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Kurdistan, Catalogne, Ecosse… Ces nouveaux Etats en devenir

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  • Kurdistan, Catalogne, Ecosse… Ces nouveaux Etats en devenir

    Faudra-t-il s'habituer à redessiner nos atlas tous les deux, trois ans ? Que nous le voulions ou pas, c'est sans doute inévitable.

    Savez-vous combien de nouveaux Etats ont été créés dans le monde au cours des trente dernières années ? Pas moins de trente, pour la plupart issus de la dissolution de grands ensembles comme l’Union soviétique et la République fédérale de Yougoslavie, mais aussi de "divorces" comme en Tchécoslovaquie ou au Soudan. Les Nations unies, qui comptaient 51 pays à leur création en 1945, puis 159 membres en 1988, après la décolonisation et à la veille de la chute du mur de Berlin et de la fin de la guerre froide, en dénombrent aujourd’hui 193 ; le dernier à avoir été admis au sein de l’organisation mondiale est le Soudan du Sud en 2011, dont les premiers pas souverains sont, hélas, marqués par la guerre et les souffrances de sa population.

    La question se pose de nouveau aujourd’hui avec les poussées indépendantistes dans des régions très contrastées du monde. Le Kurdistan irakien votait lundi pour son indépendance, suscitant des tensions extrêmement fortes avec son Etat de tutelle et avec ses voisins ; la Catalogne doit voter à son tour le 1er octobre, là encore engendrant des tensions avec Madrid ; l’Ecosse pourrait de nouveau tenter sa chance à la faveur du Brexit ; le Québec n’a toujours pas dit son dernier mot (en français) au Canada ; Hongkong a vu naître pour la première fois un mouvement indépendantiste, et le Tibet et le Xinjiang en rêveraient si Pékin les laissait faire… Et la liste n’est pas exhaustive.

    Chaque cas est évidemment singulier, le fruit d’une histoire politique, de guerres et de conquêtes, d’erreurs et parfois de crimes. Mais tous
    correspondent à une aspiration profonde à l’autodétermination, à un sentiment national qui, depuis le XIXe siècle, ne s’est pas atténué et pousse des communautés à revendiquer le droit à se retrouver entre elles, à mettre fin à des mariages pas toujours harmonieux ni consentis.

    Le cas du Kurdistan irakien

    Ces aspirations peuvent sembler légitimes au regard de l’histoire, mais elles soulèvent, à chaque fois, une levée de boucliers, des menaces de guerre, des répressions et des sanctions. Rares sont les "divorces de velours" comme celui auquel sont parvenus Tchèques et Slovaques en 1992, et qui cohabitent désormais de manière pacifiée au sein de l’Union européenne
    Le cas du Kurdistan irakien est évidemment exemplaire. L’aspiration à l’indépendance des Kurdes est connue, elle est leur "signature" depuis toujours ; surtout depuis le traité de Sèvres, conclu en 1920, à l’issue de la Première Guerre mondiale, et qui promettait un Etat à la minorité kurde sur les décombres de l’empire Ottoman.

    Et encore, les Kurdes avaient failli être oubliés. Dans le livre collectif sur "la question kurde" (éd. Complexe), le chercheur Stéphane Yerasimos raconte que le 30 janvier 1919 au matin, à la Conférence de Paris qui fait suite à la défaite de l’Allemagne et de ses alliés, le Britannique Lloyd George présente une résolution qui promet la séparation aux peuples "assujettis" et "maltraités" par l’empire Ottoman. L’après-midi, il reprend la parole pour s’excuser d’avoir "oublié" un peuple dans la liste approuvée le matin même : les Kurdes. "Ainsi, écrit Yerasimos, c’est dans l’intervalle d’un déjeuner que le Kurdistan a fait son entrée dans l’histoire diplomatique."

    On connaît la suite : cette promesse ne fut jamais tenue, et les Kurdes, aujourd’hui environ 40 millions, se sont retrouvés dispersés entre quatre Etats – Irak, Iran, Syrie et Turquie – qui n’ont en commun que de refuser la naissance d’un Etat indépendant kurde à leur frontière. Le XXe siècle fut pour les Kurdes une longue lutte, incarnée par la figure du peshmerga, ce combattant enturbanné de légende, qui, aujourd’hui encore, fait ses preuves sur le champ de bataille.

    Ce fut aussi un siècle de massacres, comme celui d’Halabja, commis à l’arme chimique par le régime de Saddam Hussein en 1988, en toute impunité. Il y a bien eu, en 1946, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une éphémère République kurde centrée autour de la ville de Mahabad, dans l’ouest de l’Iran, mais elle ne dura que onze mois avant de disparaître, même si elle continue d’occuper une grande place dans l’imaginaire collectif kurde.

    Depuis le massacre d’Halabja, la guerre du Golfe de 1991, la chute de Saddam Hussein en 2003 avec l’invasion américaine, puis de nouveau avec le soulèvement en Syrie en 2011, la "question kurde" est de nouveau posée, aussi bien en Turquie, en Syrie et en Irak, plus modestement en Iran. Les Kurdes, en Irak et en Syrie, sont devenus des acteurs majeurs de la lutte contre les djihadistes de l’Etat islamique, renforçant leur autonomie territoriale, leur puissance militaire, et le sentiment qu’une chance historique se présentait et ne devait pas être manquée.

