“Pour qu’il y ait mafia, il faut qu’il y ait violence érigée en système, accumulation de capital, contrôle du territoire et liens avec les politiques”
Tel est le constat de Fabrice Rizzoli, docteur en sciences politiques à la Sorbonne au cours des Huitièmes Rencontres de Cannes. Cette affirmation semble pleine de sens mais peut intriguer par sa fin : « les liens avec les politiques ». Ceux-ci sont pourtant sensé nous représenter et surtout représenter la loi. En l’occurrence, les mafias ne sont, du moins j’ose espérer, aux antipodes, par leurs pratiques, d’un citoyen respectable, et par conséquent, de la loi à laquelle nous sommes tous tenus de respecter. Il a déjà été avéré que des liens existaient avec des hommes d’affaires, des golden boys, des banques et consort dans le but de réaliser des gains frauduleux ou de blanchir de l’argent mais on restait encore dans le domaine du secteur des affaires, qui ont déjà bien mauvaise image aux yeux des non-initiés sans parler d’interpénétration avec le mafieux.
On peut néanmoins constater, avec beaucoup de dépit que les organisations criminelles profitent des liens avec le milieu politique. La plupart des analyses considèrent qu’il existe des groupes biens distincts alors qu’il s’agit clairement d’une dynamique de réseau. Les organisations criminelles ont besoin du politique puisqu’il représente le pouvoir légal, autoritaire et légitime d’un Etat. Il faut néanmoins qu’il existe un Etat, même faible, puisque s’il n’y a pas d’Etat[1], la mafia n’a pas besoin du politique, attendu qu’elle devient pratiquement la seule entité de pouvoir sur le territoire. L’infiltration dans le monde politique permet d’une part d’intégrer l’économie, qui représente l’objectif principal à savoir réaliser des profits, et d’autre part à assurer la pérennité de l’activité de l’organisation.
En d’autres termes, avoir un pied en politique permet de se parer contre d’éventuels problèmes ou besoins qui pourraient survenir, comme la condamnation d’un membre de l’organisation, la promulgation d’un décret ou d’une loi, l’obtention de documents administratifs réservés ou d’autorisations diverses (dont les permis de construire) ou encore la divulgation de données sensées être confidentielles.
Devenu trop dangereux à cause de l’omniprésence des médias, le chantage a laissé toute la place à la corruption. De la même manière qu’ « il ne sert à rien d’acheter un journal quand on peut acheter un journaliste »[2], il n’est pas utile de maitriser tout l’appareil décisionnel dès lors que l’on a dans sa manche les hommes clés. « Se payer un politique » permet ainsi de prendre le « pouvoir dans le pouvoir ». Le plus inquiétant, c’est que l’un ne peut pratiquement pas aller sans l’autre, pour exemple, lors de la construction d’un ouvrage municipal ou national, le politique décide de l’attribution du marché, le banquier complice finance le projet et les experts produisent les faux rapports pour la construction. Cette formule est monnaie courante en Italie, où chacune des mafias se partage la construction de tronçons d’autoroutes par exemple, ralentissant l’avancée des travaux.
Les liens se font aussi par la « consommation de services » proposés par la mafia, à savoir le jeu, l’intimidation et bien sur celui qui est le plus utilisé : la prostitution.
Ces « services » rendus peuvent après servir de moyens de pression sur le politique. Il faut également savoir que la criminalité organisé a pratiquement été créée par le politique, en fait les notables riches propriétaires, puisque ceux-ci en avaient besoin pour garantir leur sécurité et s’offrir les services de brigands (sabotage de « concurrents », informations, …) perpétuant ainsi les relations issues du système féodal appliqué par le seigneur[3]. Cependant, une dernière précision, la mafia ne s’intéresse pas uniquement aux politiques ouverts à toutes formes de corruption. En effet, si le politique est honnête et qu’il se bat pour son pays ou sa région, l’économie ne va que mieux. Et ce qui est bon pour l’économie est bon pour les affaires de l’organisation.
