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Dans le sillage du Congrès de la Soumam : l’Opération «Oiseau Bleu» ! (1re partie)

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  • Dans le sillage du Congrès de la Soumam : l’Opération «Oiseau Bleu» ! (1re partie)

    Krim Belkacem se rend discrétement à Alger pour en discuter avec Abane Ramdane dont le nom commence
    Krim Belkacem se rend discrétement à Alger pour en discuter...

    Par Mahelal Ali

    Fils de Chahid


    Nous venons de célébrer la journée du 20 Août, Journée du Moudjahid, qui consacre deux épisodes majeurs de la glorieuse Révolution de Novembre 54 : le 20 Août 1955, date de l’offensive du Nord-Constantinois, et le 20 Août 1956, date marquante de la tenue du Congrès de la Soummam.

    Cette escale sur ces deux épisodes glorieux de la guerre de Libération nous inspire pour esquisser la rédaction de cette modeste contribution pour nous rappeler et faire rappeler que nous ne sommes pas loin de commémorer le dénouement heureux d’un autre glorieux épisode de la Révolution de 54 réalisé par les vaillants résistants en wilaya III historique, représenté par le complot dénommé «Opération Oiseau Bleu», qui a été dévoilé aux congresistes de la Soummam et qui a conu son épilogue suite à la décision d’y mettre un terme prise par les mêmes congressistes, compte tenu de la réussite au profit du FLN/ALN qu’il a connue jusque-là et du danger qu’encourraient, plus avant, les militants qui y étaient engagés (entre 1000 et 1200 hommes).

    L’opération «Oiseau Bleu» consiste en un complot qui a été mis en œuvre par le SDECE (services secrets français) à partir du printemps 1955 et qui envisageait de détacher de la rébellion du FLN plusieurs centaines de Kabyles, puis de les transformer en commandos clandestins, opérant avec des tenues et des armes analogues à celles de l’ALN et de les charger de créer un véritable «contre-maquis» en Kabylie baptisé «Oiseau bleu» ou «Force K» (K pour «Kabyle»). Ce complot s’est soldé par un cuisant échec, mieux, par un total retournement puisqu’il permit d’approvisionner le FLN en armes, hommes et fonds numéraires.

    Cette opération, longtemps tenue secrète, est encore largement ignorée des historiens et des opinions française et algérienne.
    Yves Courrière se vante d’être le premier à l’avoir révélée, mais ne l’a jamais cernée de manière satisfaisante, certainement empêché, tant l’échec pour la partie française était désastreux et, à l’inverse, la victoire pour le FLN et l’ALN rehaussait leur prestige auprès de l’opinion nationale et internationale, raison pour laquelle les effets, tant de la victoire que de l’échec, devaient être passés sous silence à tout prix.

    LE CONTEXTE

    C’est en Indochine que les Français avaient eu pour la première fois l’idée d’utiliser à leur profit les rivalités séculaires entre les différents groupes ethniques et plus précisément celle opposant les minorités et les sectes aux Annamites parmi lesquels se recrutaient les principaux membres du Viêt minh. Au printemps 1956, ce procédé est repris en Algérie, notamment en Kabylie.
    La Toussaint de l’an 1954 a été amère pour l’administration et l’armée coloniales, ainsi que pour l’ensemble des colons d’Algérie.
    Les succès enregistrés dès le début de l’insurrection par les combattants du FLN grossissaient leurs rangs et grandissaient le soutien de toutes les couches de la population, notamment dans le monde rural où ont vite fini par se créer des réseaux de soutien logistique et de liaison-renseignements.

    Au cours du printemps 1955, la rébellion FLN conduite en Kabylie par Krim Belkacem devenait de plus en plus active. En face, les troupes françaises qui y étaient stationnées, chargées du rétablissement et du maintien de l’ordre, paraissaient peu efficaces pour ce qui concerne la pacification et la contre-guérilla.

    Composées d’appelés du contingent, dotées d’un encadrement souvent insuffisant, elles manquaient non seulement de capacités techniques, mais également, chez un grand nombre de leurs éléments, de motivation.

    Pendant ce temps, que faisaient les responsables politico-militaires français d’ici et d’outre-mer ? Pour répondre à cette question, nous ne pouvons qu’imaginer des scénarios qui auraient été mis en œuvre par les officines et les bureaux d’experts qui planchaient, à coup sûr, sur les voies et moyens à même de permettre de contrer le mouvement insurrectionnel qui venait de se déclencher, ou tout au moins freiner ou fragiliser son expansion et surtout étouffer ses échos à l’intérieur du territoire de la colonie pour éviter d’attirer l’attention de l’opinion publique française et internationale.

    D’autant plus que la Kabylie que Krim Belkacem a organisée depuis longtemps commence à bouger, selon les informations recoupées au niveau du cabinet Soustelle.

    Dans la vallée de la Soummam, des combats meurtriers sont livrés contre les troupes du «général autoproclamé Bellounis» qui a «ramassé une raclée» des hommes de Krim et tente une «reconversion» dans le Sud. La haute Kabylie va suivre. Il faut l’en empêcher. Alors pourquoi ne pas monter en Grande Kabylie un contre-maquis en utilisant des hommes sûrs, des super-harkis clandestins, qui lutteraient contre Krim en employant les mêmes armes ? Aux membres de cette armée secrète on donnerait d’abord des mousquetons, puis des armes plus efficaces.

    Ces commandos clandestins se déplaceraient dans des zones soigneusement évitées par l’armée française et eux, des enfants du pays, sauraient bien débusquer ces maquisards que les unités classiques ne parviennent jamais à accrocher.
    Et c’est ce scénario qui aboutit à l’affaire dite «Opération Oiseau Bleu», du nom mythique de l’oiseau du paradis, selon le moudjahid et officier de l’ALN Si Ouali Aït Ahmed qui a été l’auteur de plusieurs écrits(1) sur cet épisode de la guerre de Libération nationale en Wilaya III historique.


