Si imparfaite que soit devenue la Révolution russe dans les années 1930, et malgré sa disparition finale pendant la décennie 1980, elle a transformé le monde.
Par Roger Annis – Le 11 septembre 2017 – Source A Socialist in Canada
Cette année marque le 100e anniversaire de la Révolution russe de 1917. Indéniablement, ce bouleversement a été l’événement le plus important du XXe siècle. Il a été et reste un jalon dans la longue lutte de l’humanité pour la souveraineté nationale et la justice sociale dans cette époque d’impérialisme capitaliste.
Beaucoup de choses seront écrites ces prochains mois sur la Révolution d’Octobre, comme on l’appelle aussi, pour la date charnière du 25 octobre selon l’ancien calendrier russe (le 7 novembre selon le calendrier moderne) où un nouveau pouvoir politique est né. De nombreux détracteurs continueront à la rejeter comme une expérience imparfaite et totalitaire. Chez des observateurs plus sérieux, une partie de ce qui sera écrit sera informatif, mais beaucoup le sera moins, voire trompeur.
Beaucoup de carrières et de réputations politiques et universitaires ont revendiqué la couverture de la Révolution russe, donc on peut s’attendre à ce que la concurrence pour parler en son nom soit forte pour le 100e anniversaire. Cet article tente une interprétation dégagée de l’ultra-gauchisme qui, selon l’auteur, a dominé de nombreuses interprétations du XXe siècle.
Réalisations
Si imparfaite que soit devenue la Révolution russe dans les années 1930, et malgré sa disparition finale pendant la décennie 1980, elle a transformé le monde. Elle n’a pas été la transformation socialiste totale que ses dirigeants et les masses de ceux qui y ont participé espéraient et anticipaient, mais elle a néanmoins représenté un profond changement, avec d’immenses répercussions internationales.
La Révolution de 1917 était une révolution anti-guerre. Elle a immédiatement mis fin à la participation à la boucherie impérialiste de la Première Guerre mondiale. Elle est allée jusqu’à publier des documents secrets de la Russie tsariste montrant comment la Russie et ses alliés impérialistes avaient conspiré entre eux avant et pendant la guerre pour découper le monde en sphères d’influence.
La Révolution russe était une révolution de libération nationale. Un des premiers actes du nouveau gouvernement révolutionnaire a été d’accorder l’indépendance à la Finlande et aux pays baltes. Les années suivantes, le nouveau gouvernement révolutionnaire a poursuivi un vaste programme de libération nationale, y compris la fondation, en 1921, de l’Union des républiques socialistes soviétiques.
L’Ukraine a été la plus vaste des nations opprimées par l’Empire tsariste à être libérée. Sa révolution de 1917-1918 a sa propre dynamique dans le cadre plus large de la révolution appelée révolution « russe ». Le gouvernement révolutionnaire post-1917 a accordé une attention particulière au développement d’une Ukraine souveraine, par exemple en intégrant la région industrialisée du Donbass dans un pays sinon majoritairement agricole.
Les paysans à la campagne ont réalisé une vaste réforme agraire consacrant le droit à la propriété foncière et fournissant les moyens, tels qu’ils étaient, d’améliorer une production agricole et un niveau de vie épouvantables.
Les ouvriers d’usine ont gagné des droits importants. À travers les syndicats et les conseils d’usine, les ouvriers ont commencé à faire entendre leur voix et à exercer un pouvoir dans la planification économique, quelque chose d’inouï dans le monde à cette date.
De larges droits économiques et sociaux ont été gagnés par la population, y compris des droits sans précédent dans le monde pour les femmes, l’alphabétisation, l’expansion de l’instruction et de la santé publiques et les premières lois protégeant les droits des homosexuels.
Des progrès scientifiques se sont produits dans l’industrie et l’agriculture, tandis qu’une profonde révolution culturelle éclatait.
Une large démocratie politique a été instaurée, même si les conditions de la guerre civile (1918-1921) et le blocus impérialiste ont entravé son développement et son expansion.
