Le système politique qui a gouverné l’Algérie jusqu’à il y a peu est né hors des frontières de l’Algérie combattante, plusieurs années avant l’Indépendance. C’est un type de pouvoir binaire reposant sur une cohabitation entre une constante militaire, réputée insécable, et une variable civile fragile car ne pouvant compter sur aucune force sociale ou politique réelle. La première était la réalité du pouvoir, la seconde son apparence, et le rapport qui les liait était celui d’un propriétaire à un locataire.
Sa principale caractéristique est donc d’avoir été façonné dans des conditions historiques où la société algérienne était absente. Les Algériens étaient, avant et pendant la Révolution du 1er novembre 1954, des sujets coloniaux et non les acteurs d’une vie nationale alors inconcevable. Ils étaient des hommes et des femmes étrangers dans leur pays, et non des citoyens souverains, conscients de leurs droits et de leurs devoirs, notamment politiques. Ils ont vécu tellement longtemps en dehors des normes citoyennes ou républicaines qu’ils ne savent toujours pas ce que sont ces valeurs, comment les incorporer à leur culture personnelle, et les incarner dans leur vie collective.
Un peuple et une société ne sont pas une seule et même chose, malgré les apparences et les discours démagogiques. Il est infiniment plus facile de proclamer la naissance d’un Etat que de construire une société homogène, éduquée, éclairée, responsable, surtout à partir d’une poussière d’individus unis les uns aux autres par un vague sentiment d’appartenance religieuse dégradé par plusieurs siècles de décadence et de colonisation, et régis dans leurs rapports quotidiens par un sens de l’intérêt archaïque, non socialisé.
Le « système » est à l’origine de la perversion des institutions algériennes civiles et militaires, du gaspillage d’un millier de milliards de dollars, de la corruption étatique, de la falsification de la vie politique, de la destruction des valeurs morales de la nation, des assassinats pendant la Révolution, des tueries des premiers jours de l’Indépendance et des évènements qui ont mené à la décennie noire.
Il a eu raison du GPRA, de Ben Bella, de Chadli, de Boudiaf et de Zéroual, soit de tous ceux qui, après lui avoir appartenu ou s’en être servi, ont voulu pour un motif ou un autre, dans l’intérêt du pays ou plus sûrement du leur, mettre fin au « régime du consulat » où les décisions sont réparties entre deux pôles humains (comme dans la Rome antique) ou trois (comme après la Révolution française).
De cette liste des hommes qui ont présidé aux destinées de l’Algérie depuis 1962, deux noms n’ont pas été cités : celui de Boumediene, le père-fondateur du « système », et celui de Bouteflika qui n’a jamais cessé de clamer qu’il était son « héritier naturel » et que le pouvoir aurait dû lui revenir de droit après la mort de Boumediene si les « Services » n’avaient pas contrarié son destin, lui faisant fait perdre vingt ans de sa vie prodigieuse hors du « système ». Ces deux noms sont l’Alpha et l’Omega du « système », le tenant et l’aboutissant du despotisme algérien.
Les principales figures de proue du pouvoir aujourd’hui (Bouteflika et Gaïd Salah) ou qui l’étaient il n’y a pas longtemps (le général Toufik), avaient une place plus ou moins significative dans le « système » à la fin des années 1950 du siècle dernier, avec une nette prééminence pour Bouteflika qui était déjà un homme de confiance de Boumediene.
Dans les derniers temps, ils ont été les héros d’un combat de fin de vie qui s’est conclu par l’élimination du dernier par les premiers. La « variable » a, pour une fois, gagné le bras-de-fer contre la « constante » parce qu’elle a trouvé le moyen de briser son unité, d’utiliser l’état-major contre le DRS, réussissant du coup la fission du noyau qui a libéré une énergie destructrice considérable.
Le « système » a implosé à la suite d’on ne sait quelle divergence ou « trahison » pour reprendre un mot de Sâadani, secrétaire général du part FLN jusqu’à il y a peu : sur le quatrième mandat, les dossiers de corruption, la succession, la Constitution ou la politique étrangère, on ne sait. Ce qui en ressort, c’est que le « régime du consulat » est mort, un proconsul ayant réussi à chasser l’autre, comme Napoléon lorsqu’il s’est proclamé consul à vie en 1802 puis, deux ans après, empereur.
