Dans les décennies à venir, ce n’est plus la surpopulation mais la dépopulation qui menacera la planète. Ce coup de frein démographique sans précédent aura des implications imprévues pour les humains du XXIe siècle.
C’est bien connu : nous sommes trop nombreux sur cette terre. Que l’on vive à Lahore ou à Los Angeles, à Shanghai ou à São Paulo, nous le constatons chaque jour, à travers les embouteillages, la croissance tentaculaire des villes ou la dégradation de l’environnement. Le journal télévisé du soir décline à l’envi des variations sur Ramallah ou le Darfour – des images de famines dans le tiers-monde, de misère, d’épidémies, de guerres, de compétition mondiale sur le marché du travail et de raréfaction des ressources naturelles.
A la mi-septembre 2004, l’ONU tirait la sonnette d’alarme : d’un bout à l’autre de la planète, la surpopulation menace les grandes villes d’asphyxie. Lagos, pour ne prendre que cet exemple, abritera 16 millions d’habitants d’ici à 2015, contre 6,5 millions en 1995. La mégapole nigériane sera alors une concentration de bidonvilles, où un cinquième des enfants de moins de 5 ans ne survivront pas. Lors d’une conférence réunie à Londres [le 15 septembre dernier], le Fonds des Nations unies pour la population (fnuap) a rendu un rapport tout aussi pessimiste : si rien n’est fait pour inverser radicalement la tendance actuelle, les 50 pays les plus pauvres du monde verront leur population tripler d’ici à 2050, pour totaliser 1,7 milliard d’habitants.
Mais cette réalité a une autre face. Dans le monde entier, on fait de moins en moins d’enfants. La fécondité a diminué de moitié depuis 1972, dégringolant de 6 enfants par femme à 2,9 aujourd’hui. Et, à en croire les démographes, elle continue de chuter, plus rapidement que jamais. La population mondiale continuera certes d’augmenter – passant des 6,4 milliards actuels à environ 9 milliards en 2050. Mais, à partir de la seconde moitié du siècle, elle amorcera une décrue spectaculaire. En fait, un nouveau phénomène dont nous allons beaucoup entendre parler est déjà à l’œuvre dans plusieurs pays : la dépopulation. Bienvenue dans la “nouvelle démographie”. Elle modifiera de fond en comble la configuration du monde dans lequel nous vivons, depuis la taille et la puissance des nations jusqu’aux facteurs de croissance économique, en passant par notre qualité de vie.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce ne seront pas tant les pays industrialisés que les pays en développement qui donneront l’impulsion de cette transition inédite. Nous savons qu’en Europe la tendance démographique est marquée depuis des années par une baisse de la natalité. Pour qu’une société se renouvelle, chaque femme doit mettre au monde 2,1 enfants. Or, à en croire le rapport démographique de l’ONU pour 2002, en Europe, le taux de fécondité est largement en deçà de ce niveau de remplacement. Avec un taux de 1,8, la France et l’Irlande sont en tête de la natalité européenne ; l’Italie et l’Espagne sont bonnes dernières, avec 1,2 enfant par femme. Entre ces deux extrêmes, on trouve des pays comme l’Allemagne qui, avec un chiffre de 1,4, sont dans la moyenne. Concrètement, que faut-il en conclure ? Si les prévisions de l’ONU sont exactes, l’Allemagne pourrait perdre un cinquième de ses 82,5 millions d’habitants d’ici quarante ans. Du jamais-vu depuis la guerre de Trente Ans [1618-1648].
Et ce schéma vaut pour tout le continent : la population décroîtra de 38 % en Bulgarie, de 27 % en Roumanie et de 25 % en Estonie. “Certaines régions d’Europe de l’Est, déjà très clairsemées, vont tout bonnement se vider”, prédit Reiner Klingholz, directeur de l’Institut de démographie et de développement de Berlin. La Russie connaît déjà un déficit de 750 000 habitants par an (ce que le président Vladimir Poutine qualifie de “crise nationale”). Même constat en Europe occidentale, où, à l’horizon 2050, la diminution pourrait atteindre au moins 3 millions d’habitants par an.
