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Hafez el-Assad, le saigneur en ses États...

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    Hafez el-Assad, le saigneur en ses États...

    Le président syrien a fait de son pays une puissance régionale et un interlocuteur indispensable au Proche-Orient. Mais à quel prix...


    Anthony SAMRANI | L'Orient Le Jour
    01/09/2017

    10 juin 2000, Damas. Cette fois-ci, la nouvelle est officiellement confirmée. Le président syrien Hafez el-Assad s'est éteint en ce jour, à la suite d'une crise cardiaque ou d'une attaque cérébrale, selon des sources divergentes. Le président libanais Émile Lahoud assure qu'il s'entretenait au téléphone avec lui à ce moment-là. L'homme à la santé fragile, dont on avait annoncé la mort à de multiples reprises depuis sa crise cardiaque en 1983, avait pris l'habitude d'en plaisanter durant les dernières années de sa vie.
    « Les rumeurs sur ma mort sont grandement exagérées », répétait-il, non sans plaisir, à ses nombreux interlocuteurs, reprenant la formule de l'écrivain américain Mark Twain.

    L'heure du deuil n'a pas commencé que la question du jour d'après est déjà sur toutes les lèvres. La mort du lion n'a rien d'une surprise, et tout le monde semble pourtant pris de court. « Quel Proche-Orient après Hafez, quelle Syrie, et par incidence quel Liban ? » écrit dans son éditorial Issa Goraieb, rédacteur en chef de L'Orient-Le Jour. Le même mot revient en boucle, dans la bouche des Américains comme des Russes, des Français comme des Arabes, autant pour résumer son parcours que pour s'assurer qu'un aspect au moins de son héritage sera préservé : stabilité. Les Iraniens viennent, quant à eux, de perdre leur principal allié dans la région.

    « Le président syrien est mort après avoir lutté pendant plus d'un demi-siècle pour l'honneur des Arabes », annonce la télévision syrienne. La propagande matraquée pendant presque 30 ans a fait son effet. Par conviction ou par peur des représailles, de nombreux Syriens hurlent leur douleur, jusqu'à s'automutiler pour la ressentir dans leur propre chair. Au pays où règne le silence, les démonstrations de deuil paraissent volontairement exagérées et les regards sont fuyants.

    Pas foule

    Les grands palaces de Damas somment poliment les clients ordinaires et les journalistes de quitter leur chambre. Mais les grands dirigeants de la planète ne se pressent pas pour se rendre à l'enterrement du raïs syrien. Le contraste avec les funérailles de Hussein de Jordanie, quelques mois plus tôt, est frappant. Ni Bill Clinton ni Vladimir Poutine ne font le déplacement. Jacques Chirac est le seul dirigeant occidental à participer à la cérémonie, aux côtés de quelques leaders arabes, parmi lesquels le chef de l'OLP, Yasser Arafat, qui entretenait pourtant des relations exécrables avec Hafez el-Assad. Comme la plupart des dirigeants de la région, à vrai dire...

    La cérémonie ressemble davantage à une passation des pouvoirs qu'à des funérailles. Les slogans « Par notre âme et par notre sang, nous nous sacrifierons pour toi Bachar », ou « Il n'y a que Dieu, la Syrie et Bachar » sont scandés dans la rue au passage du cercueil. Le jeune ophtalmologue a la réputation d'être un homme moderne, plutôt timide, souhaitant mettre la Syrie à l'heure d'internet. Mais il doit avant tout imposer son pouvoir, notamment auprès de la vieille garde, et, pour ce faire, enfiler le costume de Dieu son père. De celui qui a réussi à faire d'un pays instable, de taille moyenne et sans ressources particulières, une puissance régionale capable de s'ingérer à sa guise dans les affaires de ses voisins. De celui qui a réussi à s'imposer comme un interlocuteur indispensable au Proche-Orient, donnant plus que jamais corps à cette formule arabe : « Pas de guerre sans l'Égypte, pas de paix sans la Syrie. »
    Hafez el-Assad est enterré dans un mausolée auprès de son fils aîné Bassel, le 13 juin 2000, dans son village natal à Qerdaha. Là où, 70 ans plus tôt, tout a commencé.

    Tous les choix politiques les plus importants de Hafez el-Assad ont été, quelque part, influencés par les trois grandes frustrations et obsessions de ses années d'enfance et de jeunesse, qui ont façonné sa mentalité d'assiégé : la marginalisation de la communauté alaouite ; l'instabilité de l'État syrien fragilisé par dix coups d'État et les défaites successives des armées arabes face à Israël.

