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Pour mieux comprendre les fake news, il faut lire les romans d'Antoine Bello

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  • Pour mieux comprendre les fake news, il faut lire les romans d'Antoine Bello

    Avec sa trilogie («Les Falsificateurs», «Les Éclaireurs», «Les Producteurs»), le romancier français nous emmène avec son héros dans les tribulations de la falsification.

    Il y a des auteurs qui voient les choses avant tout le monde. On pense particulièrement à Georges Orwell avec 1984 ou Aldous Huxley et Le Meilleur des mondes. À une autre échelle évidemment, c'est aussi le cas d'Antoine Bello puisqu'avec sa trilogie (Les Falsificateurs, Les Eclaireurs et Les Producteurs), le romancier français a très vite compris le pouvoir de la falsification et des fake news.

    «Si je dois me rappeler d'un événement qui m'a marqué et donné envie d'écrire cette trilogie, c'est peut-être le charnier de Timisoara. Les opposants à Ceausescu avaient dit: “Regardez, c'est là qu'ils enterrent les opposants politiques qu'ils ont liquidés. C'est un scandale.” Les chaînes de télévision avaient filmé des tombes à perte de vue, on a dit qu'il y avait des milliers de corps. Ça a créé un ralliement assez incroyable en Roumanie, ce fut la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. L'insurrection s'est mise en branle et Ceausescu avait été déposé.»

    Quelques jours après le scandale, le dictateur roumain et son épouse seront arrêtés, jugés puis fusillés avant qu'on découvre plus tard que les corps montrés à la télé avaient été ainsi été déplacés d'un cimetière pour une sordide mise en scène.

    «Ce qui m'avait bluffé, c'est que la révision de l'information était passée inaperçue. Autant, la première info avait fait la une des journaux et avait été retransmise sur CNN, autant la révision était passée en fin de JT juste avant la météo. C'est à ce moment que je me suis rendu compte du pouvoir extraordinaire des informations et de l'image.

    Un don pour créer des fake news
    À travers sa plume et son imagination, Bello nous emmène donc suivre les tribulations de Sliv Dartunghuver, jeune Islandais débauché pour faire partie du mystérieux CFR (Consortium de Falsification du Réel), une organisation secrète internationale qui d'échafaude des scénarios pour falsifier l'histoire. En clair: inventer de fausses informations pour faire croire que des événements ont eu lieu en allant jusqu'à créer des preuves de toutes pièces.

    Son héros va par exemple aider les Bochimans, un peuple du désert du Kalahari, à obtenir son indépendance en mettant en avant les prétendues les manœuvres d'une multinationale. Sliv va également faire passer artificiellement le Timor oriental pour un pays proche d'un décollage économique en vue de faciliter son intégration aux Nations unies. Compliqué? Dans ce domaine, Bello est très doué.

    «Créer des fake news, c'était la chose la plus facile à faire lorsque j'ai écrit cette trilogie. Je commençais le matin. Je me disais: “Ah oui Sliv doit trouver une falsification” et une heure après j'avais tout le scénario. Je passe beaucoup de temps sur Wikipédia. Je regarde par exemple une liste de ce qui s'est passé en 2003, je tombe sur le succès d'une chanson puis je vais voir que l'auteur de la chanson est mort peu après. Tout de suite, j'imagine pourquoi et qui voulait sa mort? J'examine les textes de sa chanson et je vois qu'on peut en avoir une deuxième lecture possible. Ça peut être par exemple la critique du communisme. J'imagine alors qu'un mec s'en est rendu compte et qu'il l'a tué avant qu'il ne dévoile l'info. Je me monte facilement le bourrichon.»

    Installé aux États-Unis près de New York, le Français a suivi assidument l'ère George W.Bush et l'entrée en guerre du pays de l'Oncle Sam en Irak. Il décide un peu plus tard de reprendre la plume pour écrire Les Éclaireurs. Dans cet ouvrage auréolé du Prix France-Culture-Télérama, il évoque dans son scénario le délire des armes de destruction massive. L'histoire sert alors de prétexte à l'auteur pour rappeler à quel point certains politiques, experts et journalistes n'ont pas fait leur travail pour empêcher la guerre.

    Et à l'époque, Fox News n'est pas la seule rédaction à ne pas avoir cherché à remettre en doute la version officielle de la Maison-Blanche. Parmi eux, Judith Miller, Prix Pullitzer et membre à l'époque du prestigieux New York Times avait été vouée aux gémonies après le conflit pour avoir publié de fausses informations concernant les armes de destruction massive.

    «Quand vous lisez une grande journaliste qui vous raconte qu'on a trouvé des tubes métalliques qui servent à construire des centrifugeuses pour enrichir de l'uranium, on a tendance à la croire. Ce n'est qu'après qu'on a compris que c'était faux. L'administration avait envie de vendre une histoire aux citoyens américains, c'était elle qui était aux manettes et qui écrivait le scénario. Tout ce qui allait à l'encontre de ça était laissé de côté. On s'est retrouvés dans une situation de montée vers la guerre où la vérité n'importait pas. Au contraire, on essayait de la cacher, de la dissimuler, de la travestir. On arrêtait de parler aux journalistes qui n'allaient pas dans le bon sens, on donnait des scoops à ceux qui faisaient un peu allégeance.»

