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Pourquoi le Kurdistan indépendant a peu de chances de voir le jour

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  • Pourquoi le Kurdistan indépendant a peu de chances de voir le jour

    C'est un succès en demi-teinte. Les Kurdes se sont largement mobilisés pour leur référendum d'indépendance. Quelque 72,16% des 3,3 millions d'électeurs inscrits ont participé au scrutin. Et ils ont massivement voté "oui", à 92,73%. Mais au lendemain de la proclamation des résultats définitifs, jeudi 28 septembre, le Kurdistan irakien apparaît plus isolé que jamais, face aux pressions de ses voisins et de la communauté internationale. Pour mieux comprendre les conséquences de ce vote, franceinfo vous explique pourquoi un Kurdistan indépendant a peu de chances de voir le jour.

    Parce qu'il menace l'intégrité territoriale de quatre pays

    La création d'un Kurdistan indépendant est un très vieux rêve du peuple kurde. A la fin de la première guerre mondiale, l'effondrement de l'Empire ottoman a ouvert la voie à la création d'un Etat kurde. Elle était d'ailleurs prévue par le traité de Sèvres, conclu en 1920. Ses frontières couraient jusqu'à l'est de l'Anatolie turque et à la province de Mossoul en Irak.

    Mais après la victoire de Mustafa Kemal en Turquie, les Alliés sont revenus sur leur décision. Et, en 1923, le traité de Lausanne a consacré la domination de la Turquie, de l'Iran, de la Grande-Bretagne (pour l'Irak) et de la France (pour la Syrie) sur les populations kurdes.

    Actuellement, les Kurdes, dont le nombre varie entre 25 et 35 millions selon les sources, vivent donc sur un territoire éclaté d'un demi-million de km2, à cheval sur quatre pays. De 12 à 15 millions de Kurdes sont établis en Turquie, environ 6 millions en Iran, 5 à 6 millions en Irak et plus de 2 millions en Syrie. La création d'un Kurdistan indépendant unifié, tel que le revendiquent les Kurdes, impliquerait de redessiner les frontières de ces quatre pays, ce qu'aucune des capitales concernées n'envisage.




    Parce qu'il risque de déstabiliser un peu plus la région

    La Turquie redoute que l'avènement d'un Kurdistan indépendant, même hors de son territoire, n'attise la cause séparatiste kurde sur son sol. Depuis 1984, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) mène une insurrection dans le sud-est du pays. La rébellion kurde dispose d'ailleurs de bases arrière dans le nord de l'Irak, non loin de la frontière turque. Le conflit, réprimé dans le sang par Ankara, a fait plus de 40 000 morts en trois décennies.

    Le terreau est également fertile dans les trois autres pays. En Iran, des rebelles kurdes affrontent épisodiquement les forces de sécurité iraniennes. En Irak, les Kurdes ont été persécutés sous Saddam Hussein et se sont soulevés en 1991 après la défaite de Bagdad au Koweït, instaurant une autonomie de fait, légalisée par la Constitution irakienne en 2005. Enfin en Syrie, les Kurdes ont souffert de décennies de marginalisation de la part du régime Al-Assad. A partir de 2011, ils ont profité du chaos généré par la guerre pour installer une administration autonome dans les régions du nord du pays.

    Les pays occidentaux et les Nations unies sont eux aussi hostiles au projet d'indépendance, qu'ils jugent dangereusement déstabilisant pour la région. Jeudi 21 septembre, à quatre jours du référendum, le Conseil de sécurité de l'ONU a ainsi exprimé "sa préoccupation face à l'impact potentiellement déstabilisateur du projet". Israël, pourtant très proche allié des Etats-Unis, est le seul pays à s'être prononcé publiquement pour un Etat kurde indépendant. Au nom des bonnes relations entre Kurdes et Israéliens, et, selon des experts, dans l'espoir d'endiguer l'influence de l'Iran et de l'islam radical.

    Parce que le "timing" n'est pas bon

    Comme l'a souligné le Conseil de sécurité des Nations unies, le référendum kurde s'est tenu alors que les combats contre le groupe terroriste Etat islamique se poursuivent en Irak et en Syrie. Des opérations dans lesquelles les Kurdes jouent un rôle-clé.

    En Irak, où subsistent encore deux fiefs jihadistes, les Peshmergas kurdes sont, avec l'armée régulière irakienne, le fer de lance au sol de la coalition internationale, dirigée par les Etats-Unis, qui combat le groupe terroriste. En Syrie, les forces kurdes dominent l'alliance des Forces démocratiques syriennes (FDS), qui combattent les terroristes islamistes avec l'appui de la coalition.