    Naissance du complot dans les deux camps

    Sous le patronage de Jacques Soustelle donc, il avait été décidé de monter une opération de contre-espionnage qui avait pour but de noyauter rapidement les maquis de Kabylie que dirigeait Krim Belkacem. Il s’agissait de charger des Kabyles de monter l’opération sur le terrain : mettre sur pied un mouvement clandestin qui toucherait tous les villages, selon un scénario déjà expérimenté en Indochine, «le Bao Dai», et qui s’était soldé, du reste, par un échec cuisant.

    Il nous tient à cœur, ici, d’essayer de comprendre le mobile et les objectifs à caractère politique et militaire qui sont à l’origine de l’initiative.
    Pourquoi avait-on choisi la Kabylie alors même que les maquis du Nord-Constantinois et des Aurès étaient, au moins, autant embrasés sinon plus, immédiatement après le déclenchement de la Révolution ?

    1)- Nous reprenons certains récits à partir de ces écrits de Si Ouali Aït Ahmed, avec sa permission.
    Le choix ainsi opéré répondait, à notre sens, à une stratégie bien précise

    - La Kabylie était immédiatement proche de la capitale, c’est-à-dire du pôle politique et médiatique, d’une part, et proche également du centre de décision politico-militaire, ceci pour le management de l’opération, d’autre part.
    - Au plan de la stratégie militaire, il s’agissait de couper la Révolution en deux ensembles à partir de la capitale pour aboutir à isoler les maquis de l’est de la colonie.
    - Au plan de la stratégie politico-médiatique, il s’agissait de convaincre l’opinion française et internationale qu’on avait affaire à un énième mouvement insurrectionnel régional, confiné à l’est du territoire de la colonie.

    Une fois la stratégie adoptée et le champ d’intervention délimité, il fallait procéder à la recherche des hommes qui seraient chargés de l’exécution du plan concocté qui consistait à recruter parmi les populations de Kabylie des «mercenaires» qui accepteraient de combattre les «fellagas», mais sans être officiellement enrôlés sous la coupe de l’armée française comme les «goumiers» par exemple ; les membres de ces milices armées, que nous avons dénommés «mercenaires» parce qu’ils devaient percevoir, en contrepartie de leur engagement, une prime de 30 000 anciens francs, devaient être recrutés en petits groupes de quinze à vingt éléments commandés par un chef de groupe ; les services français, quant à eux, les ont dénommés «éléments de la ‘‘Force K’’ (K pour Kabyle)».

    Et c’était là, à notre sens, le commencement de l’erreur commise par les initiateurs du complot : le fait d’avoir négligé d’apprécier le patriotisme, le nationalisme et l’esprit de sacrifice qui animaient les enfants du peuple d’Algérie brimé par plus d’un siècle de colonialisme, de domination et de négation !

    Il se trouve que pour lancer une telle opération, il fallait activer dans un grand centre urbain, comme la ville d’Azazga par exemple, qui présentait l’avantage, du reste, d’être épicentrique selon plusieurs aspects :
    - suffisamment proche de la grande ville de Tizi Ouzou dont elle constituait le centre urbain le plus dense en population, le plus proche et le plus facile d’accès ;
    - équidistante des autres centres urbains importants tels : Fort National (actuellement Larbaâ Nath Irathen) – Michelet (actuellement Aïn El Hammam) – Port-Gueydon (actuellement Azeffoun)...
    - suffisamment proche des grands maquis de l’Akfadou, de Yakouren et des monts du Tamgout.
    Pour toutes ces raisons, et à la réflexion, nous pouvons même esquisser une hypothèse selon laquelle la région d’Azazga avait été choisie comme théâtre d’opération avant que l’on ait choisi les hommes auxquels devait échoir la mission et qui devaient en être originaires.
    Et c’est ainsi que, d’un Kabyle à un autre, on finit par prendre contact avec un personnage assez singulier de la ville d’Azazga d’où ce dernier est natif et résident depuis toujours, en l’occurrence Zaïdat Ahmed.
    Zaïdat Ahmed est un personnage qu’il m’est tout particulièrement agréable de présenter pour ce qu’il représente :
    - pour la Wilaya III historique ;
    - pour la région d’Azazga ;
    - pour la réussite de l’opération «Oiseau Bleu» au titre du FLN / ALN ;
    - pour l’amitié et le compagnonnage qui le liaient à mon défunt père, que ce soit dans le militantisme au sein du PPA/MTLD ou durant la réalisation de l’opération «Oiseau Bleu» ; les noms de Hend Ouzaïd et Saïd Mehlal sont intimement liés dans l’esprit des gens, moudjahidine ou commun des mortels, à la moindre évocation des actes de militantisme dans la région d’Azazga.

    Ce sont exactement les termes qu’a utilisés Me Ali Yahia Abdennour que j’ai rencontré durant l’été 2009 et qui m’a révélé avoir rencontré les deux hommes à trois reprises au moins :
    - Mehlal Saïd seul, lors d’une réunion du parti (PPA), en 1949 ;
    - les deux ensemble, en pleine exécution de leur mission, dans le cadre de l’opération «Oiseau Bleu» ;
    - Zaïdat Ahmed, toujours dans le cadre de l’opération «Oiseau Bleu» et dans des circonstances particulières et assez graves ; jugeons-en à travers ce récit de Me Ali Yahia Abdennour : «Un jour où Zaïdat Ahmed avait été convié à une entrevue avec un officiel français, en l’occurrence le maire d’Alger, Jacques Chevalier, (c’était la première fois qu’on exigeât de lui de rencontrer une personnalité représentant les autorités françaises autres que les premiers contacts qu’il avait eus depuis le début du complot), il avait un peu paniqué et me rendit visite en mon domicile.

