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Constantine : une ville en ecritures

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  • Constantine : une ville en ecritures

    Extrait du résumé d'une excellente thèse sur la ville de Constantine dans la littérature d'expression française. C'est celle de Mme N. Bennachour.


    Constantine présente dans la spatialisation narrative de l’œuvre de Malek Haddad l’est aussi dans des textes littéraires (tous genres confondus) signés par des auteurs de nationalités et de statuts socioprofessionnels divers et c’est ainsi que Constantine, lieu de convergence, est devenu mon thème de recherche.

    Ce changement de perspective a permis l’élargissement et l’ouverture à d’autres textes où Constantine reconstruite par différentes pratiques discursives constitue l’ancrage spatial, unique ou partagé avec d’autres villes.

    Cette extension du sujet de recherche m’a offert l’opportunité de dévoiler l’extraordinaire capacité d’écritures qu’une ville peut susciter. Il est vrai que le site majestueux de Cirta-Constantine ainsi que son histoire ancestrale et tumultueuse (sa lisibilité) la prédestinent à cette charge créatrice (l’imagibilité). J’emprunte ces deux termes à l’urbaniste américain Kévin Lynch qu’il explicite dans son ouvrage L’image de la cité.

    Si l’analyse de Constantine, ville à la fois réelle et emblématique, est incontournable dans des romans tels Nedjma de Kateb Yacine, La dernière impression de Malek Haddad, Berechit de Rolland Doukhan, L’insolation, La prise de Gibraltar, Timimoun, La vie à l’endroit, Fascination de Rachid Boudjedra, La mante religieuse de Jamel Ali-Khodja ou Ez-zilzel de Tahar Ouettar (pour ne citer que ceux-la), elle l’est aussi dans certains textes tels les récits de voyage et les témoignages. Ici, la ville n’est pas en situation d’ambiguïsation. Mais il est bien entendu que cette désambiguïsation n’ôte rien à la qualité et aux différentes stratégies d’écriture qui sont conviées pour la mise en texte de Constantine car même dans ce type de discours (c’est à dire le Voyage et le témoignage) planent des zones d’ombre dans la mesure où toute écriture reconstruit la réalité observée -géographique ou autre.

    Ville du voyage, à travers les siècles et l’histoire, visitée par des géographes, des historiens ou des ethnologues célèbres de différentes nationalités tels Salluste, Pompénius-Méla, Strabon, Ibn Hawkal, El Idrissi, El Bekkri, Ibn Battûta, Hassan Ibn Mohamed el Ouazzan dit Léon L’Africain (venu 16ème ) l’anglais Thomas Shaw (venu au18ème ), Constantine attira au 19ème siècle, pour de multiples objectifs, un nombre encore plus important de voyageurs parmi lesquels d’illustres écrivains de ce siècle d’or de la littérature universelle tels, Alexandre Dumas (père), Théophile Gautier, Eugène Fromentin, Gustave Flaubert, Guy de Maupassant et Jean Lorrain.

    J’ai privilégié l’analyse des récits de ces voyageurs car leur statut d’écrivains intéresse davantage une recherche qui s’inscrit dans le domaine de la critique littéraire. Ces textes qui ont exigé un réel effort documentaire- ils ne sont consultables que dans de rares bibliothèques parisiennes- m’ont ouvert des perspectives d’analyse d’une grande richesse . Sous la plume et le pinceau de ces artistes Constantine fut véritablement honorée. Ces récits de voyage ont immortalisé avec souvent beaucoup de poésie certaines pratiques culturelles comme la chasse du porc-épic (décrite par Flaubert), la danse rituelle féminine (décrite par T. Gautier) ou certains quartiers de la ville qui n’existent plus comme celui des tanneurs dépeint par le style fulgurant de Jean Lorrain. Sous la plume d’Alexandre Dumas l’histoire de la prise de la ville en 1837 devient un récit débordant de précisions et de théâtralité. C’est en visitant les gorges du Rhumel que Fromentin, fasciné par la splendeur du site, eut l’ultime conviction qu’il sera peintre.

    Par ailleurs, certains de ces voyageurs ont acquis de leur séjour constantinois un bénéfice littéraire et pictural. En effet dès leur retour en France , Flaubert réécrit son roman Salammbô en intégrant dans l’extra- texte -c’est à dire Carthage de la 1ère guerre Punique- le site, certains faits historiques et scènes culturelles observés à Constantine en mai 1858 ; Gautier en rentrant à Paris écrit une pièce théâtrale intitulée La juive de Constantine et Le Club des Hachichins, Eugène Fromentin (peintre et romancier) peint une toile titrée La place de la Brèche à Constantine.

    Par ailleurs les récits de ces voyageurs montrent que ce « genre » littéraire est à même de produire des textes d’une qualité certaine au plan de l’écriture et de ses stratégies.

    L’analyse des récits de voyage a permis à ma recherche de réaliser à son tour un bénéfice : en plus de la rencontre et de la découverte étonnante et fascinante des écrits de ces voyageurs ( avec celui de Louis Bertrand début 20ème s) ces récits dont l’ancrage se situe à un moment important de la rupture historico-sociale de la ville (c’est à dire milieu 19 et début 20ème s) m’ont, d’un point de vue méthodologique, offert l’opportunité de rappeler certains faits historiques ou d’expliciter certaines pratiques sociales et culturelles sans recourir à un exposé fastidieux ou surajouté.