Ce qui est plus surprenant, c’est que les pays les moins avancés suivent de très près cette tendance. En Asie, on sait que le Japon, où l’âge moyen est de 42,3 ans, basculera bientôt dans une croissance démographique négative. Selon les projections de l’agence onusienne, ce pays – dont le taux de fécondité stagne à 1,3 – est appelé à perdre le quart de ses 127 millions d’habitants au cours des quatre prochaines décennies. Mais, si le vieillissement du Japon a déjà fait couler beaucoup d’encre, on sait moins que le phénomène menace également la Chine, où, toujours selon l’ONU, l’indice de fécondité est passé de 5,8 en 1970 à 1,8 aujourd’hui. Le recensement chinois fournit le chiffre encore plus faible de 1,3 enfant par femme. Etant donné l’allongement de l’espérance de vie, la population chinoise vieillira aussi vite en une génération que l’Europe au cours des cent dernières années, rapporte le Centre d’études stratégiques et internationales de Washington (CSIS). En 2015, avec un âge médian de 44 ans, la Chine sera plus âgée que les Etats-Unis. En 2019 ou peu après, sa population atteindra un pic de 1,5 milliard, puis entamera une chute vertigineuse. Vers 2050, la Chine pourrait bien perdre 20 % à 30 % de ses habitants sur chaque génération.
Les perspectives sont similaires pour le reste de l’Asie, où la natalité est en chute libre, même en l’absence de programmes de contrôle des naissances, voire en dépit des politiques natalistes. Nicholas Eberstadt, démographe à l’American Enterprise Institute de Washington, souligne que les nations industrialisées que sont Singapour, Hong Kong, Taïwan et la Corée du Sud affichent toutes un taux de fécondité inférieur au seuil de renouvellement. A cette liste s’ajoutent la Thaïlande, le Myanmar, l’Australie, le Sri Lanka, l’Uruguay, le Brésil, ainsi que Cuba et de nombreux autres pays des Caraïbes. Le Mexique vieillit à un rythme tel que dans quelques décennies sa population sera plus âgée que celle des Etats-Unis. “Si les chiffres sont exacts, ils signifient que près de la moitié de la population mondiale vit dans des pays dont le régime démographique se situe sous le niveau de remplacement”, commente Eberstadt.
Il y a toutefois quelques exceptions notables à cette tendance. En Europe, l’Albanie et le Kosovo font de plus en plus d’enfants. L’Asie a des poches de forte natalité, avec la Mongolie, le Pakistan et les Philippines. Selon les estimations des Nations unies, le Moyen-Orient, qui compte aujourd’hui 326 millions d’habitants, devrait voir sa population doubler sur vingt ans. L’Arabie Saoudite présente l’un des taux de fécondité les plus élevés de la planète (5,7) après les Territoires palestiniens (5,9) et le Yémen (7,2). Pourtant, certains pays réservent quelques surprises : un pays arabe comme la Tunisie est tombé sous le seuil de renouvellement ; le Liban et l’Iran frôlent la limite. Et si la croissance démographique reste positive dans la région, cela s’explique surtout par un recul de la mortalité infantile. Les taux de fécondité, eux, baissent plus vite que dans les pays développés ; dans les décennies à venir, le Moyen-Orient vieillira donc beaucoup plus vite que d’autres régions du monde. En Afrique, la natalité reste élevée malgré l’épidémie de sida, et l’accroissement démographique devrait s’y poursuivre. Intéressons-nous tout d’abord aux causes de la dénatalité, sur lesquelles se penchent deux ouvrages récents. “Jamais depuis l’époque de la Peste noire [1346-1352], les taux de natalité et de fécondité n’avaient autant diminué, ni aussi vite, ni pendant aussi longtemps et dans tant de pays”, résume le sociologue Ben Wattenberg dans Fewer : How the New Demography of Depopulation Will Shape our Future [Moins nombreux : comment la nouvelle démographie de la dépopulation va modeler notre avenir]. A quoi cela est-il dû ? Selon Wattenberg, tout un éventail de tendances jusqu’alors indépendantes ont convergé pour provoquer un immense chambardement démographique. Comme le soulignait en septembre 2004 le rapport des Nations unies, l’exode rural touche pratiquement tous les pays, tant et si bien qu’en 2007 les villes abriteront plus de la moitié de la population mondiale. Or, en ville, un enfant devient davantage un handicap financier qu’une richesse. Entre 1970 et l’an 2000, la population urbaine a grimpé en flèche au Nigeria, passant de 14 % à 44 % ; en Corée du Sud, elle est passée de 28 % à 84 %. De Lagos à Mexico, les fameuses mégalopoles semblent avoir explosé du jour au lendemain. Les taux de natalité ont connu une évolution inversement proportionnelle.