    Et nous avons passé trois jours et trois nuits ensemble à imaginer tous les scénarios possibles et les questions qui risquaient de lui être posées.Le jour J et à l’issue de l’entretien (auquel avait finalement assisté Mehlal Saïd) ils sont passés me voir sur le chemin du retour vers Azazga et Zaïdat Ahmed m’annonça, excité mais néanmoins triomphant, que tout s’était bien déroulé».
    A partir de l’instant où la proposition lui fut faite, de manière officielle et solennelle, Zaïdat Ahmed n’eut de repos de l’âme et de l’esprit que lorsqu’il se résolut à prendre contact avec les premiers dirigeants de la Révolution en Kabylie, à savoir Krim Belkacem et Mohammedi Saïd.
    Dans la foulée, Zaïdat Ahmed ne tarda pas à rencontrer son ami Yazourène à qui il rendit compte de la situation, c’est-à-dire du complot dont on venait de le mettre au courant et de la proposition qu’on venait de lui faire de l’y associer. Nous pouvons aisément supposer que la démarche de Zaïdat Ahmed consistait, jusque-là, à prendre le soin d’avertir les dirigeants de la Révolution quant au danger que pouvait représenter le complot que préparaient les services secrets du Gouvernement général.
    Il ne restait plus à Yazourène que de courir, à son tour, à la rencontre de Krim Belkacem afin de le mettre au courant et l’avertir du danger que pouvait constituer ce projet de complot.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Selon mon ami, feu le moudjahid El Hadj Arezki Ighil Ali qui accompagnait Yazourène dans tous ses déplacements à cette époque-là, ce dernier avait fini par rencontrer Krim Belkacem qui était en compagnie de Mohammedi Saïd dans une habitation-refuge à Larbaâ Nath Irathen. Bien que n’ayant pas assisté à l’entretien entre les trois hommes, mon ami El Hadj Arezki m’en a fait le récit suivant, qu’il tenait lui-même du colonel Yazourène : lorsque Yazourène eut terminé le récit de la révélation que lui avait faite son ami Zaïdat, et après un moment de silence et de réflexion, tant le sujet était grave, Krim Belkacem prit la parole pour questionner Yazourène : «Connais-tu suffisamment l’engagement de Zaïdat Ahmed ?» Ce à quoi répondit sans hésiter Yazourène : «Bien sûr ! C’est lui qui m’a enrôlé dans le PPA».
    Krim Belkacem : «Alors, demande-lui s’il accepte la mission que lui confie le FLN et qui consiste à accepter de s’associer au complot afin de le déjouer au profit de la Révolution le moment venu».

    Devant la hardiesse de l’idée, Mohammedi Saïd n’avait pas manqué de réagir :
    «Tu es fou ! C’est trop délicat et trop grave ; tu vas griller nos militants les plus engagés et les plus braves dans cette affaire».
    Krim Belkacem s’employa alors à convaincre son assistance de la faisabilité de son idée et, à tout le moins, de la nécessité de réagir face à ce complot. «Ecoute Si Nacer, c’est une chance que nous ayons pu être avertis de ce complot dès sa gestation, ce qui nous permet de réagir et de manœuvrer en vue de tirer profit de cette situation qui nous offre deux possibilités :
    1- soit nous nous limitons à saborder le complot que l’ennemi s’emploie à mettre en œuvre, ce qui présente l’inconvénient et le danger de voir ce dernier se rebiffer et l’amener à tenter d’initier un complot similaire dans une autre contrée de notre territoire sans que nous puissions nous en rendre compte, quoique nous puissions être vigilants ;
    2- soit nous tentons, selon mon idée, de déjouer le complot et de le retourner en notre faveur, ce qui se soldera par un double gain :
    - Primo : l’ennemi, étant convaincu que son complot marche à merveille, il sera occupé par sa mise en œuvre et n’aura pas, de ce fait, le loisir ni même la velléité d’ourdir d’autres complots ;
    - secundo : si nous réussissons dans notre contre-offensive, je vous laisse deviner le gain que nous pourrions en tirer sur tous les plans : politique, médiatique, militaire, en armement, etc.».
    «Alors il faut y aller à fond», décide Krim. «Qu’est-ce qu’on risque ? Acceptons et jouons le jeu ! Il faut que nous fournissions nous-mêmes aux Français les hommes sûrs dont ils ont besoin».
    L’argumentaire développé par Krim Belkacem a vite fini d’avoir raison des réticences que son idée avait suscitées chez ses interlocuteurs du moment.

    A la suite de ce conclave de Larbaâ Nath Irathen où la décision de principe venait d’être prise quant à l’attitude à adopter face au complot que tramait l’ennemi, Krim Belkacem et Mohammedi Saïd ont alerté trois autres responsables de la première heure avec lesquels ils ont élargi la concertation, en l’occurrence : Amar Ouamrane, Amar Ath Cheikh et Ali Mellah, connu sous le nom de guerre «Si Cherif».
    Cela n’avait pas empêché Krim Belkacem, fin limier, prudent et méfiant tout à la fois, de rapprocher de lui et de les entretenir les deux premiers militants qu’il allait responsabiliser dans le cadre du complot en gestation : Zaïdat Ahmed et Mehlal Saïd.
    S’agissant de l’entretien Krim Belkacem-Zaïdat Ahmed, sa tenue vient de nous être confirmée à travers une séquence consacrée à l’opération «Oiseau Bleu» dans le film Krim Belkacem réalisé par Ahmed Rachedi et diffusé récemment sur les écrans de chaînes de télévision algériennes.

    Quant à l’entretien Krim Belkacem-Mehlal Saïd, je le tiens personnellement de la bouche d’un collègue et ami, ancien moudjahid en wilaya III, feu Kadri Ahmed, qui avait publié, juste avant de nous quitter (au cours de la décennie 2000) un article consacré à l’opération «Oiseau Bleu», paru dans l’édition n° 200 du 26/ 04/1999 du quotidien en langue nationale El Youm″ et dans lequel il rapportait un dialogue entre Krim Belkacem et Mehlal Saïd, à travers lequel le premier nommé prévenait : «Ya si Saïd, réfléchis bien, la mission est délicate et dangereuse ; tu risques d’y perdre beaucoup ainsi que ta famille». Ce à quoi Mehlal Saïd répondait : «Ordonnez et j’exécute ; je suis confiant en nos chances de réussite».