    Excepté la politique, rien ne semble avoir jamais passionné le lion de Damas. À seulement 16 ans, il adhère au parti Baas. Comme la plupart des alaouites de milieu modeste, il intègre ensuite l'académie militaire, à défaut de pouvoir se payer des études universitaires. Durant les années 50, le salut syrien doit nécessairement passer par Le Caire. Le panarabisme connaît son heure de gloire et Nasser est l'idole de la jeunesse arabe. L'unité arabe sous la bannière socialiste ne peut qu'aboutir à la victoire contre Israël, estiment alors les jeunes baassistes syriens. La mégalomanie nassérienne, puis plus tard la défaite cuisante de 1967 vont les ramener à la réalité.

    Une nouvelle réalité dont Assad ne va pas tarder à profiter. Devenu pilote, le jeune officier s'approche doucement du pouvoir à la fin des années 50. Au Caire, il crée un comité militaire clandestin avec ses compagnons pour reconstituer le Baas, interdit par Nasser suite à la création de la République arabe unie en 1958. Il assiste ainsi depuis les premières loges à la sortie, en 1961, de son pays de la RAU, suivie de l'arrivée au pouvoir d'une formation hétéroclite, comprenant le Baas.

    Tous les sept ans

    Assad ne va cesser de comploter contre ses adversaires comme contre ses alliés durant toutes les années qui vont suivre. Montant les marches du pouvoir une à une, il n'hésite pas à écarter ses anciens compagnons de route, comme Mohammad Omrane ou Amine el-Hafez, pour se retrouver ministre de la Défense en 1966. Il ne reste plus que deux obstacles sur sa route vers le pouvoir absolu, Noureddine Atassi et surtout Salah Jedid, les leaders de l'aile dure du Baas. Le général Assad attend son heure. Ses adversaires ne s'y trompent pas et l'accusent de préparer un coup d'État. « Vous devez vous prendre trop au sérieux pour croire que votre départ du pouvoir mérite un coup d'État », rétorque-t-il.
    Le putsch aura bien lieu, en 1970. Assad refuse d'envoyer ses escadrilles au secours des Palestiniens durant les événements du septembre Noir en Jordanie. Il est convaincu que la Syrie s'est laissé entraîner par les Palestiniens dans la guerre de 1967 et ne veut pas répéter la même erreur. Il écarte ses deux concurrents et les jette en prison.

    Le « Sphinx » est désormais seul maître à bord. À seulement 40 ans. Pour la forme, il s'offre un plébiscite le 12 mars 1971, lors duquel 99,2 % des Syriens disent oui à sa présidence. Il répétera la même comédie tous les sept ans.

    Son arrivée au pouvoir arrange un peu tout le monde. Les Américains se débarrassent d'un régime dogmatique très proche de l'URSS, les Égyptiens et les Saoudiens renouent leur relation avec Damas, et Israël ne peut que constater que le nouveau pouvoir est plus pragmatique que ses prédécesseurs. Dans l'esprit d'Assad, mieux vaut ne pas provoquer l'ennemi et l'amener à lancer une bataille pour laquelle la Syrie n'est pas prête. Le slogan « La guerre populaire est l'unique moyen de libérer la Palestine » disparaît de la phraséologie baassiste.

    Parité stratégique

    Durant ses trente ans de règne, il n'affrontera véritablement l'armée israélienne qu'une seule fois, en 1973. Avec des moyens limités, il ressort politiquement renforcé de cet affrontement, malgré sa défaite militaire et son incapacité à remettre la main sur le Golan. En 1974, il négocie un accord de désengagement des forces armées dans le Golan, sous la houlette du secrétaire d'État américain Henry Kissinger. Cette négociation va s'avérer être l'un des principaux fondements de la survie du régime.

    Quelques mois plus tard, Richard Nixon se rend à Damas pour rétablir les relations diplomatiques entre les deux pays. À partir de ce moment, Washington va considérer Damas comme un ennemi stabilisateur, avec lequel il peut parfois travailler. Celui qui était décrit par Kissinger comme « un homme d'une intelligence de premier ordre » développe alors son concept de « parité stratégique » vis-à-vis d'Israël. Rêvant de prendre sa revanche contre l'État hébreu, Assad estime cependant qu'il faudra attendre que les deux armées soient au même niveau pour lancer les hostilités. Sauf qu'après lui avoir fait miroiter cette possibilité pendant deux décennies, les Soviétiques feront comprendre à leur plus proche allié au Proche-Orient que la parité stratégique relève purement et simplement de l'utopie.