La Révolution russe s’est propagée dans le monde entier. Elle a inspiré des révolutions dirigées par le prolétariat en Europe pendant les années 1920 et 1930, puis, pendant de nombreuses décennies, elle a inspiré et rendu possibles des révolutions anti-coloniales et anti-impérialistes au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie et en Amérique latine.
La Révolution a aidé les luttes des ouvriers et d’autres classes opprimées pour des améliorations sociales, même là où les révolutions n’ont pas réussi, par exemple dans les pays impérialistes. Les capitalistes ont été obligés d’accorder des concessions économiques et sociales à la classe ouvrière afin de prévenir les bouleversements sociaux inspirés par la Révolution russe.
Transformer le monde
Le vœu fervent des participants à la Révolution était qu’elle ouvre la possibilité d’une transformation socialiste égalitaire du monde entier. Mais ce ne fut pas le cas. Les principales raisons à cela sont au nombre de trois :
Les soulèvements révolutionnaires en Europe qui ont cherché à imiter la Russie – notamment en Allemagne (1919-1923), en Italie et en Hongrie (1919-1920) et en Bulgarie (1923) ont échoué. Leurs défaites ont été suivies par une répression terrible et, y compris, par la montée du fascisme en Italie et plus tard en Allemagne. Les défaites sont dues en partie à la relative inexpérience de la direction de ces insurrections prolétariennes. Elles manquaient de l’expérience que les dirigeants de la Révolution russe avaient acquise pendant des dizaines d’années de dures luttes et de vie dans la clandestinité. Des erreurs importantes ont été commises à des moments décisifs, résultant généralement de décisions malavisées et ultra-gauchistes.
De 1918 à 1921, les pays impérialistes du monde, alliés aux forces militaires survivantes du régime tsariste, ont mené une guerre civile violente et cruelle contre le nouveau gouvernement et les populations de Russie et de ses républiques voisines. Ils ont aussi imposé un blocus économique. La Russie était déjà épuisée et vidée par trois ans de participation à la Première Guerre mondiale, et une grande partie de son industrie et de son agriculture avait déjà été endommagée ou détruite. Les effets combinés de la guerre civile et du blocus ont été très graves :
Les réformes économiques et sociales ont été ralenties ou bloquées. De grands secteurs de la population russe se sont encore appauvris. Le moral en a été affecté en proportion.
De nombreux dirigeants politiques remarquables ont été tués dans la guerre civile, et pas seulement des membres du parti bolchevique.
Le parti bolchevique lui-même a été soumis à une importante transformation de ses effectifs. Comme le décrit Moshe Lewin dans l’introduction de son ouvrage de 1985, The Making of the Soviet System, à la fin de la guerre civile en 1921, la plupart des membres du parti bolchevique étaient des nouveaux qui l’avaient rejoint depuis octobre 1917. Ils n’avaient pas vécu la période de la clandestinité, avant 1917, caractérisée par une démocratie intense et libre au sein du parti. À leur époque, au contraire, en raison des exigences de la guerre, l’appartenance au parti se caractérisait souvent par la capacité à recevoir des ordres et à les exécuter.
Ces conditions difficiles ainsi que d’autres liées à la guerre civile ont contribué à tendre vers un gouvernement autoritaire sous le régime du « communisme de guerre » (la politique qui a guidé la lutte pour la survie de la Révolution de 1918 à 1921).
En 1921, une famine catastrophique a frappé, tuant des millions de personnes. Elle était le résultat des dommages considérables infligés à l’industrie et à l’agriculture par la Première Guerre mondiale, du sous-développement de la science et de la production agricoles hérités du tsarisme et de la sécheresse cyclique.
En 1923, les économies capitalistes avancées d’Europe, des États-Unis et du Japon se sont stabilisées, permettant aux classes capitalistes de restaurer et d’affermir le contrôle politique et social correspondant.
L’effet de tous ces éléments et encore plus sur l’état d’esprit et la combativité des ouvriers et des paysans russes (soviétiques) a été considérable. En quelques années, une bureaucratie croissante personnifiée par Joseph Staline a commencé à dire que les rêves de « révolution mondiale » qui avaient animé la révolution en 1917 n’étaient plus réalistes ni réalisables. Staline et ses collaborateurs ont argumenté que l’URSS devait se tourner plus vers l’intérieur pour planifier l’avenir du pays et réduire ou abandonner son rôle de chef de file d’une lutte mondiale contre le capitalisme et l’impérialisme.