    Après avoir pris connaissance de cet article du Cheikh Kadri Ahmed (il avait été directeur des affaires religieuses de la wilaya de Béjaïa), je l’ai invité à me rendre visite au sein de son ancien ministère au sein duquel j’occupais une fonction supérieure à cette époque-là. Et lorsque je lui ai signifié que le contenu de son article m’avait surpris, notamment le dialogue entre Krim Belkacem et Mehlal Saïd, qui constituait pour moi un fait nouveau par rapport à tout ce que j’ai eu à lire ou à découvrir concernant l’opération «Oiseau Bleu», Cheikh Kadri Ahmed me répondit en m’affirmant ceci : «Je tiens ce récit de ton propre père, Mehlal Saïd que j’ai rencontré au QG de la Wilaya III en 1957 et avec lequel j’ai partagé trois jours et trois nuits de notre vie de maquisards».
    Par ailleurs, Krim Belkacem se rend discrétement à Alger pour en discuter avec Abane Ramdane dont le nom commence à inspirer respect après son fameux billet «Appel aux intellectuels algériens.(2)
    Après avoir étudié l’affaire sous tous ses aspects, les deux leaders concluent à l’avantage que l’on pourrait tirer du complot fomenté par l’ennemi si on réussissait à le détourner au profit de la Révolution.
    En fin rusé, Krim souligne que «El harb khidaâ» et, de son rire sonore, Abane lui répond : «A toi d’agir sur le ‘‘Cheval de Troie’’, comme ‘‘Ulysse’’».(3)

    Et c’est ainsi qu’il fut décidé de mettre en œuvre l’idée de Krim Belkacem et de charger Yazourène de coordonner et superviser les actions qui devaient être menées pour le compte de la Révolution tout au long du déroulement du complot.
    Une fois le consensus établi depuis la décision de principe prise lors du mini-conclave de Larbaâ Nath Irathen jusqu’au partage des rôles entre les membres de ce groupe restreint, Yazourène prit contact avec Zaïdat Ahmed et lui fit part des instructions qu’il devait appliquer à la lettre et dont les plus importantes étaient d’une pertinence remarquable :

    1- œuvrer dans le secret le plus absolu ;
    2- coordonner, désormais, les moindres actions avec lui-même (Yazourène) en vue de lui permettre de tenir au courant, au fur et à mesure, les premiers responsables de la Révolution (Krim, Mohammedi Saïd...) ;
    3- enfin, condition sine qua none, faire accepter par les instigateurs du complot le partage des rôles suivants :
    - les éléments mandatés par la partie française s’occuperaient des contacts avec les services français ainsi que de la logistique sans que

    Zaïdat n’ait à se mêler de quoi que ce soit (remise des listes des recrues — prise de possession des armes, des munitions et des uniformes ainsi que des primes qui revenaient aux «mercenaires» ) ;
    (2) & (3). Nous citons Si Ouali Aït Ahmed.
    - Zaïdat Ahmed s’occuperait, quant à lui, des recrutements sans que ses interlocuteurs s’en mêlent ou n’aient même la possibilité de proposer quelque recrue que ce soit.
    Du reste et pour couvrir cette vaste région, il fut procédé, par Krim Belkacem lui-même, à la désignation des premiers responsables de l’organisation :
    - Yazourène, en sa qualité de coordonnateur et superviseur des activités liées au déroulement du complot, mais dont la présence et le rôle qui lui était dévolu dans le complot en gestation devaient être ignorés de toutes les parties au complot du côté français, ce dernier étant déjà «grillé» auprès des autorités françaises, au moins depuis la nuit du déclenchement de la Révolution où son implication dans les actions qui ont été menées a été découverte par ces dernières (des écrits signalent que les autorités françaises ont incendié sa maison immédiatement après le 1er Novembre 1954, en représailles contre le rôle qu’il a joué dans l’opération de déclenchement des hostilités).
    - Zaïdat Ahmed, en qualité de principal interlocuteur de toutes les parties au complot
    du côté français ;
    - Mehlal Saïd, en qualité d’adjoint dans la mission confiée à Zaïdat Ahmed ;
    - Mohamed Hamadi d’Ighil Mehenni et Si Moh Tahar de Timizart N’Sidi Mansour pour les Aït Djenad ;
    - Omar Toumi dit «Omar Averkhane, ou le Noir» pour les Iflissene ;
    - Saïd Makhlouf d’Aït Ouaniche, dit «Saïd Lacoste» pour les Ath Zmenzer et Ihsnaouène.

    LES FAITS : La phase de recrutement commence

    Nous sommes à l’automne de l’année 1955, an I et deuxième semestre du déclenchement de la lutte armée et «l’affaire» est ficelée dans chaque camp.

    Dans le camp français, le nouveau Gouverneur général, Robert Lacoste, venait d’adhérer au complot et de marquer son accord sur l’organigramme et les premiers responsables qui allaient recruter les éléments de la «Force K» qu’on devait armer et former, un tant soit peu (voilà le «bon truc» pour nous débarrasser des fellagas avait-il déclaré lorsque son prédécesseur, Jacques Soustelle, lui révéla le complot qu’il avait concocté, dans le cadre des passations de consignes). Cette action était menée selon un processus et une stratégie arrêtés unilatéralement par les responsables du FLN sans que les responsables français n’aient eu à se douter de quoi que ce soit et encore moins à réagir.

    Dans la stratégie élaborée par les responsables du FLN, le volet «recrutement des éléments» a été étudié et mis au point avec une minutie d’orfèvre, de manière à minimiser les risques de dévoiler le double jeu qui devait être mené dans le secret le plus absolu : rappelons-nous la condition sine qua none du partage des rôles fixée par Zaïdat Ahmed sur instruction de ses chefs et qui avait été acceptée par ses interlocuteurs. Selon cette condition préalable donc, ce dernier allait pouvoir s’occuper du recrutement de manière exclusive sans que ses partenaires au complot, représentant la partie française, n’aient à s’en mêler à quelque niveau que ce soit ou à quelque titre que ce soit.

