Libre. Be
AREZKI AÏT-LARBI, CORRESPONDANT À ALGER Publié le lundi 18 septembre 2017
"L’école algérienne est sinistrée !" Un quart de siècle après ce diagnostic implacable du président Mohamed Boudiaf, assassiné en juin 1992, l’école est toujours plombée par l’arabo-islamisme, idéologie rétrograde et réfractaire à toute réforme.
Tout a commencé à la fin des années 60, lorsque le régime de Houari Boumediène a décidé de tourner le dos à la France, l’ex-puissance coloniale, pour arabiser le système éducatif. Pour parer au manque d’enseignants, l’ombrageux colonel sollicita l’aide des pays frères, notamment de l’Egypte de Gamal Abdelnacer, qui fera d’une pierre deux coups : se débarrasser de ses encombrants Frères musulmans et étendre son influence vers le Maghreb. Des escouades de professeurs égyptiens vont alors compenser une formation académique médiocre par un prosélytisme idéologique et religieux sans nuance.
Victoire idéologique des islamistes
Dès les années 80, les premiers groupes d’islamistes radicaux s’affichent au grand jour. Un de leurs leaders enseignait déjà de drôles de mathématiques à l’université d’Alger : "deux droites parallèles ne se rencontrent jamais, sauf par la volonté de Dieu" ! Dans les campus, les salafistes tentent d’imposer leur loi à l’ensemble des étudiants. Y compris par la violence. Leur première victime : Amzal Kamel, 22 ans, a été assassiné, en novembre 1982, d’un coup de sabre pour avoir tenté d’organiser la résistance dans une cité universitaire d’Alger.
Avec l’arrivée au pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika, en 1999, après une décennie de guerre civile, les Groupes islamistes armés étaient déjà militairement vaincus. Mais leur victoire idéologique sur la société est incontestable. Grâce à la politique de "réconciliation nationale" qui les a amnistiés, les salafistes pourront étendre et consolider leur influence dans la société.
A l’école, le résultat est tragique. A l’heure où les jeunes enfants découvrent les joies de la lecture, de l’écriture et du calcul, on apprend aux élèves algériens à faire la prière, la toilette des morts et à se prémunir contre les châtiments de l’au-delà promis aux mécréants. Malgré des effets d’annonce, les velléités de réforme du président algérien sont restées au stade de vœux pieux. Pour donner le change, il confie, en 2014, le portefeuille de l’Education nationale à Noria Benghebrit, une anthropologue francophone de haut niveau, réputée pour ses compétences. Prenant sa mission à bras-le-corps, elle devient très vite la cible des conservateurs; une cible d’autant plus facile qu’elle n’appartient à aucun parti. La presse nationale-islamiste lui reproche sa connaissance approximative de la langue arabe, avant de l’accuser - suprême hérésie - d’être d’"ascendance juive" !
Atteinte à l’identité nationale
Depuis quelques jours, c’est le nouveau manuel d’éducation islamique du cours préparatoire qui a relancé la polémique; l’illustration de la couverture montre deux garçons et deux filles allant joyeusement à l’école en se tenant par la main. Cette image innocente a déclenché le courroux des gardiens du temple islamiste qui ont dénoncé une "atteinte à l’identité nationale, à l’esprit de l’enfant et sa personnalité". Circonstance aggravante, la formule "Bismillah" ("Au nom de Dieu le clément le miséricordieux"), qui précède les sourates du Coran, a été supprimée des livres profanes.
Face à cette violente campagne haineuse et aux sordides manipulations, Noria Benghebrit résiste, seule, malgré la neutralité de ses collègues ministres. Les rares soutiens viendront paradoxalement de l’opposition laïque. Si certains l’encouragent à "tenir bon", d’autres déplorent la présence au gouvernement de cette "porcelaine dans un magasin d’éléphants" et lui suggèrent de démissionner.
Arezki Aït-Larbi, Correspondant à Alger
...
