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Homère et Shakespeare en banlieue

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    Reportage
    Homère et Shakespeare en banlieue
    LE MONDE | 15.02.07 | 16h10 • Mis à jour le 15.02.07 | 16h10

    es retardataires arrivent au compte-gouttes. Les premiers arrivés se jettent sur les places du fond, tirent les tables pour choisir leur voisin, affiner leur emplacement, si possible "loin du prof". Celui-ci entre à son tour. "M'sieur d'Humières" a 36 ans, les cheveux en pagaille, une tête ténébreuse à la Chateaubriand, un gros pull débordant sur son jean noir, le corps entier prêt à affronter le marathon qui va suivre.

    Il est 11 h 30, jeudi, en grande banlieue parisienne. Au lycée Jean-Vilar, à Meaux (Seine-et-Marne), le cours de grec ancien commence. Choisi en option par 50 (sur 350) élèves de seconde de ce lycée qui accueille les plus défavorisés du département. Un cours de grec ancien, dans un établissement pourtant classé "APV" (où les enseignants reçoivent une "affectation prioritaire à valoriser"), avec seulement 65 % de taux de réussite au bac en 2006. Et le même "prof" leur enseigne aussi Shakespeare. Le principe est le même : viser haut.

    Augustin d'Humières reste debout, tournoyant la tête, pointant le bras de part et d'autre, tel un agent de la circulation. "Abdullah, tu t'assieds ici ! Sébastien, tu sors tes affaires et tu enlèves ta veste ! Abel, Jamel ! Ça va mal se passer, bonhomme ! Tant pis pour toi, tu viens t'asseoir à mon bureau. Quoi, Coralie, qu'est-ce qui t'arrive encore ?" "M'sieur, vous avez un stylo à me prêter ?", demande Coralie. Saïd échange à voix haute en arabe avec son voisin. "Saïd, tu te tais et tu sors tes affaires !" Le voisin : "Mais il parlait pas, m'sieur !" Saïd : "Pff, je peux pas travailler dans des conditions pareilles !" Le professeur soupire. "Ça va pas le faire..."

    Et pourtant, bizarrement, "ça le fait". Dans le brouhaha, les réponses fusent, étonnantes. Etymologie de "archevêque" ? "Archè, deux sens : vieux et pouvoir !" Des dérivés ? "Architecte, hiérarchie, monarchie !" Le sens du mot lithographie ? "De lithos, la pierre, et graphein, écrire : graver sur la pierre !" Dérivés de graphein ? "Biographie ! Géographie !"

    Pas mal. Au royaume des SMS, il est réconfortant de voir sur les copies les mots les plus compliqués, tels "polythéisme", écrits avec le "th" et le "y" là où il faut. On passe à la mythologie. Comment est née Athena ? demande le professeur. "Dans des conditions atroces, M'sieur !" Hurlements de rire. "Elle est sortie de la tête à Zeus, en armure !", lance un autre qui, caché derrière les pitreries, montre qu'il n'a rien oublié de l'histoire de la déesse.

    Ces élèves de seconde ont choisi le grec et, pour la plupart, ils "kiffent". Un miracle ? Plutôt une volonté. Celle de ce jeune professeur hors normes, Augustin d'Humières. Un agrégé de lettres classiques qui a décidé de croire que la banlieue n'est pas une fatalité. Que les élèves en difficulté doivent voir les choses en grand. Ils apprendront la langue d'Homère et si, accessoirement, ils se laissent tenter par ses cours de théâtre, ils ne seront pas déçus : leurs premières armes se feront dans l'anglais du XVIe siècle.

    La méthode ? Un prosélytisme acharné. En 2003, le jeune professeur a créé l'association Mêtis qui compte une centaine de ses anciens élèves. Ceux-ci font du soutien scolaire, participent à des forums d'orientation pour les terminales du lycée... et tentent de convaincre les plus jeunes de se mettre aux langues anciennes.