    De ce fait, les recrutements ont été effectués par le trio :

    - Yazourène, en sa qualité de coordonnateur et superviseur des activités liées au déroulement du complot ;
    - Zaïdat Ahmed et Mehlal Saïd ainsi que par les autres responsables indiqués plus haut :
    - Mohamed Hamadi d’Ighil Mehenni et Si Moh Tahar de Timizart N’Sidi Mansour au
    niveau des Aït Djenad ;
    - Omar Toumi au niveau des Iflissene ;
    - Saïd Makhlouf au niveau des Ath Zmenzer et Ihsnaouène.
    Du reste, l’accaparement de cette mission (recrutement) par ces responsables qui activaient pour le compte du FLN a vite fait d’être accepté par tous les responsables et à tous les niveaux dans le camp français qui ignorait, il faut le souligner, la présence et le rôle dévolu à Yazourène, pour les raisons que nous avons évoquées ci-dessus. M. A.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

    Commentaire


    • #3
      On procédait, bien sûr, au recrutement des jeunes militants parmi les plus sûrs, les plus braves et qui piaffaient d’impatience de rejoindre le maquis qui ne pouvait les accueillir, faute de moyens et surtout d’armement à leur prodiguer.
      La dernière condition fixée à Zaïdat Ahmed et par laquelle il devait conditionner son association au complot était réellement pertinente et laisse entrevoir clairement que les responsables du FLN manœuvraient en vue de rester maîtres du jeu, d’une part, et d’entourer le déroulement de l’opération d’une précaution extrême en vue d’assurer :


      - le secret le plus absolu dont dépendait le succès au profit du FLN ;
      - la protection, autant que faire se peut, des militants qui allaient être engagés dans le complot, notamment les responsables parmi eux qui étaient conscients, dès le départ, qu’ils devaient jouer au jeu double au profit de la Révolution.
      En militant dévoué et engagé, Zaïdat Ahmed accepta la mission à hauts risques qu’on venait de lui confier et se résolut à reprendre langue avec ses interlocuteurs.

      Les deux parties reprirent donc leurs tractations pour arrêter la démarche à suivre après qu’elles se soient mises d’accord sur les conditions préalables posées par chacune d’entre elles et qui leur sont fixées par leurs hiérarchies respectives (nous connaissons les conditions fixées par le FLN et dont a été instruit Zaïdat Ahmed).
      Les candidats au recrutement recensés par les responsables qui agissaient pour le compte du FLN étaient «proposés» dans des listes qui atterrissaient, selon le schéma indiqué, chez les services du Gouvernement général. Les services de sécurité concernés (DST – RG – Gendarmerie) devaient certainement être mis à contribution pour effectuer des enquêtes, même sommaires, sur les jeunes indigènes qui figuraient dans les listes qui étaient confectionnées par groupes de 15 à 20 éléments.


      A l’issue des enquêtes concernant chaque liste, cette dernière était remise au commandement de l’armée française basé à Tizi Ouzou qui se chargeait de la livraison des armes, des munitions et des uniformes.
      Dans le camp du FLN, l’information concernant les recrutements ainsi que la mise à disposition des armes et des munitions était communiquée selon le même rythme, via Yazourène, pour parvenir aux dirigeants de la Révolution, Krim Belkacem, Mohammedi Saïd… Passée une courte période d’essai qui fut concluante, on arriva à recruter massivement, les recrutements étant effectués dans les zones préalablement délimitées et selon la consigne stricte ordonnée à Yazourène : ne recruter dans l’organisation que les militants les plus dévoués, les plus intelligents, capables de supporter les risques d’une telle aventure avec patriotisme et clairvoyance et doués d’une force de caractère suffisante pour parvenir à garder le secret.

      Les témoignages sur le nombre des recrues divergent assez, mais se recoupent tout de même autour d’un nombre variant entre 1000 et 1200 hommes armés ainsi que la récupération de plus d’un millier d’armes de guerre : garand américains, mitraillettes MAT 49 et fusils mitrailleurs. (Hamou Amirouche indique que près de 1500 moussebiline, djounoud, agents de liaison furent équipés d’armes modernes, dans son ouvrage qu’il a intitulé Akfadou - Un an avec le Colonel Amirouche.
      Les responsables chargés du recrutement percevaient les primes destinées aux «éléments de la Force K», soit 30 000 anciens francs par recrue et qui étaient répartis comme suit :
      - la somme de 6000 AF était remise à la recrue ;
      - le reste, soit 24 000 AF, était versé dans la caisse du FLN.

      Selon les diverses indications que nous avons pu recueillir sur le cheminement des flux de ce «financement» qui atterrissaient, en fin de parcours, dans les caisses du FLN, il a été établi que trois responsables, au moins, encaissaient les primes perçues au titre des recrutements : Yazourène, en dernier ressort, Zaïdat Ahmed et Mehlal Saïd, directement auprès de leurs partenaires au complot.
      (Lors d’une conférence sur l’opération «Oiseau Bleu» qu’il a animée en 1984 au profit des lycéens du lycée Chihani Bachir à Azazga, le colonel Yazourène avait déclaré : «En plus de son succès sur les plans politique et militaire, l’opération ‘‘Oiseau Bleu’’ nous a permis de ramasser une cagnotte de 300 millions d’anciens francs qui ont renfloué la caisse de la Révolution ; Mehlal Saïd, à lui seul, a remis entre mes mains la somme de 27 millions AF»).