    Pourtant, même ceux qui ne nient pas la légitimité de l’aspiration kurde à un Etat sont contre la démarche entreprise par le président du Gouvernement régional du Kurdistan, Massoud Barzani, au pouvoir à Erbil depuis 2005, d’organiser ce référendum sur l’indépendance dont l’issue ne faisait, d’entrée de jeu, aucun doute.

    Les uns pensent que "ce n’est pas le moment" alors que le combat contre l’Etat islamique n’est pas encore achevé ; les autres redoutent une déstabilisation de toute la région avec une émulation des Kurdes irakiens sur leurs cousins de Syrie, de Turquie et d’Iran, qui partagent le même rêve étatique ; l’Etat irakien, ensuite, refusant de se laisser déposséder d’une partie de son territoire, la région de Kirkouk, riche en pétrole et contestée entre Kurdes et Arabes. D’autres, enfin, contestent le pouvoir de Massoud Barzani, et l’accusent d’instrumentaliser la cause indépendantiste pour consolider son emprise sur le pouvoir face aux autres factions kurdes, et perpétuer une administration gangrenée par la corruption et le népotisme.

    En Espagne, une crise qui ne cesse d’enfler

    L’autodétermination n’est donc pas juste une affaire de principes, sur lesquels, depuis la Première Guerre mondiale, le monde entretient un relatif consensus. Les Kurdes, une fois de plus, risquent d’en faire les frais, peut-être même au prix d’une nouvelle guerre. Assurément, les tensions autour du référendum contesté du 1er octobre en Catalogne ne sont pas aussi lourdes de conséquences que celles, fortement militarisées et au sulfureux parfum de pétrole, qui entourent le Kurdistan irakien. Pourtant, au sein même de l’Union européenne et de sa zone de droit et de démocratie en principe apaisée, la Catalogne est au cœur d’une crise qui ne cesse d’enfler.

    A défaut d’avoir pu obtenir que l’Espagne devienne un pays "plurinational", les nationalistes catalans font le forcing, depuis 2010, pour obtenir le droit à l’autodétermination. Ce droit, qui est du ressort de Madrid, leur a été refusé, et l’organisation d’un référendum par le gouvernement catalan est considérée comme inconstitutionnelle. Le bras de fer entre Madrid et Barcelone a pris une ampleur inégalée jusqu’ici, et augure mal de la suite de la cohabitation au sein d’un même royaume "unifié".
    Dans toutes les situations de crispation identitaire et de poussée indépendantiste, il y a une tension forte entre l’expression démocratique des peuples et le respect des règles constitutionnelles qui protègent d’abord l’Etat central. Là encore, personne n’encourage les Catalans à choisir la voie de l’indépendance, même si ceux-ci jurent de leur volonté de rester au sein de l’Union européenne et d’avoir de bonnes relations avec une Espagne devenue un "pays voisin"… Le reste du monde redoute à chaque fois – c’était déjà le cas en 1991 avec la fin de l’URSS – d’ouvrir la boîte de Pandore de la division et du micro-nationalisme.

    L’exemple le plus frappant est finalement celui de l’ex-Yougoslavie, qui, après s’être séparée en six républiques indépendantes, correspondant à l’ancienne fédération, a vu une partie de la Serbie, le Kosovo, devenir indépendant avec le soutien de l’Occident, et la Bosnie-Herzégovine continuer de connaître de vives tensions entre ses trois composantes, serbe, croate et musulmane.

    La Chine observe, avec vigilance...

    Les pays, comprenant de fortes minorités ou des régions mal intégrées dans l’ensemble national, redoutent ce phénomène centrifuge, et serrent plus encore la vis sur tout ce qui pourrait ressembler à des velléités indépendantistes. La Chine observe ainsi avec vigilance tout ce qui passe, même à l’autre bout du monde, et qui pourrait servir de précédent pour le Tibet ou même pour Hongkong.

    Dans un récent essai publié par le "New York Times", Joshua Keating, auteur d’un livre à paraître sur "les pays invisibles", souligne que la carte du monde actuelle est encore "loin d’être parfaite". Il rappelle qu’elle continue à subir des changements, certains par la force comme l’annexion de la Crimée par Vladimir Poutine à la faveur de la crise ukrainienne en 2014, toujours considérée comme "illégale" par la communauté internationale, ou la poussée chinoise en mer de Chine méridionale où Pékin change les limites de sa zone maritime. L’auteur plaide pour que la communauté internationale permette "des séparations pacifiques, ordonnées, démocratiques", plutôt que "violentes et chaotiques".

    "Je ne plaide pas en faveur des indépendances du Kurdistan, de la Catalogne, de l’Ecosse ou de tout autre endroit. Mais quand la forme des pays a été dessinée par des gens qui n’y vivent pas, ça ne marche généralement pas très bien. Il y a de bonnes raisons d’être sceptique à propos de ces mouvements indépendantistes. Mais cela ne signifie pas que le maintien de la forme existante des pays dans leurs frontières actuelles soit nécessairement un bon principe."

    Faudra-t-il alors s’habituer à redessiner nos atlas tous les deux ou trois ans, au gré des naissances de nouveaux pays ? Que nous le voulions ou pas, c’est sans doute inévitable. La vraie question est de savoir si ce phénomène peut être régulé, encadré, négocié, ou s’il s’accompagne inévitablement d’un certain niveau de force, de violence.

    L'OBS
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