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Frédéric Bastiat, l’intellectuel libéral du 19e siècle dont nous aurions tant besoin aujourd’hui

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  • Frédéric Bastiat, l’intellectuel libéral du 19e siècle dont nous aurions tant besoin aujourd’hui

    Du fait de son étiquette libérale, Frédéric Bastiat reste toujours un intellectuel de premier plan pour comprendre notre monde. Que ce soit sur l'Etat, l'Education nationale ou la collectivité, sa pensée reste pointue et pertinente.
    Atlantico : Frédéric Bastiat présentait l'Éducation nationale comme auto-légitimation du "pouvoir d'illusion" qu'est l'État. Avec une Éducation nationale plus omniprésente que jamais, qu'est-ce que Frédéric Bastiat peut apporter à ce sujet ? Quels bons conseils peut-il souffler à l'oreille de Jean-Michel Blanquer ?
    Damien Theillier : Frédéric Bastiat était célèbre au XIXe siècle dans notre beau pays. Mais il a été enterré par le XXe siècle, le siècle du communisme en Europe. Et nous avons hérité de ce siècle obscur un certain nombre de dogmes dont on commence à peine à faire la critique.

    Ainsi l’éducation a été nationalisée, mise sous tutelle de l’État, avec les résultats que l’on connaît aujourd’hui.

    Mais "détruire la concurrence, disait Bastiat, c’est tuer l’intelligence". La logique du progrès scientifique implique le pluralisme. L’État n’est pas plus compétent pour décider des critères de la vérité scientifique que pour décider des bonnes méthodes à mettre en place pour l’apprentissage de la lecture ou des mathématiques. L’État n’est pas compétent de manière générale dans le domaine de la pensée, que ce soit dans les sciences dures ou dans les sciences humaines. Chaque fois qu’il veut enseigner des vérités, il risque de se tromper et donc d’enseigner dogmatiquement des erreurs.

    En effet, une vérité ne peut être imposée par la loi sans devenir immédiatement un dogme est une vérité figée, rendue immobile, incontestable et donc dogmatique. La vérité doit être débattue librement pour apparaître et se développer. Elle ne peut émerger que d’hypothèses librement testées, de la confrontation de points de vue. Pour cela, il faut que l’école dispose d’une autonomie, d’une liberté d’expérimentation et d’innovation pédagogique la plus complète possible.

    En 1850, Bastiat avait soumis à l'Assemblée un amendement ayant pour objet la suppression des grades universitaires. Il écrivait : "Les grades universitaires ont le triple inconvénient d'uniformiser l'enseignement (l'uniformité n'est pas l'unité) et de l'immobiliser après lui avoir imprimé la direction la plus funeste." Et il concluait : "L'enseignement par le pouvoir, c'est donc l'enseignement par un parti, par une secte momentanément triomphante; c'est l'enseignement au profit d'une idée, d'un système exclusif."

    Les programmes du Baccalauréat, comme ceux des concours du Capes et de l’Agrégation, demeurent situés à l’intérieur d’un paysage intellectuel entièrement stérilisé car entièrement délimité par les bureaucrates qui gouvernent la machine dans les ministères et les syndicats. Il est donc bien clair que la mainmise de l’État nuit au fonctionnement de la science elle-même, à son progrès. Laissons les écoles se créer librement et redonnons de l’autonomie aux proviseurs. Voilà ce que Bastiat dirait aujourd’hui à notre ministre.

    L'État est-il le pouvoir d'illusion de l'homme politique contemporain ? Quel modèle d'homme politique Bastiat défend-il ?
    Nous sommes aujourd’hui en panne d’imagination. Les experts et chefs de partis se disputent sur les chiffres et les réformettes : un peu plus de CSG, un peu moins d’ISF… Mais on est loin des vrais problèmes qui préoccupent les gens.

    Justement, Bastiat ne propose pas un modèle économique mais bien un modèle institutionnel. Il fait œuvre de philosophe du droit, de philosophe moral et politique. Or l’augmentation massive de la dépense publique aboutit selon Bastiat à deux phénomènes remarquables par leur actualité : la montée des groupes de pression et le climat de révolution permanente qui règne dans les démocraties modernes.

    En effet, il s’attache à montrer que le droit, en tant qu’institution humaine, peut être perverti par ceux qui l’utilisent à d’autres fins que la défense de la liberté et de la propriété. Et quand la loi est pervertie, il s’ensuit une haine inexpiable entre les spoliés et les spoliateurs.

