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France: Mineurs en prison, défaut d'éducation

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  • France: Mineurs en prison, défaut d'éducation

    Un rêve habite Pierre, 16 ans : devenir boulanger. "Tu as de l'or dans les mains", lui a dit un jour le patron chez lequel il était en stage. "J'étais à fond dedans", raconte-t-il avec le sourire. Puis Pierre a été condamné à quatre ans d'emprisonnement pour une "grosse bêtise". Il est détenu depuis un an. A la maison d'arrêt de Sequedin, près de Lille, il est seul. Ses parents ne viennent jamais le voir. Le travail, l'éloignement... "Il y a les lettres", glisse l'adolescent, gêné. "Des mineurs qui ont des parloirs, il n'y a en a pas beaucoup", remarque un peu plus tard Christophe Taquet, l'un de ses surveillants. Moins de la moitié, en réalité.

    Pierre porte les baskets marron à deux sous que les moins fortunés peuvent "cantiner" à la prison. Selim, 17 ans, a des Nike et la visite de sa mère "une fois toutes les deux semaines. C'est normal, c'est comme ça". Son père ? "Non. Il est pas là." Selim "n'aime pas" quand sa mère le voit ici. "Les leçons de morale qu'elle me fait ! J'en veux pas." La maman vient avec le petit frère, à qui l'aîné explique qu'il est à l'école des pompiers. Selim, du genre bravache, veut donner l'impression qu'il maîtrise les frontières de son univers.

    Cet hiver, au quartier des mineurs de Sequedin, il fait chaud comme dans une couveuse. Onze adolescents sont présents. Quatre surveillants, trois éducateurs et un instituteur à temps plein les encadrent. Le quartier des mineurs, moderne, est isolé de celui des adultes. "C'est un quartier qui tourne bien", explique James Courtois, le directeur du centre pénitentiaire. Ouvert en 2004, avec 40 places, il n'a jamais fait le plein.

    Quand ils arrivent ici, après un acte grave ou une succession d'infractions et de placements sans résultat, ces adolescents n'en ont pas fini avec la violence. Ils cassent la cellule, insultent les personnels. " Pour la première fois, on leur dit non. Forcément, ça passe mal", analyse le chef surveillant. "Certains ont été longtemps livrés à eux-mêmes, d'autres ont vécu avec des adultes déméritants qui les ont laissés tout faire, en ont fait des enfants-dieux." Les intéressés, de leur côté, évoquent la nécessité de "se faire respecter". Dans ce lieu, les caïds "vont voir si les arrivants sont des "victimes", comme ils disent, ou des personnes qui se laissent pas faire, témoigne Pierre. Un qui se laisse faire, tout le monde va l'agresser, le racketter. Avant, j'étais assez violent. Ils savent qui je suis." Depuis quatre mois, cependant, l'adolescent n'a plus de problème de comportement et peut suivre des activités. Les mineurs de Sequedin sont classés en trois catégories. Le régime "rouge" s'applique aux perturbateurs. Ils ont droit au "minimum syndical du code de procédure pénale", comme le résume Aurélie Leclercq, la directrice du quartier : accès aux cultes, à la promenade et à l'école. Les nouveaux arrivants démarrent tous à l'"orange", avec télévision, bibliothèque, activités et sport. Le régime "vert", le plus libéral, donne aussi accès à la PlayStation et au ping-pong. La situation est réexaminée chaque semaine. "Cela permet de gérer les choses sans recourir au disciplinaire", explique Mme Leclercq. Pour Selim, cela n'a pas suffi. Il a effectué plusieurs passages au quartier disciplinaire au cours de ses six mois de peine. L'un parce que du haschich a été retrouvé dans sa cellule. L'autre parce qu'il a été mêlé à un acte de torture sur un autre détenu, des faits qu'il nie.

    Télés allumées, odeur de cigarette froide, mines pâles : à midi, lors de la distribution du repas, les portes jaunes des cellules s'ouvrent sur une troupe en chaussettes. Certains sont encore au lit, sous la couette. "Tu peux te lever à 7 heures comme à midi. Sur 24 heures, tu es 22 heures en cellule, explique Selim. Les activités, c'est une heure par-ci par-là. Tu prends l'habitude."

    La télévision remplit le temps. Certains la regardent des nuits durant. Le soir viennent les coups de déprime et les crises. Pierre ne s'en cache pas. "Avant, j'étais plutôt du soir, raconte-t-il. Je sortais la nuit et j'allais directement travailler le matin." Pour Selim, "la nuit, c'est la fête". Les surveillants du jour partis, "il n'y a plus personne que nous, affirme-t-il. C'est la musique à fond !". L'occupation favorite des mineurs est alors de discuter par la fenêtre avec les majeurs, juste en face, à portée de voix et d'invectives.

    Le premier défi de la vie quotidienne, c'est la propreté. La prison est neuve, mais les rats viennent de faire leur apparition. Car, au pied du bâtiment des mineurs, le gazon est jonché de détritus. La matinée commence avec un seau et un balai. A 8 heures, les détenus doivent avoir nettoyé leur cellule. Tous les repas y sont servis. Les "verts" ont le droit de prendre leur déjeuner en commun, mais nul ne le demande jamais.