Erreurs supplémentaires
Ces facteurs sont les raisons essentielles pour lesquelles la révolution de 1917 a reflué et, à la fin des années 1920, est entrée dans une phase conservatrice violente centrée sur le développement national interne. Une autre manière de le voir est que le capitalisme – sa puissance armée et sa loi impitoyable de la valeur déterminant ses décisions économiques – s’est révélé plus puissant et plus habile à encaisser les coups et à se remettre que les théoriciens marxistes d’alors l’avaient imaginé.
Dans ce contexte, il est important d’identifier les erreurs et les estimations erronées des révolutionnaires russes. Elles ont contribué à la paralysie économique et politique dans laquelle la Révolution s’est retrouvée à la fin des années 1920. Même si elles ne constituent pas la raison principale du blocage, il est crucial de les étudier afin d’interpréter correctement les leçons essentielles de la Révolution de 1917 et de déceler leur pertinence pour les conditions actuelles.
Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine
Premièrement, les dirigeants de la révolution russe et leurs partenaires internationaux ont commis des erreurs ultra-gauches fondamentales en tentant d’aider et de guider la classe ouvrière et les paysans rebelles d’Europe dans les années troublées qui ont suivi la Première Guerre mondiale. Les révolutionnaires russes ont surestimé leur potentiel révolutionnaire, ce qui à son tour a nourri les tactiques aventuristes des partis communistes nouvellement formés. À tout le moins les tactiques et le verbiage totalement « révolutionnaires » ont été mal vus par les dirigeants et les militants des jeunes partis communistes. Lénine a polémiqué durement là contre, notamment dans son pamphlet de 1920, La maladie infantile du communisme (le « gauchisme »).
Ensuite, les dirigeants russes (soviétiques) ont sous-estimé les obstacles économiques, sociaux et politiques à une transformation socialiste en Russie et dans ses républiques alliées. La politique improvisée du « communisme de guerre » est née de la nécessité de défendre la révolution face à la guerre civile imposée au pays, mais elle a commencé à faire l’objet d’une construction théorique. Les dirigeants bolcheviques se sont mis à théoriser que les ouvriers et les paysans de Russie devaient « dépasser » les conditions de pauvreté et de sous-développement héritées et passer directement à une transformation socialiste.
Tous les dirigeants du parti bolchevique ont été tentés par cette idée de transformation socialiste rapide dans la ligne du communisme de guerre. La plupart ont reconnu leur erreur et ont fait marche arrière. Lénine et la plus grande partie de la direction du parti se sont prononcés au début de 1921 en faveur d’une « Nouvelle politique économique ». La NEP était à de nombreux égards un retour à la pensée de Lénine après la prise du pouvoir de 1917, lorsqu’il disait que la Russie révolutionnaire pourrait traverser une période prolongée de développement « capitaliste d’État », en particulier si la révolution en Europe occidentale ne se faisait pas. Il a tenu une conférence devant le Parti communiste russe en octobre 1921 :
« Lorsqu’à l’occasion de la polémique engagée contre certains camarades, hostiles à la paix de Brest-Litovsk, nous avons par exemple posé, au printemps 1918, la question du capitalisme d’État, nous ne disions pas que cela serait un pas en arrière, nous disions que notre situation serait plus facile, et que les tâches socialistes seraient plus près d’être réalisées si le capitalisme d’État était le système économique prédominant en Russie. »
Plus loin, dans le même discours :
« Au printemps 1921, nous avons compris que nous avions subi un échec dans notre tentative d’instaurer la production et la répartition socialistes par la méthode des ‘assauts’, c’est-à-dire par la voie la plus courte, la plus rapide, la plus directe. Au printemps 1921, la situation politique nous a montré que sur nombre de questions économiques, il fallait se replier sur les positions du capitalisme d’État, qu’il fallait renoncer à l »assaut’ au profit du ‘siège’. »
Par Roger Annis – Le 11 septembre 2017 – Source A Socialist in Canada
Cette année marque le 100e anniversaire de la Révolution russe de 1917. Indéniablement, ce bouleversement a été l’événement le plus important du XXe siècle. Il a été et reste un jalon dans la longue lutte de l’humanité pour la souveraineté nationale et la justice sociale dans cette époque d’impérialisme capitaliste.
