été introduit en juillet 2014 par Patrick Sawyer, un Libérien expert en finances, qui se savait malade, mais a caché son statut. Patrick Sawyer avait été interdit de séjour dans l'entreprise qu'il conseillait au Liberia. Sa sœur était décédée à cause de cette maladie. Mais il voulait coûte que coûte se rendre au Nigeria. Officiellement, Patrick Sawyer avait l'intention d'assister à une conférence à Calabar, grande ville côtière du sud-est. Dans la pratique, il se rendait sans doute chez le pasteur T.B Joshua qui s'était affirmé capable de guérir cette maladie. Pour se rendre à Lagos, Sawyer a bénéficié de passe-droits délivrés par des ministres libériens.

    Lors de ses prêches à Lagos, T.B Joshua réunit des dizaines de milliers de fidèles. Si ce haut fonctionnaire libérien avait pu se rendre au milieu d'une cérémonie religieuse, il risquait de contaminer des centaines de personnes en quelques heures. La progression de la pandémie serait sans doute devenue très difficile à contenir.

    Un malade sous haute protection

    Venu de Monrovia, la capitale du Liberia, Patrick Sawyer a fait escale à Lomé, la capitale togolaise, sur la route du Nigeria. Lors de ce passage au Togo, il a été victime d'un malaise et remis dans l'avion pour Lagos. A son arrivée à destination, Patrick Sawyer a fait un nouveau malaise. Il a alors contaminé un responsable du protocole venu l'accueillir, mais il a été rapidement intercepté par les services de sécurité nigérians qui l'ont conduit de force dans un hôpital.

    Dans ce centre hospitalier, il a contaminé des médecins et des infirmières. Dès que son statut de malade d'Ebola a été confirmé, les autorités nigérianes ont créé des centres spécialisés dans l'accueil des malades d'Ebola. L'une des infirmières contaminées s'est rendue dans l'est du Nigeria où elle est décédée. Mais les malades ont été maintenus de force dans ces centres jusqu'à ce qu'ils guérissent ou meurent.

    Dès son hospitalisation, l'ambassade du Liberia a exercé de fortes pressions sur le centre hospitalier pour que Patrick Sawyer soit « libéré ». L'ambassade a dénoncé un kidnapping. Une femme médecin a joué un rôle majeur pour empêcher une catastrophe de se produire: Stella Ameyo Adadevoh a été la première à diagnostiquer l'Ebola de son patient. Elle s'est fortement opposée à sa sortie de l'hôpital.

    Elle-même contaminée par Patrick Sawyer, elle a payé de sa vie son courage. Le virus porté par Patrick Sawyer a infecté vingt Lagotiens. Sept d'entre eux sont décédés : la plus célèbre d'entre eux étant le médecin Stella Ameyo Adadevoh. Nombre de Lagotiens voient désormais en elle une « sainte » qui a payé de sa vie un noble combat : empêcher Lagos de devenir un pandémonium.

    Pendant l'été 2014, Lagos retenait son souffle. Bien des habitants se terraient chez eux. Durant plus de trois mois, une inquiétude sourde s'est emparée de la ville. Il était alors difficile de pénétrer dans bien des lieux publics, notamment des restaurants ou des aéroports, sans avoir à accepter que sa température soit prise. Même aux frontières terrestres, les contrôles s'étaient multipliés et étaient effectués avec le plus grand sérieux.

    Les Lagotiens ont acheté des masses de thermomètres et de produits désinfectants. « Jamais nous ne nous étions autant préoccupés d'hygiène. Nous avions vu les ravages d'Ebola au Liberia et nous étions terrifiés. Il fallait à tout prix éviter d'en arriver là », estime Steve Lawson, avocat à Victoria Island.

    Lagos n'a pas sombré dans le chaos. Bien au contraire, la cité s'est prise de passion pour la lutte contre le virus. Les autorités ont bombardé les centaines de radios, de télévisions, de sites et de journaux de messages de prévention. Des applications anti-Ebola ont même vu le jour à grande vitesse. Les murs des rues de Lagos se sont emplis de messages de prévention. Contre toute attente, le virus a été rapidement éradiqué.

    Le Nigeria n'est pas un « Etat failli »

    Cette crise a apporté bien des enseignements. Tout d'abord, le Nigeria n'est pas un « Etat failli ». En cas de crise majeure, les autorités peuvent se mobiliser, notamment à Lagos, l'Etat le plus moderne et le plus efficace de la fédération nigériane.

