Belaïd ABDESSELAM :
«Chroniques et réflexions inédites sur des thèmes sur un passé pas très lointain»(*)
Les confessions polémistes d’un nationaliste ombrageux
Par Brahim Taouchichet
Nul ne peut méconnaître l’empreinte de Belaïd Abdesselam sur la vie postindépendance du pays, lui, l’homme de confiance de feu Houari Boumediene, le «Monsieur Pétrole», ou le père de l’industrialisation. En nationaliste convaincu de sa mission, il ne cédera pas un pouce de son espace ni aux communistes (plus tard le Pags) ni aux Oulémas et notamment à l’un de ses chefs, cheikh Bachir Ibrahimi, et son fils le Dr Ahmed Taleb que tout sépare, notamment dans les moyens de lutte pour l’indépendance. «Les Oulémas (à l’exception de cheikh Larbi Tébessi et dans une certaine mesure Ben Badis) ont fait dans la forfaiture et continuerai de le dire.» Il les tient pour responsables du viol de consciences des nouvelles générations d’écoliers et de lycéens. Et pour cause, les héritiers de ces Oulémas n’en démordent pas puisque leur président, Abderrezak Guessoum, ne rate aucune occasion de monter au créneau pour rappeler aux bonnes mœurs islamiques, comme dans la controverse en cours sur la «besmala».
«J’ai adhéré au PPA en 1944. Mon parrain était Ammar Boudjerida, vieux compagnon de Messali Hadj avec lequel il a été condamné en 1943 et dont il a été le compagnon à Lambèse.» C’est par cette entrée en matière que Belaïd Abdesselam, l’homme fort du régime Boumediene, livre sur 450 pages (après 4 ans de mise en forme) ses confessions de militant et de politicien averti. Il fera son baptême du feu à la faveur des événements du 8 Mai 1945. Il sera arrêté et mis en prison le 18 du même mois puis condamné (il avait 23 ans) pour 4 ans en compagnie de Abdelhamid Benzine (aujourd’hui décédé) dans des circonstances qu’il décrira. Tous deux appartenaient à la cellule PPA du lycée de Sétif. Au crépuscule de sa vie, à 89 ans, cette dernière livraison après notamment Le hasard et l’histoire (2 tomes, 1990), a été mise en œuvre «pour rétablir certaines vérités sur treize mois à la tête du gouvernement» (1993, diffusé sur internet). Le témoignage sonne comme un baroud d’honneur ! Il y étalera ses vérités sur de nombreux sujets avec une rare acuité et force détails quant à la date, le lieu, voire le contexte. Et ainsi l’on appréhende sous un éclairage nouveau beaucoup de faits et d’événements qui ont constitué le vécu de l’Algérie pré et post-indépendance, à travers, bien sûr, ses principales forces vives, le personnel politique responsable direct ou indirect de la gestion du pays, en particulier depuis l’indépendance. Belaïd Abdesselam rappelle et nous rafraîchit la mémoire, explique et se fait pédagogue (la dette extérieure, le pétrole, etc.). Il revient sur beaucoup d’événements politiques (coup d’Etat du 19 juin 1965, l’avènement de Chadli Bendjedid...) et économiques (la bataille du pétrole, l'industrie industrialisante) qui ont marqué l’histoire récente de l’Algérie au grand bonheur de la génération Boumediene qui ne s’expliquait pas les soubresauts politiques de l’époque, la censure du parti unique faisant. Ouvrage utile de ce point de vue à plus d’un titre aussi bien pour le grand public que les universitaires et chercheurs en histoire. Le moins que l’on puisse dire est que l’auteur de ce livre-témoignage n’y va pas avec le dos de la cuillère quand il s’agira de parler de ses adversaires politiques et idéologiques. Il leur manifeste aujourd’hui encore une rancune tenace à refroidir les plus velléitaires de ses contradicteurs tant est forte la virulence du propos. A telle enseigne, d’ailleurs, que l’on se demande qui pourrait bien trouver grâce à ses yeux ! Sûrement pas «les nationalistes de la dernière pluie» qu’il pourfend pour leur attentisme et leur opportunisme au détriment de l’engagement patriotique au prix de leur vie. Tout l’itinéraire de Belaïd Abdesselam, le «Monsieur Pétrole» de Boumediene, se trouve marqué, voire intimement imbriqué dans la vie politique 1945-1962, 1965-1978, puis une courte période mais très intense au plan des enjeux lors de son passage à la chefferie du gouvernement. Il ne changera pas d’un iota ses positions politiques qui portent le sceau de la continuité du militant PPA (ni Messaliste ni centraliste). Il ne pardonnera jamais aux communistes algériens leur opposition initiale par rapport à l’indépendance de l’Algérie. Il s’opposera aux étudiants algériens d’Europe en sa qualité de président de l'Association des étudiants musulmans nord-africains en France (AEMAN-1951-1953). Un Ahmed Mahi, ex-président de l’Unea et fondateur du Pags, raconte dans son livre (De l’Ugema à l’Unea, témoignage sur le mouvement étudiant : 1959-1965) comment avec son ami Houari Moufok ils ont été sèchement rabroués par Belaïd Abdesselam à la faveur d’une demande d’audience. Ce dernier se fera un malin plaisir de tordre le cou aux communistes, Oulémas, centralistes, messalistes, voire élus de l’UDMA et à leur tête Ferhat Abbas à propos duquel il écrit : «A l’initiative de Abane Ramdane, Ferhat Abbas se résolut, en 1956, à quitter l’Algérie pour se mettre à la disposition de la délégation extérieure du FLN au Caire. Avant de quitter l’Algérie pour l’Égypte, Ferhat Abbas, de son propre aveu, avait cru devoir demander audience à Robert Lacoste (NDLR : alors ministre de l’Algérie) et le rencontrer» qui lui dira : «Vous voulez partir ? Partez ! Allez-y, mais n’oubliez pas que la France compte sur vous !» Mieux, il l’accuse de collusion avec les centralistes avant son départ et du soutien des Oulémas dont cheikh Bachir Brahimi qu’il va tailler en pièces sur pas moins de 50 pages, l’accusant de toutes les ignominies et traîtrises. Il s’arrêtera pas au cheikh puisque son fils fera aussi les frais de son incompatibilité, voire sa haine dans un chapitre intitulé «Mes relations avec le docteur Ahmed Taleb Ibrahimi» que «j’ai connu au début des années 1950, lorsque nous étions étudiants à la faculté de médecine d’Alger». Plus enclin à frayer avec les milieux de la Nahda, il était bien en retrait du mouvement nationaliste radical (l’indépendance maintenant !) et s’en tenait à la voie réformiste, «ce qui allait dans le sens de ce que souhaitaient les tenants du colonialisme français». Cet antagonisme entre un nationaliste ombrageux et les réformistes panislamistes poussera l’auteur à inscrire l’action d’Ahmed Taleb Ibrahimi dans la continuité de celle de son père qui «nourrissait une allergie et une hostilité viscérales contre tout ce qui émanait du PPA» et qui «semblait accueillir le 1er Novembre 54 comme une catastrophe »! Et d’ailleurs, il dépeindra un profil peu élogieux d’un chef très en vue de l’association des Oulémas, comme un personnage qui a le mépris des petites gens, lui qui ne fréquentait que les grosses familles bourgeoises de l’Orient et qui a le goût du luxe. «N’étant lui-même pas possédant, il avait, comme beaucoup de lettrés et de cheikhs versés dans l’étude de la langue arabe, les sciences religieuses, une certaine inclination pour la compagnie des gens riches, des familles des grandes fortunes…» Par ailleurs, selon l’auteur de Chroniques et réflexions inédites, le cheikh «entretenait des relations étroites avec certains cercles dirigeants des Frères musulmans». Et le verdict tombe comme un couperet, sans appel : «Tout au long des années de notre guerre de Libération nationale, on ne trouve trace d’aucun article de presse, d’aucune déclaration, d’aucune démarche du cheikh Brahimi, en soutien à la lutte du peuple algérien et à l’action du FLN.» Pour enfoncer le clou, il rappelle les misères qu’il faisait aux étudiants algériens envoyés au Caire pour des études par l’association pour avoir rejoint le FLN, qu’ils voyaient comme authentique mouvement de libération.
