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Fatiha Benabbou: «L’Etat en tant que pouvoir institutionnalisé n’existe pas»

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  • Fatiha Benabbou: «L’Etat en tant que pouvoir institutionnalisé n’existe pas»

    Entretien avec Fatiha Benabbou, Professeur de droit public

    Des partis de «la majorité présidentielle», le FLN entre autres, n’excluent pas un 5e mandat du chef de l’Etat en exercice. Pensez-vous que cette hypothèse est plausible ?

    Sur le plan juridique, la cause est entendue. L’article 102 de la Constitution révisée de 1996 est sans appel : logiquement, si tout président de la République ne peut effectuer que deux mandats, au nom de quoi, il serait permis à l’actuel Président de briguer un 5e mandat, sinon plus ? Que fait-on du principe sacro-saint de la République, qui est l’égalité de tous devant la loi ? Peut-on faire table rase du droit préexistant et recommencer le comptage des mandats à zéro ? Au risque de me répéter, un compteur à zéro n’est valable que dans le cadre d’une nouvelle Constitution…

    Et ce n’est pas le cas, puisqu’en mars 2016, il y a eu une simple révision adoptée par des pouvoirs constitués (Parlement siégeant en ses deux Chambres réunies) et sans la moindre caution démocratique. C’est donc bien sur la base de la Constitution de 1996 qu’il a été élu pour un 4e mandat, et dont il tire sa légitimité actuelle. De surcroît, le Président reste un magistrat constitutionnel qui doit exercer la magistrature suprême dans les limites fixées par la Constitution (article 86). Il ne peut dès lors se placer au-dessus de la Constitution.

    Enfin, des questions me taraudent l’esprit et me laissent dans l’expectative : pourquoi cet empressement à invoquer un 5e mandat de la part de certains responsables de partis politiques ? Que s’est-il passé entre mars 2016 et octobre 2017 pour qu’il y ait un tel revirement en si peu de temps ?

    Pourtant, c’est bien à l’initiative de l’actuel Président que le principe de l’alternance a fait son entrée dans le préambule de la Constitution de 1996 révisée, et c’est bien lui qui a réintroduit la limitation des mandats, en plus, dans les clauses intangibles (ce qui rend sa révision impossible). Pourquoi se déjuger aussi promptement au risque d’enlever au texte constitutionnel toute sa crédibilité ?

    Certains disent que les institutions du pays sont inopérantes, en cela qu’elles sont contrôlées par des personnes proches du président Abdelaziz Bouteflika. Elles ne pourront de ce fait que maintenir indéfiniment le statu quo. Etes-vous de cet avis ?

    Les institutions ne sont pas inopérantes, parce qu’elles sont contrôlées par des personnes proches du président de la République. A mon avis, l’une des causes sous-jacentes de cette situation reste le faible degré d’institutionnalisation du pouvoir politique, lequel relève de la trajectoire historique propre à l’Algérie.

    Ce qui explique qu’elle soit encore confrontée aux problèmes de la personnalisation du pouvoir et du culte du chef. Cette forme d’exercice du pouvoir appelé «néo-patrimonialisme» n’est pas due à l’existence d’hommes providentiels, mais elle est la caractéristique de l’état de la société (représentations du pouvoir issu de l’imaginaire social).

    Les apparences d’un Etat sont là : c’est-à-dire une armée, une police, une administration. Mais l’Etat en tant que pouvoir institutionnalisé n’existe pas. Sa caractéristique majeure consiste en l’absence de séparation entre l’office et l’officier, c’est-à-dire entre la fonction présidentielle et son agent d’exercice (le gouvernant, personne physique qui occupe temporairement la fonction).

    En principe, lorsqu’ils sont institués, les rapports de gouvernants à gouvernés sont dissociés des relations personnelles de chef à sujets. Dès lors, c’est la faiblesse des institutions algériennes qui entraîne des relations personnelles et permet au Président d’y nommer des amis politiques. Dans le cadre d’un pouvoir néo-patrimonial, les nominations présidentielles sont un moyen d’élargir sa clientèle.

    Plus le degré d’institutionnalisation est poussé, plus le pouvoir discrétionnaire du Président est réduit en conséquence et se trouve limité par le droit. Pour illustrer, prenons le cas de la France, qui a tenté de moderniser les institutions de la République par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

    Pour mieux encadrer le pouvoir de nomination à certaines fonctions importantes du président de la République, celui-ci fera préalablement l’objet d’un avis public des commissions compétentes des deux assemblées du Parlement. Il sera précédé d’une audition publique de la personne dont la nomination est envisagée afin de vérifier les compétences de l’intéressé. C’est donc une garantie que les nominations aux plus hautes responsabilités n’apparaissent plus comme le fait du prince.