Le « système » est de toute évidence dans une étape cruciale de son existence qui peut signer sa fin comme elle peut permettre sa perpétuation avec de nouveaux visages et pour un temps qui durera moins que le premier, mais sera probablement le dernier. Le dernier dans le sens où, avec ou sans hydrocarbures, le pays finira par s’effondrer sous les effets cumulés du clanisme, de la corruption érigée en critère d’accès au pouvoir, du squat de l’Etat par l’argent sale et des provocations incessantes à la morale publique.
Tel un astre en fin de vie, il a explosé, donnant lieu à des astéroïdes autour desquels gravitent des nuées de corps de différentes tailles et d’une infinité de particules mues par une dynamique d’accrétion qui donnera naissance à un nouvel astre, au « système » qui aura imposé sa force gravitationnelle aux autres.
Dans l’ordre cosmique, les gros rochers se disputent la poussière de particules par le jeu de la force gravitationnelle pour atteindre la masse critique nécessaire à leur « survie ». Dans l’ordre humain, ce sont les intérêts matériels et sociaux, égotiques et politiques, qui tiennent lieu de force gravitationnelle. On achète les consciences, les allégeances, les voix électorales et les sièges parlementaires qui conduisent aux postes ministériels et plus.
Quel régime politique sortira pour l’Algérie post-système et post-génération de novembre du démantèlement de l’ancien ? Un autre système avec les restes et les mauvaises habitudes de l’ancien, comme le despotisme indigène a succédé au colonialisme exogène ?
Boumediene mettait fréquemment en garde dans ses discours populistes contre le risque de l’avènement d’une « bourgeoisie compradore » qui serait infiniment plus impitoyable envers le gros des Algériens que l’occupation étrangère. Nous y sommes, et c’est sous le règne de son « héritier naturel » que le risque à pris corps et qu’il est devenu une réalité visible, palpable, sonnante et trébuchante : il y a des centaines de fois plus de milliardaires dans l’Algérie indépendante, qu’il n’y en a eu en cent-trente années de colonisation. D’anciens pauvres baragouineurs et tirailleurs algériens sont aujourd’hui plus riches que Borgeaud et Faure réunis, alors qu’aucun colon n’a acquis sa fortune en quelques années par la mécanique occulte de l’octroi des marchés publics.
Si les premiers ne possédaient que des journaux, les seconds possèdent des télévisions, des partis politiques et des sièges au parlement. Ils aspirent à régenter la vie et la pensée des « indigènes » qu’ils voient dans les Algériens non nantis. Leur unique critère d’évaluation de la valeur humaine et du respect dû à autrui est la quantité d’argent montré à l’intérieur du pays et caché à l’étranger.
La suite........
Sa principale caractéristique est donc d’avoir été façonné dans des conditions historiques où la société algérienne était absente. Les Algériens étaient, avant et pendant la Révolution du 1er novembre 1954, des sujets coloniaux et non les acteurs d’une vie nationale alors inconcevable. Ils étaient des hommes et des femmes étrangers dans leur pays, et non des citoyens souverains, conscients de leurs droits et de leurs devoirs, notamment politiques. Ils ont vécu tellement longtemps en dehors des normes citoyennes ou républicaines qu’ils ne savent toujours pas ce que sont ces valeurs, comment les incorporer à leur culture personnelle, et les incarner dans leur vie collective.
Un peuple et une société ne sont pas une seule et même chose, malgré les apparences et les discours démagogiques. Il est infiniment plus facile de proclamer la naissance d’un Etat que de construire une société homogène, éduquée, éclairée, responsable, surtout à partir d’une poussière d’individus unis les uns aux autres par un vague sentiment d’appartenance religieuse dégradé par plusieurs siècles de décadence et de colonisation, et régis dans leurs rapports quotidiens par un sens de l’intérêt archaïque, non socialisé.
Le « système » est à l’origine de la perversion des institutions algériennes civiles et militaires, du gaspillage d’un millier de milliards de dollars, de la corruption étatique, de la falsification de la vie politique, de la destruction des valeurs morales de la nation, des assassinats pendant la Révolution, des tueries des premiers jours de l’Indépendance et des évènements qui ont mené à la décennie noire.
Il a eu raison du GPRA, de Ben Bella, de Chadli, de Boudiaf et de Zéroual, soit de tous ceux qui, après lui avoir appartenu ou s’en être servi, ont voulu pour un motif ou un autre, dans l’intérêt du pays ou plus sûrement du leur, mettre fin au « régime du consulat » où les décisions sont réparties entre deux pôles humains (comme dans la Rome antique) ou trois (comme après la Révolution française).