      Les armes, les munitions et les effets militaires commencent à parvenir en octobre 1955 à Azazga, dans un local proche des garages Vaucelle, sous l’œil vigilant de mandataires des autorités françaises. Ensuite, le tout est chargé dans des camionnettes bâchées pour d’autres destinations afin de parvenir, en novembre 1955, aux éléments recrutés selon le système pyramidal et essaimés sur une vaste contrée, allant des Ivahryene (Azeffoun, à Aït Zmenzer, Aït Douala et Ihsnouène en passant par les Iflissene, Aït Djenad, Ouaguenoune et Makouda).

      Les éléments ainsi recrutés et armés, déjà rompus au système organisationnel, reçoivent les armes et les munitions au fur et à mesure de leur arrivage. Ils sont nominalement rattachés au poste militaire le plus proche, mais, la nuit, ils assurent la protection des combattants de l’ALN, de passage dans leurs villages respectifs.

      La guerre psychologique commence

      Pour rassurer la partie française qui fournissait ces armes et munitions et lui prouver qu’elles étaient utilisées à bon escient et ainsi susciter de nouvelles livraisons, l’arsenal réceptionné était distribué immédiatement et exclusivement aux éléments de la «Force K» déjà recrutés et mobilisés (aucune arme n’était mise à la disposition des djounoud qui combattaient déjà dans les maquis). En effet, les pseudo-membres de l’armée secrète devaient monter des opérations de nuit contre les fellaghas de Krim, car il fallait bien fournir quelques résultats!
      Et pour utiliser ces armes dans une parfaite tromperie de l’ennemi, mais néanmoins associé dans le complot, on usait d’un subterfuge et d’un culot incroyables :

      1- on abattait avec ces armes les traîtres avérés à la Révolution dont les listes étaient remises aux responsables de l’organisation et on les habillait de l’habit du «fellaga» authentique (kachabia, burnous ...) avant d’inviter l’officier français compétent à constater de visu le fait et le rapporter ensuite à ses supérieurs hiérarchiques.

      Les citoyens indigènes qui figuraient dans ces fameuses listes étaient ceux qui étaient condamnés par le FLN pour diverses raisons.
      2- On simulait des accrochages entre les maquisards du FLN et les éléments de la «Force K», et ce, à proximité des garnisons et des postes avancés de l’armée française d’où pouvaient être perçus les crépitements des armes qui étaient distincts et facilement reconnaissables pour celui qui les connaissait bien : les armes légères et les fusils de chasse appartenaient aux «fellagas», tandis que les fusils mitrailleurs étaient actionnés par les éléments de la «Force K» fraîchement équipés. A l’issue de chaque accrochage, on disposait ça et là les corps inertes de faux maquisards comme indiqué plus haut : on habillait d’uniformes des corps criblés de balles de fusils mitrailleurs.

      Ce sont les prisonniers des troupes de «Bellounis» qui vont faire les frais de la mise en scène «réaliste». On abandonnait ainsi quelques cadavres fraîchement tués, des hommes originaires de régions éloignées pour qu’aucun villageois kabyle ne puisse les reconnaître.
      Plus cette opération se répétait selon la simulation que nous avons décrite plus haut (assassinat de faux maquisards) et plus la partie française vérifiait, à ses dépens, que le plan et l’organisation mis en place fonctionnaient à merveille.

      Et, bien évidemment, plus les résultats réalisés sur le terrain par les éléments de la «Force K» étaient jugés satisfaisants, plus vite on accroissait les recrutements au profit de l’organisation et plus on consentait des efforts en armement dont les livraisons se faisaient incessantes et consistantes.
      Le stratagème ainsi mis en place par les responsables de l’organisation fonctionna donc à merveille et résista même à l’épreuve du temps qui a fini par avoir raison des incertitudes et des appréhensions de quelque camp où l’on se situait. La confiance et la sérénité ont vite fait de s’installer dans chaque camp au complot et entre leurs responsables mutuels.

      Dans le camp français, Robert Lacoste devenu au fil des jours de plus en plus optimiste et caressant l’espoir de venir à bout de la Révolution, avait fini par lâcher sa fameuse déclaration qui allait faire date dans l’histoire de la guerre d’Algérie : «C’est le dernier quart d’heure de la Révolution». Cette déclaration pompeuse ainsi que l’optimisme béat qu’elle reflétait allaient infliger à Monsieur Robert Lacoste la plus grande défaite de sa carrière politique.

      En effet, lorsque le complot fut mis à nu, en même temps que l’échec cuisant de la partie
      française, soit durant l’automne 1956, le journal satirique Le Canard enchaîné le prit à partie dans une de ses éditions où il lui asséna une caricature à travers laquelle il lui signifia que l’échec était le sien : la caricature représentait Robert Lacoste accroché aux pendules d’une horloge qui indiquait «minuit moins le quart», c’est-à-dire le dernier quart d’heure de la journée, et était commentée comme suit : «Voilà le dernier quart d’heure de Monsieur Robert Lacoste !».

      Du côté du FLN/ALN, les responsables de l’organisation prennent, eux aussi et de jour en jour, davantage de confiance en soi et d’assurance et s’enhardissent jusqu’à rencontrer et nouer des contacts avec les responsables français concernés tant au niveau du Gouvernement général qu’au niveau du Commandement militaire basé à Tizi Ouzou. C’était le cas notamment pour les deux responsables qui avaient acquis la confiance des responsables français dès la phase de gestation du complot, en l’occurrence : Zaïdat Ahmed et Mehlal Saïd.

      De même, les autres responsables de l’organisation, à savoir Mohamed Hamadi, Omar Toumi et Saïd Makhlouf avaient noué des contacts fructueux avec les responsables militaires français, notamment chacun dans la région où il activait.
      C’est donc dans ce climat de parfaite collaboration entre les responsables des deux camps que le complot continua son bonhomme de chemin et que l’organisation se développa en se perfectionnant.
      The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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      • #4
        La fin du complot

        Nous sommes au début de l’automne 1956 et le Congrès de la Soummam venait de clore ses travaux avec la réussite qu’on lui connaît.
        Les travaux du Congrès offrirent l’occasion à Krim Belkacem de dévoiler le complot devant ses pairs qui n’en crurent pas leurs oreilles malgré l’assurance et l’optimisme que ce dernier affichait pour convaincre qu’il maîtrisait parfaitement la situation. Des échos datant du Congrès ont fait état d’un grand agacement des congressistes, allant jusqu’au reproche quant à l’audace et aux risques qu’avaient pris les responsables des maquis de Kabylie dans cette affaire.

