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Autriche : les conservateurs invitent l’extrême droite à former un gouvernement

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  • Autriche : les conservateurs invitent l’extrême droite à former un gouvernement

    Après sa victoire électorale, Sebastian Kurz entre en négociation avec le parti FPÖ, allié du Front national, afin de former une coalition.

    LE MONDE
    Par Blaise Gauquelin (Vienne, correspondant)

    La logique aurait voulu qu’en Autriche, les conservateurs chrétiens (ÖVP) s’allient aux sociaux-démocrates (SPÖ), puisqu’ils étaient arrivés en tête des législatives du 15 octobre, avec 31,5 % des voix, devant la gauche (26,9 %). Mais dans ce pays d’Europe centrale qui compte 8,7 millions d’habitants, la proportionnelle et la lassitude des électeurs envers les traditionnelles grandes coalitions ont finalement conduit Sebastian Kurz, le chef de l’ÖVP, à préférer se tourner vers l’extrême droite (FPÖ), arrivée troisième avec 26 % des voix, plutôt que de reconduire une alliance usée par dix ans de pouvoir.

    Lire aussi : « En Autriche, Sebastian Kurz négociera sans doute avec l’extrême droite »

    Le conservateur de 31 ans l’a annoncé, mardi 24 octobre : après des premiers contacts « très constructifs », il va lancer dès mercredi des pourparlers en vue de former un gouvernement avec le tribun eurosceptique Heinz-Christian Strache, son aîné de dix-sept ans. L’ÖVP et le FPÖ disposent à eux seuls d’une confortable majorité parlementaire (113 députés sur 183) et en général, ce genre de négociations dure deux mois. Le prochain exécutif, partagé équitablement entre les deux formations, devrait donc être sur pied avant Noël, selon M. Kurz. D’autant plus que le FPÖ a immédiatement accepté sa main tendue.

    Rassurer l’UE

    Le probable futur chancelier de l’opulente Autriche compte d’abord tenter de rassurer l’Union européenne, inquiète à l’idée de voir de nouveau consacré à Vienne un mariage qui avait causé une grave crise institutionnelle en 2000.

    Un certain Wolfgang Schüssel – aujourd’hui conseiller du futur plus jeune dirigeant du monde – avait brisé un tabou en offrant, pour la première fois, après cent vingt-quatre jours de négociations secrètes, des postes de ministre à des membres de l’extrême droite, alors conduite par Jörg Haider et au plus haut dans les urnes (26,9 %). Sa décision avait valu à l’Autriche d’humiliantes sanctions, un boycottage de la part d’Israël, la méfiance de Washington et la mise en place d’un cordon sanitaire.

    Une telle levée de boucliers paraît toutefois inenvisageable aujourd’hui : la Commission se débat déjà pour faire respecter l’Etat de droit à la Pologne et à la Hongrie. L’Autriche doit assurer la présidence tournante de l’UE en 2018 et M. Kurz, ministre des affaires étrangères sortant, a assuré qu’une « orientation européenne claire » était un préalable pour intégrer son gouvernement.

    Alors que les conservateurs ont, en Autriche, toujours eu un agenda proeuropéen, l’extrême droite, elle, soufflait le chaud et le froid sur une sortie de l’Union jusqu’au référendum britannique, en faveur du Brexit, en juin 2016. Désormais, le FPÖ dit se reconnaître totalement « dans un projet européen de paix » mais être « critique envers les institutions européennes ». Il réclame des réformes pour mieux prendre en compte la subsidiarité.

    Toutefois, le site Internet de la formation de M. Strache prend quelques libertés avec la géographie de l’Autriche : une région italienne germanophone, le Tyrol du Sud, y est intégrée. Par ailleurs, le FPÖ est allié au parti Russie unie, la formation de Vladimir Poutine, hostile à l’UE. Il souhaite une augmentation du budget militaire, alors que l’Autriche est un pays neutre. Et il fait de la mise en place d’une démocratie directe l’un de ses grands projets de refondation politique.

    Selon le quotidien libéral Der Standard, le président écologiste Alexander Van der Bellen a donc laissé filtrer son scepticisme en petit comité. Elu après un bras de fer difficile avec le FPÖ en décembre 2016, il est doté par la Constitution d’un droit de veto sur la composition du gouvernement. Il pourrait s’opposer à ce que le FPÖ fasse main basse sur les affaires étrangères et l’intérieur, craignant que les informations sensibles n’y soient plus traitées avec la discrétion nécessaire. Berlin et Bruxelles s’inquiéteraient également du fait que M. Strache profite de la présidence tournante pour donner une image respectable de ses alliés d’extrême droite au Parlement de Strasbourg, dont Alternative pour l’Allemagne (AfD) et le Front national.

    « Pacte avec le diable »

    Les autres obstacles à une coalition entre la droite et l’extrême droite reposent au cœur de la société civile, très active en Autriche. Ils sont bien moindres qu’il y a dix-sept ans, quand 250 000 personnes avaient envahi les rues de Vienne, dénonçant un « pacte avec le diable ». Mais la communauté juive d’Autriche (IKG) est sortie de sa réserve. « Que le loup nationaliste revête une peau de mouton ne change pas sa nature, seulement son apparence », a estimé son président, Oskar Deutsch, pointant la politique de dédiabolisation du FPÖ depuis 2013. Il a prié en vain M. Kurz de renoncer aux noces.

    « Il y aura des manifestations » si le FPÖ, fondé par d’anciens nazis et qui veut lutter contre « l’islamisation de l’Europe », revient effectivement au pouvoir, prévient Alexander Pollak, de l’association SOS Mitmensch. Bernhard Weidinger, du Centre de documentation et d’archives sur la résistance, un organisme chargé de recenser les mouvements extrémistes en Autriche, estime que le FPÖ d’aujourd’hui est bien plus radical encore que celui de Jörg Haider en son temps.

    « Ces deux partis [ÖVP et FPÖ] ont en fait des programmes quasiment identiques au mot près, ironise quand à lui Christian Kern, le chancelier SPÖ sortant, qui ne semble pas surpris de se voir écarté du jeu. On se demande même qui a écrit quoi. On va vers un tournant très à droite concernant la politique économique et migratoire. » Désormais, le chef des sociaux-démocrates entend incarner l’opposition « à la politique spectacle du pain et des jeux » sur les bancs de l’Assemblée nationale. Cette dernière, depuis la seconde guerre mondiale, n’a jamais compté aussi peu de députés de gauche.

    Les parlementaires de tous bords seront peut-être appelés à soutenir un gouvernement conservateur minoritaire, une option présentée par Sebastian Kurz comme son « plan B » s’il ne parvient pas à faire signer une charte de bonne conduite à Heinz-Christian Strache concernant l’UE. Par ailleurs, selon le quotidien conservateur Die Presse, l’homme d’affaires autrichien Martin Schlaff aurait organisé récemment des rencontres discrètes entre M. Strache et Christian Kern. Les proches de Sebastian Kurz accusent le SPÖ de jouer double jeu. En cas d’échec des négociations, ils craignent une alliance entre la gauche et l’extrême droite. Une sorte de « plan C » qui fait frissonner les milieux d’affaires à Vienne.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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