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Machiavel et le Makhzen

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  • Machiavel et le Makhzen

    Les idées développées dans l’ouvrage le Prince ont inspiré la classe politique marocaine. Mais comment et pourquoi nos gouvernants ont-ils appliqué les préceptes du conseiller florentin ?

    La violence politique s’est installée dès l’Indépendance en norme de gouvernement. Ainsi décrit l’historien Pierre Vermeren le mode de gouvernance du Maroc de la deuxième moitié du XXe siècle dans Maghreb : la démocratie impossible ? (Ed. Fayard, 2004). Cette « violence politique » s’est vite combinée avec des stratégies visant à surveiller et à affaiblir toute force contestataire. Dans Le défi (Ed. Albin Michel, 1978), Hassan II donne le La en exergue du livre: « Si conspirer contre un prince est une entreprise douteuse, périlleuse et imprudente, conspirer contre deux est vain et insensé ».

    Machiavelisme et realpolitik

    Dans Islam et modernité (La Découverte, 1987), Abdallah Laroui parle des similitudes susceptibles d’exister entre les propos du penseur florentin et ceux de Ibn Khaldun, en évoquant leur vision commune de la politique « comme l’art de faire croire aux apparences et illusions ». Que ce soit pour Machiavel ou pour l’auteur de la Muqaddima, l’enjeu principal de tout gouvernant est de garder le pouvoir par le biais d’une connaissance rationnelle des réalités du monde politique qu’il gouverne. Dans Hassan II et le Maroc (2005, Presses Inter-Universitaires), le même auteur parle du « réalisme politique» du monarque défunt inspiré par celui de Machiavel. Le Prince insiste sur la menace de complot pesant sur la tête de tout souverain qui ignore les réalités de la cité. L’important est que le détenteur du pouvoir sache se faire craindre sans jamais être haï, sans quoi, il peut s’attirer les foudres de l’armée ou du Peuple. Après les différents attentats auxquels il a échappé, Hassan II ne pouvait que prendre à la lettre les prescriptions de Machiavel sur cette question. Le souverain doit à la fois être proche des réalités politiques et sociologiques du Maroc et savoir être un anticipateur. Une décennie plus tard, les émeutes de 1981 à Casablanca illustreront ce point de manière emblématique. Le pouvoir a commencé par réprimer le peuple, pour finalement renoncer à sa décision d’augmenter le prix du pain, un acte pourtant contraire aux recommandations du FMI. Ce revirement est tout sauf anodin, car en changeant son fusil d’épaule, le gouvernement savait alors que cela apaiserait les manifestants.

    Le souverain doit savoir cultiver son image. Les gouvernés vont lui attribuer des traits de caractère et ils auront de lui une certaine opinion. L’enjeu n’est pas tant d’être un Prince vertueux ou religieux mais de montrer que le pouvoir respecte la morale et la religion, qui sont des référentiels importants dans la société florentine où évoluait Machiavel. Un parallèle peut être fait avec les propos du pouvoir sur le refus de la laïcité au Maroc, qui a été encore rappelé récemment avec l’affaire MALI et les proclamations de l’AMDH condamnées unanimement par toute la classe politique. Le religieux est ainsi une ressource politique importante dont on n’est pas près de se défaire. Dans Les années Lamalif (Tarik Editions, 2007), Zakia Daoud montre que « l’islamisation » traditionaliste de la société, avec notamment l’obligation de respecter le jeûne du ramadan sous peine de sanction pénale, n’a commencé à être mise en œuvre au sein de la société qu’au début du règne de Hassan II.