    Ouvrir le chantier de l'indépendance du Kurdistan en pleine guerre contre l'Etat islamique risque de tendre les relations entre les pays de la coalition et de compliquer leur coopération sur le terrain. Pour l'ONU, cela pourrait également aggraver la situation humanitaire et "contrecarrer les efforts pour assurer un retour volontaire et en sécurité de plus de trois millions de réfugiés et de personnes déplacées".

    Parce qu'il pourrait déclencher de nouveaux conflits confessionnels

    En Irak, le Kurdistan autonome a profité du chaos ambiant pour étendre son territoire hors de ses frontières. Les Peshmergas ont conquis des secteurs dès 2014, à la faveur du chaos régnant après l'offensive éclair de l'Etat islamique, puis en profitant des reculs successifs des jihadistes dans le Nord, face aux coups de boutoir de la coalition.

    Le pouvoir kurde et l'Etat irakien se disputent désormais l'autorité sur les provinces de Ninive, Diyala, Salaheddine et Kirkouk. Cette dernière abrite notamment d'importantes communautés arabe et turkmène, qui sont opposées à l'indépendance kurde. Dans ces zones, les combats contre les jihadistes ont laissé derrière eux une myriade de forces paramilitaires chiites, kurdes, sunnites ou encore turkmènes. Et le spectre du confessionnalisme et des affrontements entre minorités pointe de nouveau.

    Les Kurdes, peuple d'origine indo-européenne, sont eux-mêmes composés en majorité de musulmans sunnites et de minorités non-musulmanes. Ils n'ont jamais vécu sous un pouvoir centralisé et sont divisés en une multitude de partis et factions, répartis entre les quatre pays où ils vivent. Ces mouvements sont souvent antagonistes, en fonction notamment des jeux d'alliances conclues avec les régimes voisins. En Irak, les deux principaux partis kurdes se sont ainsi livré une guerre faisant quelque 3 000 morts entre 1994 et 1998, avant de se réconcilier en 2003.

    Parce que l'enjeu économique du pétrole est colossal

    Les Kurdes d'Irak ont sous leurs pieds d'importants gisements de pétrole. Encore plus depuis qu'ils ont pris le contrôle, en 2014, des champs pétrolifères du nord de l'Irak, notamment autour de la ville de Kirkouk. Le Kurdistan autonome et l'Etat irakien se disputent cette prodigieuse manne financière. Et même si le plan de partage des revenus pétroliers entre Erbil et Bagdad a échoué, le gouvernement irakien n'entend pas renoncer.

    Le Kurdistan est totalement dépendant de son pétrole, sa principale source de revenus depuis que Bagdad a coupé les vivres à la région autonome, en représailles à leur désaccord sur le partage des revenus pétroliers. Chaque jour, le Kurdistan exporte 550 000 de ses 600 000 barils d'or noir produits, via l'oléoduc qui relie Kirkouk au terminal de Ceyhan, dans le sud de la Turquie.

    Cette dépendance fragilise le Kurdistan. La Turquie détient la clé de l'asphyxie. Mais la fermeture de l'oléoduc aurait un prix pour les voisins directs. La Turquie exporte annuellement environ huit à dix milliards de dollars de pétrole vers le Kurdistan et l'Iran, six milliards.



    Parce qu'il n'est pas vraiment question d'indépendance

    Et si le référendum n'était qu'un coup politique ? Massoud Barzani, le président du Kurdistan autonome, avait par avance prévenu que le résultat du vote ne mènerait pas à une déclaration d'indépendance immédiate, mais plutôt au début de "discussions sérieuses avec Bagdad", dans le but de "régler tous les problèmes".

    Alors que de nombreuses questions épineuses sont toujours en suspens, "Massoud Barzani veut obtenir des avantages tout azimuts", a expliqué à l'AFP Karim Pakzad, de l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Le dirigeant réclame entre autres "un plus grand rôle politique et économique ainsi que la reconnaissance du droit des Kurdes à exploiter et à exporter le pétrole du Nord", poursuit ce spécialiste de l'Irak.

    La priorité du président kurde, décrypte Karim Pakzad, est de renégocier, en étant en position de force face au gouvernement irakien grâce à ce référendum. Il espère, indique le spécialiste, obtenir de Bagdad le versement de la part du budget national dont est privée la région autonome. Et des Etats-Unis, les Kurdes attendent plus d'aide, notamment militaire.

    Franceinfo
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