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50 milliards engloutis, zéro baril de pétrole, le désastre du gisement de Kashagan

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  • 50 milliards engloutis, zéro baril de pétrole, le désastre du gisement de Kashagan

    Ce champ pétrolier kazakh, annoncé comme le plus grand du monde, a viré au cauchemar. Sur fond de chute des cours du brut.

    A peine quarante-huit heures d'exploitation. Voilà à quoi se résume l'activité du forage offshore de Kashagan. C'était le 11 septembre 2013 - date maudite peut-être. A peine les pompes avaient-elles été activées que des taches d'hydrocarbure apparaissaient à la surface de l'eau. La faute aux soudures des 75 kilomètres de pipeline qui devaient ramener le brut sur la côte. Il a fallu couper les vannes illico. Et depuis, pas la moindre goutte n'est sortie.

    Gisement miracle mis au jour dans les années 1990, ce champ situé au nord de la mer Caspienne, dans les eaux territoriales du Kazakhstan, s'annonçait pourtant comme le plus prometteur au monde. Ses 13 milliards de barils récupérables en faisaient la plus belle découverte depuis celle de Prudhoe Bay en Alaska, en 1968. Mais, pour l'heure, on se demande s'il crachera un jour de l'or noir... La réouverture des puits est espérée courant 2017. Sauf qu'au cours actuel du pétrole - tombé sous les 40 dollars le baril - la viabilité du projet reste plus qu'incertaine. Or le NCOC (North Caspian Operating Company), le consortium créé en 1997 pour l'exploiter, et dont fait partie le français Total, a déjà englouti 50 milliards de dollars, cinq fois le devis initial.

    Dans le milieu pétrolier, Kashagan est surnommé "cash all gone" (l'argent évaporé). Tous les géants du secteur ont voulu participer au festin: Total donc, actionnaire à 16,8%, l'américain Exxon Mobil, l'anglo-néerlandais Shell, l'italien ENI, le chinois CNPC et le japonais Impex. "Un gisement pareil semblait une opportunité phénoménale, explique un top manager de l'industrie. A ce moment-là, les compagnies se sentaient capables d'aller chercher l'or noir partout, où qu'il se trouve." Toutes à leur traque de nouvelles réserves, les majors avaient aussi profité de l'effondrement de l'ex-URSS pour ouvrir de nouveaux terrains de jeu.

    Noursoultan Nazarbaev, l'autocrate au pouvoir depuis l'indépendance du Kazakstan en 1990, a ainsi distribué des permis d'exploration aux compagnies occidentales prêtes à investir chez lui. Bien sûr, personne au sein du consortium n'ignorait que la mer Caspienne était gelée pratiquement la moitié de l'année, ni que le pétrole de Kashagan contenait un taux très élevé de sulfure d'hydrogène (H2S), gaz aussi toxique que corrosif. "Au départ, rien ne semblait impossible, puisque c'était l'élite du pétrole qui s'était retrouvée là-bas, se souvient un ingénieur qui a passé plusieurs années au Kazakhstan. N'empêche que l'on avait sous-estimé les défis techniques." Eriger des îles artificielles puis y installer les puits et les unités de traitement du pétrole (qu'il faut séparer de l'eau et du gaz) a pris dix ans, deux fois plus que prévu.

    Des travaux dantesques pour lesquels il a fallu construire une flottille de barges, de brise-glaces, et déplacer des dizaines de millions de tonnes de roches et de sable. Comme de surcroît la Caspienne est une mer fermée, le transport de matériel pétrolier construit aux Pays-Bas, en Scandinavie ou encore au Japon devait presque systématiquement passer par la Volga, elle aussi gelée pendant des mois. "Un véritable enfer logistique", selon notre ingénieur. Histoire de corser l'affaire, le gouvernement kazakh a aussi durci les lois de protection de l'environnement - l'estuaire de la Volga abrite les esturgeons producteurs du meilleur caviar au monde et une espèce de phoque en voie de disparition - obligeant les compagnies à prendre des précautions dont elles se seraient bien passées, comme l'interdiction de vider ses eaux usées au large.