D’autres facteurs sont également à l’œuvre. L’alphabétisation et la scolarisation des femmes ont contribué à faire baisser la fécondité, au même titre que le divorce, l’avortement et le recul généralisé de l’âge auquel les gens se marient. De plus, le recours à la contraception a considérablement augmenté depuis dix ans : selon l’ONU, 62 % des femmes en âge de procréer, mariées ou vivant en couple, utilisent désormais un moyen contraceptif artificiel. Dans des pays comme l’Inde, qui est désormais le premier foyer mondial de contamination par le VIH, la maladie pèse également dans la balance. En Russie, entre autres facteurs, l’alcoolisme, les mauvaises conditions sanitaires et la pollution industrielle ont considérablement réduit la fertilité masculine. Comme on le constate depuis longtemps en Europe et depuis peu en Asie, le confort matériel dissuade également les couples de procréer. Pour reprendre la formule de Wattenberg, “le capitalisme est le meilleur contraceptif”.
Les conséquences de cet effondrement démographique pourraient être énormes. Songeons à l’économie mondiale telle que l’envisage Phillip Longman dans son récent ouvrage The Empty Cradle : How Falling Birth Rates Threaten World Prosperity and What to Do About It [Le berceau vide : comment la dénatalité menace la prospérité mondiale et ce que nous pouvons faire pour y remédier]. Selon ce démographe, la dépopulation promet d’avoir un impact considérable sur la prospérité mondiale. Que ce soit au niveau de l’immobilier ou de la consommation des ménages, croissance économique et population ont toujours été étroitement liées. “Certains se raccrochent à l’espoir qu’il puisse y avoir une économie saine et dynamique en l’absence d’accroissement démographique, mais, dans l’ensemble, les économistes sont pessimistes”, explique Longman. Il suffit d’observer ce qui se passe au Japon ou en Europe pour avoir un avant-goût de ce que l’avenir peut nous réserver, poursuit-il. En Italie, les démographes prévoient un déclin de 40 % des personnes en âge de travailler sur les quarante prochaines années – et la Commission européenne estime que la croissance accusera une baisse proportionnelle sur l’ensemble du continent. Que se passera-t-il donc vers 2020, lorsque la cohorte des baby-boomers d’Europe aura atteint l’âge de la retraite ? Les grèves et les manifestations qu’ont récemment suscitées les timides réformes des régimes de retraite en Allemagne, en Italie, en France et en Autriche préfigurent l’ampleur du conflit qui opposera les jeunes aux seniors dans l’Europe de demain.
Mais cette crise n’est encore rien par rapport à celle qui se prépare en Chine : les réformes libérales ont mis fin à la prise en charge des citoyens par l’Etat-providence, mais le Parti communiste chinois n’a prévu aucun filet de sécurité adapté pour prendre le relais des anciens programmes de protection sociale. D’après le CSIS, moins du quart de la population chinoise touchera une retraite. La charge parentale incombera donc entièrement à ce qui est désormais une génération d’enfants uniques. La politique de l’enfant unique débouche aujourd’hui sur ce que l’on appelle le “problème du 4-2-1” : chaque enfant aura potentiellement à sa charge deux parents et quatre grands-parents.
Or les revenus des ménages chinois n’augmentent pas assez rapidement pour compenser cette charge. Dans certains villages ruraux, tant de jeunes gens sont partis vers les villes qu’il ne reste parfois plus personne pour s’occuper des personnes âgées. Le vieillissement pourrait par ailleurs bientôt faire perdre à la Chine son avantage concurrentiel, fondé sur une réserve apparemment intarissable de main-d’œuvre bon marché. D’après l’économiste Hu Angang, ce vivier va commencer à s’épuiser à partir de 2015, et la Chine n’aura alors d’autre choix que d’adopter une solution très occidentale : relever le niveau d’instruction de sa force de travail afin de la rendre plus productive. Reste à savoir si elle en est capable. Quoi qu’il en soit, une chose est certaine : de toutes les puissances économiques émergentes d’Asie, la Chine sera la première à vieillir avant d’être devenue riche.