    «Ce qui compte c'est le storytelling»
    Dans le dernier ouvrage de la trilogie publié en mars 2015, le développement massif du web et la puissance virale des réseaux sociaux ont bien évidemment changé la donne. Car n'importe qui, aujourd'hui, peut créer un site et publier n'importe quelle bêtise et les fake news détrônent parfois les vraies.

    Ce fut particulièrement le cas lors des dernières élections américaines durant lesquelles les hoax avaient été plus partagés que les articles émanant de vrais journalistes. Pizzagate, faux attentat en Suède, soutien du pape François à Donald Trump, bienvenue dans l'ère de la post-vérité élu mot de l'année par Oxford.

    «Avec internet, toutes les histoires cohabitent. On peut trouver sur un site que les peuple juif est élu, sur un autre qu'il est damné, que Luther King était un héros et sur un autre un salaud, que John Kerry a mené une guerre brillante au Vietnam mais aussi le contraire. La vérité n'importe plus, tout est mis sur le même plan.»
    Roi du scénario tronqué, Sliv ne pouvait pas y couper. L'Islandais retrouve Vargas, un ancien collègue du CFR, devenu scénariste star à Hollywood. Ce dernier lui donne alors quelques «tips» pour arriver à bâtir l'histoire qui va plaire et par la même occasion rester graver dans la tête des citoyens.

    «Pourquoi, à l'arrivée, il y a un scénario qui prend? Pourquoi c'est celui dont tout le monde parle dans les dîners en ville ou qui est partagé sur Facebook? Parce qu'il joue sur des ressorts plus forts, conforte les préjugés, s'appuie sur une image spectaculaire, explique pourquoi certains ont perdu leur job, appelle à leur sentiment de revanche. Aujourd'hui, c'est la meilleure histoire qui gagne.»
    Un travail de diffusion énorme
    Si la construction d'un bon scénario est importante, sa diffusion aussi. Dans ce domaine, rien n'est laissé au hasard pour que l'information touche le plus grand nombre. Sliv l'a encore bien compris. Ainsi, lorsqu'il veut booster la visibilité d'une de ses infos, il décide de s'attacher les services d'une «task force» chargée d'user de tout un arsenal de méthodes pour que son histoire trouve une bonne place dans les médias ou sur les réseaux sociaux.

    Des e-mails envoyés à la rédaction du New York Times pour faire remonter l'info, des commentaires enthousiastes sous un article du Times, en passant par la création de milliers de faux comptes Facebook pour «liker» le plus possible la page officielle du héros de sa fable. Ca ne vous rappellerait pas le faux compte Twitter usurpé à une étudiante par des pro-Trump?

    Derrière le président américain, comme derrière Sliv, toute une équipe s'est constituée pour battre Hillary Clinton et notamment grâce à la désinformation. Trump dont seuls 4% des propos tenus durant la campagne auraient été totalement exacts, a, ainsi pu compter sur le soutien de l'homme qui a longtemps murmuré à son oreille: Steve Bannon et son site Breitbart, roi des fake news.

    Moins connu mais peut-être plus influent, le milliardaire Robert Mercer (qui est d'ailleurs un des principaux actionnaires de Breitbart News) est également actionnaire majoritaire de l'entreprise Cambridge Analytica. Cette start-up affirme avoir développé une technique de ciblage comportemental. En clair, elle a récolté pendant plusieurs années 5.000 données sur plus de 230 millions d'Américains qu'elle s'est procurées auprès de différents organismes (banques, sécurité sociale...) et de géants du net comme Google ou Facebook.

    Cambridge Analytica aurait, par la suite, mis en corrélation ces données avec les réponses à des tests de personnalité basés sur le modèle des Big Five aussi appelé Ocean (ouverture d’esprit, le fait d'être consciencieux, l'extraversion, agréabilité et neuroticisme).

    Avec cet outil, plus question d'envoyer le même message à tous les électeurs, les partis peuvent adresser une publicité personnalisée sur le fil Facebook de ces derniers. À un électeur au profil très neurotique, préoccupé par la menace d'un cambriolage et ayant soucrit une assurance sur une arme, on enverra par exemple une vidéo concernant le deuxième amendement (port d'armes). Une méthode flippante déjà utilisée lors du Brexit.

    «En regardant ce qu'ils aiment on connaît très très bien les gens. On dit que si je vois 10 likes d'un internaute, je le connais aussi bien que ses collègues de bureau, je vois 50 likes, aussi bien que ses enfants, 100 aussi bien que son conjoint, 150 aussi bien que lui et je vais déduire ce qu'il va aimer. Il y a en des gens qui ont élevé ça au rang d'arme politique, avec des moyens considérables –des dizaines voire des centaines de millions de dollars– et à l'heure où l'on parle ils sont en train d'affiner leurs outils et il recommenceront à la prochaine élection.»

    Ce fut d'ailleurs le cas au Kenya lors du dernier scrutin présidentiel puisqu'Uhuru Kenyatta s'est attaché les services de Cambridge Analytica pour assurer sa réelection. Pas bête quand on sait que 88% des Kenyans ont accès à internet via leur smartphone et qu'ils sont parmi les plus actifs du continent sur les réseaux sociaux. Bingo.


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