    Ultracomplexe, le chantier a aussi été très mal piloté. Shell, qui avait mené la prospection, aurait dû en prendre le leadership. Mais les américains ExxonMobil et ConocoPhillips, qui détenaient à eux deux la minorité de blocage (26%), y ont mis leur veto. Du coup, la direction a été confiée à l'ENI, compagnie certes expérimentée, mais ne disposant pas des ressources suffisantes pour gérer un projet qui a, un temps, mobilisé plus de 40.000 personnes.

    Incapable de tenir le calendrier, la firme italienne a multiplié les bévues : elle a dû reconstruire une partie de la principale île artificielle, parce que les consignes de sécurité n'étaient pas respectées, une de ses filiales a fourni 75 kilomètres de pipeline défectueux qu'il a fallu remplacer et, pour couronner le tout, elle a été poursuivie devant un tribunal milanais pour avoir corrompu des officiels locaux, dont le gendre du président. Désormais, les décisions se prennent de façon collégiale. Pas tellement plus efficace. "Les Hollandais donnent des leçons à tout le monde, les Américains ne communiquent pas, les Français font le dos rond, les Italiens tentent de se faire oublier et les Kazaks n'arrêtent pas de ronchonner", résume un bon connaisseur du dossier.

    A quand le premier baril ? Aucun des protagonistes ne veut s'exprimer officiellement. L'heure, chez toutes les majors, est aux économies et à la réduction drastique des investissements dans l'exploration-production. La rentabilité du gisement est par ailleurs loin d'être assurée. Le consortium table sur un coût de revient du brut de Kashagan de l'ordre de 60 dollars le baril. Or les experts voient mal les cours du brut atteindre ce niveau moyen en 2016. Pis, selon une note de la banque Goldman Sachs, au-dessous de 100 dollars le baril, les compagnies embourbées à Kashagan ne pourront envisager le moindre retour sur investissement. Les seuls à se moquer de la tournure des événements sont les Texans de ConocoPhillipps, qui ont réussi à céder leur participation aux Kazakhs de KMG en 2013. "Nous sommes trop heureux d'en être sortis !", résume-t-on, soulagé, au siège de Houston.

    Trop de glace
    La mer Caspienne est gelée au moins cinq mois par an. On a dû protéger l'île artificielle de la banquise en l'entourant d'une véritable muraille de pierres.

    Trop de soufre
    Le brut de Kashagan contient une proportion énorme de sulfure d'hydrogène, gaz ultratoxique, qui est séparé du pétrole avant d'être envoyé à terre.

    Trop profond
    Le gisement proprement dit est à 5.000 mètres sous le sol. Résultat, le pétrole est enfermé sous une pression très élevée, ce qui rend son extraction délicate.

    Trop loin
    A 75 kilomètres de la côte, le chantier est ravitaillé par des navires à fond plat, guidés par des petits brise-glaces en hiver. Le voyage prend de quatre à six heures.

    UN COUT DU BARIL BIEN TROP ÉLEVÉ

    Coût de production moyen d'un baril de pétrole.

    Offshore brésilien : 70 dollars

    Kashagan : 60 dollars

    Pétrole de schiste des Etats-Unis : 50 dollars

    Russie : 40 dollars

    Cours du baril au 8.1.2016 : 33 dollars

    Moyen-Orient : 25 dollars


    TROIS MAJORS PRIS DANS LA GLACE

    L'anglo-néerlandais Shell a supervisé l'exploration.

    Total a engagé 9 milliards de dollars dans l'affaire.

    Le n° 1 mondial Exxon Mobil a remplacé l'anglais BP.

    Eric Wattez
    Capital
    Dernière modification par zek, 02 octobre 2017, 07h46.
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin
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