    Israël est donc trop fort pour la Syrie d'Assad. Soit. Pour tirer son épingle du jeu, le président syrien va alors tenter de mater ceux qu'il estime être plus faibles que lui. S'ingérer dans les affaires de ses voisins pour devenir un interlocuteur indispensable au Proche-Orient, et pour éviter que ces derniers ne mettent le nez dans les siennes. Traumatisé par la faiblesse syrienne face aux hachémites dans les années 50, puis devant la stature de Nasser, et enfin vis-à-vis de l'aventurisme des fedayin palestiniens, il veut inverser le rapport de force.

    Sa première préoccupation est de mettre au pas la résistance palestinienne. Assad va accueillir les fedayin, les chasser, les financer, les armer, les bombarder au gré de ses propres intérêts. En prenant toujours soin, bien sûr, de les diviser afin d'affaiblir, autant que faire se peut, celui qui ose contester sa suprématie : Yasser Arafat.

    C'est néanmoins au Liban que celui que ses partisans surnomment « le Bismarck du Moyen-Orient » jouera sa partition la plus cynique. Estimant, comme la plupart des Syriens à l'époque, que le Liban a été détaché de la Syrie par les puissances coloniales, il résume sa vision de la situation par les mots suivants : « Un seul peuple dans deux États. » Au moins reconnaît-il l'existence de deux États séparés, pour ne pas brusquer davantage l'opinion libanaise. Mais, dans son esprit, l'un des deux États doit nécessairement prendre l'ascendant sur l'autre. Et cela ne peut être que le sien. Le lion de Damas va profiter de l'éclatement de la guerre libanaise en 1975 pour se placer en arbitre du conflit, capable de vassaliser, au gré des circonstances et avec le feu vert des Américains, n'importe quelle partie. L'armée syrienne intervient directement en juin 1976, en faveur du camp dit « isolationniste », pour empêcher la victoire des fedayin et de leurs alliés.

    Diviser pour mieux régner

    Dans les années qui suivent, Damas tente, tant bien que mal, d'imposer sa pax syriana au Liban. Mais l'évolution régionale, avec la signature d'une paix séparée entre l'Égypte et Israël lors des accords de Camp David en 1978, ne joue pas en sa faveur. Les leaders chrétiens réalisent, une fois de plus, que leurs aspirations ne coïncident pas avec la politique de Damas. Assad tente de répliquer en s'accrochant à son leitmotiv : diviser pour mieux régner. L'armée syrienne bombarde le camp chrétien, mais est obligée de se retirer de plusieurs quartiers. Assad recule. Il est en train de perdre, relativement, son emprise sur le Liban.
    La situation empire encore en 1982. Israël envahit le Liban-Sud pour en chasser l'OLP. Malgré l'assassinat de Bachir Gemayel, attribué à des proches de la Syrie, le Liban officiel signe un accord avec l'État hébreu en 1983, prévoyant notamment le retrait des forces israéliennes. Bien qu'un moment défait, Assad va mettre les bouchées doubles pour faire reculer le gouvernement libanais, jusqu'à parvenir à ses fins en 1984. « Les Arabes et les Américains veulent bien aider le gendarme syrien à accomplir la mission qui lui a été confiée dans le supermarché libanais, mais à condition qu'il ne tente pas de s'affirmer comme gérant exclusif de l'entreprise », décrypte alors le propriétaire d'an-Nahar, Ghassan Tuéni.

    Durant la même période, celui que les étudiants syriens appellent « al-boustar » (la botte) est sérieusement chahuté sur la scène intérieure. Plus grand monde n'est dupe de la réalité du pouvoir au sein d'un régime qui a habilement habillé de nationalisme arabe son communautarisme. Tous les ingrédients de la méthode Assad se mettent très tôt en place : les moukhabarate (services de renseignements), les geôles pleines à craquer d'opposants politiques, les institutions étatiques qui font écran à un État souterrain contrôlé par le clan alaouite. Et surtout : la négation de toute société civile, au sens politique du terme, par le règne de la peur. La pérennité d'un tel régime étant avant tout assurée par la solidarité des membres du clan uni par un esprit de corps, « la assabiya », et par le silence de la communauté internationale, comme le décryptera avec finesse Michel Seurat dans L'État de barbarie.