    C'est devenu un rituel. Chaque année, Augustin et ses meilleurs anciens élèves de latin-grec se rendent dans les cinq collèges du secteur, en zone rurale ou en cité. Le but : convaincre les élèves de troisième de s'inscrire en grec. Non par de beaux discours, et sans faire intervenir les parents, mais avec des arguments concrets : les langues mortes, c'est utile et cela vous aidera.

    Ce sont les anciens élèves de Jean-Vilar qui leur parlent. Comme Lauren Sigler, Dounya Salhi, Madly Bodin ou Mouna El Mokhtari, parties pour galérer et devenues respectivement avocate, étudiante en médecine, à l'Essec et en master de sciences de l'information. Comme aussi Julien Martin, aujourd'hui professeur de lettres classiques au collège de Trilport, près de Meaux. Ou comme Nam-Tran Nguyen Cuu, de parents réfugiés politiques vietnamiens, interne de l'hôpital Georges-Pompidou.

    Ils leur disent : "Nous sommes comme vous, et grâce aux langues anciennes, nous avons réussi à nous en sortir et vivre mieux que nos parents." Lauren : "En commençant le droit, j'avais compris grâce au grec les principes de la démocratie athénienne." Dounya : "En médecine, le grec m'a permis de mémoriser les mots compliqués." Madly : "En prépa, j'étais la seule à connaître la date de la mort de Socrate, grâce au grec. Tous les Parisiens étaient épatés, j'avais gagné !" Mouna : "Le latin et le grec m'ont apporté le goût de la culture, et donc de la conversation. Quand vous débarquez à Paris, c'est un plus énorme."

    Augustin d'Humières, de son côté, ruse pour les prendre par les sentiments. Quand Zidane a créé une association contre la leucodystrophie, il a analysé le mot par le grec ("blanc" + "mauvais" + "nourrir" = mauvaise alimentation du sang en globules blancs). Succès assuré. Autre argument auquel sont sensibles les nombreux élèves d'origine maghrébine : le modèle que fut le monde gréco-romain pour les sociétés occidentales. "En latin et en grec,note le professeur, nous évoluons dans un monde méditerranéen, entre Alexandrie et Athènes, Rome et Carthage. Il ne déplaît pas aux élèves de constater qu'au-dessus, c'étaient des analphabètes, des barbares..."

    Quand il est arrivé au lycée Jean-Vilar, en 1995, les cours de grec comptaient six élèves en seconde. D'année en année, les classes périclitaient et menaçaient de fermer. Les interventions dans les collèges ont amené de nouveaux publics. "Un résultat exceptionnel pour la population que nous accueillons", se félicite la proviseure, Marie-Claude Couraut-Thémans.

    Ils sont donc 50 à s'être laissé convaincre cette année (une dizaine garderont l'option en terminale). Majoritairement des filles. Et souvent pour des raisons très mercantiles : "On n'a rien à perdre, ça ne peut rapporter que des points positifs au bac", reconnaît Saïd. Ou parce qu'ils se sont laissé prendre au jeu. Inès : "Au début, je le trouvais plutôt chelou, le prof, à s'agiter tout le temps. Mais j'aime bien la mythologie. Et aussi l'étymologie, ça m'aide pour l'orthographe et la grammaire. Je deviens meilleure."

    L'apprentissage du grec fait-il de bons élèves, ou les bons élèves sont-ils attirés par le grec ? Impossible à dire. Une chose est sûre : depuis dix ans, au lycée Jean-Vilar, les effectifs de grec et de latin représentent moins de 10 % des élèves de terminale et plus de la moitié des mentions bien et très bien. La déperdition du latin sera d'ailleurs le prochain moulin d'Augustin Don Quichotte.

