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Raison et modernité

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  • Raison et modernité

    Ma mère est morte à Mascara mardi 29 septembre à six heures quinze. Elle a poussé son dernier soupir dans les bras de mes deux sœurs, en l’absence des autres membres de la famille. Cette issue avait beau être prévisible, aucune disposition n’avait été prise. Ainsi, il n’y avait rien pour accueillir la foule nombreuse des amis et parents qui allaient se précipiter à notre domicile pour nous présenter leurs condoléances. En l’état, nous ne pouvions leur offrir le traditionnel couscous, la «mbasla», les dattes, le café, le thé. Mon frère aîné est arrivé d’Oran peu avant huit heures. Tout était prêt, tout. Ma mère était lavée et apprêtée pour son dernier voyage. Matelas, tapis, banquettes étaient disposés en bon ordre. Cafetières et théières étaient de sortie. Tous les fourneaux étaient allumés et une foule de femmes officiaient partout dans la maison, devenue une véritable ruche. Dehors, les bancs et les chaises étaient alignés contre le mur. La tombe de ma grand-mère avait été ouverte et s’apprêtait à accueillir sa future occupante.
    Pourquoi raconter cela ? Tous les Algériens s’accordent sur le fait que nous ne faisons pas «société». C’est sans doute vrai. Nous nous distinguons par notre propension à la désorganisation, au laisser-aller et nous nous révélons à l’usage, incapables d’un effort collectif. L’état de nos immeubles, de notre environnement, la saleté de nos rues en témoignent chaque jour. Toutefois, aurions-nous raison de penser que nous n’avons pas les constituants nécessaires pour faire société ? Pas si sûr. En tout cas, cette hypothèse est démentie par le propos liminaire. Dans quel endroit du monde pourrait-on, au prix de quelques coups de téléphone, mobiliser des dizaines, voire des centaines de personnes pour organiser l’accueil, la nourriture, le logement de centaines de gens venant de tous les coins du pays pour partager le deuil d’une famille ? Pour ma part, après avoir parcouru une bonne partie du vaste monde, je n’en connais pas…
    Alors, peut-être faut-il revoir ces jugements à l’emporte-pièce sur une sorte de gêne algérien du désordre qui nous condamnerait à la fatalité du sous-développement. Il y a bien d’autres exemples dans lesquels s’illustre cette capacité unique au dépassement, à la générosité. Un sociologue français, Alain Mahé, en a fait l’expérience. Tout jeune docteur en sociologie, il avait choisi de fêter son diplôme en allant passer ses vacances en Algérie. Pourquoi l’Algérie ? Il voulait sortir, me dit-il, des circuits touristiques classiques et visiter une région non encore touchée par ces vagues de vacanciers européens ventrus et amateurs de bière. A sa descente d’avion à Dar El Beïda, il est délesté de son sac à dos et de son portefeuille ! Catastrophe, se dit-il. En fait, il s’agissait d’une bénédiction. Un groupe de jeunes l’encadre. Ils l’emmènent à Alger, l’hébergent, le nourrissent, le promènent. Ils le mettent dans un taxi pour la Kabylie, après avoir téléphoné à Tizi-Ouzou pour s’assurer qu’il serait accueilli. De Tizi, il est envoyé à Annaba dans les mêmes conditions, puis à Touggourt, à Oran… Bref, alors qu’il est sans le sou, il parcourt le pays durant deux mois sans sauter un repas, sans dormir une seule nuit à la belle étoile. Il repart en France avec des cadeaux pour sa famille !
    Voilà, non seulement une illustration de l’hospitalité algérienne, mais aussi de la capacité d’organisation dont peut faire preuve notre peuple. Alain a fait son grand voyage sans le moindre couac.
    Pourquoi cette capacité n’est-elle pas toujours présente ? En fait, elle n’est à l’œuvre que quand la sympathie est de la partie. Ce touriste français a ému ces jeunes gens par sa mésaventure. Ils ont fait en sorte de l’effacer de son esprit et qu’il reparte avec un souvenir positif de l’Algérie et ils y ont réussi.
    Il ne s’agit pas de tomber dans l’angélisme. Oui, nous sommes sales, violents, agressifs. Mais nous sommes également capables de gestes uniques, augustes. Quand la nécessité le dicte, nos mauvais penchants s’évanouissent et tout notre être est tendu vers le don, le bien.
    Comment faire pour que cet état d’esprit devienne la norme ? Sans doute, d’abord, en évitant de nous accabler nous-mêmes d’un mépris global que nous ne méritons pas, en tenant à distance notre propension nationale à l’autodénigrement.
    Alors, continuons de pointer nos défauts, restons critiques envers nous-mêmes, mais que cette critique ne devienne pas un jeu de massacre ! En particulier, veillons à préserver les restes de ce qui fait sens pour notre peuple, les langues de ses aïeux, sa foi religieuse même si nous ne la partageons pas, même en en dénonçant les dérives et l’étroitesse d’esprit qu’elles induisent…
    Et si l’accès à la rationalité et à la modernité passait par la connaissance et la reconnaissance de notre être culturel ?
    Brahim Senouci

  • #2
    Beaucoup de vrai ..

    Parfois autodenigrement .Parfois fierté arrogante .
    Le juste milieu existe aussi ..
    La patience n'a l'air de rien, c'est tout de même une énergie.

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    • #3
      Le juste milieu existe aussi ..
      Oui, il se fait de plus en plus rare. Sans doute est-il difficile à trouver, et surtout, à tenir en permanence en l'absence de pondération et de mesure.
      L'excès en presque tout, c'est spectaculaire, théâtral, ça donne l'illusion de se mettre en valeur (même dans le dénigrement des siens) à titre individuel et à moindre frais, sans trop de réflexion personnelle et de discipline librement consentie.

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