    Même aux Etats-Unis, le Sénat dispose du pouvoir de confirmer les nominations présidentielles. A cet égard, les nominations, effectuées par le Président (secrétaires d’Etat, hauts fonctionnaires, juges fédéraux et ambassadeurs), doivent obligatoirement être approuvées par lui. Et si le Président n’y dispose pas d’une majorité confortable, cela risque de limiter considérablement sa liberté de manœuvre.

    Pour revenir chez nous, si ces personnes proches du président Abdelaziz Bouteflika maintiennent le statu quo, c’est parce qu’au lieu d’être dans une relation institutionnelle, elles sont dans une relation de dépendance telle qu’elles n’osent prendre aucune initiative de peur de lui déplaire, car elles se sentent redevables à son égard. De plus, leur nomination ne relève pas de la méritocratie, mais beaucoup plus de leur degré d’allégeance.

    C’est donc parce que l’institutionnalisation du pouvoir est inachevée, qu’il s’avère plus aisé d’y nommer des personnes proches du Président sans qu’aucune limite juridique ne soit instituée par la Constitution.

    Peut-on dire que les règles de droit et le corpus constitutionnel sont verrouillés pour qu’il n’y ait aucune faille pour déclarer l’état d’«incapacité physique et morale», comme l’ont souligné plusieurs personnalités nationales, à gérer le pays ?

    Je n’irai pas jusque-là ! Certes, l’article 102 de la Constitution sur l’empêchement du Président est piégé, mais il reste un texte normatif. Pour moi, la disposition est claire et ne laisse place à aucun doute. En filigrane, on peut y lire la hantise de voir se profiler un coup d’Etat médical, en un mot, le syndrome bourguibien.

    De plus, dans cet article, seule la procédure de constatation de l’empêchement a été rendue ardue. En revanche, dans les cas de décès ou de démission du Président prévus un peu plus loin, à l’alinéa 4, la procédure est relativement simplifiée, puisqu’aucune obligation d’unanimité pour la constatation de la vacance définitive de la Présidence n’est exigée.

    L’initiative revient au Conseil constitutionnel qui doit s’autosaisir automatiquement pour constater l’état d’empêchement du président de la République par tous les moyens (médical ou autre). Sauf que l’article 102 exige que la décision de la constatation de l’empêchement soit prise à l’unanimité des membres du Conseil constitutionnel.

    Il suffit qu’un seul membre du Conseil constitutionnel s’oppose pour que la procédure soit bloquée. Le texte exige une sorte de consensus politique. Ce qui n’est pas habituel en droit qui, en général, se suffit d’un expédient appelé «vote à la majorité». Il s’agit donc d’une disposition verrouillée par l’obligation d’un accord de tous les membres du Conseil constitutionnel.

    Effectivement, il sera extrêmement difficile de la mettre en pratique, sachant que quatre membres sont nommés par le Président parmi ses proches politiques. Ebranler le processus d’empêchement, c’est pour eux, donner un coup de poignard dans le dos du boss. Il ne faut pas oublier que nous sommes dans le cadre de relations personnelles et non institutionnelles. Pourtant, il faut souligner que cette disposition n’a pas été rédigée pour sanctionner un Président précis. Elle s’inscrit dans le cadre général du principe de continuité de l’Etat.

    Par Said Rabia
    El Watan
    "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

  • #2
    bon article. Merci Benam

    Pour revenir chez nous, si ces personnes proches du président Abdelaziz Bouteflika maintiennent le statu quo, c’est parce qu’au lieu d’être dans une relation institutionnelle, elles sont dans une relation de dépendance telle qu’elles n’osent prendre aucune initiative de peur de lui déplaire
    et de tout faire pour qu'il reste au pouvoir. Un autre que lui pourrait nous ôter notre position.

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    • #3
      L'un des résultats de ce mode de gouvernance ''djoumloukia'' et ultra centralisé aux mains du président est l'impossibilité de demander des comptes à (par exemple) des walis installés directement par ce même président et ne répondent qu'à lui.
      Le chef de gouvernement et son staff, quel-qu’en soient leurs qualités et compétences, se voient bloqués devant ces empires qui ont vu le jour dans presque tous les wilayas. Afin de limiter les dégâts le mieux que les intérimaires ont trouvé est de procéder à des roulements incessant de ces dits walis. Cela peut s'appliquer à d'autres corps.

      Quand l'économiste Benbitour parle de changer tout le système de gouvernance c'est le retour aux institutions et aux lois comme l'a bien expliqué la juriste Madame Benabbou.
      Comment y parvenir dans cette calamité politique où tous les fléaux sont apparus risquant de détruire le pays ?
      Retour sur l'appel des sages à l'ANP.
      Dernière modification par okba30, 09 novembre 2017, 21h01.
      وإن هذه أمتكم أمة واحدة

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