Beaucoup de choses seront écrites ces prochains mois sur la Révolution d’Octobre, comme on l’appelle aussi, pour la date charnière du 25 octobre selon l’ancien calendrier russe (le 7 novembre selon le calendrier moderne) où un nouveau pouvoir politique est né. De nombreux détracteurs continueront à la rejeter comme une expérience imparfaite et totalitaire. Chez des observateurs plus sérieux, une partie de ce qui sera écrit sera informatif, mais beaucoup le sera moins, voire trompeur.
Beaucoup de carrières et de réputations politiques et universitaires ont revendiqué la couverture de la Révolution russe, donc on peut s’attendre à ce que la concurrence pour parler en son nom soit forte pour le 100e anniversaire. Cet article tente une interprétation dégagée de l’ultra-gauchisme qui, selon l’auteur, a dominé de nombreuses interprétations du XXe siècle.
Réalisations
Si imparfaite que soit devenue la Révolution russe dans les années 1930, et malgré sa disparition finale pendant la décennie 1980, elle a transformé le monde. Elle n’a pas été la transformation socialiste totale que ses dirigeants et les masses de ceux qui y ont participé espéraient et anticipaient, mais elle a néanmoins représenté un profond changement, avec d’immenses répercussions internationales.
La Révolution de 1917 était une révolution anti-guerre. Elle a immédiatement mis fin à la participation à la boucherie impérialiste de la Première Guerre mondiale. Elle est allée jusqu’à publier des documents secrets de la Russie tsariste montrant comment la Russie et ses alliés impérialistes avaient conspiré entre eux avant et pendant la guerre pour découper le monde en sphères d’influence.
La Révolution russe était une révolution de libération nationale. Un des premiers actes du nouveau gouvernement révolutionnaire a été d’accorder l’indépendance à la Finlande et aux pays baltes. Les années suivantes, le nouveau gouvernement révolutionnaire a poursuivi un vaste programme de libération nationale, y compris la fondation, en 1921, de l’Union des républiques socialistes soviétiques.
L’Ukraine a été la plus vaste des nations opprimées par l’Empire tsariste à être libérée. Sa révolution de 1917-1918 a sa propre dynamique dans le cadre plus large de la révolution appelée révolution « russe ». Le gouvernement révolutionnaire post-1917 a accordé une attention particulière au développement d’une Ukraine souveraine, par exemple en intégrant la région industrialisée du Donbass dans un pays sinon majoritairement agricole.
Les paysans à la campagne ont réalisé une vaste réforme agraire consacrant le droit à la propriété foncière et fournissant les moyens, tels qu’ils étaient, d’améliorer une production agricole et un niveau de vie épouvantables.
Les ouvriers d’usine ont gagné des droits importants. À travers les syndicats et les conseils d’usine, les ouvriers ont commencé à faire entendre leur voix et à exercer un pouvoir dans la planification économique, quelque chose d’inouï dans le monde à cette date.
De larges droits économiques et sociaux ont été gagnés par la population, y compris des droits sans précédent dans le monde pour les femmes, l’alphabétisation, l’expansion de l’instruction et de la santé publiques et les premières lois protégeant les droits des homosexuels.
Des progrès scientifiques se sont produits dans l’industrie et l’agriculture, tandis qu’une profonde révolution culturelle éclatait.
Une large démocratie politique a été instaurée, même si les conditions de la guerre civile (1918-1921) et le blocus impérialiste ont entravé son développement et son expansion.