    Les témoignages qui constituent un autre volet de mon corpus ont un statut discursif assez particulier. Leurs auteurs sont soit des natifs tels Josette Sutra, Camille El Baz, Michelle Biesse des écrivaines pieds-noires, Malek Haddad (avec Ballade sur 3 notes), Malek Bennabi ( avec Mémoires d’un témoin du siècle) ou alors des écrivains ayant vécu à Constantine tel Rachid Boudjedra (avec Vies quotidiennes contemporaines en Algérie). Le cas de Smaïn l’humoriste français d’origine algérienne est assez particulier : né à Constantine de parents inconnus il a quitté cette ville très jeune sans en garder de souvenirs précis, aussi son témoignage consigné dans Sur la vie de ma mère écrit après le voyage effectué en 1980 est davantage une enquête et une quête de son origine familiale.

    Ces témoins ont construit leurs récits sous le mode de la mémoire et de l’expérience. Leurs témoignages sont des sortes de récits de voyage mais où le voyage se déroule à l’intérieur de la mémoire. Ceci constitue la différence fondamentale entre les regards endogènes et exogènes sur la ville: l’histoire, les espaces, les pratiques ne sont pas perçus de la même manière. La mémoire, l’intimité et le vécu, véritables soubassements, donnent à ces témoignages une particularité discursive qui les placent à la confluence du récit de voyage et du roman, le premier (récit de voyage) est plus dénotatif, le second (le roman) est davantage fictionnel.

    L’aspect intimiste du témoignage m’a autorisé d’un point de vue méthodologique, à insérer dans la même partie de mon travail les témoignages et les romans non pas que les enjeux discursifs ou narratifs soient identiques mais pour en fait distinguer le regard extérieur à la ville (- des voyageurs-) de celui plus intime -des témoins à l’instar de celui des romanciers-.

    Par ailleurs un heureux hasard voulut que parmi les témoignages sélectionnés par mon corpus deux auteurs sont également deux célèbres romanciers du « roman constantinois ». Il s’agit de Malek Haddad et de Rachid Boudjedra.

    La charge intériorisée qui particularise Constantine dans les témoignages se déploie avec plus de force et d’imagination dans les romans. Dans ces textes fictifs, la lisibilité de Constantine, est certes présente mais pour en fait connaître une forte re-construction et une appropriation narrative car la créativité littéraire suppose l’espace imaginaire ou géographique. Dans les romans retenus, parus à différents moments importants de l’histoire sociale de la ville et du pays c’est à dire les années 1950, la guerre de libération nationale, les premières années de l’indépendance, le milieu des années 1980, la fin des années 1990 –avec les romans de Boudjedra, de Noureddine Saadi ou La Malédiction de Mimouni - Constantine qui sans être un simple extra-texte spatial dote la narration d’une épaisseur, d’une imagibilité : topographie référentielle elle est à même de constituer une topologie textuelle. Ainsi, dans les récits fictionnels, la ville (souvent concentrée sur un lieu : le fondouk dans Nedjma, el chara dans Berechit, le Rocher dans La Prise de Gibraltar de Boudjedra, les différents ponts dans Ez-zilzel ) dépasse sa simple réalité spatiale, historique, culturelle, sociale et familiale pour atteindre une dimension emblématique et symbolique. Tel un personnage elle est convoquée aux moments narratifs, parfois, les plus importants du roman (comme la symbolique du pont dans La Dernière Impression de Malek Haddad : ici la fonction réelle du pont –passer d’une rive à une autre- s’efface pour mettre en avant une représentation symbolique ; le pont est une passerelle entre deux communautés différentes qui ne s’entendent pas, cette incommunicabilité explique la destruction du pont construit par la narration).

    L’actantialisation de Constantine autorise l’affirmation suivante : la ville doit jouer un rôle narratif et idéologique lui permettant de se surpasser afin d'accéder à la ville fictive. Celle-ci conçue par une série de médiations relevant de l’origine sociale, du parcours familial, culturel, idéologique mais aussi du vécu et de la mémoire de l’écrivain est porteuse de significations. Les sens profonds que revêt la ville donnent alors à la narration une entière liberté. Je citerai quelques exemples analysée en détails dans ma recherche : Nedjma est aimée de 4 hommes car le Rocher « est encerclée de quatre ponts » (comme l’accès à la ville se faisait jadis par les 4 portes connues ou comme le pays était aimé de quatre tendances nationalistes), Saïd dans La Dernière impression construit un pont dans une ville de ponts, Rac pense qu’à Constantine « la vie est paisible, ordinaire. Banale. La vie à l’endroit » Dans l’ avant-dernier roman de Boudjedra, Constantine doit jouer un rôle cathartique par rapport à Alger de 1995 où sévit la violence et où la vie serait donc à l’envers. Je rappelle que l’énoncé « la vie à l’endroit » constitue le titre du roman.

    Ce corpus disparate mais ô combien passionnant a interpellé une série d’interrogations : est-il aisé de placer une frontière précise entre les aspects référentiels, dénotatifs et ceux qui relèvent du fictionnel ? Le récit de voyage et le témoignage peuvent-ils revendiquer leur spécificité littéraire, leur part de littérarité ? Mais voyage et littérature ne sont-ils pas liés ? La littérature n’est-elle pas un voyage dans l’imaginaire, dans la mémoire ?

    Ce corpus qui offre une variation de regards sur la ville est une sorte de pérennité de Constantine. Ces textes érigent une Constantine légendaire, une Constantine mythique.
    Dernière modification par jawzia, 17 février 2007, 10h25.
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