Autrefois simple pion externe de la mafia, lié par des pots-de-vin révocables à tout moment, les organisations criminelles n’hésitent plus à devenir pleinement les complices d’hommes de pouvoir en les « accompagnant » par le financement de sa campagne notamment comme elles ont pu le faire avec des futures stars (notamment aux États-Unis)[4]. Ainsi le politique ne représente pas des citoyens ou une idée politique mais la mafia. Il n’agira donc en grande partie que dans l’intérêt de celle-ci et fera ce que son « électeur » lui dira de faire. On peut bien évidemment prendre pour exemple le cas de l’Italie, véritable pays de mafia. Effectivement, les « collaborations » entre la classe politique et la Cosa Nostra existent en Sicile depuis le XXe siècle, celle-ci décidait même de l’issue des élections[5]. Plus récemment, nous pourrions, toujours pour rester en Sicile, citer le cas de Salvatore Lima, ancien maire de Palerme. Fils de mafieux, il était considéré comme l’un des piliers du pouvoir de la Cosa Nostra sur l’île[6]. De même, le président de la région de Sicile, Salvator Cuffaro, a été inculpé pour avoir « favorisé » et transmis des documents administratifs à la Cosa Nostra. Il a donc écopé de cinq ans de prison ferme pour cette collaboration « simple » avec la mafia. La politique en Italie est en effet éminemment surveillée, en accord avec une législation anti mafia très offensive. Les trois grandes mafias italiennes ont particulièrement appris à se construire et se structurer avec l’appui des notables et de grands bourgeois (surtout la ‘Ndrangheta).
Pour garder un lien avec l’Italie, la branche américaine de la Cosa Nostra, comme sa cousine européenne, a toujours porté un point d’honneur à avoir des « collaborateurs » bien placé dans le système politique, notamment par le biais de sénateurs ou de maires de grandes villes. On peut citer exhaustivement la fabuleuse Las Vegas (et la région plus globalement avec Reno), New York[7] (grâce au contrôle des quartiers, dont Little Italy, par les grandes familles[8]), et les villes des Grands Lacs (surtout Chicago). En Turquie, la Maffya sait également avoir des « amis » en politique. A grands coups de corruption parfois avérée évidente, celle-ci n’est que très peu remise en cause, en effet, nombres de personnalités du parterre politique, de tous bords (dont l’AKP, parti au pouvoir, et pléthore de partis d’oppositions, le plus infiltré étant le PKK, le parti des travailleurs Kurde), ont des relations avec la Maffya[9], on peut pratiquement trouver des liens de chaque clan mafieux avec un parti politique. Pour prendre un exemple avancé par Michel Koutouzis[10], lors du tremblement de terre des années 1990 à Istanbul, « rien n’est tombé sauf les bâtiments construits grâce aux permis [de construire] accordés aux mafieux ». Quand il dit que « rien n’est tombé », il mentionne avec ironie les nombreux bâtiments écroulés et surtout les 20 000 morts, prouvant bien que les organisations criminelles étaient parvenues à « contrôler » la région et s’assurer la bonne tenue de ses activités de « construction » (et par extension des autres de ses activités nettement moins recommandables) en garantissant les votes de la population pour certains politiques. Le parti AKP (Parti de la Justice et du Développement, renommé Ak Partisi : « parti de la pureté ») du Premier Ministre Erdogan a été encore récemment accusé de corruption (juin 2009), de même que les fils de trois ministres du gouvernement impliqué dans une grande campagne anti-corruption[11]. Enfin, véritables états dans le Narco-état qu’est le Mexique, les différents cartels de Sinaloa, de Gulf et de Tijuana se substituent au gouvernement central. Ils représentent l’autorité sur leur territoire et ne manque pas de le faire savoir[12]. Leur envolée de pouvoir pratiquement sur tout le continent Centre-américain s’explique surtout par la chute des cartels colombiens de Medellin et de Cali (et accessoirement la chute de Pablo Escobar), qui eux aussi occupaient la place de l’Etat sur leur territoire, et donc le rôle du politique.