De cette liste des hommes qui ont présidé aux destinées de l’Algérie depuis 1962, deux noms n’ont pas été cités : celui de Boumediene, le père-fondateur du « système », et celui de Bouteflika qui n’a jamais cessé de clamer qu’il était son « héritier naturel » et que le pouvoir aurait dû lui revenir de droit après la mort de Boumediene si les « Services » n’avaient pas contrarié son destin, lui faisant fait perdre vingt ans de sa vie prodigieuse hors du « système ». Ces deux noms sont l’Alpha et l’Omega du « système », le tenant et l’aboutissant du despotisme algérien.
Les principales figures de proue du pouvoir aujourd’hui (Bouteflika et Gaïd Salah) ou qui l’étaient il n’y a pas longtemps (le général Toufik), avaient une place plus ou moins significative dans le « système » à la fin des années 1950 du siècle dernier, avec une nette prééminence pour Bouteflika qui était déjà un homme de confiance de Boumediene.
Dans les derniers temps, ils ont été les héros d’un combat de fin de vie qui s’est conclu par l’élimination du dernier par les premiers. La « variable » a, pour une fois, gagné le bras-de-fer contre la « constante » parce qu’elle a trouvé le moyen de briser son unité, d’utiliser l’état-major contre le DRS, réussissant du coup la fission du noyau qui a libéré une énergie destructrice considérable.
Le « système » a implosé à la suite d’on ne sait quelle divergence ou « trahison » pour reprendre un mot de Sâadani, secrétaire général du part FLN jusqu’à il y a peu : sur le quatrième mandat, les dossiers de corruption, la succession, la Constitution ou la politique étrangère, on ne sait. Ce qui en ressort, c’est que le « régime du consulat » est mort, un proconsul ayant réussi à chasser l’autre, comme Napoléon lorsqu’il s’est proclamé consul à vie en 1802 puis, deux ans après, empereur.
Le « système » est de toute évidence dans une étape cruciale de son existence qui peut signer sa fin comme elle peut permettre sa perpétuation avec de nouveaux visages et pour un temps qui durera moins que le premier, mais sera probablement le dernier. Le dernier dans le sens où, avec ou sans hydrocarbures, le pays finira par s’effondrer sous les effets cumulés du clanisme, de la corruption érigée en critère d’accès au pouvoir, du squat de l’Etat par l’argent sale et des provocations incessantes à la morale publique.
Tel un astre en fin de vie, il a explosé, donnant lieu à des astéroïdes autour desquels gravitent des nuées de corps de différentes tailles et d’une infinité de particules mues par une dynamique d’accrétion qui donnera naissance à un nouvel astre, au « système » qui aura imposé sa force gravitationnelle aux autres.
Dans l’ordre cosmique, les gros rochers se disputent la poussière de particules par le jeu de la force gravitationnelle pour atteindre la masse critique nécessaire à leur « survie ». Dans l’ordre humain, ce sont les intérêts matériels et sociaux, égotiques et politiques, qui tiennent lieu de force gravitationnelle. On achète les consciences, les allégeances, les voix électorales et les sièges parlementaires qui conduisent aux postes ministériels et plus.
Quel régime politique sortira pour l’Algérie post-système et post-génération de novembre du démantèlement de l’ancien ? Un autre système avec les restes et les mauvaises habitudes de l’ancien, comme le despotisme indigène a succédé au colonialisme exogène ?
Boumediene mettait fréquemment en garde dans ses discours populistes contre le risque de l’avènement d’une « bourgeoisie compradore » qui serait infiniment plus impitoyable envers le gros des Algériens que l’occupation étrangère. Nous y sommes, et c’est sous le règne de son « héritier naturel » que le risque à pris corps et qu’il est devenu une réalité visible, palpable, sonnante et trébuchante : il y a des centaines de fois plus de milliardaires dans l’Algérie indépendante, qu’il n’y en a eu en cent-trente années de colonisation. D’anciens pauvres baragouineurs et tirailleurs algériens sont aujourd’hui plus riches que Borgeaud et Faure réunis, alors qu’aucun colon n’a acquis sa fortune en quelques années par la mécanique occulte de l’octroi des marchés publics.
Si les premiers ne possédaient que des journaux, les seconds possèdent des télévisions, des partis politiques et des sièges au parlement. Ils aspirent à régenter la vie et la pensée des « indigènes » qu’ils voient dans les Algériens non nantis. Leur unique critère d’évaluation de la valeur humaine et du respect dû à autrui est la quantité d’argent montré à l’intérieur du pays et caché à l’étranger.
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