«Chroniques et réflexions inédites sur des thèmes sur un passé pas très lointain»(*)
Les confessions polémistes d’un nationaliste ombrageux
Par Brahim Taouchichet
Nul ne peut méconnaître l’empreinte de Belaïd Abdesselam sur la vie postindépendance du pays, lui, l’homme de confiance de feu Houari Boumediene, le «Monsieur Pétrole», ou le père de l’industrialisation. En nationaliste convaincu de sa mission, il ne cédera pas un pouce de son espace ni aux communistes (plus tard le Pags) ni aux Oulémas et notamment à l’un de ses chefs, cheikh Bachir Ibrahimi, et son fils le Dr Ahmed Taleb que tout sépare, notamment dans les moyens de lutte pour l’indépendance. «Les Oulémas (à l’exception de cheikh Larbi Tébessi et dans une certaine mesure Ben Badis) ont fait dans la forfaiture et continuerai de le dire.» Il les tient pour responsables du viol de consciences des nouvelles générations d’écoliers et de lycéens. Et pour cause, les héritiers de ces Oulémas n’en démordent pas puisque leur président, Abderrezak Guessoum, ne rate aucune occasion de monter au créneau pour rappeler aux bonnes mœurs islamiques, comme dans la controverse en cours sur la «besmala».
«J’ai adhéré au PPA en 1944. Mon parrain était Ammar Boudjerida, vieux compagnon de Messali Hadj avec lequel il a été condamné en 1943 et dont il a été le compagnon à Lambèse.» C’est par cette entrée en matière que Belaïd Abdesselam, l’homme fort du régime Boumediene, livre sur 450 pages (après 4 ans de mise en forme) ses confessions de militant et de politicien averti. Il fera son baptême du feu à la faveur des événements du 8 Mai 1945. Il sera arrêté et mis en prison le 18 du même mois puis condamné (il avait 23 ans) pour 4 ans en compagnie de Abdelhamid Benzine (aujourd’hui décédé) dans des circonstances qu’il décrira. Tous deux appartenaient à la cellule PPA du lycée de Sétif. Au crépuscule de sa vie, à 89 ans, cette dernière livraison après notamment Le hasard et l’histoire (2 tomes, 1990), a été mise en œuvre «pour rétablir certaines vérités sur treize mois à la tête du gouvernement» (1993, diffusé sur internet). Le témoignage sonne comme un baroud d’honneur ! Il y étalera ses vérités sur de nombreux sujets avec une rare acuité et force détails quant à la date, le lieu, voire le contexte. Et ainsi l’on appréhende sous un éclairage nouveau beaucoup de faits et d’événements qui ont constitué le vécu de l’Algérie pré et post-indépendance, à travers, bien sûr, ses principales forces vives, le personnel politique responsable direct ou indirect de la gestion du pays, en particulier depuis l’indépendance. Belaïd Abdesselam rappelle et nous rafraîchit la mémoire, explique et se fait pédagogue (la dette extérieure, le pétrole, etc.). Il revient sur beaucoup d’événements politiques (coup d’Etat du 19 juin 1965, l’avènement de Chadli Bendjedid...) et économiques (la bataille du pétrole, l'industrie industrialisante) qui ont marqué l’histoire récente de l’Algérie au grand bonheur de la génération Boumediene qui ne s’expliquait pas les soubresauts politiques de l’époque, la censure du parti unique faisant. Ouvrage utile de ce point de vue à plus d’un titre aussi bien pour le grand public que les universitaires et chercheurs en histoire. Le moins que l’on puisse dire est que l’auteur de ce livre-témoignage n’y va pas avec le dos de la cuillère quand il s’agira de parler de ses adversaires politiques et idéologiques. Il leur manifeste aujourd’hui encore une rancune tenace à refroidir les plus velléitaires de ses contradicteurs tant est forte la virulence du propos. A telle enseigne, d’ailleurs, que l’on se demande qui pourrait bien trouver grâce à ses yeux ! Sûrement pas «les nationalistes de la dernière pluie» qu’il pourfend pour leur attentisme et leur opportunisme au détriment de l’engagement patriotique au prix de leur vie. Tout l’itinéraire de Belaïd Abdesselam, le «Monsieur Pétrole» de Boumediene, se