Tel est le constat de Fabrice Rizzoli, docteur en sciences politiques à la Sorbonne au cours des Huitièmes Rencontres de Cannes. Cette affirmation semble pleine de sens mais peut intriguer par sa fin : « les liens avec les politiques ». Ceux-ci sont pourtant sensé nous représenter et surtout représenter la loi. En l’occurrence, les mafias ne sont, du moins j’ose espérer, aux antipodes, par leurs pratiques, d’un citoyen respectable, et par conséquent, de la loi à laquelle nous sommes tous tenus de respecter. Il a déjà été avéré que des liens existaient avec des hommes d’affaires, des golden boys, des banques et consort dans le but de réaliser des gains frauduleux ou de blanchir de l’argent mais on restait encore dans le domaine du secteur des affaires, qui ont déjà bien mauvaise image aux yeux des non-initiés sans parler d’interpénétration avec le mafieux.
On peut néanmoins constater, avec beaucoup de dépit que les organisations criminelles profitent des liens avec le milieu politique. La plupart des analyses considèrent qu’il existe des groupes biens distincts alors qu’il s’agit clairement d’une dynamique de réseau. Les organisations criminelles ont besoin du politique puisqu’il représente le pouvoir légal, autoritaire et légitime d’un Etat. Il faut néanmoins qu’il existe un Etat, même faible, puisque s’il n’y a pas d’Etat[1], la mafia n’a pas besoin du politique, attendu qu’elle devient pratiquement la seule entité de pouvoir sur le territoire. L’infiltration dans le monde politique permet d’une part d’intégrer l’économie, qui représente l’objectif principal à savoir réaliser des profits, et d’autre part à assurer la pérennité de l’activité de l’organisation.
En d’autres termes, avoir un pied en politique permet de se parer contre d’éventuels problèmes ou besoins qui pourraient survenir, comme la condamnation d’un membre de l’organisation, la promulgation d’un décret ou d’une loi, l’obtention de documents administratifs réservés ou d’autorisations diverses (dont les permis de construire) ou encore la divulgation de données sensées être confidentielles.
Devenu trop dangereux à cause de l’omniprésence des médias, le chantage a laissé toute la place à la corruption. De la même manière qu’ « il ne sert à rien d’acheter un journal quand on peut acheter un journaliste »[2], il n’est pas utile de maitriser tout l’appareil décisionnel dès lors que l’on a dans sa manche les hommes clés. « Se payer un politique » permet ainsi de prendre le « pouvoir dans le pouvoir ». Le plus inquiétant, c’est que l’un ne peut pratiquement pas aller sans l’autre, pour exemple, lors de la construction d’un ouvrage municipal ou national, le politique décide de l’attribution du marché, le banquier complice finance le projet et les experts produisent les faux rapports pour la construction. Cette formule est monnaie courante en Italie, où chacune des mafias se partage la construction de tronçons d’autoroutes par exemple, ralentissant l’avancée des travaux.
Les liens se font aussi par la « consommation de services » proposés par la mafia, à savoir le jeu, l’intimidation et bien sur celui qui est le plus utilisé : la prostitution.
Ces « services » rendus peuvent après servir de moyens de pression sur le politique. Il faut également savoir que la criminalité organisé a pratiquement été créée par le politique, en fait les notables riches propriétaires, puisque ceux-ci en avaient besoin pour garantir leur sécurité et s’offrir les services de brigands (sabotage de « concurrents », informations, …) perpétuant ainsi les relations issues du système féodal appliqué par le seigneur[3]. Cependant, une dernière précision, la mafia ne s’intéresse pas uniquement aux politiques ouverts à toutes formes de corruption. En effet, si le politique est honnête et qu’il se bat pour son pays ou sa région, l’économie ne va que mieux. Et ce qui est bon pour l’économie est bon pour les affaires de l’organisation.