    SUITE CI-DESSOUS :
    Dernière modification par choucha, 13 septembre 2017, 18h52.

  • #2
    SUITE

    La répression de l'insurrection de Hama déclenchée par des membres des Frères musulmans en 1982 en est le meilleur exemple. Assad agite le drapeau de la menace islamiste et décide alors de lancer l'opération « terre brûlée » pour envoyer un message à tous ses adversaires. Résultat : entre 10 000 et 40 000 morts, selon les estimations, pour se débarrasser de quelques centaines d'islamistes. Washington s'inquiète des « troubles violents ». Assad dénonce en retour les ambitions agressives des États-Unis et déclare qu'il « existe des liens directs entre les conspirateurs, l'impérialisme américain et les sionistes ». « La situation est normale et calme, peut-être même plus calme que dans plusieurs villes américaines », lance, de son côté, le ministre syrien de l'Information Ahmad Iskandar Ahmad. La ville est rasée. Le message est passé. Silence de la communauté internationale. « L'Occident n'aurait rien à gagner de la chute du président Assad », écrit le Times de Londres le 15 février 1982. « La pensée d'un autre Khomeyni à Damas suffit à faire passer des frissons aussi bien dans l'échine des Arabes que dans celles des Occidentaux », ajoute-t-il.
    Le stratège n'a pas dit son dernier mot et abat une nouvelle carte au début des années 1990.

    Contrairement à Saddam Hussein, il comprend l'importance de la chute du mur et de l'implosion de l'URSS, et fait un pas, calculé, vers le camp occidental. Après avoir soutenu l'Iran de Khomeyni dans sa guerre contre l'Irak de Saddam Hussein, son ennemi juré – quitte à se mettre à dos les Arabes –, il rejoint la coalition internationale contre l'Irak, après l'invasion du Koweït par Bagdad. Le régime syrien devient alors plus « fréquentable » et obtient le feu vert américain pour imposer sa pax syriana au Liban. Au pays du Cèdre, il doit désormais prendre en compte une nouvelle donne avec la victoire du Hezbollah, soutenu par l'Iran, sur son obligé Amal, et la montée en puissance de Rafic Hariri, soutenu par l'Arabie saoudite.
    Damas accepte Hariri, malgré lui, comprenant que, pour pérenniser sa tutelle sur le Liban, il est nécessaire de s'entendre avec les Saoudiens. Mais, sans s'en rendre compte, Assad a fait entrer le loup dans la bergerie. Hariri, avec l'appui de Chirac, va le pousser à normaliser ses relations avec l'Occident tout au long des années 1990 et devenir une partie prenante du processus de paix au Proche-Orient. Ne voulant pas la guerre, mais ne voulant pas non plus vraiment la paix, Assad va jouer le jeu, tout en demeurant inflexible, à l'image du personnage qu'il a tant contribué à forger.

    « Ton père était assis juste là »

    Après trente ans de pouvoir, l'homme qui porte le front haut, le crâne dégarni et le menton autoritaire demeure une énigme pleine de paradoxe. Animal à sang-froid, il a éliminé tous ses adversaires à chaque fois qu'il a pu le faire, tant sur la scène intérieure que régionale : la liste des martyrs présumés victimes de son régime, de Kamal Joumblatt à Bachir Gemayel, en passant par l'ambassadeur de France à Beyrouth, Louis Delamare, et le mufti Hassan Khaled, suffit à discerner les limites de sa mansuétude. Et son plaisir d'avoir droit de vie ou de mort sur ceux qui contestent son autorité : « Ton père était assis juste là », aurait-il dit à Walid Joumblatt lors de la première visite du leader druze à Damas.

    L'homme est cynique, sinistre même, mais aussi imperturbable qu'incorruptible. Alors que son clan s'est engraissé en détournant les ressources de l'État, il a toujours préféré le pouvoir à l'or. À condition de ne jamais le partager, avec qui que ce soit. « Attention, interdit de faire ce qu'a fait Gorbatchev. Si on ouvre, tout s'écroule », aurait dit à son fils, peu avant sa mort, celui qui se prenait pour le successeur des Omeyyades.

    Mais tout en appliquant scrupuleusement la dernière volonté de son père, le fils a dilapidé l'essentiel de l'héritage : il a fait revenir la Syrie quarante années en arrière. À une époque où elle n'était qu'un pion au service des intérêts des puissances régionales et étrangères. Une erreur probablement impardonnable, aux yeux de son propre père.
    Dernière modification par choucha, 13 septembre 2017, 17h44.

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