    Ainsi lorsque la loi, au nom d’une fausse philanthropie, se met à distribuer des avantages sociaux par la fiscalité, les prestations sociales et autres subventions, elle devient l’enjeu d’une lutte entre les groupes d’intérêts pour s’assurer un maximum de profits immérités. C’est alors un jeu à somme nulle. Ce que les uns gagnent, les autres le perdent. Le sentiment d’inégalité et d’injustice ne peut alors que s’accroître et générer des conflits. "Vous ouvrez la porte à une série sans fin de plaintes, de haines, de troubles et de révolutions", écrit Bastiat. Si la loi promet de répondre à toutes les attentes, il est probable qu’elle échoue et qu’au bout de chaque déception, il y ait une révolution.

    "Il y a trop de législateurs, organisateurs, conducteurs de peuples, pères des nations, écrit-il. Trop de gens se placent au-dessus de l'humanité pour la régenter" (La loi).

    "Le droit collectif tient sa légitimité dans le droit individuel" : l'État confisque-t-il au nom de l'égalitarisme, la nature libre de l'homme à exercer son droit ? Quel modèle Bastiat propose-t-il pour garantir le droit collectif ?
    Votre question pose avec justesse le problème du bien commun. Or il est particulièrement incohérent d’alléguer, comme le font certains conservateurs, que Bastiat ignorerait le "bien commun". Au contraire il répète sans cesse que le bien commun serait mieux servi si la loi protégeait la liberté et la propriété et si elle restait dans son rôle. "C’est sous la Loi de justice, sous le régime du droit, sous l’influence de la liberté, de la sécurité, de la stabilité, de la responsabilité, que chaque homme arrivera à toute sa valeur, à toute la dignité de son être". Loin d’avoir renoncé au bien commun, il le définit négativement comme l’absence de spoliation et d’oppression et positivement comme la paix publique qui résulte du respect du droit et de la justice. "Quels sont les peuples les plus heureux, les plus moraux, les plus paisibles ? Ceux où la loi intervient le moins dans l’activité privée", dit Bastiat. En revanche, la spoliation légale, fondée sur des motifs philanthropiques, est une perversion du bien commun et finalement sa destruction.

    Jean-Claude Michéa, l’auteur contemporain à succès que tous les anti-libéraux adorent, consacre dans un de ses livres un passage à Bastiat. Il lui reconnaît un "esprit original" et le mérite d’avoir pris au sérieux les objections des socialistes de son époque. Comme l’écrit Michéa, "loin de défendre l’égoïsme calculateur dénoncé par les ‘Écoles socialistes’, Bastiat partage pour son compte personnel le même idéal d’une communauté solidaire et décente que celui de ses adversaires" (Jean-Claude Michéa, L’empire du moindre mal. Essai sur la civilisation libérale, Paris, Flammarion/ Coll. Climats, 2007). Mais plus loin, il ajoute que pour Bastiat, "la libéralisation intégrale des échanges économiques (…) en plaçant la société juste sous la figure tutélaire des lois de l’offre et de la demande, va se charger elle-même par un processus purement mécanique, d’engendrer cette communauté à la fois pacifique et solidaire". Michéa conclut alors : pour les libéraux, "la croissance est bien l’énigme résolue de l’Histoire" (Ibid.).

    Malheureusement, c’est très clair, Michéa n’a pas bien lu Bastiat ou ne l’a pas compris. Pour ce dernier, comme je le disais plus haut, ce n’est pas la croissance économique qui est le problème, c’est la propriété et le rôle que la loi joue dans la protection ou la restriction de la propriété. La clé du problème est de nature institutionnelle et non économique. Dès lors, la critique de Michéa tombe complètement à plat.

    En réalité, un certain nombre d’effets pervers attribués par Michéa au libéralisme, sont directement attribuables à la perversion de la loi dans la démocratie, à son détournement par des groupes de pression, à des fins de spoliation.

    Ce que Bastiat nous montre dans son ouvrage La Loi, c’est que le suffrage universel et la règle majoritaire ne suffisent pas à garantir que les allocations du marché politique soient plus justes que celles qui résultent du libre fonctionnement du marché économique. À moins que la loi se contente de réprimer les atteintes au droit. Mais le paradoxe c’est que la démocratie sans la liberté, c’est-à-dire sans le respect intégral du droit de propriété, tend à se détruire elle- même par l’accroissement exponentiel des réglementations et des dépenses publiques.


    Atlantico
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