        Toujours est-il que les responsables de la Révolution qui avaient pris part au Congrès avaient estimé unanimement qu’il était temps de mettre fin au complot, avant qu’il ne soit trop tard, et de vérifier de manière probante que son dénouement allait assurer un succès pour la Révolution tel que cela était escompté par Krim Belkacem et ses amis.
        Et c’est ainsi qu’il fut décidé, lors du Congrès de la Soummam, d’ordonner aux éléments de la «Force K»″de rejoindre définitivement les rangs de l’ALN avec armes et bagages et de participer à la grande offensive qui allait être déclenchée le 30 septembre 1956 sur l’ensemble du territoire de la colonie.

        C’est au début du mois de septembre donc que l’ordre fut donné à l’ensemble des groupes de l’organisation de rejoindre les rangs de l’ALN dans les maquis du Tamgout principalement. Les différents groupes n’ont pas eu de mal à rejoindre progressivement mais rapidement les maquis, sauf le groupe de Maâtkas dont les éléments ont été désarmés et arrêtés par l’armée française.
        Nous pouvons faire le récit de faits assez cocasses liés au «ralliement» de deux membres parmi les responsables de l’organisation.

        1- Avant de rejoindre les maquis de la Révolution et grossir les rangs de l’ALN, soit le 30 septembre 1956, Omar Toumi s’était offert le luxe d’attirer le capitaine Maublanc et ses hommes dans un guet-apens dans lequel ces derniers avaient subi de lourdes pertes, en hommes et armement. Omar Toumi avait simulé un appel à l’envoi de renfort au capitaine Maublanc, près de son village d’Iguer N’Salem, par l’envoi du signal convenu (une fusée blanche) en cas de présence ou d’attaque des rebelles. Du haut d’une falaise, Omar Toumi et ses hommes tendirent une embuscade aux troupes du capitaine Maublanc qui accouraient. Ce dernier s’écriait : «Omar, c’est moi, le capitaine Maublanc !» Ce à quoi Omar Toumi répondit : «Je sais, mais je sais aussi que le jeu est fini.»

        2- Que le lecteur excuse l’envie qui m’inspire et m’incite à faire le récit relatif au ralliement des rangs de l’ALN par Mehlal Saïd, au moment du départ et de la séparation avec sa famille, la nôtre.
        Je tiens le récit et le témoignage de mon grand-père El Hadj Moh Oua Hend (qu’il m’est particulièrement agréable de citer en cette occasion) qui me confia un jour alors que j’avais l’âge adulte et mûr ; le récit était émouvant et en même temps révélateur de l’état d’esprit et de l’état d’âme des responsables du FLN/ALN à cette époque précisément.
        Tels furent le récit et le témoignage de grand-père :

        «Un jour de la fin septembre 1956, votre père me fit appeler derrière notre habitation aux alentours de minuit ; il portait un burnous de couleur sombre et était accompagné par un groupe de moudjahidine bien armés. Après un bref salut de sa part et de la part de ses compagnons, il me révéla qu’il venait pour la dernière fois à la maison, pour nous dire au revoir, et peut-être adieu, parce qu’il rejoignait définitivement le maquis avec ses compagnons. Ce à quoi je lui répondis : ‘‘C’est mieux ainsi et que Dieu vous couvre de sa bénédiction et de sa protection’’ ; il s’était écoulé un très court instant d’un silence poignant avant que je le ramène à la réalité sociale : ‘‘Et tes enfants, Saïd, as-tu pensé au sort qui pourrait leur être réservé ?’’ Ce à quoi il répondît presque spontanément : ‘‘A partir de l’instant présent, ils sont tes enfants !’’ Et comme pour me rassurer, il me lança cette surprenante affirmation : ‘‘De toutes les façons, c’est une affaire de quelques mois, six tout au plus, et nous nous débarrasserons du colonisateur.’’ Grand-père m’avoua tout de même que lorsque son fils Saïd lui fit cette dernière déclaration, il ne savait s’il devait en rire ou en pleurer, lui qui avait été enrôlé dans l’armée française durant la Première guerre mondiale et qui avait fait les fronts de Syrie et de Bulgarie. Je connaissais donc parfaitement les moyens en tous genres dont disposait l’armée française déjà à l’époque ; alors, qu’est-ce que ça devait être quarante ans plus-tard ? mais j’ai été tout de même ébloui par la grande foi en la victoire finale qui l’animait».

        C’est incroyable donc comment on partageait, dans chaque camp au complot, la même conviction selon laquelle le complot se dessinait inéluctablement à son profit et qu’il le débarrasserait irrémédiablement de l’ennemi. Cependant, elle était plus grande et plus légitime chez les responsables du FLN/ALN puisqu’ils étaient les maîtres du jeu.

        Ces derniers n’ont, du reste, pas manqué d’asséner cette vérité à Monsieur Robert Lacoste dans une lettre sublime qu’ils avaient rédigée à son attention pour marquer l’arrêt définitif et la mise à nu du complot, d’une part, et lui signifier leur victoire éclatante ainsi que son échec cuisant et absurde, d’autre part. Cette lettre a été transformée en tract qui a été transmis aux différents responsables français et fait l’objet d’une large diffusion dans les maquis et parmi les populations française et algérienne.
        Nous reproduisons ici une traduction personnelle du texte de cette lettre qui est reprise dans l’article publié par feu Kadri Ahmed et auquel nous avons fait référence plus haut.