AREZKI AÏT-LARBI, CORRESPONDANT À ALGER Publié le lundi 18 septembre 2017
"L’école algérienne est sinistrée !" Un quart de siècle après ce diagnostic implacable du président Mohamed Boudiaf, assassiné en juin 1992, l’école est toujours plombée par l’arabo-islamisme, idéologie rétrograde et réfractaire à toute réforme.
Tout a commencé à la fin des années 60, lorsque le régime de Houari Boumediène a décidé de tourner le dos à la France, l’ex-puissance coloniale, pour arabiser le système éducatif. Pour parer au manque d’enseignants, l’ombrageux colonel sollicita l’aide des pays frères, notamment de l’Egypte de Gamal Abdelnacer, qui fera d’une pierre deux coups : se débarrasser de ses encombrants Frères musulmans et étendre son influence vers le Maghreb. Des escouades de professeurs égyptiens vont alors compenser une formation académique médiocre par un prosélytisme idéologique et religieux sans nuance.
Victoire idéologique des islamistes
Dès les années 80, les premiers groupes d’islamistes radicaux s’affichent au grand jour. Un de leurs leaders enseignait déjà de drôles de mathématiques à l’université d’Alger : "deux droites parallèles ne se rencontrent jamais, sauf par la volonté de Dieu" ! Dans les campus, les salafistes tentent d’imposer leur loi à l’ensemble des étudiants. Y compris par la violence. Leur première victime : Amzal Kamel, 22 ans, a été assassiné, en novembre 1982, d’un coup de sabre pour avoir tenté d’organiser la résistance dans une cité universitaire d’Alger.
Avec l’arrivée au pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika, en 1999, après une décennie de guerre civile, les Groupes islamistes armés étaient déjà militairement vaincus. Mais leur victoire idéologique sur la société est incontestable. Grâce à la politique de "réconciliation nationale" qui les a amnistiés, les salafistes pourront étendre et consolider leur influence dans la société.
A l’école, le résultat est tragique. A l’heure où les jeunes enfants découvrent les joies de la lecture, de l’écriture et du calcul, on apprend aux élèves algériens à faire la prière, la toilette des morts et à se prémunir contre les châtiments de l’au-delà promis aux mécréants. Malgré des effets d’annonce, les velléités de réforme du président algérien sont restées au stade de vœux pieux. Pour donner le change, il confie, en 2014, le portefeuille de l’Education nationale à Noria Benghebrit, une anthropologue francophone de haut niveau, réputée pour ses compétences. Prenant sa mission à bras-le-corps, elle devient très vite la cible des conservateurs; une cible d’autant plus facile qu’elle n’appartient à aucun parti. La presse nationale-islamiste lui reproche sa connaissance approximative de la langue arabe, avant de l’accuser - suprême hérésie - d’être d’"ascendance juive" !
Atteinte à l’identité nationale
Depuis quelques jours, c’est le nouveau manuel d’éducation islamique du cours préparatoire qui a relancé la polémique; l’illustration de la couverture montre deux garçons et deux filles allant joyeusement à l’école en se tenant par la main. Cette image innocente a déclenché le courroux des gardiens du temple islamiste qui ont dénoncé une "atteinte à l’identité nationale, à l’esprit de l’enfant et sa personnalité". Circonstance aggravante, la formule "Bismillah" ("Au nom de Dieu le clément le miséricordieux"), qui précède les sourates du Coran, a été supprimée des livres profanes.
Face à cette violente campagne haineuse et aux sordides manipulations, Noria Benghebrit résiste, seule, malgré la neutralité de ses collègues ministres. Les rares soutiens viendront paradoxalement de l’opposition laïque. Si certains l’encouragent à "tenir bon", d’autres déplorent la présence au gouvernement de cette "porcelaine dans un magasin d’éléphants" et lui suggèrent de démissionner.
Arezki Aït-Larbi, Correspondant à Alger
...
Commentaire