Autrefois simple pion externe de la mafia, lié par des pots-de-vin révocables à tout moment, les organisations criminelles n’hésitent plus à devenir pleinement les complices d’hommes de pouvoir en les « accompagnant » par le financement de sa campagne notamment comme elles ont pu le faire avec des futures stars (notamment aux États-Unis)[4]. Ainsi le politique ne représente pas des citoyens ou une idée politique mais la mafia. Il n’agira donc en grande partie que dans l’intérêt de celle-ci et fera ce que son « électeur » lui dira de faire. On peut bien évidemment prendre pour exemple le cas de l’Italie, véritable pays de mafia. Effectivement, les « collaborations » entre la classe politique et la Cosa Nostra existent en Sicile depuis le XXe siècle, celle-ci décidait même de l’issue des élections[5]. Plus récemment, nous pourrions, toujours pour rester en Sicile, citer le cas de Salvatore Lima, ancien maire de Palerme. Fils de mafieux, il était considéré comme l’un des piliers du pouvoir de la Cosa Nostra sur l’île[6]. De même, le président de la région de Sicile, Salvator Cuffaro, a été inculpé pour avoir « favorisé » et transmis des documents administratifs à la Cosa Nostra. Il a donc écopé de cinq ans de prison ferme pour cette collaboration « simple » avec la mafia. La politique en Italie est en effet éminemment surveillée, en accord avec une législation anti mafia très offensive. Les trois grandes mafias italiennes ont particulièrement appris à se construire et se structurer avec l’appui des notables et de grands bourgeois (surtout la ‘Ndrangheta).
Pour garder un lien avec l’Italie, la branche américaine de la Cosa Nostra, comme sa cousine européenne, a toujours porté un point d’honneur à avoir des « collaborateurs » bien placé dans le système politique, notamment par le biais de sénateurs ou de maires de grandes villes. On peut citer exhaustivement la fabuleuse Las Vegas (et la région plus globalement avec Reno), New York[7] (grâce au contrôle des quartiers, dont Little Italy, par les grandes familles[8]), et les villes des Grands Lacs (surtout Chicago). En Turquie, la Maffya sait également avoir des « amis » en politique. A grands coups de corruption parfois avérée évidente, celle-ci n’est que très peu remise en cause, en effet, nombres de personnalités du parterre politique, de tous bords (dont l’AKP, parti au pouvoir, et pléthore de partis d’oppositions, le plus infiltré étant le PKK, le parti des travailleurs Kurde), ont des relations avec la Maffya[9], on peut pratiquement trouver des liens de chaque clan mafieux avec un parti politique. Pour prendre un exemple avancé par Michel Koutouzis[10], lors du tremblement de terre des années 1990 à Istanbul, « rien n’est tombé sauf les bâtiments construits grâce aux permis [de construire] accordés aux mafieux ». Quand il dit que « rien n’est tombé », il mentionne avec ironie les nombreux bâtiments écroulés et surtout les 20 000 morts, prouvant bien que les organisations criminelles étaient parvenues à « contrôler » la région et s’assurer la bonne tenue de ses activités de « construction » (et par extension des autres de ses activités nettement moins recommandables) en garantissant les votes de la population pour certains politiques. Le parti AKP (Parti de la Justice et du Développement, renommé Ak Partisi : « parti de la pureté ») du Premier Ministre Erdogan a été encore récemment accusé de corruption (juin 2009), de même que les fils de trois ministres du gouvernement impliqué dans une grande campagne anti-corruption[11]. Enfin, véritables états dans le Narco-état qu’est le Mexique, les différents cartels de Sinaloa, de Gulf et de Tijuana se substituent au gouvernement central. Ils représentent l’autorité sur leur territoire et ne manque pas de le faire savoir[12]. Leur envolée de pouvoir pratiquement sur tout le continent Centre-américain s’explique surtout par la chute des cartels colombiens de Medellin et de Cali (et accessoirement la chute de Pablo Escobar), qui eux aussi occupaient la place de l’Etat sur leur territoire, et donc le rôle du politique.
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