La Révolution russe s’est propagée dans le monde entier. Elle a inspiré des révolutions dirigées par le prolétariat en Europe pendant les années 1920 et 1930, puis, pendant de nombreuses décennies, elle a inspiré et rendu possibles des révolutions anti-coloniales et anti-impérialistes au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie et en Amérique latine.
La Révolution a aidé les luttes des ouvriers et d’autres classes opprimées pour des améliorations sociales, même là où les révolutions n’ont pas réussi, par exemple dans les pays impérialistes. Les capitalistes ont été obligés d’accorder des concessions économiques et sociales à la classe ouvrière afin de prévenir les bouleversements sociaux inspirés par la Révolution russe.
Transformer le monde
Le vœu fervent des participants à la Révolution était qu’elle ouvre la possibilité d’une transformation socialiste égalitaire du monde entier. Mais ce ne fut pas le cas. Les principales raisons à cela sont au nombre de trois :
Les soulèvements révolutionnaires en Europe qui ont cherché à imiter la Russie – notamment en Allemagne (1919-1923), en Italie et en Hongrie (1919-1920) et en Bulgarie (1923) ont échoué. Leurs défaites ont été suivies par une répression terrible et, y compris, par la montée du fascisme en Italie et plus tard en Allemagne. Les défaites sont dues en partie à la relative inexpérience de la direction de ces insurrections prolétariennes. Elles manquaient de l’expérience que les dirigeants de la Révolution russe avaient acquise pendant des dizaines d’années de dures luttes et de vie dans la clandestinité. Des erreurs importantes ont été commises à des moments décisifs, résultant généralement de décisions malavisées et ultra-gauchistes.
De 1918 à 1921, les pays impérialistes du monde, alliés aux forces militaires survivantes du régime tsariste, ont mené une guerre civile violente et cruelle contre le nouveau gouvernement et les populations de Russie et de ses républiques voisines. Ils ont aussi imposé un blocus économique. La Russie était déjà épuisée et vidée par trois ans de participation à la Première Guerre mondiale, et une grande partie de son industrie et de son agriculture avait déjà été endommagée ou détruite. Les effets combinés de la guerre civile et du blocus ont été très graves :
Les réformes économiques et sociales ont été ralenties ou bloquées. De grands secteurs de la population russe se sont encore appauvris. Le moral en a été affecté en proportion.
De nombreux dirigeants politiques remarquables ont été tués dans la guerre civile, et pas seulement des membres du parti bolchevique.
Le parti bolchevique lui-même a été soumis à une importante transformation de ses effectifs. Comme le décrit Moshe Lewin dans l’introduction de son ouvrage de 1985, The Making of the Soviet System, à la fin de la guerre civile en 1921, la plupart des membres du parti bolchevique étaient des nouveaux qui l’avaient rejoint depuis octobre 1917. Ils n’avaient pas vécu la période de la clandestinité, avant 1917, caractérisée par une démocratie intense et libre au sein du parti. À leur époque, au contraire, en raison des exigences de la guerre, l’appartenance au parti se caractérisait souvent par la capacité à recevoir des ordres et à les exécuter.
Ces conditions difficiles ainsi que d’autres liées à la guerre civile ont contribué à tendre vers un gouvernement autoritaire sous le régime du « communisme de guerre » (la politique qui a guidé la lutte pour la survie de la Révolution de 1918 à 1921).
En 1921, une famine catastrophique a frappé, tuant des millions de personnes. Elle était le résultat des dommages considérables infligés à l’industrie et à l’agriculture par la Première Guerre mondiale, du sous-développement de la science et de la production agricoles hérités du tsarisme et de la sécheresse cyclique.
En 1923, les économies capitalistes avancées d’Europe, des États-Unis et du Japon se sont stabilisées, permettant aux classes capitalistes de restaurer et d’affermir le contrôle politique et social correspondant.
L’effet de tous ces éléments et encore plus sur l’état d’esprit et la combativité des ouvriers et des paysans russes (soviétiques) a été considérable. En quelques années, une bureaucratie croissante personnifiée par Joseph Staline a commencé à dire que les rêves de « révolution mondiale » qui avaient animé la révolution en 1917 n’étaient plus réalistes ni réalisables. Staline et ses collaborateurs ont argumenté que l’URSS devait se tourner plus vers l’intérieur pour planifier l’avenir du pays et réduire ou abandonner son rôle de chef de file d’une lutte mondiale contre le capitalisme et l’impérialisme.