    « Dans chaque village, nous disposons d'informateurs qui nous préviennent immédiatement si un problème sanitaire se pose. Nous pouvons réagir très rapidement. Nous avons des médecins bien formés », estime Emeka Adichie, haut fonctionnaire au ministère de la Santé. Par ailleurs, les services de renseignement nigérians, les DSS (Department State Security) disposent de grands pouvoirs et font preuve d'efficacité pour réunir des renseignements. Ils ont d'ailleurs fortement incité le pasteur T.B Joshua à arrêter de prétendre qu'il pouvait guérir les malades d'Ebola. A leur demande, T.B Joshua a conseillé à ses « fidèles étrangers victimes du virus de ne pas faire le voyage jusqu'à Lagos ».

    Autre enseignement majeur de cette crise : le monde n'est pas indifférent au sort de Lagos. Dès que le virus est apparu dans la capitale économique, la communauté internationale s'est mobilisée, notamment aux Etats-Unis. Selon le principe que le Nigeria est « too big to fall » (« trop grand pour tomber »), il fallait agir au plus vite pour prévenir une catastrophe humanitaire de nature à menacer le reste du monde, notamment les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.

    Des centaines de milliers de Nigérians disposent de la double nationalité avec ces deux pays. Les liens sont très étroits entre le Nigeria et la Grande-Bretagne, l'ex-puissance coloniale. Par ailleurs, les Etats-Unis sont le modèle de nombreux Nigérians, notamment dans le sud majoritairement chrétien. Ces binationaux auraient été tentés de fuir le plus rapidement possible le pays. Comment les arrêter à la frontière s'ils disposent de passeports américains ou britanniques en bonne et due forme ?

    De bons samaritains « made in USA »

    93 days est un film américano-nigérian consacré à la manière dont Lagos a vaincu Ebola. Financé notamment par la fondation Ford, ce long métrage à gros budget pour le Nigeria (plusieurs millions de dollars) fait la part belle à l'Amérique dans le sauvetage de la fédération. Dès le début de ce film sorti en 2016, les Nigérians appellent au secours la Maison Blanche qui décide de « sauver le géant de l'Afrique » au motif que le pays est trop important pour le laisser s'effondrer. Un argument qui plaît toujours à Lagos.

    Le célèbre acteur américain Danny Glover joue un rôle majeur dans ce film qui transmet un message essentiel : l'Amérique veille sur le Nigeria. Venu de l'Amérique profonde, un brave et jeune médecin idéaliste, blond comme les blés du Kentucky, symbolise cette mobilisation outre-Atlantique. Mais c'est grâce à la croyance en dieu et à la pensée positive made in America que Lagos échappe au naufrage. C'est du moins le message véhiculé par ce long métrage.

    Signe des temps, l'avant-première de 93 days a eu lieu à Lagos, à House on the rock, une grande et puissante église évangélique ayant pignon sur rue dans les beaux quartiers. L'avant-première était coorganisée par l'ambassade des Etats-Unis.

    Autre enseignement majeur de cette crise, Lagos entend coûte que coûte rester un sanctuaire. L'hôpital où était soigné Patrick Sawyer se situait à moins d'un kilomètre d'Ikoyi, le quartier résidentiel de Lagos. Ikoyi et Victoria Island abritent la plus forte concentration de millionnaires et de milliardaires du continent. Si le virus n'avait pas été stoppé dans cet hôpital, Lagos cesserait brutalement d'être un havre de paix pour les plus riches. Par ailleurs, la maladie ne fait pas de distinction entre les riches et les pauvres : elle aurait aussi bien pu tuer des milliardaires, leurs épouses, leurs enfants ou leurs maîtresses.

    Ebola n'a jamais sévi à Ikoyi ou Victoria island. De même que Boko Haram n'a jamais fait régner la terreur dans ces quartiers. Lagos est peut-être une ville pleine de dysfonctionnements, mais les plus riches se sont toujours débrouillés pour y échapper. Ils ont payé le prix qu'il fallait pour ne pas en subir les conséquences les plus fâcheuses. A la surprise générale, Lagos a vaincu Ebola. Sur les murs de la ville, des slogans d'inspiration footballistique ont vu le jour : « Lagos : 1/ Ebola : 0 ».

    Les oligarques qui dirigent la ville en sous-main savent faire preuve d'une efficacité surprenante dès lors qu'il s'agit de protéger leur bien-être financier et leurs intérêts vitaux. « A Lagos, Ebola n'a pas fait le poids », estime l'homme d'affaires Emeka Ude. Il ajoute : « Le virus s'est fracassé contre le mur de l'argent ».**

    RFI
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