C’est bien connu : nous sommes trop nombreux sur cette terre. Que l’on vive à Lahore ou à Los Angeles, à Shanghai ou à São Paulo, nous le constatons chaque jour, à travers les embouteillages, la croissance tentaculaire des villes ou la dégradation de l’environnement. Le journal télévisé du soir décline à l’envi des variations sur Ramallah ou le Darfour – des images de famines dans le tiers-monde, de misère, d’épidémies, de guerres, de compétition mondiale sur le marché du travail et de raréfaction des ressources naturelles.
A la mi-septembre 2004, l’ONU tirait la sonnette d’alarme : d’un bout à l’autre de la planète, la surpopulation menace les grandes villes d’asphyxie. Lagos, pour ne prendre que cet exemple, abritera 16 millions d’habitants d’ici à 2015, contre 6,5 millions en 1995. La mégapole nigériane sera alors une concentration de bidonvilles, où un cinquième des enfants de moins de 5 ans ne survivront pas. Lors d’une conférence réunie à Londres [le 15 septembre dernier], le Fonds des Nations unies pour la population (fnuap) a rendu un rapport tout aussi pessimiste : si rien n’est fait pour inverser radicalement la tendance actuelle, les 50 pays les plus pauvres du monde verront leur population tripler d’ici à 2050, pour totaliser 1,7 milliard d’habitants.
Mais cette réalité a une autre face. Dans le monde entier, on fait de moins en moins d’enfants. La fécondité a diminué de moitié depuis 1972, dégringolant de 6 enfants par femme à 2,9 aujourd’hui. Et, à en croire les démographes, elle continue de chuter, plus rapidement que jamais. La population mondiale continuera certes d’augmenter – passant des 6,4 milliards actuels à environ 9 milliards en 2050. Mais, à partir de la seconde moitié du siècle, elle amorcera une décrue spectaculaire. En fait, un nouveau phénomène dont nous allons beaucoup entendre parler est déjà à l’œuvre dans plusieurs pays : la dépopulation. Bienvenue dans la “nouvelle démographie”. Elle modifiera de fond en comble la configuration du monde dans lequel nous vivons, depuis la taille et la puissance des nations jusqu’aux facteurs de croissance économique, en passant par notre qualité de vie.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce ne seront pas tant les pays industrialisés que les pays en développement qui donneront l’impulsion de cette transition inédite. Nous savons qu’en Europe la tendance démographique est marquée depuis des années par une baisse de la natalité. Pour qu’une société se renouvelle, chaque femme doit mettre au monde 2,1 enfants. Or, à en croire le rapport démographique de l’ONU pour 2002, en Europe, le taux de fécondité est largement en deçà de ce niveau de remplacement. Avec un taux de 1,8, la France et l’Irlande sont en tête de la natalité européenne ; l’Italie et l’Espagne sont bonnes dernières, avec 1,2 enfant par femme. Entre ces deux extrêmes, on trouve des pays comme l’Allemagne qui, avec un chiffre de 1,4, sont dans la moyenne. Concrètement, que faut-il en conclure ? Si les prévisions de l’ONU sont exactes, l’Allemagne pourrait perdre un cinquième de ses 82,5 millions d’habitants d’ici quarante ans. Du jamais-vu depuis la guerre de Trente Ans [1618-1648].
Et ce schéma vaut pour tout le continent : la population décroîtra de 38 % en Bulgarie, de 27 % en Roumanie et de 25 % en Estonie. “Certaines régions d’Europe de l’Est, déjà très clairsemées, vont tout bonnement se vider”, prédit Reiner Klingholz, directeur de l’Institut de démographie et de développement de Berlin. La Russie connaît déjà un déficit de 750 000 habitants par an (ce que le président Vladimir Poutine qualifie de “crise nationale”). Même constat en Europe occidentale, où, à l’horizon 2050, la diminution pourrait atteindre au moins 3 millions d’habitants par an.