Erreurs supplémentaires
Ces facteurs sont les raisons essentielles pour lesquelles la révolution de 1917 a reflué et, à la fin des années 1920, est entrée dans une phase conservatrice violente centrée sur le développement national interne. Une autre manière de le voir est que le capitalisme – sa puissance armée et sa loi impitoyable de la valeur déterminant ses décisions économiques – s’est révélé plus puissant et plus habile à encaisser les coups et à se remettre que les théoriciens marxistes d’alors l’avaient imaginé.
Dans ce contexte, il est important d’identifier les erreurs et les estimations erronées des révolutionnaires russes. Elles ont contribué à la paralysie économique et politique dans laquelle la Révolution s’est retrouvée à la fin des années 1920. Même si elles ne constituent pas la raison principale du blocage, il est crucial de les étudier afin d’interpréter correctement les leçons essentielles de la Révolution de 1917 et de déceler leur pertinence pour les conditions actuelles.
Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine
Premièrement, les dirigeants de la révolution russe et leurs partenaires internationaux ont commis des erreurs ultra-gauches fondamentales en tentant d’aider et de guider la classe ouvrière et les paysans rebelles d’Europe dans les années troublées qui ont suivi la Première Guerre mondiale. Les révolutionnaires russes ont surestimé leur potentiel révolutionnaire, ce qui à son tour a nourri les tactiques aventuristes des partis communistes nouvellement formés. À tout le moins les tactiques et le verbiage totalement « révolutionnaires » ont été mal vus par les dirigeants et les militants des jeunes partis communistes. Lénine a polémiqué durement là contre, notamment dans son pamphlet de 1920, La maladie infantile du communisme (le « gauchisme »).
Ensuite, les dirigeants russes (soviétiques) ont sous-estimé les obstacles économiques, sociaux et politiques à une transformation socialiste en Russie et dans ses républiques alliées. La politique improvisée du « communisme de guerre » est née de la nécessité de défendre la révolution face à la guerre civile imposée au pays, mais elle a commencé à faire l’objet d’une construction théorique. Les dirigeants bolcheviques se sont mis à théoriser que les ouvriers et les paysans de Russie devaient « dépasser » les conditions de pauvreté et de sous-développement héritées et passer directement à une transformation socialiste.
Tous les dirigeants du parti bolchevique ont été tentés par cette idée de transformation socialiste rapide dans la ligne du communisme de guerre. La plupart ont reconnu leur erreur et ont fait marche arrière. Lénine et la plus grande partie de la direction du parti se sont prononcés au début de 1921 en faveur d’une « Nouvelle politique économique ». La NEP était à de nombreux égards un retour à la pensée de Lénine après la prise du pouvoir de 1917, lorsqu’il disait que la Russie révolutionnaire pourrait traverser une période prolongée de développement « capitaliste d’État », en particulier si la révolution en Europe occidentale ne se faisait pas. Il a tenu une conférence devant le Parti communiste russe en octobre 1921 :
« Lorsqu’à l’occasion de la polémique engagée contre certains camarades, hostiles à la paix de Brest-Litovsk, nous avons par exemple posé, au printemps 1918, la question du capitalisme d’État, nous ne disions pas que cela serait un pas en arrière, nous disions que notre situation serait plus facile, et que les tâches socialistes seraient plus près d’être réalisées si le capitalisme d’État était le système économique prédominant en Russie. »
Plus loin, dans le même discours :
« Au printemps 1921, nous avons compris que nous avions subi un échec dans notre tentative d’instaurer la production et la répartition socialistes par la méthode des ‘assauts’, c’est-à-dire par la voie la plus courte, la plus rapide, la plus directe. Au printemps 1921, la situation politique nous a montré que sur nombre de questions économiques, il fallait se replier sur les positions du capitalisme d’État, qu’il fallait renoncer à l »assaut’ au profit du ‘siège’. »
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