Dans le cadre des événements intervenus lors des manifestations pacifiques de milliers de Sahraouis en plein désert en 2010, et notamment les lourdes condamnations qui ont fait suite aux arrestations, 101 organisations dénoncent les violations de la IVème Convention de Genève au Sahara occidental, (notamment de l’article 76) et appellent le CICR à faire respecter ladite Convention par le Royaume du Maroc.
Voir la Lettre ouverte adressée aujourd’hui au Président du CICR, ci-jointe.
S.E. Monsieur le Président Peter Maurer
Comité International de la Croix Rouge
Avenue de la Paix 19, 1202 Genève
Genève, le 9 octobre 2017
Lettre ouverte concernant la situation des prisonniers Sahraouis dans les lieux de détention au Royaume du Maroc
Monsieur le Président,
Par la présente, les organisations signataires souhaitent attirer votre attention sur la situation de 19 défenseurs des droits de l’hommes, originaires du Territoire non-autonome du Sahara occidental, détenus après avoir été condamnés à de lourdes peines[1] par le Tribunal d’Appel de Rabat le 19 juillet dernier dans le cadre du procès dit de Gdeim Izik.
Ces condamnations ont été prononcées au terme d’un procès inéquitable marqué notamment par la prise en compte d’aveux signé sous la torture. Aux côtés de cinq autres militants sahraouis aujourd’hui libérés, ils avaient été condamnés en première instance à des peines similaires, le 17 février 2013 par le Tribunal Militaire Permanent des Forces Armées Royales du Maroc.
Ce n’est que sous la pression internationale émanant notamment du Comité des Nations Unies contre la Torture[2] que, le 27 juillet 2016, la Cour de Cassation avait annulé le premier jugement.
Au-delà des nombreuses irrégularités de procédure et manquements aux principes internationalement reconnus sur le droit à un procès équitable, nous dénonçons ici les violations de la IVème Convention de Genève.
Nous rappelons, d’une part, que le Sahara occidental est reconnu par l’Assemblée Générale des Nations Unies depuis décembre 1963 comme un Territoire non-autonome auquel, par conséquent, s’applique la résolution 1514 (XV)[3] de la même Assemblée et, d’autre part, qu’il s’agit du seul territoire non-autonome qui ne dispose pas, depuis le mois de février 1976, d’une Puissance administrante internationalement reconnue.
Nous rappelons également que le 6 novembre 1975 le Royaume du Maroc[4] a envahi militairement et par la suite occupé[5] la majorité dudit Territoire non-autonome engageant un conflit armé avec le Front Populaire de Libération de Saguia el-Hamra y de Rió de Oro[6], reconnu par l’Assemblée Générale des Nations Unies comme le représentant du peuple du Sahara occidental[7]. Le conflit a été gelé par le cessez-le-feu instauré depuis le 6 septembre 1991.
Dans ce contexte, il faut considérer les individus arrêtés, jugés et condamnés dans le cadre des événements intervenus lors de la manifestation pacifique de 2010 dans la zone désertique dite de Gdeim Izik, appelant à l’organisation d’un référendum d’autodétermination, comme des « personnes protégées » conformément à l’article 4 de la IVème Convention de Genève.
Dans la nuit entre le vendredi 15 septembre et le samedi 16, 18 des détenus ont été transférés depuis la prison d’El Aarjat dans différents lieux de détention sur le territoire du Royaume du Maroc, seul M. Naâma Asfari[8] est resté à la prison d’El Aarjat.
De ce fait, les organisations signataires dénoncent la violation de l’article 76 de la IVème Convention de la part du Royaume du Maroc et vous demandent respectueusement, Monsieur le Président, de dépêcher dans les plus brefs délais une délégation dans les lieux de détention des 19 condamnés (listés dans la note de bas de page no. 1) en conformité avec l’article 143 de ladite Convention et d’inviter le Royaume de Maroc à respecter les Conventions de Genève auxquelles il a adhéré en 1956.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre considération distinguée.
[1] Perpétuité : Sidi Abdallah Abhah, Mohamed Bani, Mohamed El Bachir Boutinguiza, Brahim Ismaïli, Abdallah Lakhfaouni, Abdeljalil Laaroussi, Sid Ahmed Lamjayed, Ahmed Sbaï.
30 ans de réclusion: Naâma Asfari – Mohamed Bourial – Cheikh Banga.
25 ans de réclusion : Mohamed Kouna Babait, Hassan Dah, Mohamed Lamine Haddi, Mohamed Embarek Lefkir, Houssin Zaoui.
20 ans de réclusion : El Bachir Khadda, Mohamed Tahlil, Abdallah Toubali.
[2] Le 16 décembre 2016, le Comité contre la torture a rendu une décision condamnant le Maroc pour la torture de Naâma Asfari (un des 19 détenus) l’absence d’enquête sur ses allégations de torture et les représailles exercées contre le requérant.
[3] Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux
[4] Haute Partie contractante depuis le 26 juillet 1956, le Royaume du Maroc a ratifié les Protocoles additionnels I et II le 3 juin 2011.
[5] L’occupation du Sahara occidental de la part du Royaume du Maroc a été condamné tant par le Conseil de sécurité de l’ONU (résolution 380 du 6 nov. 1975) comme par l’Assemblée Générale (résolution 34/37 du 21 nov. 1979 et résolution 35/19 du 11 nov. 1980).
[6] Le 23 juin 2015 Front Polisario, en tant qu’autorité représentant le peuple du Sahara Occidental, a déposé auprès du Conseil fédéral suisse la déclaration unilatérale conformément à l’article 96.3 du Protocole additionnel I s’engageant ainsi « à appliquer les Conventions de Genève de 1949 et le Protocole I dans le conflit l’opposant au Royaume du Maroc.»
[7] Résolution 34/37 (21 nov. 1979)
[8] Le 12 déc. 2016, suite à une plainte déposé par Naâma Asfari, le Comité contre la Torture a rendue publique la décision (CAT/C/59/D/606/2014) qu’il a adopté en vertu de l’article 22 de la Convention par laquelle il constate la violation par le Royaume du Maroc des articles 1, 12, 13, 14, 15 et 16 de la Convention.
Contacts:
Gianfranco FATTORINI – Association Américaine de Juristes (AAJ) – [email protected] – +41793265102
Christiane PERREGAUX – Bureau International pour le Respect des Droits de l’Homme au Sahara Occidental (BIRDHSO) – [email protected] – +41774723157
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