    Ordre et discipline

    Mais Machiavel va encore plus loin que prescrire un simple attachement à la religion. S’il veut garder son trône, le Prince doit avoir conscience qu’il n’est pas toujours raisonnable de se conformer aux règles morales et qu’il est parfois nécessaire d’agir à l’encontre des principes humanistes s’il veut maintenir l’Etat. Certains vices sociaux, tels que la cruauté, sont des vertus politiques et il est nécessaire de les utiliser tout en paraissant être socialement vertueux. Dans son livre Monarchie et Islam politique au Maroc, le politologue Mohamed Tozy a montré de quelle façon ces préceptes ont été repris à la lettre dans la vie politique marocaine. Il a toutefois exprimé une certaine inquiétude quand, en 1965, les plus hautes autorités de l’Etat affirment publiquement que la « prévention de la fitna justifierait le sacrifice des deux tiers de la communauté des croyants ». Il n’en est rien chez Abdellah Laroui. Dans son livre Hassan II et le Maroc, l’auteur est fasciné par un « art de gouverner » qui érige l’ordre, la discipline et la hiérarchie en moteur de la société. A l’image d’une bonne partie des philosophes des Lumières qui ont rallié le « despotisme éclairé », Abdellah Laroui s’est éloigné des rangs de l’UNFP pour rejoindre ceux du Makhzen, en essayant de se faire le conseiller du Prince. Il déclare ainsi son admiration pour les actes du monarque et pour sa politique autoritaire. Tout comme Machiavel, Laroui semble reconnaître que le Prince n’est pas un être dont il s’agit de moraliser les comportements. L’objectif est le maintien du pouvoir dans un contexte parfois difficile et non pas de changer la société ou de trouver le mode de gouvernance idéal.

    Pour garder son trône, le Prince doit utiliser les aléas de la « fortune » (du hasard, de la chance) et en tirer bon parti. Il doit savoir être actif face aux incertitudes de l’avenir et ne pas attendre passivement que les actions se déroulent. Le Prince doit avoir à la fois une vigueur d’esprit, une virilité, une vertu politique (qui est celle d’œuvrer coûte que coûte pour la préservation de la cité) et tirer parti des contingences, en ne se contentant pas de s’en remettre à la chance.

    La carotte et le bâton

    Dans un article paru en 2004 dans la revue Maghreb Machrek, Alain Roussillon avait montré l’attitude stratégiquement audacieuse du Makhzen pour légitimer juridiquement et politiquement la réforme de la Moudawana, fortement contestée par une partie de la société marocaine. Le pouvoir politique a su tirer avantage, consciemment ou pas, des attentats de mai 2003 à Casablanca. Il profite du fait que les islamistes, qui avaient été les principaux opposants à cette réforme, ne pouvaient plus contester publiquement le nouveau statut de la femme, contraint de faire le « dos rond ». Autre exemple de l’attitude machiavélique du Makhzen, qui sait manier la carotte et le bâton : le traitement des diplômés chômeurs marocains manifestant devant le Parlement. Pour gérer les revendications, le pouvoir politique a commencé par donner du travail à la moitié d’entre eux, avant de réprimer par la force l’autre moitié. Aussi, l’instauration d’un multipartisme, le mélange de répression et de paternalisme bienveillant, la réintroduction d’acteurs longtemps marginalisés (l’exemple de la légitimation des berbères dans le champ politique suite à l’essor des islamistes aux élections de 2002) sont des données essentielles du paysage social marocain et s’inscrivent dans la droite ligne des idées énoncées par Machiavel.

    Machiavel pour les nuls

    Nicholas Machiavel (1469-1527) est l’un des premiers à avoir pensé la cité comme lieu d’enjeux stratégiques pour la conquête et la conservation du pouvoir. Il est l’auteur en 1513 d’un livre fondamental pour la philosophie politique qui s’intitule Le Prince. Tout d’abord, il commence par donner un éclairage historique des différents types de pouvoir et insiste sur la nécessité de se reporter aux expériences des anciens. Il ne s’agit pas de les imiter et de prendre les solutions du passé pour les appliquer au présent mais de réfléchir sur les problèmes actuels et de trouver les solutions adéquates à partir de la connaissance des expériences historiques. Ensuite, Machiavel donne un ensemble de conseils au Prince. L’objectif final est de garder son trône et de veiller au bien de la cité, en maintenant l’ordre et la sécurité. Enfin, Machiavel amène le Prince à réfléchir sur la qualité de son entourage en se débarrassant des mercenaires et à s’interroger sur les décisions qu’il doit prendre, en tenant compte de ce que les circonstances permettent

    Zamane
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