    Les activités principales sont la promenade et l'école, dix heures par semaine. Deux demi-journées sont consacrées au sport. Plus ponctuelles, des activités thérapeutiques et des ateliers animés par des bénévoles jalonnent le reste du temps : atelier BD, écriture rap... Rien n'est imposé. "Si on oblige, on va au clash", disent les surveillants.

    Dans sa mini-salle de classe à cinq places, Philippe Laheyne, l'instituteur, évoque sa fierté d'avoir réussi à faire venir les adolescents. Mais l'enseignant souligne un "paradoxe triste" : "J'en ai un qui revient pour la quatrième fois en prison. Vu son mode de vie, c'est le seul endroit qui lui permette d'avancer. La première fois, il était illettré. Maintenant, il peut écrire." Pour plusieurs de ces jeunes, "c'est un peu leur maison. Ils sont tellement livrés à eux-mêmes dehors qu'ils font, j'en suis sûr, ce qu'il faut pour revenir, même s'ils nous disent que la prison c'est de la *****."

    Passé le premier choc, la prison forme une sorte de parenthèse dans leur vie. La durée moyenne de séjour à Sequedin, où la plupart des mineurs sont en détention provisoire, c'est-à-dire dans l'attente d'un jugement définitif, est de deux mois. Patrick Ruffié, directeur adjoint, pense qu'"il faudrait qu'ils passent un temps beaucoup plus court en prison. Car les adolescents ont une grande adaptabilité et, passé le choc, le milieu carcéral ne leur sert pas". La détention est relativement calme. " La difficulté, ce n'est pas ici, ils sont structurés : c'est à la sortie, gérer sa liberté", souligne le gradé.


    Le cadre carcéral "fausse tout", affirment surveillants et éducateurs. Un jeune détenu "est capable de dire oui à tout, d'avoir un beau projet, et de recommencer le jour de sa sortie, explique Stéphane Vatan, l'éducateur. Ceux qui se comportent bien en détention ne sont pas forcément ceux qui ne vont pas récidiver".

    A mille lieues des discours à l'emporte-pièce sur les mineurs délinquants, ces professionnels affichent ainsi une très grande modestie. "Il convient de rester humble", dit l'éducateur. "Vous travaillez sur de l'humain, alors laissez tomber les certitudes", lance le surveillant chef. "Que faudrait-il faire ? On n'en sait rien !", confie Bruno Gomber, surveillant expérimenté. L'instituteur, lui, évoque ses "petites victoires" : avoir redonné confiance, prouvé qu'ils sont capables de faire "quelque chose de plus compliqué que de se filer un rencart dehors".

    Il faut arrêter de mettre tout le monde dans le même lot, se défend Pierre, le jeune détenu. "Moi, je ne suis pas un délinquant comme le dit Sarkozy. J'avais des stages. Je devais commencer un apprentissage. Ça n'a pas marché." L'adolescent se dit "d'accord avec Ségolène Royal : une personne qui n'est pas récidiviste, elle devrait faire une partie de sa peine à l'armée. Au moins, le jeune connaîtra la discipline et respectera les gens". A l'inverse, Pierre juge que la prison des mineurs n'est pas assez stricte pour les vrais délinquants, ceux " qui se retrouvent souvent au poste et qui créent plein de problèmes". Car, finalement, "ça passe très rapidement, et on peut faire assez de choses pour occuper la journée. Certains, quand ils sont passés ici, ils n'ont plus peur de la prison". De fait, la plupart finissent par revenir.

    Evoquant lui aussi "ceux qui reviennent au bout de dix jours", Selim affirme que "la prison, c'est juste une perte de temps. Ça ne change pas les personnes ". Il jure qu'il a "assumé direct" ce qu'il a fait et que ce n'est pas l'incarcération qui l'a fait réfléchir. "J'en ai assez fait, c'est tout." Le garçon affiche une sincère fierté d'avoir passé le brevet de secourisme : "Un diplôme en prison !" Mais il passe vite sur son "projet de sortie" bâti avec l'éducateur : devenir peintre en bâtiment. L'équipe doute de sa capacité à rompre immédiatement avec la délinquance.

    Les responsables de Sequedin estiment que le système actuel n'est guère une solution pour ceux "qui font carrière" dans la délinquance. Ils les voient trop souvent revenir et, derrière les murs, reconstituer les bandes de l'extérieur. Pour les autres, ils espèrent plus de responsabilité des adultes. "On se dit que si on prenait certains jeunes sous notre aile, on y arriverait", confie M. Gomber. L'équipe continue de demander aux parents de Pierre de venir. En vain.

    Le noeud, affirme M. Ruffié, "c'est la carence affective. Ici, on peut s'attacher à eux, mais on ne peut pas les appréhender comme nos propres enfants. Là réside la limite de l'intervention de l'administration". Le coeur du problème, disent ces professionnels de la sécurité, c'est l'éducation.

    Par Le Monde
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