trouve marqué, voire intimement imbriqué dans la vie politique 1945-1962, 1965-1978, puis une courte période mais très intense au plan des enjeux lors de son passage à la chefferie du gouvernement. Il ne changera pas d’un iota ses positions politiques qui portent le sceau de la continuité du militant PPA (ni Messaliste ni centraliste). Il ne pardonnera jamais aux communistes algériens leur opposition initiale par rapport à l’indépendance de l’Algérie. Il s’opposera aux étudiants algériens d’Europe en sa qualité de président de l'Association des étudiants musulmans nord-africains en France (AEMAN-1951-1953). Un Ahmed Mahi, ex-président de l’Unea et fondateur du Pags, raconte dans son livre (De l’Ugema à l’Unea, témoignage sur le mouvement étudiant : 1959-1965) comment avec son ami Houari Moufok ils ont été sèchement rabroués par Belaïd Abdesselam à la faveur d’une demande d’audience. Ce dernier se fera un malin plaisir de tordre le cou aux communistes, Oulémas, centralistes, messalistes, voire élus de l’UDMA et à leur tête Ferhat Abbas à propos duquel il écrit : «A l’initiative de Abane Ramdane, Ferhat Abbas se résolut, en 1956, à quitter l’Algérie pour se mettre à la disposition de la délégation extérieure du FLN au Caire. Avant de quitter l’Algérie pour l’Égypte, Ferhat Abbas, de son propre aveu, avait cru devoir demander audience à Robert Lacoste (NDLR : alors ministre de l’Algérie) et le rencontrer» qui lui dira : «Vous voulez partir ? Partez ! Allez-y, mais n’oubliez pas que la France compte sur vous !» Mieux, il l’accuse de collusion avec les centralistes avant son départ et du soutien des Oulémas dont cheikh Bachir Brahimi qu’il va tailler en pièces sur pas moins de 50 pages, l’accusant de toutes les ignominies et traîtrises. Il s’arrêtera pas au cheikh puisque son fils fera aussi les frais de son incompatibilité, voire sa haine dans un chapitre intitulé «Mes relations avec le docteur Ahmed Taleb Ibrahimi» que «j’ai connu au début des années 1950, lorsque nous étions étudiants à la faculté de médecine d’Alger». Plus enclin à frayer avec les milieux de la Nahda, il était bien en retrait du mouvement nationaliste radical (l’indépendance maintenant !) et s’en tenait à la voie réformiste, «ce qui allait dans le sens de ce que souhaitaient les tenants du colonialisme français». Cet antagonisme entre un nationaliste ombrageux et les réformistes panislamistes poussera l’auteur à inscrire l’action d’Ahmed Taleb Ibrahimi dans la continuité de celle de son père qui «nourrissait une allergie et une hostilité viscérales contre tout ce qui émanait du PPA» et qui «semblait accueillir le 1er Novembre 54 comme une catastrophe »! Et d’ailleurs, il dépeindra un profil peu élogieux d’un chef très en vue de l’association des Oulémas, comme un personnage qui a le mépris des petites gens, lui qui ne fréquentait que les grosses familles bourgeoises de l’Orient et qui a le goût du luxe. «N’étant lui-même pas possédant, il avait, comme beaucoup de lettrés et de cheikhs versés dans l’étude de la langue arabe, les sciences religieuses, une certaine inclination pour la compagnie des gens riches, des familles des grandes fortunes…» Par ailleurs, selon l’auteur de Chroniques et réflexions inédites, le cheikh «entretenait des relations étroites avec certains cercles dirigeants des Frères musulmans». Et le verdict tombe comme un couperet, sans appel : «Tout au long des années de notre guerre de Libération nationale, on ne trouve trace d’aucun article de presse, d’aucune déclaration, d’aucune démarche du cheikh Brahimi, en soutien à la lutte du peuple algérien et à l’action du FLN.» Pour enfoncer le clou, il rappelle les misères qu’il faisait aux étudiants algériens envoyés au Caire pour des études par l’association pour avoir rejoint le FLN, qu’ils voyaient comme authentique mouvement de libération.
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