Ce qui est plus surprenant, c’est que les pays les moins avancés suivent de très près cette tendance. En Asie, on sait que le Japon, où l’âge moyen est de 42,3 ans, basculera bientôt dans une croissance démographique négative. Selon les projections de l’agence onusienne, ce pays – dont le taux de fécondité stagne à 1,3 – est appelé à perdre le quart de ses 127 millions d’habitants au cours des quatre prochaines décennies. Mais, si le vieillissement du Japon a déjà fait couler beaucoup d’encre, on sait moins que le phénomène menace également la Chine, où, toujours selon l’ONU, l’indice de fécondité est passé de 5,8 en 1970 à 1,8 aujourd’hui. Le recensement chinois fournit le chiffre encore plus faible de 1,3 enfant par femme. Etant donné l’allongement de l’espérance de vie, la population chinoise vieillira aussi vite en une génération que l’Europe au cours des cent dernières années, rapporte le Centre d’études stratégiques et internationales de Washington (CSIS). En 2015, avec un âge médian de 44 ans, la Chine sera plus âgée que les Etats-Unis. En 2019 ou peu après, sa population atteindra un pic de 1,5 milliard, puis entamera une chute vertigineuse. Vers 2050, la Chine pourrait bien perdre 20 % à 30 % de ses habitants sur chaque génération.
Les perspectives sont similaires pour le reste de l’Asie, où la natalité est en chute libre, même en l’absence de programmes de contrôle des naissances, voire en dépit des politiques natalistes. Nicholas Eberstadt, démographe à l’American Enterprise Institute de Washington, souligne que les nations industrialisées que sont Singapour, Hong Kong, Taïwan et la Corée du Sud affichent toutes un taux de fécondité inférieur au seuil de renouvellement. A cette liste s’ajoutent la Thaïlande, le Myanmar, l’Australie, le Sri Lanka, l’Uruguay, le Brésil, ainsi que Cuba et de nombreux autres pays des Caraïbes. Le Mexique vieillit à un rythme tel que dans quelques décennies sa population sera plus âgée que celle des Etats-Unis. “Si les chiffres sont exacts, ils signifient que près de la moitié de la population mondiale vit dans des pays dont le régime démographique se situe sous le niveau de remplacement”, commente Eberstadt.
Il y a toutefois quelques exceptions notables à cette tendance. En Europe, l’Albanie et le Kosovo font de plus en plus d’enfants. L’Asie a des poches de forte natalité, avec la Mongolie, le Pakistan et les Philippines. Selon les estimations des Nations unies, le Moyen-Orient, qui compte aujourd’hui 326 millions d’habitants, devrait voir sa population doubler sur vingt ans. L’Arabie Saoudite présente l’un des taux de fécondité les plus élevés de la planète (5,7) après les Territoires palestiniens (5,9) et le Yémen (7,2). Pourtant, certains pays réservent quelques surprises : un pays arabe comme la Tunisie est tombé sous le seuil de renouvellement ; le Liban et l’Iran frôlent la limite. Et si la croissance démographique reste positive dans la région, cela s’explique surtout par un recul de la mortalité infantile. Les taux de fécondité, eux, baissent plus vite que dans les pays développés ; dans les décennies à venir, le Moyen-Orient vieillira donc beaucoup plus vite que d’autres régions du monde. En Afrique, la natalité reste élevée malgré l’épidémie de sida, et l’accroissement démographique devrait s’y poursuivre. Intéressons-nous tout d’abord aux causes de la dénatalité, sur lesquelles se penchent deux ouvrages récents. “Jamais depuis l’époque de la Peste noire [1346-1352], les taux de natalité et de fécondité n’avaient autant diminué, ni aussi vite, ni pendant aussi longtemps et dans tant de pays”, résume le sociologue Ben Wattenberg dans Fewer : How the New Demography of Depopulation Will Shape our Future [Moins nombreux : comment la nouvelle démographie de la dépopulation va modeler notre avenir]. A quoi cela est-il dû ? Selon Wattenberg, tout un éventail de tendances jusqu’alors indépendantes ont convergé pour provoquer un immense chambardement démographique. Comme le soulignait en septembre 2004 le rapport des Nations unies, l’exode rural touche pratiquement tous les pays, tant et si bien qu’en 2007 les villes abriteront plus de la moitié de la population mondiale. Or, en ville, un enfant devient davantage un handicap financier qu’une richesse. Entre 1970 et l’an 2000, la population urbaine a grimpé en flèche au Nigeria, passant de 14 % à 44 % ; en Corée du Sud, elle est passée de 28 % à 84 %. De Lagos à Mexico, les fameuses mégalopoles semblent avoir explosé du jour au lendemain. Les taux de natalité ont connu une évolution inversement proportionnelle.