    L'association Mêtis, c'est aussi du théâtre. De préférence celui de Shakespeare. Ancien élève de l'école dramatique de la Ville de Paris, Augustin a réussi à débaucher bénévolement d'anciens condisciples. Deux ou trois fois par semaine, voire plus, Samantha Markowic et David Nunes, comédiens professionnels, prennent le train de Paris à Meaux et font cours aux jeunes élèves, avec une obstination rigoureuse.

    Il en faut. Quelques-uns sont incroyablement doués, mais la troupe semble impossible à maîtriser. Les garçons arrivent en retard, les filles se jalousent. Cette année, la pièce choisie est Roméo et Juliette. "Toutes les filles veulent faire Juliette ou la nourrice,soupire Augustin. Il y aura un mauvais moment à passer."

    Lors des premières répétitions, personne ne peut croire à un résultat. Personne, sauf Augustin d'Humières et ses amis comédiens. Ils font faire aux élèves "du crayon" - le crayon entre les dents, pour leur apprendre à articuler. Ils négocient au pied des tours pour les convaincre de venir répéter plutôt que de faire du shopping ou de jouer à la PlayStation. Certaines répétitions ont lieu des week-ends entiers, qu'il pleuve ou qu'il vente, sur le parking du lycée. A l'approche du jour J, aucun ne manque au rendez-vous.

    Les jeunes élèves de Mêtis ont déjà joué Le Songe d'une nuit d'été et La Nuit des rois, sans modestie. Viser haut ne leur déplaît pas : "C'est bien de ne pas parler comme on parle tous les jours", dit Esra, une fille timide que le théâtre a métamorphosée. Augustin, qui fait rarement les choses à moitié, avait débauché pour les répétitions des maîtres de chant, des maîtres d'armes, des costumiers professionnels.

    Le premier spectacle a eu lieu en juin 2003, devant 450 personnes, au théâtre municipal de Meaux. Professeurs, élèves, parents, proviseurs, tous étaient sidérés. "On ne reconnaissait pas nos élèves, raconte Angélique Guillerot, professeur de français. C'était magique de voir les plus en difficulté, blancs, beurs, blacks, se mettre à vivre littéralement un texte de Shakespeare qu'ils n'auraient pas su lire. Ensuite, leur attitude en classe a beaucoup changé. Le grec éveille leur curiosité pour les mots, le théâtre leur donne l'enthousiasme."

    Les enseignants se sont posé des questions : pourquoi les élèves piétinent-ils à l'école alors qu'ils connaissent une telle métamorphose dans un contexte extra-scolaire ? Deux membres de Mêtis ont intégré le Conservatoire national d'art dramatique.

    Un autre spectacle se jouait à l'entrée du théâtre. Un cortège ému et pomponné, celui des familles des élèves comédiens. Ces femmes en boubou ou coiffées d'un foulard, avec leurs maris et leurs enfants, pénétrant timidement dans le hall du théâtre pour la première fois de leur vie. Oui, c'est possible : Shakespeare et Homère peuvent changer les choses.


    MARION POUSSIER POUR "LE MONDE"
    Augustin d'Humières lors d'un de ses cours de grec ancien au lycée Jean-Vilar de Meaux (Seine-et-Marne).


    Marion Van Renterghem

    Article paru dans l'édition du 16.02.07

  • #2
    C'est quoi ce délire!!!!
    Cet article est d'une démagogie terrible!!!

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    • #3
      Ben non! Bien au contraire, moi j'ai beaucoup aimé et j'aurais aimé avoir un tel prof.

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      • #4
        Certes, l'apprentissage d'une langue morte est une bonne chose et j'approuve ( je suis moi-même latiniste et hélliniste), cependant le propos frise le politiquement correct avec le délire sur l'intégration.

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        • #5
          Hier soir, il y avait une émission qui a montré une prof excédée dans une zep. Lors du reportage, elle avait effectivement raison, ses élèves ne comprenaient pas le français. C'est pourquoi j'ai aimé cet article, qui rend compte d'une autre réalité porteuse d'espoir.

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