        La lettre, portant la signature de Krim Belkacem, était rédigée approximativement comme suit :
        Monsieur le Ministre,
        «Vous avez cru introduire, avec la ‘‘Force K’’, un cheval de Troie au sein de la résistance algérienne. Vous vous êtes trompé. Vous pouvez vous leurrer Monsieur Lacoste à considérer la question algérienne comme une simple chimère. Vous êtes loin de la réalité et incompétent tout à la fois !

        La question algérienne demande, pour être appréhendée, une connaissance parfaite du peuple algérien et ce peuple nous le connaissons parce que c’est nous-mêmes.

        Ainsi, vous a-t-il manqué une seule chose pour réaliser cette pièce théâtrale que vous avez élaborée : il vous a manqué la connaissance du théâtre et des acteurs avant de mettre en œuvre votre pièce. Or, il se trouve que le théâtre c’est notre propre pays et les acteurs ce sont nous-mêmes. Vous venez d’équiper en armes et munitions des moudjahidine authentiques du FLN ! Et comment comptez-vous induire en erreur vos semblables et les convaincre de croire à votre rêve fou ? Avez-vous considéré que nous serions à ce point léthargiques et crédules au point de ne pas nous rendre compte de ce que vous réalisiez ? Et voilà la vérité qui vous illuminera ! Puisse-t-elle vous faire comprendre finalement ce qu’est l’essence de notre Révolution ainsi que le machiavélisme vain de vos procédés. Il est certain que vous tirerez suffisamment la leçon de cet événement et c’est une leçon qui mérite bien les centaines d’armes que vous venez de nous offrir gracieusement. Soyez certain que nous apprécierons ce cadeau à sa juste valeur et que nous œuvrerons à en faire le meilleur usage qui soit au profit de l’intérêt national.

        Et puisse le peuple français dont les enfants meurent tous les jours apprécier votre œuvre à son tour et vous demander des comptes qu’il vous sera difficile de présenter et de défendre après que vous l’ayez trompé par votre assurance préfabriquée et, après tout, ces détails ne nous intéressent guère. En ce qui nous concerne, nous estimons que la preuve est suffisante que la Kabylie sera un exemple pour les autres régions combattantes du pays et nous sommes assurés que toute ‘‘opération de pacification’’ est vouée à l’échec, quelle que soit la région du pays où elle serait initiée. Et si le Gouvernement français souhaitait un jour trouver une solution à la question algérienne, il n’aura qu’à choisir une autre voie» (Fin du texte du tract).

        Le tract que venait de diffuser le FLN était semblable à celui qui contenait la déclaration du 1er Novembre 54 de par l’effet qu’il eut sur toutes les parties au conflit : pouvoir politique d’Alger et de la métropole, hiérarchies militaires des deux camps et populations civiles, les deux ethnies confondues. Parmi toutes ces composantes, les sentiments étaient partagés entre :
        - la surprise et l’étonnement, chez les décideurs français ;
        - l’indignation et l’amertume, chez les colons ;
        - l’abattement et la désolation, dans les rangs de l’armée française ;
        - le soulagement et l’euphorie, dans les rangs de l’ALN ;
        - la fierté et l’espoir, parmi la population kabyle locale.

        La France entière venait de subir un revers cinglant et un affront terrible qui se mesuraient à l’importance incommensurable de leurs répercussions au plan national et international.
        L’affront et le revers ne pouvaient donc rester impunis et en un rien de temps il fut décidé de la riposte à y opposer et de la correction à infliger à leurs auteurs. Et il n’avait pas fallu plus d’une semaine pour monter une opération militaire de grande envergure dans le but, soi-disant, de pourchasser les «fuyards» mais qui devint, en réalité, une véritable campagne de représailles aveugles, meurtrières et dévastatrices.

        Le tract du FLN venait d’être publié dans le n° 2 de son organe d’information El Moudjahid paru en date du 8 octobre 1956 et le 9 octobre au matin, l’opération Djennad débutait. Durant cette opération qui a duré cinq jours pleins, du 9 au 13 octobre, une dure bataille a mis aux prises les deux forces en présence sur le site dit ″Agouni Ouzedhoudh (Plateau de la Palombe) dont elle a pris le nom : «la bataille d’Agouni Ouzedhoudh» dont un récit admirable en est fait dans la publication de Madame Camille Lacoste Dujardin.(4)
        Des effectifs et des moyens militaires colossaux, comparativement à l’espace géographique ciblé, ont été mobilisés dans le cadre de cette opération dénommée″ Opération Djennad, eu égard à la région dans laquelle elle se déroulait : Aït Djennad.
        On avait mobilisé un effectif de 10 000 hommes environ, composés des divers corps d’armée, appuyés par cinq avions de combat, deux batteries d’artillerie… Certains ont même fait allusion à l’utilisation d’un navire de guerre qui aurait été stationné le long des côtes d’Azzeffoun, face aux monts du Tamgout pour les bombarder. La «Force K» avait perdu une centaine de ses éléments dans cette bataille inégale.

        A l’issue de cette gigantesque bataille qui marquait la fin de l’opération «Oiseau Bleu» et l’intégration des rangs de l’ALN par les rescapés de la «Force K», les cinq responsables de «l’organisation» qui ont été directement impliqués dans le complot et qui ont grandement contribué à son retournement spectaculaire au profit du FLN/ALN ont été récompensés par leur promotion aux rangs d’officiers de l’ALN :

        - Zaïdat Ahmed, avec le grade de commandant ;
        - Mehlal saïd, avec le grade de lieutenant (il a été promu capitaine en 1958) ;
        - Saïd Makhlouf, avec le grade de lieutenant ;
        - Mohamed Hamadi avec le grade de sous-lieutenant ;
        - Omar Toumi avec le grade de sous-lieutenant.
        Ils sont tous tombés au champ d’honneur !
        Gloire à eux et à tous les chouhada de la Révolution de Novembre 54 ! M. A.

        4)- Opération «Oiseau bleu». Des Kabyles, des ethnologues et la guerre d’Algérie. La Découverte, 1997.
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