D’autres facteurs sont également à l’œuvre. L’alphabétisation et la scolarisation des femmes ont contribué à faire baisser la fécondité, au même titre que le divorce, l’avortement et le recul généralisé de l’âge auquel les gens se marient. De plus, le recours à la contraception a considérablement augmenté depuis dix ans : selon l’ONU, 62 % des femmes en âge de procréer, mariées ou vivant en couple, utilisent désormais un moyen contraceptif artificiel. Dans des pays comme l’Inde, qui est désormais le premier foyer mondial de contamination par le VIH, la maladie pèse également dans la balance. En Russie, entre autres facteurs, l’alcoolisme, les mauvaises conditions sanitaires et la pollution industrielle ont considérablement réduit la fertilité masculine. Comme on le constate depuis longtemps en Europe et depuis peu en Asie, le confort matériel dissuade également les couples de procréer. Pour reprendre la formule de Wattenberg, “le capitalisme est le meilleur contraceptif”.
Les conséquences de cet effondrement démographique pourraient être énormes. Songeons à l’économie mondiale telle que l’envisage Phillip Longman dans son récent ouvrage The Empty Cradle : How Falling Birth Rates Threaten World Prosperity and What to Do About It [Le berceau vide : comment la dénatalité menace la prospérité mondiale et ce que nous pouvons faire pour y remédier]. Selon ce démographe, la dépopulation promet d’avoir un impact considérable sur la prospérité mondiale. Que ce soit au niveau de l’immobilier ou de la consommation des ménages, croissance économique et population ont toujours été étroitement liées. “Certains se raccrochent à l’espoir qu’il puisse y avoir une économie saine et dynamique en l’absence d’accroissement démographique, mais, dans l’ensemble, les économistes sont pessimistes”, explique Longman. Il suffit d’observer ce qui se passe au Japon ou en Europe pour avoir un avant-goût de ce que l’avenir peut nous réserver, poursuit-il. En Italie, les démographes prévoient un déclin de 40 % des personnes en âge de travailler sur les quarante prochaines années – et la Commission européenne estime que la croissance accusera une baisse proportionnelle sur l’ensemble du continent. Que se passera-t-il donc vers 2020, lorsque la cohorte des baby-boomers d’Europe aura atteint l’âge de la retraite ? Les grèves et les manifestations qu’ont récemment suscitées les timides réformes des régimes de retraite en Allemagne, en Italie, en France et en Autriche préfigurent l’ampleur du conflit qui opposera les jeunes aux seniors dans l’Europe de demain.
Mais cette crise n’est encore rien par rapport à celle qui se prépare en Chine : les réformes libérales ont mis fin à la prise en charge des citoyens par l’Etat-providence, mais le Parti communiste chinois n’a prévu aucun filet de sécurité adapté pour prendre le relais des anciens programmes de protection sociale. D’après le CSIS, moins du quart de la population chinoise touchera une retraite. La charge parentale incombera donc entièrement à ce qui est désormais une génération d’enfants uniques. La politique de l’enfant unique débouche aujourd’hui sur ce que l’on appelle le “problème du 4-2-1” : chaque enfant aura potentiellement à sa charge deux parents et quatre grands-parents.
Or les revenus des ménages chinois n’augmentent pas assez rapidement pour compenser cette charge. Dans certains villages ruraux, tant de jeunes gens sont partis vers les villes qu’il ne reste parfois plus personne pour s’occuper des personnes âgées. Le vieillissement pourrait par ailleurs bientôt faire perdre à la Chine son avantage concurrentiel, fondé sur une réserve apparemment intarissable de main-d’œuvre bon marché. D’après l’économiste Hu Angang, ce vivier va commencer à s’épuiser à partir de 2015, et la Chine n’aura alors d’autre choix que d’adopter une solution très occidentale : relever le niveau d’instruction de sa force de travail afin de la rendre plus productive. Reste à savoir si elle en est capable. Quoi qu’il en soit, une chose est certaine : de toutes les puissances économiques émergentes d’Asie, la Chine sera la première à vieillir avant d’être devenue riche.
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