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Fernando Pessoa: On n’est pas seul en soi

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  • Fernando Pessoa: On n’est pas seul en soi

    J'aime beaucoup l'écriture de Fernando António Nogueira Pessoa , un poète et un écrivain portugais à découvrir.

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    Nombreux sont ceux qui vivent en nous.

    Si je pense, si je ressens, j’ignore qui est celui qui pense, qui ressent.

    Je suis seulement le lieu où l’on pense, où l’on ressent.

    J’ai d’avantage d’âmes qu’une seule.

    Il est plus de moi que moi-même."

    L’Homme ne peut être que pluriel. Pour se découvrir, il lui faut d’abord reconnaître sa schizophrénie originelle, l’admettre et apprendre à l’aimer ! La renier serait utile pour une vie mondaine tranquille. L’ignorer, c’est le bonheur ! Le bonheur qui est finalement voué aux imbéciles (heureux) ! Mais la vivre, l’assumer et en souffrir : c’est là où commence la création, c’est là où se déploie le génie !

    C’est en effet le parti pris par Fernando Pessoa (1888-1935), l’un des plus grands écrivains portugais et européens.

    Déchiré par les contradictions, perdu dans la “vastitude” de son âme, outrancier dans ses rapports avec lui-même et le monde, Pessoa fut le premier écrivain à investir l’écriture au profit de cette pluralité démesurée du Moi… Ainsi, créa-t-il une coterie imaginaire dans laquelle vivaient soixante-douze écrivains et poètes totalement divergents aussi bien dans leurs biographies que dans leur façon d’écrire….

    Plusieurs de ces "hétéronymes" moururent ou disparurent par la volonté de Pessoa. N’en subsistèrent que quatre qui devinrent par la suite les figures primordiales de son univers littéraire : Alberto Caeiro, Alvaro de Campos, Ricardo Reis et Bernardo Soares… Ce dernier fut l’auteur d’un chef-d’œuvre : Le livre de l’intranquilité…

    Ce livre est une sorte de journal intime dans lequel Soares, alias Pessoa, ou l’inverse, transcrit ses impressions quotidiennes, décrivant avec un sensationnalisme follement massif ses rapports passionnels avec sa ville, avec les Hommes, avec le cosmos et, par extension, avec lui-même…

    "Combien de fois ai-je souffert de sentir que je sentais, sentir devenant angoisse simplement parce que c’est sentir, l’anxiété de me trouver ici, la nostalgie d’autre chose que je n’ai pas connue, sentir le couchant de toutes les émotions jaunir en moi et se faner en une grisaille triste, dans cette conscience extérieure de moi-même."

    L’ignorance est pour Pessoa/Soares le seul moyen d’atteindre le bonheur. La souffrance est le seul moyen de savoir. Préférant le savoir au bonheur, il ne peut que souffrir de sa longue et interminable agonie dans la vie. L’agonie d’un écrivain méconnu, un simple fonctionnaire traînant ses jours et son ombre dans les rues grouillantes de Lisbonne. Un seul alibi, un seul bonheur triste, un seul échappatoire : l’écriture !

    Pessoa n’écrivait pas pour se payer un psy (comme dirait Woody Allen) ni pour transmettre un quelconque message à l’humanité. Ecrire, pour lui, n’était qu’une fatalité, comme dormir et manger. Ca dépassait le besoin pour atteindre cet acharnement maladif qu’on nommerait : l’obsession !

    Ce qui différencie Pessoa des autres écrivains ce n’est ni son style ni ses idées mais c’est plutôt cette passion pour la perdition, la délicieuse errance dans les haubans secrets de l’âme. D’où le phénomène hétéronymique : "Je ne change pas. Je voyage !", disait-il pour expliquer ce que les autres appelleraient "schizophrénie".

    De son vivant, Pessoa n’a publié qu’un seul recueil de poèmes intitulé Message qui lui valut un prix gouvernemental. Mais les trésors cachés, tels que Le livre de l’intranquilité et Le banquier anarchiste ne furent découverts que longtemps après sa mort. C’était une "mallette aux trésors" gardée par sa sœur, dans laquelle on trouva des milliers de pages inédites, tous des manuscrits inachevés, qui furent confiés à La Bibliothèque nationale du Portugal et qui, bien des années plus tard, furent lus et organisés par des spécialistes dans le domaine.

    La quasi clandestinité littéraire dans laquelle vivait Pessoa ne l’empêcha à aucun moment de poursuivre ses voyages. Peut-être était-il convaincu que sa gloire dépassera de loin celle dont bénéficient les autres écrivains en publiant leurs œuvres de leur vivant. Peut-être, ses aspirations s’étendaient-elles au-delà de la renommée éphémère qu’il aurait pu avoir, pour atteindre celle de l’immortalité : la gloire d’après la mort !

    Il est rare de trouver un écrivain résistant à la tentation de se faire connaître de son vivant, alors qu’il en était bien capable, et attendre patiemment une mort qui lui offrira l’Eternité. C’est là où l’on perçoit le coté mystique de l’auteur bien qu’il fût largement bousculé par d’autres côtés de son Moi pluriel.

    Pessoa était tantôt païen, tantôt mystique, épicurien et stoïcien, tragique et farceur, le plus modeste et le plus orgueilleux des hommes. Et c’est à travers ses souffrances et ses questionnements qu’il va créer l’une des plus belles œuvres de la littérature mondiale.

    Depuis l’émergence de l’œuvre après la mort de l’écrivain, plusieurs écrivains, critiques et analystes littéraires se penchèrent sur le phénomène Pessoa et se mirent énergiquement à sonder l’œuvre et, par delà elle, l’âme de l’auteur.

    Mais, malgré ces centaines d’essais et de biographies rédigées en l’honneur de ce mythe, a-t-on vraiment découvert qui était Fernando Pessoa ?

    "Je commence à me connaître : je n’existe pas !

    Je suis l’intervalle entre ce que je désire être et ce que les autres ont fait de moi,

    Ou plutôt la moitié de cette intervalle, parce qu’il y a aussi la vie.

    Je ne suis pas d’ici, mais touriste, voyageur.

    Ce que nous sommes ne peut passer ni dans un mot ni dans un livre.

    Notre âme infiniment se trouve loin de nous.

    Nous sommes nos rêves de nous, des lueurs d’âme."

    Par la Dépêche de Kabylie
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